Louis Bénisti
Jean-Jacques Tavera
Louis Bénisti est né le 15
mai 1903 à El-Biar,
dans une famille établie en Algérie depuis plusieurs générations.
Le père, Joseph, a épousé Blanche Zermati. C'est
un brillant avocat capable tout aussi bien de plaider en arabe qu'en
français. Le couple a trois garçons: Georges, l'aîné
qui aura une existence éphémère, Louis, et Lucien
le petit dernier, né en 1906 qui deviendra pharmacien.
Les premières années de Louis sont assombries par une
série de deuils: son frère Georges disparaît en
1904 à l'âge de 4 ans, puis le père, emporté
par le typhus en 1908 et successivement sa grand-mère en 1909
et son grand-père en 1910.
La famille se recompose alors autour de Blanche et de ses parents à
El-Biar dans la villa " la Dominante ". Blanche accueille
auprès d'elle ses jeunes frères et soeurs. Elle va devenir
pour toute la famille " Tata Blanche ".
En 1910 on quitte les hauteurs d'Alger pour s'installer à Bab-El-Oued,
où Louis va grandir près de la mer et au sein de cette
communauté si particulière.
Il entre au " grand Lycée " -
le lycée Bugeaud - en 1914, où il va faire
des études moyennes mais où se confirme son engouement
pour le dessin et l'art en général. En 1919 échec
au baccalauréat - son tuteur l'envoie à Paris apprendre
le métier d'artisan joaillier. Il n'en oublie pas pour autant
de s'inscrire dans différentes académies de peinture de
la capitale.
Retour à Alger, dans les années vingt, afin d'y créer
un atelier de bijouterie.
À partir de 1928 il abandonne définitivement la joaillerie
pour ne plus se consacrer qu'à la peinture; il s'inscrit alors
à " l'Académie Art " animée par Alfred
Figueras, peintre catalan. Là, Bénisti va se lier d'amitié
à un autre Catalan, Tona, mais surtout à un jeune architecte-urbaniste
Jean de Maisonseul. La forte personnalité de Figueras va exercer
une sensible influence sur toute une pléiade de jeunes artistes
algérois.
Après le départ de Figueras, Maisonseul proposera un vaste
local qu'il met à la disposition du jeune peintre. Nous sommes
dans les années trente et Bénisti aborde la sculpture
où il excelle, se révélant un brillant plasticien
classique. Jean de Maisonseul le présente à un groupe
de jeunes écrivains : Max-Pol Fouchet, Albert Camus et René-Jean
Clot; il y a, là aussi, des architectes: Pierre-André
Emery et Louis Miquel. Ils forment alors une " bande " autour
de Camus liée par une forte amitié.
Entre 1930 et 1934 Louis Bénisti va produire toute une série
de bustes de ses amis: des bronzes, des plâtres mais aussi de
la terre cuite. 1933 - première exposition de sculpture à
la galerie Paul Dano à Alger. Il expose aussi dans les salons
orientalistes. Albert Camus lui consacre un article dans le journal
Alger-Étudiant. Le talent de Bénisti est récompensé
par une bourse à la Casa Velazquez de Madrid où il restera
jusqu'en 1935.
De 1936 à 1938 il expose à Alger dans différentes
galeries, notamment chez Edmond Charlot aux " Vraies Richesses
" ainsi qu'au Salon d'Automne à Paris où il a été
admis dès 1933. C'est dans cette période que Louis va
travailler à la scénographie, aidé par ses amis
Louis Miguel et Pierre-André Emery. Il participe à la
réalisation des costumes et des masques au Théâtre
du Travail et au Théâtre de l'Équipe d'Albert Camus.
Bénisti, perfectionniste, veut améliorer encore sa sculpture
et " monte" à Paris en 1938 où il s'installe
avec sa mère. Il fréquente les musées, les expositions
de sculpture et de peinture. Il est fasciné par l'atmosphère
de Montparnasse, ses cafés, la Coupole. Il va côtoyer les
grands de l'art et de la littérature. Impressionnisme, cubisme,
fauvisme le passionnent et le confirment vraiment dans sa vocation de
sculpteur et de peintre.
L'invasion allemande, en 1940, va le contraindre à rentrer à
Alger où il s'établit définitivement à partir
de 1942.
Le 30 mars 1942 il épouse Solange Sarfati, étudiante en
médecine. De cette union naîtra un fils, Jean-Pierre, le
11 janvier 1943 qui sera lui aussi médecin.
Mais la sculpture ne suffit plus à faire vivre le foyer. Bénisti
ne se consacrera plus qu'à la peinture. Là il va faire
montre d'une grande fécondité inslipirée par une
" Algérie des travaux et des jours ", aussi sensible
et discrète que lui.
Bénisti, par sa forme d'art, ses motifs, ses couleurs, entre
de plain-pied darns l'École d'Alger naissante.
La peinture elle non plus n'arrive pas à faire vivre notre artiste
et sa petite famille, il sera donc maître auxiliaire de dessin
à partir de 1945 et il exercera dans les collèges et lycées
d'Alger et de sa proche banlieue. Au lycée de Maison-Carrée
il aura 1 pour collègues les historiens Hildebert
Isnard et Xavier Yacono puis, plus tard, le (futur écrivain Roger
Laporte.
Son travail se poursuit avec des sujets d'intérieurs pour Alger
et des scèr-ies d'extérieurs pour les sujets parisiens
ou provençaux qu'il peint pendant ses péériodes
de vacances. Tandis qu'on voit apparaître " l'art abstrait
", vers lequel tournent nombre de peintres d'Algérie, Louis
reste résolument figuratif. Il expose régulièrement
à Alger de 1947 à 1950, surtout à la galerie Comte-Tinchant
d'Edmonnd Charlot. Le groupe qu'il forme alors avec Sauveur Galliero,
Jean Senac, sera la "génération du
môle ", selon l'expression de Jean de Maisonseul. Le 17 septembre
1957 Blanche Bénisti, " Tata Blanche ", va rejoindre
celui dont elle n'a jamais cessé de porter le deuil. Louis en
sera très affecté.
Albert Camus meurt le 4 janvier 1960. En 1961 Bénisti, à
la demande desamis algérois de l'écrivain et avec le consentement
de Francine Camus, réalise à Tipasa
une stèle à partir d'une pierre tirée
du site archéologique. Il va y graver une citation extraite de
Noces: " Je comprends ici ce qu'on appelle gloire: le droit
d'aimer sans mesure ".
Arrivent alors les heures sombres de l'exode, mais les Bénisti
restent à Alger, toujours à Bab-El-Oued,
Solange poursuivant son activité de médecin et Louis ses
cours de professeur de dessin dans les lycées. En mai 1964 il
participe à l'exposition organisée au Musée des
Arts Décoratifs à Paris par l'association France-Algérie.
En 1970, René Gachet, qui dirige à Alger le Centre Culturel
français, met en scène une rétrospective des oeuvres
du peintre.
Leur fils poursuivant ses études de médecine en France,
les Bénisti quittent définitivement l'Algérie;
ils s'installent à Aix- en-Provence, où Solange ouvre
un cabinet médical.
Pas très loin de là, dans le Var, vient les rejoindre
Jean de Maisonseul, à Cuers très exactement. Ce sont alors
de fréquentes réunions auxquelles participe une ancienne
" pensionnaire " de l'atelier de Figueras : Suzon Pulicani-Varnier.
Bénisti est à la retraite depuis juillet 1972, il continue
à dessiner et à peindre des scènes de rues, des
paysages avec de nombreuses réminiscences de la terre natale.
Dans son petit atelier d'Aix-en-Provence, il va aborder des thèmes
nouveaux pour lui, l'enfance, l'adolescence, la danse avec des ballets
de petites danseuses aux lignes très épurées.
Il expose en avril 1976 à " la Galerie ", rue Saint-André-des-Arts
à Paris.
De 1979 à 1983 il refait un peu de sculpture, mais à partir
de 1984 sa vue baisse et il ne va plus se consacrer qu'à l'écriture:
Au soleil sans chapeau ,un récit d'enfance; On choisit
pas sa mère, souvenirs sur Albert Camus.
Dans les carnets de croquis qu'il a rapportés d'Alger, il retrouve
des sujets ébauchés à la Casbah de 1945 à
1950. Cela va le pousser à entreprendre une nouvelle oeuvre picturale
dès 1988, et qu'il va accomplir en usant de techniques très
diverses, notamment la détrempe.
Du 18 au 31 août 1990 a lieu une exposition des uvres récentes
de Louis Bénisti au Palais des Congrès d'Évian
et c'est Jean de Maisonseul qui va préfacer le catalogue.
Le 17 octobre 1990 Solange Bénisti s'éteint.
À Toulon est organisée une exposition des dernières
oeuvres de Bénisti du 28 septembre au 31 octobre 1993, à
la galerie " Espace Interrogation ".
Enfin, en juillet et août 1994, Louis Bénisti participe
à Lourmarin à une exposition collective regroupant "
les peintres amis d'Albert Camus " sous l'égide de l'association
" Rencontres Méditerranéennes Albert Camus ".
La dernière présentation des tableaux de Bénisti
se déroule en avril et mai 2000 à " la petite Galerie
" rue de Seine à Paris. Ce sont essentiellement des dessins,
des détrempes et études de la période 1974-1992,
sous le thème " Enfance et danse ".
Le 1er mai 1995 Louis Bénisti meurt à Évian. En
1998, les " Rencontres Méditerranéennes Albert Camus
" présentent à Lourmarin, les dernieres oeuvres de
la période 1988-1995.
o
( Du 25 septembre au 12 décembre 2004, I e Cercle algérianiste
de Hyères participera à la présentation en forme
de rétrospective, des oeuvres de Louis Bénisti. Cette
exposition est organisée par l'association " Les Amis de
Louis Bénisti " et la Ville d'Hyères-les-Palmiers,
son adjoint à la culture, M. François Carrassan, ainsi
qu'à l' initiative de Jean-Claude Vitiello, membre du Cercle
de Hyères et ami de Solange, Louis et Jean-Pierre Bénisti.