Les Milices africaines
aïeules de nos unités territoriales
Gaston Palisser
Deuxième partie
Depuis les événements de 1839, la Milice africaine s'était
étoffée.
Cette année-là, l'accroissement de la population avait permis
d'augmenter la force des 4e et 5e bataillons de cette Milice, dans les
communes rurales du massif d'Alger, implantées sur les deux rives
de l'Harrach,
par la formation de deux nouvelles compagnies dans la plaine de la Mitidja,
au quartier de Ben Moussa.
C'est ainsi qu'en 1841, la légion d'Alger comprenait un colonel,
un lieutenant- colonel, un major, un chirurgien-major, huit capitaines,
dont un trésorier, un d'armement, un d'ordonnance et cinq rapporteurs,
sept lieutenants, dont un porte-drapeau et un chef de musique. Le petit
état-major se composait d'un tambour-major, d'un maître-tambour,
de trois sergents de musique et d'un sergent de sapeurs, d'un caporal,
de sept sapeurs et de trente-trois musiciens. Dans le même temps,
les états-majors d'Oran et de Bône comprenaient neuf officiers,
tandis que celui de Philippeville en comptait dix et celui de Bougie seulement
trois.
Six bataillons composaient la milice d'Alger, plus un corps de réserve
de 368 miliciens, à quoi s'ajoutait la compagnie de Cherchell,
ce qui portait le total à 4 386 hommes, contre 1 807 seulement
en 1839. C'était à la fois l'augmentation de la population
et un recrutement plus sélectif qui avait permis cet accroissement
d'effectifs. La milice d'Oran et de Mostaganem comprenait 35 officiers,
915 sous-officiers et miliciens et 40 hommes de réserve, soit au
total 990 hommes répartis en artilleurs, pompiers, grenadiers,
marins-voltigeurs et trois compagnies de chasseurs. L'effectif de cette
province, concentré sur deux points seulement, était le
plus fort. Celle de Bône comptait 22 officiers et 435 sous-officiers
et miliciens formant cinq compagnies. Dès 1831, l'intrépide
Yusuf y avait mis sur pied sa propre milice. S'étant emparé
de la ville conjointement avec le capitaine d'Armandy et dans des conditions
inouïes d'audace, il s'y était installé à la
tête de miliciens turcs à sa solde, dont l'un avait bien
70 ans et y maintint l'ordre jusqu'à l'arrivée des troupes
françaises. Le 21 septembre 1832, l'arrêté du duc
de Rovigo pourvut Bône d'une garde nationale calquée sur
celle d'Alger et, en 1836 et 1837, on la vit rivaliser de zèle
et de courage avec les colonnes régulières, lors des deux
expéditions de Constantine.
À Philippeville, la population s'était constituée
spontanément en milice, dix- huit mois seulement après l'établissement
des Français dans cette cité, les tribus voisines faisant
peser sur elle leur menace en permanence. Situation qui fut régularisée,
un peu plus tard, par l'autorité militaire. Quatre, puis cinq compagnies
de milice furent créées, leurs commandants et capitaines
étant soumis à élection et, pendant plusieurs mois
encore, elles assurèrent un service quasiment actif, l'armée
leur ayant confié divers postes. À la fin de 1841, cette
milice comptait un effectif de 1 100 hommes, en fournissant 35 par jour,
ce qui théoriquement leur imposait un tour de garde tous les 31
jours. Cette même année, durant le mois de septembre, l'armée
ayant été appelée à réprimer quelques
actes de banditisme, en particulier à El-Arrouch, 157 miliciens
prirent la garde pendant plus de quinze jours.
Enfin, le 11 octobre 1841, une compagnie de milice se forma à Stora,
mesure que l'assassinat de trois soldats ainsi que de nombreux vols
commis dans le port avait rendue nécessaire. Le bataillon de Philippeville
comprit ainsi dix compagnies.
Au 17 janvier 1842, le quart de la population philippevilloise se trouvait
incorporé.
Plus près d'Alger, dans la Mitidja, un centre agricole ayant été
créé, sous le nom de Médina Clauzel, par arrêté
du 27 septembre 1836, près de l'emplacement du marché indigène
séculaire et à proximité du camp d'Erlon, le nouveau
village reçut aussitôt une milice africaine en cadeau de
naissance. Tous les Européens de 20 à 50 ans, patentés
ou propriétaires, furent appelés au service de cette milice
qui, dès le début, fournit déjà une compagnie
complète commandée par M. Eymin, capitaine. Cette formation
paramilitaire, à dater de sa création et jusqu'en 1842,
sera vivement occupée en permanence et dans des conditions plus
que pénibles, quelquefois même dramatiques. " Dans
cette période héroïque, écrit Trumelet, la générale
appellera presque chaque jour les colons aux armes; chaque jour verra
son combat; chaque nuit aura ses tueries, ses vols, ses incendies.Des
jours sans repos, des nuits sans sommeil, telle sera, pendant cinq longues
années, leur existence ". Le service de la milice de Boufarik
était des plus pénibles: elle fournissait 25 hommes de garde
par jour; cinq postes lui étaient confiés, ceux des quatre
portes de la ville et un cinquième placé au centre comme
réserve.
Cependant, malgré la vigilance de ces volontaires, l'étendue
de Boufarik
était trop considérable et ses maisons trop dispersées
pour qu'il fût possible aux divers postes d'exercer, pendant la
nuit, une surveillance efficace dans toutes les parties de ce vaste établissement.
Rien n'était plus facile aux pillards Hadjoutes que de franchir
inaperçus le fossé de l'enceinte et de venir allumer des
incendies dans l'intérieur du centre. Les meules de foin et les
baraquements de planches brûlaient alors, laissant les malheureux
colons ruinés et sans abri. C'est dans des gourbis que le sergent-major
allait chercher ses hommes qu'il trouvait, une fois sur deux, minés
par la fièvre ou tordus par la dysenterie, couchés sur une
poignée de foin ou sur la terre nue. Il y avait tant de malades
qu'on dût se résoudre à payer les gardes de nuit,
car les valides devaient les prendre quasiment en permanence et ne pouvaient
plus travailler pour gagner leur vie. Ils reçurent dix francs par
nuit.
Mais Boufarik, " la première victoire de la quinine ",
" la plus belle réalisation du génie colonisateur de
la France ", " l'émeraude pêchée dans la
vase " (Trumelet) était née, car son nom préfabriqué
de Médina Clauzel n'avait eu qu'une vie éphémère.
Le 30 mars 1841, Bugeaud, passant à Boufarik et se rendant à
Blida,
est accueilli par la milice. Celle-ci avait perdu, en cinq ans, seize
hommes tués, trente-huit colons avaient été enlevés
dont vingt-deux ne rentrèrent jamais. Bugeaud se montra peu optimiste:
" Si j'ai un conseil à vous donner, dit-il, c'est
de faire vos paquets et de filer sur Alger! ". Puis il passa
la milice en revue. Les armes des miliciens étaient celles de bagarreurs
peu habituées à être briquées. Le général
s'arrêta devant un colon dont le fusil n'était rien moins
qu'éblouissant: la batterie surtout, encrassée de rouille
et de poudre, présentait une nuance roux foncé : "
Votre fusil, milicien, fit observer le gouverneur, n'est pas d'une
propreté excessive! " - " C'est possible, mon général,
mais permettez-moi de vous faire observer qu'un chien noir mord tout aussi
bien qu'un chien blanc ". Bugeaud
sourit et passa.
En 1844, Boufarik connaîtra enfin une paix relative. Sa milice comprenait
alors 264 hommes et un tambour, 19 sous-officiers, 26 caporaux et 9 officiers.
Le bataillon de la ville comprenait trois compagnies de chasseurs intra
muros, une compagnie extra muros et une section de sapeurs-pompiers.
A Alger, le service de garde et de patrouille était fatigant. Les
hommes n'éprouvaient guère de plaisir à gravir, la
nuit, les hauteurs de la Casbah pour y faire la police ou à passer
de longues heures dans les guérites. Ce fut au cours d'une de ces
patrouilles nocturnes, dans la partie supérieure de la rue de la
Casbah, que le notaire Auger fut grièvement blessé
d'un coup de couteau. Il en réchappa heureusement, et fut décoré.
Les miliciens s'évertuaient à esquiver un service peu agréable
à qui ne portait pas l'épaulette et certains parvenaient
à ne jamais prendre de tour de garde. D'autres, au contraire, les
prenaient presque tous les jours à leur place, moyennant un dédommagement
financier. Ceux-là en faisaient même un métier. Mais
en 1836, ce droit de remplacement fut limité aux seuls membres
de la famille. Puis, le 17 décembre 1841, un arrêté
le toléra seulement à l'intérieur du même bataillon,
ce qui donne à penser que le remplacement professionnel devait
se pratiquer auparavant sur une grande échelle entre les trois
bataillons d'Alger. Les abus durent cependant continuer puisque, le 14
avril 1843, Bugeaud prit un nouvel arrêté limitant les remplacements
à l'intérieur d'une même compagnie, ce qui diminuait
évidemment l'activité des remplaçants professionnels.
" Il est probable, nous dit Aumeran dans ses Souvenirs algériens,
que l'autorité militaire, en créant tous ces divers corps
spéciaux, n'avait eu d'autre but que celui d'agrémenter
un service souvent pénible, en flattant la vanité bourgeoise
par la variété du costume. Celui des cavaliers était
élégant. Celui des éclaireurs l'était moins,
il y avait trop de jaune: le collet, les parements, le pourtour du képi
étaient jaunes. On se moquait des jeunes gens qui en faisaient
partie, en les traitant de serins, ce qui amena bien des querelles...
". Les marins de la milice portaient la tenue de matelot, leurs
officiers l'uniforme de lieutenant de vaisseau ou d'enseigne. Mais tous
ces petits travers n'empêchaient pas les miliciens des divers corps
de faire leur devoir quand l'occasion s'en présentait.
En 1847, un épisode comique fit jaser tous les Algérois:
une nuit, un milicien de garde, rue
Bruce, devant la Djénina,
Après la révolution de février 1848, les milices
africaines changèrent d'appellation et devinrent les " milices
de l'Algérie ". Par un arrêté du 23 mars suivant,
le successeur du maréchal Bugeaud, le général Cavaignac,
abrogeait les textes plaçant les milices sous les ordres de l'autorité
militaire et remettait en vigueur l'arrêté du 28 octobre
1836. La première conséquence de cette décision fut
le retour à l'élection des officiers de la milice. Les officiers,
jusqu'au grade de capitaine, étaient élus par les miliciens,
tandis que les chefs de bataillon ou d'escadron, les porte-drapeaux, étaient
élus par les officiers et sous-officiers, et nommés par
choix. Le gouverneur général qui, par ailleurs, désignait
directement le colonel et le lieutenant-colonel, les choisissait sur une
liste de trois noms. Autre conséquence alors palais du gouverneur,
et s'ennuyant dans sa guérite, éprouva la fantaisie de transporter
celle-ci ailleurs. Ce milicien se nommait Soldini et avait été
recruté au titre étranger. Cet homme, un véritable
colosse, prit la guérite sur son dos et les rares promeneurs nocturnes
de ce quartier eurent la surprise de le voir descendre la rue du Divan,
s'acheminant vers la place du Gouvernement, alors place Royale, où
il déposa son édicule aux pieds de la statue du duc d'Orléans
! L'affaire fit du bruit. Le terrible commandant de la place, le colonel
Marengo, qui détestait cordialement les fantaisistes, s'apprêtait
à infliger une condamnation exemplaire à celui qui avait
osé abandonner son poste en pleine nuit. Mais le chef de la milice,
le colonel Lacroutz, alla vite rapporter l'histoire au maréchal
Bugeaud qui s'en divertit si bien qu'il fit commuer la condamnation de
Marengo en une sévère réprimande du Conseil de discipline.
Les milices de
l'Algérie
Après la révolution de février
1848, les milices africaines changèrent d'appellation et devinrent
les " milices de l'Algérie ". Par un arrêté
du 23 mars suivant, le successeur du maréchal Bugeaud, le général
Cavaignac, abrogeait les textes plaçant les milices sous les ordres
de l'autorité militaire et remettait en vigueur l'arrêté
du 28 octobre 1836. La première conséquence de cette décision
fut le retour à l'élection des officiers de la milice. Les
officiers, jusqu'au grade de capitaine, étaient élus par
les miliciens, tandis que les chefs de bataillon ou d'escadron, les porte-drapeaux,
étaient élus par les officiers et sous-officiers, et nommés
par choix. Le gouverneur général qui, par ailleurs, désignait
directement le colonel et le lieutenant-colonel, les choisissait sur une
liste de trois noms. Autre conséquence, les jurys de révision,
au lieu d'être présidés par le tribunal civil de première
instance (arrêté du 12 décembre 1836), le furent par
le juge de paix.Une autre conséquence du changement de régime
fut que les Algérois voulurent déboulonner, le 28 octobre
suivant, la statue équestre du duc d'Orléans. Des miliciens
zélés s'y employaient déjà lorsque, selon
une légende, vint à passer un milicien israélite,
homme aux cheveux blancs et d'embonpoint sérieux. S'étant
enquis des motifs de cette agitation, notre milicien se vit répondre
que la République étant de nouveau proclamée, les
droits du peuple rétablis, les tenants de l'ancien régime
devaient disparaître. " Qu'est-ce que cela peut bien vous
faire, observa notre homme, et pourquoi vous en prendre à
celui- là qui ne coûte rien à nourrir? ".
Cette réflexion amusa extrêmement les émeutiers qui,
éclatant de rire et désarmés, abandonnèrent
leur besogne destructrice. C'est grâce à cette boutade frappée
au coin du bon sens que, paraît-il, la statue du fils aîné
de Louis-Philippe dut de se dresser longtemps encore sur la place du Gouvernement,
que les indigènes dénommèrent " Plaça
de l'Aoud ".
Les milices algériennes
La Deuxième République n'ayant
guère duré, le coup d'État de 1851 amena, dans un
premier temps, le désarmement de toutes les milices. Puis, un décret
du 12 juin 1852, avec une légère modification de leur nom:
" les milices algériennes ", ordonna une réorganisation
de ces dernières. Le prince Louis-Napoléon, qui venait de
réviser les gardes nationales de la métropole, s'occupa
activement des milices de
l'Algérie. Il pensait que les unes et les autres ne devaient plus
constituer une " garantie contre le pouvoir ", mais être
une garan?
tie contre le désordre et l'insurrection. Sans doute alors, sans
encore le dire, songeait-il à jeter les bases de son prochain Empire.
Quant aux nouvelles milices de l'Algérie, leur rôle principal
était de prêter main-forte à l'armée pour assurer
l'intégrité du territoire conquis à la civilisation
européenne.
Devenu Napoléon III, l'empereur exposa, en 1865, dans sa Lettre
sur la politique de la France en Algérie, adressée au
maréchal de Mac-Mahon, gouverneur général de la colonie,
une idée qui préludait à celle qui allait présider
à l'organisation de la Garde mobile en France: tous les Français
participeraient au tirage au sort et ceux qui seraient désignés
pour le service de la milice, seraient versés dans la réserve
de l'armée active pour sept ans et feraient des périodes
d'instruction dans les régiments de ligne. Finalement, cette idée,
qui avait l'inconvénient majeur d'entraver les travaux de la colonisation,
ne reçut aucun commencement d'exécution en Algérie.
Une nouvelle réorganisation fut décidée le 9 novembre
1859. La milice passait sous l'autorité du ministre de l'Algérie
et des Colonies dont les représentants, furent en Algérie
et suivant les territoires, les préfets et les généraux
de division. De nouvelles conditions d'âge, de profession et même
des cas d'indignité, furent prévues, différentes
questions étudiées et sanctionnées par un conseil
de recensement par commune présidé par le maire. Décision
dont il pouvait être fait appel devant le jury de révision
du canton présidé par le juge de paix.
Il faut noter que depuis 1832, les milices recevaient des tenues de drap
plus adaptées aux climats nordiques qu'à celui de l'Algérie,
errements que de nombreux chefs stigmatisaient en vain.
Un décret avait fixé l'habillement et l'équipement
des miliciens urbains et ruraux. Les premiers portaient une tenue bleu
roi, comprenant une tunique et une capote à collet écarlate
avec un rang de boutons portant l'exergue: Milices algériennes,
le pantalon pouvait être blanc en été.
Les ruraux portaient une blouse de toile bleue au collet écarlate
ou en velours, suivant la subdivision d'armes. Les officiers coiffaient
un képi bleu avec liseré blanc et rouge; les hommes de troupe
avaient une casquette en carton recouverte de toile cirée. Les
officiers des formations rurales portaient l'uniforme des officiers des
unités urbaines, les signes distinctifs des grades demeurant ceux
de l'infanterie de ligne.
Quant à l'équipement et à l'armement, ils consistaient,
pour les officiers, en un ceinturon de cuir noir et un sabre d'infanterie;
pour les sous-officiers, caporaux et miliciens, en une cartouchière
de cuir noir fermée par une agrafe de cuivre et supportant le sabre
d'infanterie (sous- officiers et caporaux) ou la baïonnette.
L'historique des uniformes de la Garde puis de la Milice est assez malaisé
à établir car, compte tenu des instructions générales
visant à l'uniformité de la tenue, chacun y ajoutait avec
entêtement les caractéristiques de son arme d'origine. Jusqu'en
1848, beaucoup de miliciens de situation aisée s'achetaient leur
uniforme; mais à partir de cette date, l'administration fournit
elle-même les tenues des milices urbaines qui acquirent ainsi plus
d'unité. Quant aux ruraux, ils étaient seulement armés;
ce qu'ils souhaitaient au fond. Ceux-là, fortement intéressés
par la défense de leurs biens, n'éprouvaient nul besoin
de parader et se contentaient fort bien de leur blouse. Et, à ce
propos, une anecdote réjouissante nous est demeurée: un
jour, c'était en juin 1860, le maréchal Pélissier,
gouverneur général, annonça sa visite au centre de
Bordj-Ménaïel. Grand branle-bas de rassemblement de la milice
qui comptait beaucoup d'hommes en blouse. Longues discussions au conseil
de la compagnie : les uns proposaient de ne pas mettre les blousards sur
les rangs, les autres prétendaient que le maréchal, très
fouinard, demanderait le contrôle de l'effectif et que le remède
serait pire que le mal. On se résigna donc à rassembler
toute la compagnie en plaçant les blousards à la gauche
des hommes en tenue. Tout se passa bien jusqu'à ce que le duc de
Malakoff parvienne à hauteur de la gauche de la haie d'honneur.
Là, le gouverneur s'arrêta tout à coup et, d'une voie
tonnante, appela le capitaine commandant la milice, qui le suivait d'ailleurs
à trois pas.
- " N... de D..., capitaine, qu'est-ce que ceux-là?
".
Sidéré, le pauvre homme, qui se voyait déjà
cassé de son grade, se mit à patauger lamentablement, sans
parvenir à trouver une quelconque explication.
- " Monsieur le Maréchal ! ... Monsieur le gouverneur !
... Monsieur le Duc!... ".
- " N... de D... ! lui rétorqua l'irascible maréchal,
voulez-vous que je vous le dise, moi! Eh bien, ce sont les moins bêtes
de votre compagnie. Au lieu de fondre dans leurs tuniques comme vous et
moi, ils sont au frais dans leurs blouses ! ".
Dans chaque ville, l'armement matriculé avec un contrôle
tenu par le maire, était géré par un officier ou
un sous-officier: un capitaine à la légion, un adjudant-
major au bataillon, un lieutenant' au groupe de compagnie, un sous-lieutenant
à la compagnie, un sous-officier dans les subdivisions de compagnie.
L'officier d'armement passait une revue trimestrielle. Les officiers d'artillerie
en passaient une tous les ans, assistés d'un contrôleur d'armes
aux frais des communes. Ces revues avaient toujours lieu un dimanche.
En temps ordinaire, les armes du service courant, en tout cas celles de
réserve, étaient déposées dans un local spécial,
sous la surveillance d'un tambour qui était appointé par
la commune, appointements fort chiches il est vrai. En Alger, dans les
premières années, ces tambours, préposés à
la garde des armes, furent logés dans la mosquée désaffectée
du Marché au Lin (Djama souk el Kettan), au 121 de la rue Porte-Neuve.
Le journal satirique Le Moqueur du 19 novembre 1865, nous apprend par
une anecdote, que cette disposition demeurait encore en vigueur chez les
ruraux: à Duperré, près de Miliana, le tambour du
village ne battait que d'une seule baguette, laissant l'autre au baudrier.
À ceux qui s'en étonnaient, il répondait: "
Dame, dans les autres villages, on donne dix francs par mois au tambour.
Les milices indigènes
À toutes ces troupes d'appoint, il
faut ajouter une milice indigène qui fut créée à
Tlemcen, suivant un arrêté du gouverneur général
du 14 février 1842. Cette milice devait comprendre quatre compagnies
qui seraient plus spécialement attachées au service de la
province, mais qui marcheraient sous les ordres du commandant des troupes
françaises, partout où besoin serait. Chacune de ces compagnies
devait comprendre : un commandant indigène ayant le grade de lieutenant,
quatre sergents, dont un devait remplir les fonctions de fourrier, trois
caporaux, deux tambours ou clairons et cent miliciens, ce qui constituait
un effectif total de 110 hommes. Les quatre compagnies se trouvaient sous
le commandement d'un officier indigène ayant reçu le grade
de capitaine.
La solde mensuelle de ces hommes était de 150 F pour le capitaine,
de 100 F pour les lieutenants, les sergents touchaient 1,50 F par jour,
les caporaux 1,25 F, les tambours ou clairons 1,05 F et les miliciens
1 F. Au moyen de cette solde, les officiers et miliciens devaient pourvoir
à tous leurs besoins et n'avaient droit à aucune autre espèce
d'allocation, soit en argent, soit en nature. Si les nécessités
de la guerre et des opérations obligeaient à leur délivrer
des vivres en campagne, la valeur de ces vivres ainsi distribuées
devait être prélevée sur leur solde. C'était
le commandant de la place de Tlemcen qui était chargé de
tenir la comptabilité générale de cette milice et
de faire payer la solde. Ajoutons qu'à ce bataillon de milice était
adjoint un médecin chirurgien. Le premier titulaire fut Benzergua
Mohamed, qui avait été le propre médecin d'Abd el-
Kader.
Mais cette dénomination de " milice " était en
fait une réminiscence des milices turques de la Régence.
C'était une troupe auxiliaire composée d'anciens partisans
d'Abd-el-Kader, donc peu comparable à une milice populaire prenant
les armes pour sa défense ou celle de ses institutions. L'organisation
militaire de ce corps se rapprochait beaucoup plus des corps de tirailleurs
indigènes des autres provinces algériennes que des gardes
nationaux ou urbains de la colonie. Exception faite cependant pour les
gardes urbaines de Blida, Koléa et Djidjelli qui, à cause
de la proximité de l'ennemi et l'insécurité qui en
résultait, avaient été organisées militairement
dès le 28 mars 1841.
À Dellys, deux sections de milice indigène furent formées
le 24 juin 1851. Leur maintien fut confirmé en juin 1852 et novembre
1859, ce principe étant reconnu avantageux.
Comme ici, on ne me donne que cinq francs, je ne me servirai que d'une
baguette tant que je ne toucherai pas la paye réglementaire! ".
A la suite des revues, les armes étaient envoyées en réparation,
comme celles des corps réguliers, chez les armuriers militaires,
après avoir été versées au capitaine d'armement.
Les milices du
Second Empire
À partir de 1860, l'époque
héroïque des milices s'estompait. La pacification de l'Algérie
paraissant terminée, les miliciens, faute d'occupation, semblaient
jouer au soldat. C'était là le résultat d'une période
de paix et de tranquillité qui avait assoupi les craintes dans
les esprits. A ce moment-là, la presse algérienne qui avait
toujours témoigné de la sympathie pour les milices, commença
à les moquer, à les égratigner même. À
cette époque, outre les journaux sérieux, tels que l'Akhbar,
le Mobacher ou Le Moniteur, l'Algérie voyait une légion
de périodiques humoristiques attaquer férocement tous ceux
qui, dans la colonie, leur servaient de tête de turc: le Moqueur,
le Chitann, le Bavard, la Goguette, le Lorgnon, le Tambour-Major, le Siroco,
etc. Puis, vers la fin de l'empire, cette presse se calma et cessa de
satiriser lorsque, le 28 octobre 1869, la milice d'Alger fut réorganisée.
Ce corps comprenait 991 miliciens, se décomposant en une compagnie
de sapeurs-pompiers de 170 hommes, un bataillon de francs-tireurs à
deux compagnies de 100 hommes, deux bataillons d'infanterie de huit compagnies
de 120 hommes fournis par la banlieue, une subdivision de la banlieue
adjointe à une compagnie d'Alger et une subdivision de cavalerie
de 50 hommes, au total 1 640 hommes. Les officiers étaient nommés
à l'élection générale et les chefs de bataillons
à l'élection des officiers.
Puis ce fut la guerre et, immédiatement, le ton changea dans la
presse. " Les compagnies de miliciens et de francs-tireurs sont
maintenant organisées militairement et peuvent rendre des services
sérieux à l'Algérie, surtout au moment où
nos villes sont dépourvues de troupes régulières
", écrivait le Lorgon du 14 août 1870.
Et le 20 août, les cadres de la milice furent complétés
et renforcés, les compagnies réunies en unités solidement
commandées. Des corps de volontaires furent créés.
Les miliciens de 18 à 35 ans formèrent des corps mobilisables,
les employés de chemin de fer en service actif étant dispensés
du service de milice. Les autres constituèrent les sédentaires,
commandés par les officiers en second des compagnies, les officiers
en premier commandant les mobilisés.
Les corps spéciaux : francs-tireurs, tirailleurs israélites,
volontaires algériens (créés le 8 août précédent,
un bataillon de 300 hommes) étaient toujours mobilisables. Le 6
octobre, le service de ces bataillons mobilisés fut complètement
réglé: solde, nourriture, campement, entrée en campagne,
étaient fixés. Et le 7 novembre, francs-tireurs et troupes
similaires reçurent l'ordre d'embarquer pour la métropole.
Précédemment, les 26 et 30 septembre, le préfet d'Alger
avait incorporé, dans les bataillons sédentaires du département,
les indigènes musulmans et les Espagnols âgés de 18
à 55 ans, en vertu d'une convention consulaire du 7 janvier 1862,
passée entre la France et l'Espagne. Mais le 30 novembre 1870,
les consuls d'Espagne et d'Angleterre ayant adressé des représentations
au sujet de l'incorporation forcée de leurs nationaux, l'administration
rappela, dans une circulaire, que cette méthode était irrégulière
et contraire au droit national, mais en profita pour se féliciter
du " zèle avec lequel un très grand nombre d'étrangers
se sont présentés pour entrer dans les rangs de la milice
".
La Garde nationale
de 1871
Dès le 11 mars 1871, tous les corps spéciaux autres que
les francs-tireurs, les cavaliers, les sapeurs-pompiers et les artilleurs
avaient été supprimés.
Et le 31 mars suivant, la Garde nationale fut créée, "
mais la milice avait un passé trop glorieux pour disparaître
de cette façon, nous dit Maitrot de la Motte, et si quelques
pièces officielles... employèrent le terme nouveau, la dénomination
ancienne fut pieusement conservée ".
Ce remaniement, survenu en pleine insurrection parisienne, eut pour résultat
appréciable d'équiper immédiatement, avec les francs-tireurs
et les artilleurs, des éléments utilisables dans toutes
les unités, fournissant ainsi, en chaque localité, un élément
mobile destiné à résister à une menace de
soulèvement.
Le 29 avril, la milice passa toute entière sous le commandement
militaire. Le 15 mai, les miliciens reçurent pour solde : les hommes
1 F, les sous-officiers 1,25 F, les cavaliers percevant 0,25 F de plus.
D'autre part, les mobilisés eurent droit à une ration de
750 gr de pain par homme et une ration de fourrage par cheval, les officiers
continuant à percevoir la solde de première classe de leur
grade dans l'infanterie.
Enfin, le 10 juin, les mobilisés mariés furent renvoyés
dans leurs foyers.
Entretemps, depuis 1870, la milice jouait un rôle stabilisateur
dans la capitale algérienne, comme l'avait voulu le décret
de 1852, c'est-à-dire être une garantie contre le désordre
et l'insurrection, au milieu des troubles qui agitaient Alger.
C'est ainsi que le maire, Romuald Vuillermoz, s'opposa au général
Walsin Esterhazy, gouverneur brutal et violent, qui arrivait précédé
d'une fâcheuse réputation d'antirépublicain.
En 1876 enfin, les " milices " algériennes disparaîtront
et ne seront remplacées qu'en 1954 par des formations paramilitaires
d'esprit très différent: les Unités Territoriales,(voir)
dont nous connaissons tous le parcours et la fin.
o
Bibliographie:
- ROZET (ingénieur-géographe), Relation de la guerre d'Afrique,
Didot, 1832.
- PELLISSIER DE RAYNAUD, Annales algériennes, Paris, 1839.
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- MAITROT DE LA MOTTE A., La milice africaine, Albi, 1929.
Le secrétariat du Cercle algérianiste et de la revue l'algérianiste
est ouvert du lundi au vendredi, de 9 heures à 12 heures.
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