-----------L'organisation
des troupes sahariennes reposait sur des précédents dignes
d'intérêt. Ainsi par un ordre du jour du 20 nivôse
an VII, Bonaparte, pendant la campagne d'Égypte, créa un
régiment de dromadaires à deux escadrons de quatre compagnies.
Le commandement fut confié au chef de brigade Cavalier. Bonaparte
demanda à Berthier de choisir dans l'infanterie des soldats d'élite
pour faire partie du nouveau corps. Ce régiment cantonné
au Caire devait fusionner avec un corps de dromadaires de la haute Égypte
créé par Desaix. Les hommes apprirent vite à se faire
obéir de leurs montures et à les faire manoeuvrer comme
des chevaux.
-----------Ce
corps fut dissous le 18 fructidor an IX, et son effectif composé
de 25 officiers et de 340 hommes, fut versé dans la gendarmerie
nationale.
-----------Dans
le même ordre d'idées, une expérience intéressante
devait voir le jour sous la Monarchie de Juillet.
-----------En
juillet 1843, le général Marey-Monge proposa la formation
d'une colonne de six cents dromadaires portant mille deux cents hommes
d'infanterie, dotés de douze jours de vivres. Un essai avec une
centaine d'hommes, pris dans le 33è de ligne et dans le 2è
bataillon de Chasseurs d'Orléans, fut couronné de succès.
-----------C'est
alors que le commandant Carbuccia, plus tard général et
alors chef de bataillon au 33e de ligne, tint à prouver à
Bugeaud que l'on pouvait tirer parti de l'expérience pour le transport
de l'infanterie. Dans une revue passée le 21 janvier 1844 sur le
champ de manoeuvres de Mustapha, cent dromadaires montés par des
hommes d'infanterie, marchent en colonne, en bataille, au pas et au trot.
Puis les cavaliers sautent de leurs montures, se déploient en tirailleurs
et exécutent des feux pendant que les dromadaires, par quatre,
sont tenus en mains par un seul homme.
-----------Favorablement
impressionné, le maréchal Bugeaud, par une décision
du 31 janvier 1844, approuvée par le ministre de la Guerre le 22
juin de la même année, organisait deux équipages de
dromadaires, l'un à Médéa, l'autre à Mascara.
Mais ces équipages ne durèrent que quelques années.
-----------Le
10 mars 1853, le colonel Desvaux organisait une colonne sur Ouargla et
faisait monter à dromadaire deux cents légionnaires.
-----------En
mars 1891, après l'occupation définitive d'El Goléa,
le ministre de la Guerre décida la formation d'une compagnie de
Tirailleurs montés à méhari. L'effectif était
constitué de cent vingt méhara montés et de trente
chameaux porteurs. Cette compagnie ne dura que vingt mois. La maladie
décimait les méhara, que les Tirailleurs, originaires du
Tell ne savaient pas soigner. Les méharistes d'El Goléa
disparurent par extinction de méhara.
-----------En
1899, une expérience similaire fut tentée en A.O.F. Un peloton
de trente méharistes indigènes fut formé à
Tombouctou pour servir de garde-frontières, sous le commandement
d'un officier et de quatre gradés français. Il fut licencié
le ter octobre 1901.
-----------Aussi,
pour éviter le renouvellement de ces échecs, un décret,
le 5 décembre 1894, portait création d'un bataillon de Tirailleurs
sahariens et d'un escadron de Spahis sahariens montés sur méhara.
Il est bon de se reporter au décret de création. L'article
premier était ainsi libellé : " Il
est formé en Algérie des corps de troupe d'indigènes
d'infanterie et (le cavalerie montée à méhara.
" " Montée " était donc au singulier et ne
s'appliquait qu'à la cavalerie. Il faut attendre le 28 juin 1900
pour voir les Tirailleurs sahariens autorisés à utiliser
le chameau pour le transport des vivres et des bagages. Mais le succès
fut très relatif.
-----------Il
n'en fut pas de même pour les Spahis sahariens. Les méhara
n'étaient plus confiés à des indigènes du
nord de l'Algérie recrutés dans l'infanterie et appartenant
à des tribus qui possédaient bien peu de qualités
requises pour faire des méharistes. Le succès apparaît
indiscutable, lorsque, le 31 août 1902, le général
commandant le corps d'armée d'Alger leur adresse, à la veille
de leur licenciement, un adieu cordial et reconnaissant.
-----------Ce
licenciement était la conséquence de la création
des Compagnies sahariennes. Le général célébrait
les mérites de l'escadron de Spahis et du bataillon de Tirailleurs
dans un ordre général aux nouvelles compagnies des Oasis
" qui tremperont leur cur dans le
vivifiant souvenir de leurs prédécesseurs ".
-----------La
loi du 30 mars 1902 qui stipulait la création de cinq compagnies
sahariennes commandées par des officiers des Affaires indigènes,
obéissait à une grande idée du commandant Laperrine,
alors chef du Territoire des Oasis. Il s'agissait pour celui qui prenait
place parmi les plus grands Sahariens, de terminer la conquête du
Sahara et d'en faire la police avec des troupes effectivement sahariennes
recrutées sur place parmi les tribus nomades ralliées de
Chambaa, et qui réunissaient toutes les conditions physiques et
morales pour assurer la protection des populations et les poursuites contre
les tribus insoumises.
-----------Les
cinq compagnies étaient fortes chacune de six officiers et de deux
cent deux sous-officiers et méharistes. Chacune comprenait un peloton
de commandement et trois pelotons méharistes. Elles se répartissaient
ainsi
------------
compagnie du Tassili : Fort-Polignac ;
------------
compagnie de la Saoura : Béni-Abbès ;
------------
compagnie de l'Erg oriental : E1-Oued ;
------------
compagnie du Touat : Adrar ;
------------
compagnie du Tidikelt-Hoggar : Tamanrasset.
-----------Cette
organisation voyait le jour au moment où la pénétration
française au Sahara s'accentuait. Le 29 décembre 1899, le
capitaine Pein, qui escortait la mission du géologue Flamand occupait
In Salah, et avec la colonne du capitaine d'Eu, il étendait son
influence sur tout le Tidikelt. En 1899-1900, la mission Foureau - Lamy
avait connu un retentissement considérable. Malgré la mort
héroïque du commandant Lamy à Kousseri, une troupe
française avait traversé le désert.
-----------Mais,
tournée par Fourreau et Lamy, investie au nord par Pein, conquérant
d'In Salah et du Tidikelt, la citadelle du Hoggar demeurait inaccessible.
Elle sera réduite par Cottenest, grâce à Cauvet et
à Laperrine.
-----------Dans
ses Directives pour la formation, le commandement, l'instruction des Compagnies
sahariennes, Laperrine insistait sur l'esprit d'initiative et
les qualités propres de la troupe : "
Je dis en commençant que je ne tiens pas à l'uniformité
entre les compagnies, je la crois même nuisible (telle chose bonne
à In Salah est mauvaise à Timimoun). "
-----------"
Les Compagnies sahariennes ne seront ni une troupe francisée dans
le genre des Tirailleurs algériens, ni un maghzen. Ce sera une
troupe européenne joignant aux qualités militaires d'une
troupe européenne la mobilité et la rusticité d'un
goum. A la troupe européenne, nous emprunterons la cohésion,
la discipline de guerre, l'habileté de chacun clans l'emploi des
armes, et du chef dans l'emploi de sa troupe. Quant à la mobilité
et à la rusticité indigènes, nos hommes les possèdent
le four où ils viennent s'engager, nous avons surtout à
nous appliquer à ne pas les détruire. "
-----------Laperrine
s'inscrit dans la lignée des Lyautey. Comment ne pas apprécier
ce mélange de perspicacité et de causticité au paragraphe
intitulé : " La discipline de service
intérieur " : " On
ne peut être toujours devant l'ennemi, il faut une discipline de
service intérieur, mais nous devons nous efforcer de faire que
cette discipline étage notre discipline de guerre au lieu d'en
être le contraire, comme dans beaucoup de troupes régulières.
" Il y a d'ailleurs un mot qui nous met à notre aise : nous
sommes une troupe irrégulière. Donc, on ne peut nous ordonner
de faire des bêtises au nom du service intérieur. (...) Ce
qui se rapproche le plus de ce que nous serons, c'est l'officier du Bureau
arabe de la conquête, du Barail à Laghouat, Margueritte à
Téniet, etc. "
-----------Et
enfin, ce qui constitue une source particulière de méditations
à notre époque: " Les fractions
: pelotons, sections, groupes ou escouades seront désignées
par le nom du chef ; pas de numéros. Cela affirme encore plus la
personnalité du chef.
-----------"
Puis, si jamais nous avons le bonheur de marcher sérieusement,
cela fait plaisir dans un rapport.
Il y aurait aussi une appellation à faire disparaître chez
les Tirailleurs le 283, 370, etc., qui assimile trop le soldat à
un forçat. Lorsqu'il y a plusieurs individus du même nom,
les indigènes adoptent un surnom ; il n'y aurait qu'à faire
comme eux. "
-----------.........................................................
-----------"
Je ne tiens pas à l'uniformité entre les compagnies, ni
entre les fractions d'une même compagnie : pelotons ou sections.
Mais je tiens absolument à l'uniformité dans la fraction.
C'est aux officiers à s'ingénier à rivaliser pour
donner du chic à leurs hommes.
-----------Mais
je yeux que la tenue soit saharienne : la corde de chameau du Tell et
le déguisement turc des Tirailleurs ne sont pas de mise au Sahara.
"
-----------Nous
avons vu le caractère irrégulier de la " formation
" saharienne voulue par Laperrine. Nous en avons un exemple avec
le raid du commandant Cottenest au Hoggar en mai 1902.
-----------Le
colonel Peltier, en préfaçant l'ouvrage du commandant Cauvet
Le raid du lieutenant Cottenest au Hoggar (combat du Tit, 7 mai 1902),
dit que
si le capitaine Pein joua un rôle prépondérant dans
la conquête des Oasis, l'on doit au capitaine Cauvet, chef de l'annexe
d'In Salah, la soumission des Touareg. Cauvet sut en effet de son propre
chef envoyer le goura Cottenest châtier ces Touareg du Hoggar qui
avaient massacré la mission Flatters.
-----------Cauvet
était à la fois un modeste et un indépendant. Aussi
sa carrière devait-elle se limiter au grade de chef de bataillon.
Retiré à Birmandreis, il y mourut à l'âge de
quatre-vingt-douze ans. Le commandant Cauvet a légué aux
Archives et Collections Raoul et Jean Brunon une importante documentation
relative à ses commandements sahariens, de 1895 à 1905.
Nous pouvons esquisser un portrait de cet autre méconnu en citant
Jean et Raoul Brunon (1): " Cauvet ne fut
pas seulement un brillant officier des Affaires indigènes : fin
politique, avisé diplomate, il fut aussi un savant dont les travaux
d'érudition sont fort nombreux. Auteur de multiples études
sur l'ethnographie et l'hydrologie du Sahara, la culture du palmier-dattier
et autres travaux scientifiques de grand intérêt, il a écrit
un important ouvrage sur "Le chameau"
qui épuise le sujet et d'autres de première valeur sur les
origines des Touareg et des Berbères. A ces titres, il convient
de joindre ceux de sociologue et aussi de technicien des forages artésiens.
-----------"
Le commandant Cauvet était une des figures les plus attachantes
qui soit ; de petite taille, aux extrémités d'une finesse
remarquable, il avait une extraordinaire emprise sur les indigènes,
pourtant grands admirateurs de la force physique. "
-----------Le
raid de Cottenest était d'autant plus admirable qu'il était
exécuté avec des méharistes du Tidikelt, occupé
seulement depuis janvier 1900. Le lieutenant Cottenest était le
seul Français de sa troupe. Selon la forte expression de Raoul
et Jean Brunon, " son ascendant sur les
irréguliers la composant était extraordinaire, il l'a prouvé.
Quand un chef a su s'imposer, il n'a pas besoin de cadres subalternes.
"
-----------La
personnalité de Cottenest est des plus attachantes. Né en
1870 à Bergues, près de Dunkerque, il avait entrepris des
études de médecine lorsque son frère, lieutenant
d'infanterie de marine, fut tué au Tonkin. Il contracta aussitôt
un engagement dans cette arme. Devenu rapidement officier, il fut affecté
aux Zouaves, puis aux Affaires indigènes en Algérie. Citons
encore Brunon (2)
-----------"
Partout où il est passé, il a laissé le souvenir
de ses brillantes qualités. Sa haute silhouette, son profil mince
et énergique, sa barbe carrée accentuaient son aspect viril.
C'était le type même de l'officier d'Afrique d'avant 1914.
"
-----------L'expédition
de Cottenest s'inscrivait dans la lignée d'une longue série
de projets. En 1891, l'occupation d'El Goléa avait été
décidée. C'est à cette occasion qu'avait été
constitué un détachement de Tirailleurs algériens,
montés à méhara et commandés par le capitaine
Lamy, dont nous avons parlé. Comme nous l'avons vu également,
les Tirailleurs, peu aptes à la vie saharienne, laissèrent
périr leurs chameaux.
-----------Cet
échec avait abouti, grâce à l'heureuse parenthèse
des Spahis sahariens, à la fondation des Compagnies sahariennes,
et la première, celle du Tidikelt à In Salah, était
placée sous le commandement de Cauvet.
-----------Laperrine
et Cauvet appartenaient à la même promotion de Saint-Cyr,
et leur entente était parfaite. Tous deux estimaient qu'il fallait
exploiter le brillant succès du capitaine Pein à In Salah,
et donc occuper le Tidikelt et le Touat. Ainsi les Touareg du Hoggar devenaient-ils
les voisins immédiats de la France, et, dès le printemps
de 1900, l'on pouvait noter une recrudescence de leurs razzias sur les
tribus du Tidikelt. Le capitaine Cauvet estimait qu'une expédition
punitive était concevable avec une troupe de cent trente fusils.
-----------Quatre-vingt-dix
méharistes furent convoqués, chaque tribu devait envoyer
un contingent. Ce fut le goum Cottenest, dont l'effectif fut complété
à cent trente fusils par l'adjonction de quarante moghaznis, pour
la plupart Châamba d'Ouargla, pleins d'ardeur et excellents tireurs.
-----------En
ce printemps de 1902, les officiers des Affaires indigènes aux
Oasis n'étaient pas encore montés à méhari,
néanmoins Cottenest, habitué à cette monture, s'était
servi d'un méhari du maghzen. Le capitaine Cauvet avait donné
l'ordre au lieutenant Cottenest de reconnaître l'oued Botha et le
bas Mouydir, mais aussi de pousser son contre-rezzou " le
plus loin possible " pour châtier les pillards et
aussi reconnaître le pays Touareg Hoggar encore totalement inconnu.
-----------Le
départ s'effectua le 23 mars 1902. A la 460 journée de marche,
le 7 mai, au village de Tit, Cottenest, attaqué par les Touareg,
remporta une éclatante victoire, avec seulement trois tués
et une dizaine de blessés. Les pertes des Touareg s'élevaient
à quatre-vingt-treize morts et de nombreux blessés.
|
|
-----------L'échec
des Touareg devait provoquer une vive impression dans tout le Sahara.
En France, au contraire, l'exploit n'eut pas le retentissement qu'il aurait
mérité. Les séquelles de l'affaire Dreyfus servaient
de prétexte à une poussée antimilitariste, et le
gouvernement préféra faire silence sur les gloires militaires.
-----------Devenu
capitaine au 1er Zouaves, puis chef de bataillon, le commandant Cottenest
est mort au champ d'honneur en Champagne, le 28 septembre 1914, à
la tête de son bataillon. Une rue de Casablanca et une rue d'Alger
ont porté son nom. Le 15 janvier 1932, le gouverneur général
Carde se rendit à Tit, pour inaugurer un médaillon à
l'effigie de Cottenest, scellé dans le roc de la gare de Tit.
-----------Il
faut associer au nom de Cottenest celui du lieutenant Guillo-Lohan qui,
six mois plus tard, accomplit la même expédition dans le
Hoggar et acheva en quelque sorte son oeuvre. Comme Cottenest, Guillo-Lohan,
devenu chef de bataillon, est mort glorieusement sur le front de France
en 1914.
-----------Une
fois le Hoggar conquis, le Sahara
était ouvert, et peu de temps après, le capitaine Cauvet
entrait en relation avec le chef targui, Moussa ag Amastane, à
qui, le 21 janvier 1904, son successeur, le capitaine Métois, remettait
le burnous rouge à broderies d'or et le titre d'aménokal.
Moussa ag Amastane devait rester un fidèle ami de la France jusqu'à
sa mort, survenue en 1921.
Ces années 1900-1902, qui voyaient la soumission des oasis sahariennes
devaient être marquées par une expansion similaire aux confins
algéro-marocains.
-----------En
juin 1901, le gouverneur général Jonnart est remplacé
par Paul Révoil, instigateur d'un protocole signé à
Paris le 20 juillet. Aux termes de cet accord, une nouvelle politique
de collaboration avec le Maroc était instaurée. En fait
il s'agissait d'interpréter et de compléter un traité
de délimitation qui remontait au 18 mars 1845. Certaines conventions
de ce protocole de Paris ne purent être mises à exécution,
en particulier celle qui stipulait que les indigènes du territoire
des Ouled-Djerir et des Douï Menia, qui refusaient la souveraineté
française, devaient s'installer dans une région du Maroc
que le gouvernement chérifien leur assignait comme résidence.
Cet arrangement était précédé de deux accords
complémentaires signés en avril et mai 1902, et qui établissaient
entre Algérie et Maroc un modus vivendi pour les relations politiques,
administratives et commerciales dans les régions frontalières.
L'application devait se révéler fort malaisée. Les
commissaires français et marocains, chargés de la mise en
uvre des accords furent très mal accueillis à Kenadsa.
-----------La
situation devint rapidement intolérable. Le 19 janvier 1902, les
capitaines de Cressin et Gratien, du 1er régiment étranger,
furent tués près de Duveyrier.
-----------En
mai 1903, Jonnart redevint gouverneur général de l'Algérie.
Dès la fin du mois il se rendit en inspection aux confins algéro-marocains.
Son escorte fut attaquée par les habitants de Zenaga, le principal
ksour de Figuig. Le 8 juin, un bombardement fut ordonné en représailles.
Aussitôt après les habitants de Figuig firent des offres
de soumission. L'aman leur fut accordé.
-----------Toutefois,
les incursions nomades se poursuivaient. Du 17 au 21 août, la garnison
de Taghit, sous les ordres du capitaine de Susbielle, repoussa victorieusement
une horde de plus de quatre mille Beraber secondés par quelques
Ouled-Djerir et Châamba dissidents. Le 2 septembre, un convoi fut
attaqué à El Moungar, dans la région de la Zousfana.
Les deux officiers de l'escorte furent mis hors de combat et la défense
fut héroïquement dirigée par le sergent-fourrier Tisserand.
-----------Aussi,
vivement influencé dans ce sens par Jonnart, le gouvernement confia
le commandement de la subdivision d'Aïn Sefra au général
Lyautey, déjà auréolé d'un grand prestige
depuis le Tonkin et Madagascar. Peu après, Lyautey bénéficiait
d'une autonomie exceptionnelle. Il était investi de l'autorité
directe sur toutes troupes stationnées dans son commandement, sous
le contrôle du ministre de la Guerre et du Gouverneur général.
-----------Le
11 novembre 1903, un poste était créé à Colomb,
près de l'oasis de Béchar. C'est l'origine de Colomb-Béchar,
où un cercle des Affaires indigènes fut aussitôt installé.
Dans les trois années suivantes, l'organisation défensive
des confins algéro-marocains bénéficia de nombreux
aménagements, en particulier par la création, en 1904, de
deux Compagnies sahariennes, l'une à Beni-Abbès, l'autre
à Colomb-Béchar.
-----------Le
capitaine Flye-SainteMarie, commandant la Compagnie saharienne du Touat,
traversa l'Iguidi en 1905 et accomplit une très belle reconnaissance
dans l'ouest de la Saoura, jusqu'à 160 kilomètres de Tindouf.
En recoupant les itinéraires jadis suivis par Oskar Lenz et René
Caillié, il reconnaissait les routes du Maroc méridional
au Soudan.
-----------À
partir de 1902-1903, trois grands noms dominent l'histoire saharienne
: Laperrine, Lyautey et le père de Foucauld, guide de la plupart
des explorateurs. Laperrine s'impose par sa personnalité exceptionnelle.
Grâce à lui, l'influence française devait s'étendre
jusqu'aux confins de l'A.O.F.
-----------En
1904, Laperrine avait assuré la jonction à Timiaouine avec
le capitaine Theveniaut, venu de Gao. Deux ans plus tard, à Taoudeni,
il rencontrait le capitaine Cauvin venu de Tombouctou. Entre-temps, il
achevait la reconnaissance et la pacification de l'erg Chech.
-----------Le
27 novembre 1911, tandis que la guerre italo-turque allait s'achever par
l'établissement de la souveraineté italienne en Tripolitaine,
le capitaine Charlet s'emparait de Djanet, siège d'une zaouïa
rattachée aux Senoussistes. Il en faisait un fort auquel son nom
sera donné plus tard.
-----------Mais
Laperrine n'était plus au Sahara. Le 8 novembre 1910, il avait
pris le commandement du 18e Chasseurs à cheval à Lunéville.
Le 22 juin 1912, il était promu général de brigade.
Il ne devait revenir en Algérie qu'en pleine guerre, après
l'assassinat du père de Foucauld.
-----------La
guerre en effet avait créé une situation inquiétante.
Le Sahara était à peu près vidé de ses troupes
et surtout de ses cadres. L'entrée en guerre de la Turquie aux
côtés de l'Allemagne, les graves dangers qui pesaient sur
la souveraineté italienne encore mal assurée en Tripolitaine,
où se trouvait la zaouïa-mère des Senoussis, tout cela
allait provoquer de violents troubles en Algérie méridionale
comme dans le Sud tunisien. Face à l'agitation des Senoussistes
incités à l'hostilité par les menées allemandes,
seul le père de Foucauld maintient la présence française
par le rayonnement de sa charité et aussi de sa lucidité.
Le 15 septembre il lance un appel, parce qu'il craint de voir compromise
la pacification du Sahara (3)
-----------"Les
nouvelles de la frontière tripolitaine sont mauvaises... Nos troupes
se replient devant les Senoussistes ; elles ne sont plus sur la frontière,
mais bien loin en deçà... Cette reculade devant quelques
centaines de fusils est lamentable. Il est clair que si sans même
combattre, on recule, les Senoussistes avanceront. Si on ne change pas
promptement de méthode, ils arriveront ici dans quelque temps.
"
-----------Le
1er décembre 1916, le père de Foucauld est assassiné,
victime des Senoussistes. Parmi ses papiers épars, on trouva une
lettre dans laquelle il se réjouissait des nouvelles reçues
de son ami Laperrine toujours au front.
-----------Devant
l'aggravation de la situation, le gouvernement se décida à
agir, et Laperrine est envoyé redresser la situation. Il obtint
de rapides succès et le commandant Lehuraux réussit à
repousser les Senoussistes.
-----------En
octobre 1919, Laperrine fut appelé au commandement de la division
d'Alger. Le 5 mars 1920, il trouva la mort dans un accident d'aviation,
victime du Sahara. Le 26 avril, on déposait ses restes à
côté de ceux du père de Foucauld.
-----------L'après-guerre
voit la fin de la période héroïque avec les raids du
capitaine Augieras, qui, en 1921, accomplit une jonction à El Mzerreb
avec le commandant Lauzanne, venu d'Atar, en Mauritanie. Le 31 mars 1935,
la colonne Trinquet pénétrait à Tindouf. C'était
la dernière étape de la pacification du Sahara occidental
(4). Trente ans auparavant, la colonne Gouraud avait commencé avec
l'expédition de l'Adrar, la reconnaissance de ces confins algéro-mauritaniens.
-----------Il
ne subsistait dans ces régions que la dissidence des R'Guibat,
auxquels le Rio de Oro servait de refuge. Ils furent mis à la raison
en 1939.
-----------En
1939-1940, la frontière algéro-libyenne fut étroitement
surveillée, mais rien de notable ne se produisit au moment de l'entrée
en guerre de l'Italie. Après les armistices de juin 1940, le loyalisme
des populations sahariennes fut exemplaire. Au début de décembre
1941, l'amiral Platon, secrétaire d'Etat aux Colonies, parti d'El
Goléa pour inspecter les travaux du Méditerranée-Niger,
regagna Alger par le Maroc après deux escales aux postes sahariens
d'Atar et de Tindouf.
-----------Après
le débarquement du 8 novembre 1942, des opérations se déroulèrent
à la frontière libyenne et dans le Sud tunisien. Le 25 janvier
1943, le capitaine Faugère, commandant la compagnie du Touat, reçoit
la reddition de Ghat. A Ghadamès, les troupes sahariennes effectuent
leur jonction avec la colonne Leclerc, puis avec la Ville armée
britannique.
-----------Le
8 janvier 1950, toutes les unités sahariennes envoient à
In Salah d'importantes délégations pour y célébrer
le cinquantième anniversaire de la prise de l'oasis, par Pein.
Le Gouverneur général Naegelen remet un étendard
commun aux Compagnies sahariennes. Deux ans plus tard, à Ouargla,
le 30 novembre 1952, le secrétaire d'Etat à la Guerre, Pierre
de Chevigné, décore de la croix de guerre avec palme l'étendard
des Compagnies sahariennes qui est alors confié à la compagnie
de la Saoura (5).
-----------Après
le drame de 1962, il convient de célébrer les officiers
des Affaires indigènes, dignes successeurs de Lamoricière
et du Barrail. Leur autorité et leur abnégation ont transformé
" le Sahara qu'on évitait en Sahara
qu'on traversait ". Puis vint l'époque des richesses
sahariennes. Mais d'autres puissances que la France tirent profit de cent
ans d'efforts et de sacrifices.
Il ne reste qu'amertume au cur de ceux qui se souviennent.
-----------BIBLIOGRAPHIE
La bibliographie d'un tel sujet est immense, aussi nous
limitons-nous à l'essentiel de notre documentation.
- Augustin Bernard et N. Lacroix, La pénétration saharienne
(18301906), Alger, Imprimerie algérienne. 1906, 195 p.
- Raoul et Jean Brunon, Le raid du lieutenant Cottenest au Hoggar (Combat
de Tit, 7 mai 1902), Marseille, collection R. et J. Brunon sd. 95 p.
- Général J: L. Carbuccia, Du dromadaire comme bête
de somme et comme animal de guerre, suivi de Le régiment des dromadaires
à l'Armée d'Orient (1798-1801), par M. Jomard, Paris, Librairie
militaire de J. Dumaine, 1853, 251 p.
- Commandant G. Cauvet Le raid du lieutenant Cottenest au Hoggar, Marseille,
collection Raoul et Jean Brunon, 1945, 146 p.
- Lieutenant Guillaume de Champeaux, A travers les oasis sahariennes.
Les Spahis sahariens, Paris, R. Chapelet, sd, 107 p.
- Général Laperrine, Directives pour la formation, le commandement,
l'instruction des Compagnies sahariennes, sd (probablement 1902), 87 p.
- René Pottier, Laperrine, conquérant pacifique du Sahara,
Paris, Nouvelles Editions Latines, 1943, 202 p.
- Capitaine Tillion, La conquête des oasis sahariennes, Paris, CharlesLavauzelle,
sd., 174 p.
-----------Nous
assurons de toute notre gratitude M. Michel Sapin-Lignières. Ses
précieux renseignements et la richesse de sa documentation nous
ont permis de mener à bien cette étude.
Pierre GOURINARD.
(1) Jean et Raoul Brunon, Découverte du Hoggar.
Reconnaissance Cottenest 1902, p. 34. (2) Ibid., p. 35.
(3) René Pottier, Laperrine, conquérant pacifique du Sahara,
p. 187.
(4) Le général Maurice Trinquet (1879.1941), était
entré aux Affaires indigènes le 6 janvier 1929, comme commandant
du cercle de Colomb-Béchar. Il commanda les confine algéro-marocains
jusqu'en 1940. Passé dans le cadre de réserve à l'Armistice,
il devint président de la Légion française des combattants
du Maroc. Il est mort à Casablanca le 29 juillet 1941.
(5) La disposition des Compagnies sahariennes était inchangée
mais des groupements sahariens d'annexe s'étaient ajoutés,
ceux d'Ain Sefra, des Oasis et de Touggourt-Ghardaie, dont les postes
de commandement étaient respectivement Colomb-Béchar, Ouargla
et Laghouat.
-----------Enfin,
cette organisation devait être complétée par cinq
compagnies sahariennes portées, d'un bataillon et d'une compagnie
indépendante du génie, de deux formations de transmissions
et de trois compagnies de transport. Trois des cinq compagnies sahariennes
portées, celles d'Ain Sefra, de Laghouat et de Sebha étaient
constituées par des troupes de la Légion étrangère.
|