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-Dossier: l'Armée d'Afrique
Les Français d'Afrique du Nord
dans les combats pour la libération de la France
A.Bonhoure

-------L'Armée d'Afrique est le vocable qui a désigné, de tout temps, l'armée française d'Afrique du Nord.
--------La composition et la nature même de cette armée ont souvent varié au cours d'un siècle et demi de présence française au Maghreb.

Tous les textes de ce dossier sont extraits d'un numéro spécial de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information. - n°19-15 septembre 1982 avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

url de la page : http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis/mon_algerie/armee_afrique/algerianiste19/textes/liberation_france.htm
Ces textes sont reproduits par OCR. Veuillez pardonner les quelques "coquilles" rencontrées. Vous pouvez me les signaler, merci.

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---------L'Armée d'Afrique est le vocable qui a désigné, de tout temps, l'armée française d'Afrique du Nord.
La composition et la nature même de cette armée ont souvent varié au cours d'un siècle et demi de présence française au Maghreb.
---------Au début, c'est, avant tout, l'Armée française venue de métropole pour rétablir l'ordre sur les mers, faire régner la paix et apporter une civilisation dans ces pays outre-Méditerranée dominés par des féodalités ou livrés à l'anarchie.
---------Progressivement elle s'est " métissée " par incorporation, en son sein, d'unités indigènes créées sur place.
---------Au début du siècle, elle comprend, quant aux effectifs, environ un tiers de troupes françaises et deux tiers de troupes indigènes. Tous les citoyens français d'Algérie étaient soumis aux mêmes obligations militaires que ceux de la métropole (service actif, affectations dans les réserves, périodes, etc.). Ces Français d'Afrique du Nord faisaient leur service, soit sur le territoire de recrutement, soit en métropole. Pendant longtemps, les indigènes ne furent pas soumis aux lois françaises de la conscription.
---------Jusqu'en 1914 ils n'étaient pas recensés. Quand, à partir de cette époque, le besoin s'en fit sentir, on leur appliqua, en partie, la loi sur le recrutement avec des aménagements.
---------Beaucoup de conscrits étaient exemptés, surtout la paix revenue, pour des raisons qui variaient au gré des législateurs, mais qui étaient, en fait, fonction de la loi budgétaire annuelle fixant les effectifs des troupes " de souveraineté". La conscription, réduite, apportait simplement les renforts nécessaires, aux régiments dits " indigènes " : Tirailleurs, Spahis, Artilleurs d'Afrique, composés, en grande partie, d'engagés.
---------En 1914, l'Armée d'Afrique se mobilisa donc, d'une part, pour les Français, par rappel des réservistes disponibles des première et deuxième réserves, puis des " territoriaux ". Pour les indigènes, avant que la conscription ne soit appliquée, on " intensifia " le recrutement par " engagement volontaire pour la durée de la guerre " et on fit appel à des unités supplétives (goums) levées, sur leur territoire, par les chefs traditionnels.
---------Au cours de la guerre 1914-1918, l'Armée d'Afrique mobilisée vit passer dans ses rangs près de 300.000 hommes (308.000 ?) dont 200.000 environ (196.000 ?) indigènes et 115.750 Français d'Afrique du Nord.
---------(Il est difficile de donner des chiffres précis à 10.000 près car, d'une part, plusieurs unités dites " nord-africaines " furent constituées, ou complétées en France avec des renforts fournis soit par la métropole, soit venus d'A.F.N. ; d'autre part, beaucoup d'unités (de services) métropolitaines reçurent en renfort des détachements d'indigènes employés comme conducteurs muletiers, manutentionnaires, ou auxiliaires, dans les unités de montagne, le train hippomobile, le service de santé, l'intendance, etc.)
---------Les unités dites " indigènes " : Tirailleurs, Spahis, Artilleurs d'Afrique étaient surtout des unités algériennes. La Tunisie n'avait " levé " qu'une brigade, d'ailleurs incorporée dans une division algérienne. Le Maroc avait
mis sur pied pour être engagé sur le front de France une division (la célèbre 1ère division marocaine) et quelques goums. Mais 150.000 hommes étaient maintenus en A.F.N. comme troupes de souveraineté et de maintien de l'ordre. Ces troupes, N.A.F., étaient renforcées par quelques " régiments territoriaux" métropolitains envoyés en Algérie plus par mesure disciplinaire que par nécessité.
La population de l'Algérie était alors estimée à 5.500.000 habitants ( Le recensement de 1916 donne : population totale de l'Algérie, 5.500.000 habitants, dont 4.711.276 indigènes et 752.043 Français (plus 35.000 étrangers?); celui de 1921 donne : population totale de l'Algérie, 5.677.600 habitants dont 4.892.508 indigènes et 785.090 Français) , dont 760.000 Français d'origine européenne. La France comptait, elle, à la même époque, 35 millions d'habitants. Elle perdit 1.200.000 hommes, soit un Français sur trente. L'Algérie mobilisa 125.000 Français d'origine européenne et 176.000 d'origine indigène, en grande partie recrutés par engagement volontaire, ce qui représentait respectivement un cinquième et un trentième de la population totale de ces deux communautés.
---------Les pertes pour les Français d'Algérie furent de 22.800 (tués au combat, disparus ou morts des suites de blessures ou maladies contractées pendant la guerre, entre 1918 et 1936) soit de un mobilisé sur cinq et de un pour trente habitants.
---------Les pertes pour les indigènes qui ne furent presque pas touchés par la conscription, furent de 23.450, soit un pour sept engagés et de un pour deux cents habitants (0,5 p. 100).
---------Mais les conséquences de ces pertes, à peu près égales, ne furent pas les mêmes pour les deux communautés. Les Français d'Algérie, encore plus que ceux de France, avaient laissé sur les champs de bataille la plus grande partie de ce qui aurait dû être son élite dirigeante des années 1918 à 1940. Élite qui fit cruellement défaut dans l'organisation et l'encadrement du pays et même dans beaucoup de foyers.
---------Chaque ville, chaque village d'Algérie, comme ceux de la métropole eurent leurs martyrologes.
---------Dans l'église de tel petit village d'Algérie comptant 800 habitants européens, le nouvel autel de l'église était consacré à la mémoire des vingt-quatre morts au champ d'honneur de confession catholique. La synagogue, de son côté, rappelait par une plaque le sacrifice des neuf israélites de la commune morts pour la France. Ces mêmes noms se retrouvaient réunis, à côté des 132 noms d'indigènes de la commune mixte (45.000 habitants) sur le monument " aux morts pour la patrie " du village.
Sur les " marbres glorieux " des salles d'honneur des lycées, collèges, écoles normales ou supérieures, facultés, etc., s'étalaient, en lettres d'or, la liste des anciens élèves de ces établissements, disparus, pour la France, dans cette grande guerre.
---------Au lycée d'Alger, par exemple, sur les marbres impressionnants, qui garnissaient deux des grands murs du parloir, plus de 400 noms avaient été gravés. Quel établissement de France de cette importance pouvait tristement s'enorgueillir d'avoir donné une telle élite, en sacrifice, pour la défense de la France ? Il est regrettable qu'aucune image ne puisse, aujourd'hui, rappeler l'hommage que les jeunes avaient su rendre à la mémoire de ces anciens.

---------En 1939-1940, l'Armée d'Afrique mobilisée rassembla 300.000 hommes dont 100.000 Européens et 200.000 indigènes. Le quart des forces vives de cette armée restera en Afrique du Nord ou au Levant, pour monter la garde aux frontières. Environ douze divisions seront envoyées en métropole, certaines, hélas 1 au dernier moment. Ces unités ont, néanmoins, fait tout leur devoir. Leurs pertes furent sensibles, eu égard à la brièveté et à la nature de leur engagement sur le front de France. C'était là une armée mobilisée à forte proportion d'indigènes nord-africains.
---------Quand, en 1942, l'Empire français se retrouve aux côtés des Alliés, pour reprendre le combat contre les envahisseurs allemands et italiens, une nouvelle Armée d'Afrique surgit de l'ombre. Dans cette armée, la masse des Français d'A.F.N. mobilisés apportera un sang nouveau et même une âme nouvelle. La mobilisation de dix-neuf classes appellera ou rappellera sous les drapeaux tous les Français d'Afrique du Nord de dix-neuf à trente-huit ans sur 1.076.000 Français de souche européenne, 180.000 ont été mobilisés soit 16,4 p. 100, pourcentage bien supérieur à celui de la métropole en 1918, considéré cependant comme exceptionnel, et sans aucune mesure à celui de la France en fin 1945 qui ne fut que 0,05 p. 100.

 

---------Jamais dans l'histoire de notre pays un tel effort de guerre n'avait été demandé à une région en si peu de temps et d'une façon aussi massive. La moitié de la population active européenne du pays est sous les armes. ---------Tous les Français et néo-Français répondent à l'appel, sinon dans un enthousiasme délirant et inconscient comme ce fut le cas dans certaines circonstances dans le passé, mais ils se présentent avec la froide détermination de faire leur devoir naturellement, avec tous les défauts mais aussi toutes les qualités de leur race. Ces qualités ce sont la joie de vivre, le goût de tout prendre en plaisantant, même les choses les plus graves : la guerre, la mort... Aimer vivre, chanter, se battre, fut leur devise. Et ce fut cette nouvelle armée qui prit, d'entrée de jeu, en Tunisie, en haillons, la mentalité d'une armée de vainqueurs et qui ira, chantant et riant, de Constantine à Tunis, de Tunis à Rome, de Rome à Marseille et de Marseille au Rhin, en volant de victoire en victoire.
---------La mobilisation en A.F.N. a touché certes tous les hommes jeunes, mais il ne faut pas oublier que 2.000 jeunes filles ou femmes d'Afrique du Nord s'engagèrent volontairement pour la durée de la guerre, comme ambulancières conductrices, infirmières, secrétaires d'état-major, téléphonistes, télégraphistes, etc,
---------Cette Armée d'Afrique nouvelle manière comprenait quatre divisions d'infanterie, et trois divisions blindées, et de nombreuses unités techniques d'appui,
C'est elle qui, initialement, fin 1942, début 1943, forte de quatre petites divisions, arrêtera, en Tunisie, avec son matériel insuffisant et désuet, les puissantes armées de Von Arnim et de Rommel.
---------Première manche d'une nouvelle guerre où la France allait, grâce à son armée, venue d'Afrique, reprendre sa place dans le club des Grands.
---------C'est en Italie, sous les ordres de Juin, cet enfant de Constantine qui a accroché à son béret d'écolier les cinq étoiles de commandant en chef, que cette Armée d'Afrique, devenue Corps expéditionnaire français en Italie (C.E.F.I.), va donner toute sa mesure et quelle mesure !
---------D'entrée de jeu, elle bouscule, dans la montagne, en plein hiver, les Allemands sur lesquels s'étaient brisés, sans succès, pendant deux mois tous les assauts américains. La Menarde, le Pentano tombent. Mais ce n'est qu'un prélude qui permet à Juin de regrouper son monde et de mener désormais son affaire à sa manière.
Cette affaire ce sera successivement la rupture de la ligne d'hiver, la percée de Monna Casale d'Aquafondata, puis du Belvédère que domine le Monte Cassino sur lequel Anglais, Américains, Néo-Zélandais, Polonais butèrent d'une façon sanglante et sans succès.
---------Cette manière, c'est la manoeuvre, la célèbre manœuvre du Garigliano devenue désormais un exemple, dans l'art militaire. a Garigliano ", première grande victoire française, entièrement française, qui décide de l'écroulement du front allemand et ouvre aux Alliés, surpris et reconnaissants, la route de Rome, Rome où trois semaines plus tard des Français venus d'Afrique du Nord feront leur entrée victorieuse et triomphale aux côtés de leurs camarades et frères de combat, les Tirailleurs indigènes.
---------Un mois plus tard Monsabert, fer de lance du corps expéditionnaire de Juin, enlèvera, avec panache, Sienne où sa célèbre 3° D.A., division de Constantine, recevra sur le Campo un accueil délirantde la population.
En vue de Florence, l'Armée française d'Afrique est retirée du front d'Italie pour devenir, sous les ordres de de Lattre de Tassigny, la 1ère Armée française. Mais ce sont les mêmes hommes venus d'Afrique qui débarqueront à Saint-Tropez, à Saint-Raphaël, libéreront Toulon, Marseille, Lyon, Belfort et l'Alsace.
---------De son côté, la 2e D.B. formée au Maroc autour des vétérans de BirHakeim et de Koufra avec les évadés de France ayant rejoint l'A.F.N. par l'Espagne, avec les volontaires des Corps francs d'Afrique ou des Français engagés volontaires, débarquera en Normandie et libérera Paris et Strasbourg.
---------À ces deux grandes unités : 1ère Armée Française et 2è D.B., trois brigades (six régiments) seulement, issus des maquis, apporteront le renfort de la métropole qui n'aura pas connu, elle, une mobilisation, même partielle, depuis juin 1940.
---------La différence est lourde.
---------Les pertes des pays d'Afrique du Nord, pendant ces deux années de guerre furent de 35.000 tués et de 7.000 disparus ou morts des suites de blessures.

---------Avant que le rideau du silence et de l'oubli ne tombe sur ce dernier acte de l'épopée de l'Armée d'Afrique dans la libération de la France, et pour faire parler les chiffres, revenons une nouvelle fois nous recueillir devant ces marbres glorieux des établissements scolaires et universitaires d'Afrique du Nord.
---------Les listes se sont allongées. Certes ces tristes rallonges ne sont pas, apparemment, impressionnantes. Il est vrai que cette deuxième Grande Guerre mondiale qui a été, en Europe occidentale, une guerre de mouvement, a été moins meurtrière que la première guerre dite " des tranchées ".
---------Il n'en demeure pas moins que 80 nouveaux noms durent être inscrits sur les marbres du lycée d'Alger.
---------Les anciens élèves des lycées d'Oran, de Constantine, des écoles supérieures et des écoles normales surtout ont aussi payé très cher leur tribut à la libération de la France.
---------Le lycée Lyautey de Rabat qui n'avait, et pour cause (il n'existait pas en 1918), de monument aux morts, fit ériger, en 1946, une stèle à la mémoire des 75 élèves, anciens élèves du lycée tombés au champ d'honneur.
D'autres pourraient apporter leur témoignage sur les autres établissements scolaires, d'Oran, de Tlemcen, de Batna ou d'ailleurs.
---------Tous en méditant, aujourd'hui, devant les marbres glorieux des établissements que fréquentaient, en France, leurs enfants, petits ou arrière-petits enfants, doivent penser qu'ils peuvent être fiers de leurs ancêtres restés là-bas, dans les cimetières militaires d'Afrique du Nord, de Tunisie, d'Italie ou de France.
---------En cette veille de Toussaint, que nos pensées se portent et que nos regards se posent sur ces monuments. Ces stèles, ces plaques et ces tombes qui nous sont chers et où figurent tant de noms connus, familiers ou amis.
---------À nos pensées faisons participer nos enfants pour que nos pères, nos frères, nos amis français d'Afrique du Nord tombés pour la France, ne soient plus des héros oubliés.

A. BONHOURE.