---------L'Armée
d'Afrique est le vocable qui a désigné, de tout temps, l'armée
française d'Afrique du Nord.
La composition et la nature même de cette armée ont souvent
varié au cours d'un siècle et demi de présence française
au Maghreb.
---------Au
début, c'est, avant tout, l'Armée française venue
de métropole pour rétablir l'ordre sur les mers, faire régner
la paix et apporter une civilisation dans ces pays outre-Méditerranée
dominés par des féodalités ou livrés à
l'anarchie.
---------Progressivement
elle s'est " métissée " par incorporation, en
son sein, d'unités indigènes créées sur place.
---------Au
début du siècle, elle comprend, quant aux effectifs, environ
un tiers de troupes françaises et deux tiers de troupes indigènes.
Tous les citoyens français d'Algérie étaient soumis
aux mêmes obligations militaires que ceux de la métropole
(service actif, affectations dans les réserves, périodes,
etc.). Ces Français d'Afrique du Nord faisaient leur service, soit
sur le territoire de recrutement, soit en métropole. Pendant longtemps,
les indigènes ne furent pas soumis aux lois françaises de
la conscription.
---------Jusqu'en
1914 ils n'étaient pas recensés. Quand, à partir
de cette époque, le besoin s'en fit sentir, on leur appliqua, en
partie, la loi sur le recrutement avec des aménagements.
---------Beaucoup
de conscrits étaient exemptés, surtout la paix revenue,
pour des raisons qui variaient au gré des législateurs,
mais qui étaient, en fait, fonction de la loi budgétaire
annuelle fixant les effectifs des troupes " de souveraineté".
La conscription, réduite, apportait simplement les renforts nécessaires,
aux régiments dits " indigènes " : Tirailleurs,
Spahis, Artilleurs d'Afrique, composés, en grande partie, d'engagés.
---------En
1914, l'Armée d'Afrique se mobilisa donc, d'une part, pour les
Français, par rappel des réservistes disponibles des première
et deuxième réserves, puis des " territoriaux ".
Pour les indigènes, avant que la conscription ne soit appliquée,
on " intensifia " le recrutement par " engagement volontaire
pour la durée de la guerre " et on fit appel à des
unités supplétives (goums) levées, sur leur territoire,
par les chefs traditionnels.
---------Au
cours de la guerre 1914-1918, l'Armée d'Afrique mobilisée
vit passer dans ses rangs près de 300.000 hommes (308.000 ?) dont
200.000 environ (196.000 ?) indigènes et 115.750 Français
d'Afrique du Nord.
---------(Il
est difficile de donner des chiffres précis à 10.000 près
car, d'une part, plusieurs unités dites " nord-africaines
" furent constituées, ou complétées en France
avec des renforts fournis soit par la métropole, soit venus d'A.F.N.
; d'autre part, beaucoup d'unités (de services) métropolitaines
reçurent en renfort des détachements d'indigènes
employés comme conducteurs muletiers, manutentionnaires, ou auxiliaires,
dans les unités de montagne, le train hippomobile, le service de
santé, l'intendance, etc.)
---------Les
unités dites " indigènes " : Tirailleurs, Spahis,
Artilleurs d'Afrique étaient surtout des unités algériennes.
La Tunisie n'avait " levé " qu'une brigade, d'ailleurs
incorporée dans une division algérienne. Le Maroc avait
mis sur pied pour être engagé sur le front de France une
division (la célèbre 1ère division marocaine) et
quelques goums. Mais 150.000 hommes étaient maintenus en A.F.N.
comme troupes de souveraineté et de maintien de l'ordre. Ces troupes,
N.A.F., étaient renforcées par quelques " régiments
territoriaux" métropolitains envoyés en Algérie
plus par mesure disciplinaire que par nécessité.
La population de l'Algérie était alors estimée à
5.500.000 habitants ( Le
recensement de 1916 donne : population totale de l'Algérie, 5.500.000
habitants, dont 4.711.276 indigènes et 752.043 Français
(plus 35.000 étrangers?); celui de 1921 donne : population totale
de l'Algérie, 5.677.600 habitants dont 4.892.508 indigènes
et 785.090 Français) , dont 760.000 Français d'origine
européenne. La France comptait, elle, à la même époque,
35 millions d'habitants. Elle perdit 1.200.000 hommes, soit un Français
sur trente. L'Algérie mobilisa 125.000 Français d'origine
européenne et 176.000 d'origine indigène, en grande partie
recrutés par engagement volontaire, ce qui représentait
respectivement un cinquième et un trentième de la population
totale de ces deux communautés.
---------Les
pertes pour les Français d'Algérie furent de 22.800 (tués
au combat, disparus ou morts des suites de blessures ou maladies contractées
pendant la guerre, entre 1918 et 1936) soit de un mobilisé sur
cinq et de un pour trente habitants.
---------Les
pertes pour les indigènes qui ne furent presque pas touchés
par la conscription, furent de 23.450, soit un pour sept engagés
et de un pour deux cents habitants (0,5 p. 100).
---------Mais
les conséquences de ces pertes, à peu près égales,
ne furent pas les mêmes pour les deux communautés. Les Français
d'Algérie, encore plus que ceux de France, avaient laissé
sur les champs de bataille la plus grande partie de ce qui aurait dû
être son élite dirigeante des années 1918 à
1940. Élite qui fit cruellement défaut dans l'organisation
et l'encadrement du pays et même dans beaucoup de foyers.
---------Chaque
ville, chaque village d'Algérie, comme ceux de la métropole
eurent leurs martyrologes.
---------Dans
l'église de tel petit village d'Algérie comptant 800 habitants
européens, le nouvel autel de l'église était consacré
à la mémoire des vingt-quatre morts au champ d'honneur de
confession catholique. La synagogue, de son côté, rappelait
par une plaque le sacrifice des neuf israélites de la commune morts
pour la France. Ces mêmes noms se retrouvaient réunis, à
côté des 132 noms d'indigènes de la commune mixte
(45.000 habitants) sur le monument " aux morts pour la patrie "
du village.
Sur les " marbres glorieux " des salles d'honneur des lycées,
collèges, écoles normales ou supérieures, facultés,
etc., s'étalaient, en lettres d'or, la liste des anciens élèves
de ces établissements, disparus, pour la France, dans cette grande
guerre.
---------Au
lycée d'Alger, par exemple, sur les marbres impressionnants, qui
garnissaient deux des grands murs du parloir, plus de 400 noms avaient
été gravés. Quel établissement de France de
cette importance pouvait tristement s'enorgueillir d'avoir donné
une telle élite, en sacrifice, pour la défense de la France
? Il est regrettable qu'aucune image ne puisse, aujourd'hui, rappeler
l'hommage que les jeunes avaient su rendre à la mémoire
de ces anciens.
---------En
1939-1940, l'Armée d'Afrique mobilisée rassembla 300.000
hommes dont 100.000 Européens et 200.000 indigènes. Le quart
des forces vives de cette armée restera en Afrique du Nord ou au
Levant, pour monter la garde aux frontières. Environ douze divisions
seront envoyées en métropole, certaines, hélas 1
au dernier moment. Ces unités ont, néanmoins, fait tout
leur devoir. Leurs pertes furent sensibles, eu égard à la
brièveté et à la nature de leur engagement sur le
front de France. C'était là une armée mobilisée
à forte proportion d'indigènes nord-africains.
---------Quand,
en 1942, l'Empire français se retrouve aux côtés des
Alliés, pour reprendre le combat contre les envahisseurs allemands
et italiens, une nouvelle Armée d'Afrique surgit de l'ombre. Dans
cette armée, la masse des Français d'A.F.N. mobilisés
apportera un sang nouveau et même une âme nouvelle. La mobilisation
de dix-neuf classes appellera ou rappellera sous les drapeaux tous les
Français d'Afrique du Nord de dix-neuf à trente-huit ans
sur 1.076.000 Français de souche européenne, 180.000 ont
été mobilisés soit 16,4 p. 100, pourcentage bien
supérieur à celui de la métropole en 1918, considéré
cependant comme exceptionnel, et sans aucune mesure à celui de
la France en fin 1945 qui ne fut que 0,05 p. 100.
|
|
---------Jamais
dans l'histoire de notre pays un tel effort de guerre n'avait été
demandé à une région en si peu de temps et d'une
façon aussi massive. La moitié de la population active européenne
du pays est sous les armes. ---------Tous
les Français et néo-Français répondent à
l'appel, sinon dans un enthousiasme délirant et inconscient comme
ce fut le cas dans certaines circonstances dans le passé, mais
ils se présentent avec la froide détermination de faire
leur devoir naturellement, avec tous les défauts mais aussi toutes
les qualités de leur race. Ces qualités ce sont la joie
de vivre, le goût de tout prendre en plaisantant, même les
choses les plus graves : la guerre, la mort... Aimer vivre, chanter, se
battre, fut leur devise. Et ce fut cette nouvelle armée qui prit,
d'entrée de jeu, en Tunisie, en haillons, la mentalité d'une
armée de vainqueurs et qui ira, chantant et riant, de Constantine
à Tunis, de Tunis à Rome, de Rome à Marseille et
de Marseille au Rhin, en volant de victoire en victoire.
---------La
mobilisation en A.F.N. a touché certes tous les hommes jeunes,
mais il ne faut pas oublier que 2.000 jeunes filles ou femmes d'Afrique
du Nord s'engagèrent volontairement pour la durée de la
guerre, comme ambulancières conductrices, infirmières, secrétaires
d'état-major, téléphonistes, télégraphistes,
etc,
---------Cette
Armée d'Afrique nouvelle manière comprenait quatre divisions
d'infanterie, et trois divisions blindées, et de nombreuses unités
techniques d'appui,
C'est elle qui, initialement, fin 1942, début 1943, forte de quatre
petites divisions, arrêtera, en Tunisie, avec son matériel
insuffisant et désuet, les puissantes armées de Von Arnim
et de Rommel.
---------Première
manche d'une nouvelle guerre où la France allait, grâce à
son armée, venue d'Afrique, reprendre sa place dans le club des
Grands.
---------C'est
en Italie, sous les ordres de Juin, cet enfant de Constantine qui a accroché
à son béret d'écolier les cinq étoiles de
commandant en chef, que cette Armée d'Afrique, devenue Corps expéditionnaire
français en Italie (C.E.F.I.), va donner toute sa mesure et quelle
mesure !
---------D'entrée
de jeu, elle bouscule, dans la montagne, en plein hiver, les Allemands
sur lesquels s'étaient brisés, sans succès, pendant
deux mois tous les assauts américains. La Menarde, le Pentano tombent.
Mais ce n'est qu'un prélude qui permet à Juin de regrouper
son monde et de mener désormais son affaire à sa manière.
Cette affaire ce sera successivement la rupture de la ligne d'hiver, la
percée de Monna Casale d'Aquafondata, puis du Belvédère
que domine le Monte Cassino sur lequel Anglais, Américains, Néo-Zélandais,
Polonais butèrent d'une façon sanglante et sans succès.
---------Cette
manière, c'est la manoeuvre, la célèbre manuvre
du Garigliano devenue désormais un exemple, dans l'art militaire.
a Garigliano ", première grande victoire française,
entièrement française, qui décide de l'écroulement
du front allemand et ouvre aux Alliés, surpris et reconnaissants,
la route de Rome, Rome où trois semaines plus tard des Français
venus d'Afrique du Nord feront leur entrée victorieuse et triomphale
aux côtés de leurs camarades et frères de combat,
les Tirailleurs indigènes.
---------Un
mois plus tard Monsabert, fer de lance du corps expéditionnaire
de Juin, enlèvera, avec panache, Sienne où sa célèbre
3° D.A., division de Constantine, recevra sur le Campo un accueil
délirantde la population.
En vue de Florence, l'Armée française d'Afrique est retirée
du front d'Italie pour devenir, sous les ordres de de Lattre de Tassigny,
la 1ère Armée française. Mais ce sont les mêmes
hommes venus d'Afrique qui débarqueront à Saint-Tropez,
à Saint-Raphaël, libéreront Toulon, Marseille, Lyon,
Belfort et l'Alsace.
---------De
son côté, la 2e D.B. formée au Maroc autour des vétérans
de BirHakeim et de Koufra avec les évadés de France ayant
rejoint l'A.F.N. par l'Espagne, avec les volontaires des Corps francs
d'Afrique ou des Français engagés volontaires, débarquera
en Normandie et libérera Paris et Strasbourg.
---------À
ces deux grandes unités : 1ère Armée Française
et 2è D.B., trois brigades (six régiments) seulement, issus
des maquis, apporteront le renfort de la métropole qui n'aura pas
connu, elle, une mobilisation, même partielle, depuis juin 1940.
---------La
différence est lourde.
---------Les
pertes des pays d'Afrique du Nord, pendant ces deux années de guerre
furent de 35.000 tués et de 7.000 disparus ou morts des suites
de blessures.
---------Avant
que le rideau du silence et de l'oubli ne tombe sur ce dernier acte de
l'épopée de l'Armée d'Afrique dans la libération
de la France, et pour faire parler les chiffres, revenons une nouvelle
fois nous recueillir devant ces marbres glorieux des établissements
scolaires et universitaires d'Afrique du Nord.
---------Les
listes se sont allongées. Certes ces tristes rallonges ne sont
pas, apparemment, impressionnantes. Il est vrai que cette deuxième
Grande Guerre mondiale qui a été, en Europe occidentale,
une guerre de mouvement, a été moins meurtrière que
la première guerre dite " des tranchées ".
---------Il
n'en demeure pas moins que 80 nouveaux noms durent être inscrits
sur les marbres du lycée d'Alger.
---------Les
anciens élèves des lycées d'Oran, de Constantine,
des écoles supérieures et des écoles normales surtout
ont aussi payé très cher leur tribut à la libération
de la France.
---------Le
lycée Lyautey de Rabat qui n'avait, et pour cause (il n'existait
pas en 1918), de monument aux morts, fit ériger, en 1946, une stèle
à la mémoire des 75 élèves, anciens élèves
du lycée tombés au champ d'honneur.
D'autres pourraient apporter leur témoignage sur les autres établissements
scolaires, d'Oran, de Tlemcen, de Batna ou d'ailleurs.
---------Tous
en méditant, aujourd'hui, devant les marbres glorieux des établissements
que fréquentaient, en France, leurs enfants, petits ou arrière-petits
enfants, doivent penser qu'ils peuvent être fiers de leurs ancêtres
restés là-bas, dans les cimetières militaires d'Afrique
du Nord, de Tunisie, d'Italie ou de France.
---------En
cette veille de Toussaint, que nos pensées se portent et que nos
regards se posent sur ces monuments. Ces stèles, ces plaques et
ces tombes qui nous sont chers et où figurent tant de noms connus,
familiers ou amis.
---------À nos pensées faisons
participer nos enfants pour que nos pères, nos frères, nos
amis français d'Afrique du Nord tombés pour la France, ne
soient plus des héros oubliés.
A. BONHOURE.
|