|  Y a-t-il  un problème d'aménagement 
        particulier aux communes dites suburbaines ? (par le fait du Grand-Alger, 
        ce terme de suburbain devient impropre). Peut-on traiter d'un problème 
        d'aménagement d'El-Biar, de Birmandreïs, d'Hussein-Dey ?
 Je montrerai les raisons pour lesquelles il est devenu impossible de voir 
        les choses sous ce jour. Le Grand-Alger n'est pas une vue de l'esprit, 
        c'est une réalité concrète : une entité urbaine 
        qui va de Maison-Carrée à Bouzaréah.
 C'est donc dans le contexte de cette unité que 
        doit être replacée chacune des communes. Je montrerai aussi 
        que les nouvelles structures et la nouvelle occupation du site vont déplacer 
        les centres de gravité et que de nouveaux arrondissements délimités 
        par la géographie avant de l'être par un acte administratif 
        auront tendance à se former. (Pour citer un exemple que l'on commence à connaître, 
        ( la nouvelle unité des Annassers 
        est à cheval sur les anciennes communes de Kouba 
        et de Birmandreïs). 
        
 Traiter du problème des " communes suburbaines " revient 
        donc à décrire le nouveau plan d'aménagement du Grand-Alger. 
        Lorsqu'on regarde le mouvement de construction actuel, on constate d'ailleurs 
        qu'il est presque entièrement reporté sur les communes en 
        question. Le tableau des augmentations de population illustre le même 
        phénomène.(Note du Déjanté 
        : le tableau ne figure pas dans l'article. Mystère.)
 
 Il s'agit d'un parti délibéré, que 
        je ne saurais mieux expliquer qu'en renvoyant aux principes d'urbanisme 
        énoncés à de nombreuses reprises par M. Dalloz, ici 
        même ou dans des publications spécialisées : le développement 
        d'une ville est naturellement radioconcentrique ; en découlent 
        l'engorgement du centre et la fixation des banlieues, causes de l'impasse 
        où se trouvent aujourd'hui toutes les grandes vil-les. L'urbaniste 
        actuel doit donc oublier ce vieux centre et chercher la solution nouvelle 
        dans des trames nouvelles. Le site et les conditions d'établissement 
        déterminent ce choix. L'économie et la démographie 
        en fixant les limites.
 Le développement d'Alger apparaît sur les figures successives 
        à partir de la Casbah 
        isolée de 1830 entourée d'une campagne verdoyante dans laquelle 
        les fermes et les villas d'été font une ponctuation blanche, 
        jusqu'à la chaotique cité de 1960, où s'amorcent 
        les grands éléments d'une structure, et à la ville 
        possible de 1980, fixée dans une ordonnance nouvelle.
 
 Un fait frappe sur ces dessins. C'est que la plupart des communes " 
        suburbaines " sont de création récente et ont été 
        assez vire absorbées par la ville.
 
 Dans l'ordre ou dans le désordre, elle n'avaient aucune chance 
        de rester campagnarde.
 
 Une exception pourtant : on remarque que sur 
        le croquis de 1980, 
        Dély-Ibrahim reste isolé. Il va de soi qu'une 
        croissance incontrôlée aurait tôt fait de l'absorber. 
        Village de colonisation, Dély-Ibrahim a le charme et le caractère 
        des villages du Sahel, dont il est, par son paysage, un exemple typique. 
        Le charme actuel de Dély-Ibrahim (et du bois des Cars) est justement 
        d'être isolé d'Alger par une zone de campagne qu'il faut 
        préserver.
 
         
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          | Sites 
              bucoliques ou pittoresques, coins poétiques, refuges du passé 
              seront respectés. En voici trois exemples, pris le long de 
              l'Oued-Kniss : le chemin Maclay, auquel les urbanistes établissant 
              à côté les grandes voies d'accès, conserveront 
              le reposant ombrage de ses vieux oliviers. Ce vieil aqueduc turc, 
              envahi par la végétation. Le ' Café d'Hydra 
              ", relais animé du temps des diligences, aujourd'hui 
              borne sommeillante dans l'histoire de la cite. |  Toutes les autres communes du Grand-Alger sont absorbées, 
        et, en périphérie, hors des limites administratives, Birkadem 
        et   
         Maison-Blanche participent de la même 
        économie. 
 Aucune de ces communes, de même qu'aucun des tracés de routes 
        existants, n'a été un acte de création délibéré 
        (Vieux-Kouba mis à part). De l'ancienne Casbah rayonnaient les 
        chemins muletiers conduisant vers le Sahel et vers les zones maraîchères 
        (devenues la plaine d'Hussein-Dey). 
        Puis dès 1830 ces chemins ont été élargis 
        en voies carrossables, elles-mêmes élargies en routes pour 
        supporter un trafic plus grand, puis doublées au fur et à 
        mesure des besoins. Aux carrefours et aux points d'eau se sont développés 
        de petits centres agglomérés. Ces centres agglomérés, 
        comme la ville, se sont étendus le long des voies. On voit donc 
        qu'Alger a suivi le développement radioconcentrique habituel, simplement 
        déformé par une topographie particulière et une position 
        côtière.
 
        
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               d'Alger 1830 
              à la cité actuelle de 1959 |  Saint-Eugène 
        est né avec l'ouverture d'un chemin riverain destiné à 
        desservir les batteries militaires. Il a suivi le schéma de développement 
        habituel aux banlieues côtières : quelques maisons de villégiatures 
        et une ou deux guinguettes, qui se multiplient entre la route et la mer 
        et finissent par se souder à la ville. Puis l'arrivée des 
        spéculateurs et les lotissements de terrain ont fait cette frange 
        un peu monotone qui va aujourd'hui jusqu'à Guyotville. 
        Avec l'ouverture de la route et les facilités de transport, on 
        voit s'y fixer les habitants en permanence, les carrières et la 
        fabrique de ciment attirent une population ouvrière ; le caractère 
        de villégiature se reporte peu à peu sur Sidi-Ferruch 
        ou sur Cap-Matifou. 
        (C'est pourquoi, dans l'étude d'aménagement d'Alger, ces 
        deux centres ont aujourd'hui une telle importance et ne sont pas dissociables 
        de l'étude d'Alger). 
        
          | Voici la ville de demain, résultante logique 
              d'une évolution désormais dirigée par un urbanisme 
              rationnel.   En contraste 
              avec l'expansion radioconcentrique habituelle des grandes cités, 
              Alger s'étend suivant les directions des zones actives industrielles. |  La Bouzaréah 
        est la seule commune " suburbaine " n'ayant pas encore amorcé 
        son développement. Sans eau et sans desserte routière, (Lespès, 
        en 1930, parle de " projet étudié depuis longtemps 
        de téléphériques liant Bab-el-Oued et Saint-Eugène 
        à la Bouzaréah, l'idée étant alors surtout 
        d'en faire une station touristique et climatique, ce qui reste valable 
        "), elle présente de petits noyaux d'agglomération 
        sur les voies existantes et d'assez importantes fixations de bidonvilles 
        ou de mechtas (la tribu, les flancs du 
        Frais-Vallon). Il n'est pas pensable d'amorcer de grandes mises 
        en viabilité dans tous les coins d'Alger. Les milliards d'investissement 
        que représenterait un équipement complet de l'agglomération 
        dépassent les possibilités matérielles. Il est donc 
        souhaitable de grouper les constructions dans des zones choisies et de 
        les équiper totalement. Faire un bout de route, un tronçon 
        d'égout par-ci par-là ne sert évidemment à 
        rien. Cela explique pourquoi La Bouzaréah représente plus 
        une grande réserve foncière qu'une zone d'extension actuelle.
 El-Biar, Birmandreïs, Kouba et les hauts d'Hussein-Dey 
        constituent cette dorsale d'Alger qui devient le grand élément 
        de structure de la nouvelle agglomération.
 
 Le schéma de formation des trois premiers est toujours semblable 
        : des routes, un point d'eau, un café maure (Birmandreïs = 
        Bir Mourad Reïs, " le puits du reïs Mourad ", V. Lespès).
 
 La première route de Blida 
        par Dély-Ibrahim, Douéra 
        , passe par El-Biar et en conditionne la formation : c'est la porte du 
        Sahel (le Sahel, qui était auparavant du maquis, a été 
        mis en valeur par la colonisation). La commune était surtout un 
        ensemble de grands jardins, dont donnent encore une idée les propriétés 
        du chemin Beaurepaire, du chemin Maclay, etc... Mais la spéculation 
        intervenant, ces propriétés se morcellent en lotissements 
        qui couvrent le sol, ne laissent pas un arbre et échantillonnent 
        les architectures les plus diverses et les plus bâtardes.
 
 Le processus est le même pour les deux autres communes : en 1843 
        l'ouverture de la route de Blida par Birkadem détermine la petite 
        agglomération de Birmandreïs. Le 
        pont d'Hydra déclenche une débauche de lotissements.
 
 Pour Kouba, j'ai dit que c'était à l'origine un village 
        de colonisation qui ne s'est pas développé. Le séminaire 
        date de 1860 et c'est la route du. Gué-de-Constantine et les liaisons-tramways 
        (1906) qui ont fixé la formation actuelle. Là encore, comme 
        sur les hauts d'Hussein-Dey, les lotissements ont fait tache d'huile.
 
 Le cas de la plaine d'Hussein-Dey et de Maison-Carrée est différent. 
        Au temps d'Alger-Casbah, les zones maraîchères allaient jusqu'à 
        l'Harrach. 
        La Mitidja, peu cultivée, était surtout marécageuse. 
        Mais les terrains plats qui vont du Hamma 
        à l'Harrach, l'accès au port direct étaient commodes 
        pour les industries. Le développement intensif vers l'est était 
        inévitable. La conversion de zone maraîchère en zone 
        d'activité industrielle et commerciale s'est faite progressivement 
        en passant par un mélange composite de fermes, de villas, d'usines, 
        de camps militaires et de guinguettes. L'immigration espagnole - ouvriers 
        ou jardiniers mahonais - s'est beaucoup faite par Hussein-Dey.
 
 La jonction d'Hussein-Dey à Maison-Carrée date d'après 
        1930. Aujourd'hui, l'implantation de quartiers d'habitation nombreux rejette 
        les grosses industries au delà de l'Harrach mais la proximité 
        du port, la commodité des terrains fait souhaiter que cette zone 
        garde son caractère d'activités diverses.
 
 Deux grands axes ont présidé à l'extension d'Alger 
        : un Est-Ouest le long de la baie, un Nord-Sud industriel à l'Harrach. 
        A leur intersection, Maison-Carrée est un point clé.
 
 Il reçoit la chute du Sahel, les circulations de plaine passent 
        nécessairement par là (c'est le point d'arrivée de 
        la plupart des immigrants). Du point de vue militaire, c'était 
        évidemment un poste capital. Aussi dès 1830 le bordj turc 
        y était occupé. Mais l'insalubrité de la 
        Mitidja, l'insécurité due aux descentes des tribus 
        de Kabylie ou de 1'Atlas mitidjien ont retardé la création 
        d'une agglomération. La vraie naissance de Maison-Carrée 
        est due à l'instauration d'un marché de bestiaux en 1.862, 
        fixé au vendredi de chaque semaine. Ville de marché, Maison-Carrée 
        devait concurrencer 
        l'Arba et Boufarik.
 
 Maison-Carrée reste un point-clé, point de commande des 
        zones industrielles et embout de l'agglomération.
 
 Cette revue systématique fait bien ressortit que la croissance 
        d'Alger n'est pas différente de celle de la plupart des grandes 
        cités. La ville pousse des tentacules le long de ses voies de sortie, 
        les communes voisines rayonnent elles-mêmes et tout finit par se 
        fondre en une vaste et informe agglomération.
 
 Les points de densification sont les anciens centres (généralement 
        des carrefours) et les zones périphériques deviennent ce 
        qu'on appelle - aujourd'hui péjorativement - des banlieues. Le 
        centre s'engorge, la banlieue reste sans vie.
 
 Si le premier phénomène (la congestion du centre) n'est 
        pas difficile à expliquer, le second, " la banlieue ", 
        ne se caractérise pas si facilement. Il y a souvent la présence 
        d'industries, créées à l'origine en marge de la ville 
        et absorbées par elle. Mais les " banlieues " (je continue 
        de l'employer dans son sens péjoratif, qui n'est pas forcément 
        impliqué par sa définition) sans industrie ne sont pas toujours 
        plus amusantes ; le terme de villes-dortoirs les définit en partie. 
        La bonne et la mauvaise architecture participent de la même tristesse 
        générale, (ce qui doit faire réfléchir les 
        architectes). Par contre on note que les commerces y sont réduits 
        à leur plus simple expression (quelques boutiques d'alimentation) 
        et que les équipements urbains : hôtels, restaurants, théâtres, 
        etc... n'existent pas. Cela s'explique par le postulat de croissance concentrique 
        : le quartier est branché sur le centre-ville, mais trop loin pour 
        participer à sa vie.
 
 Autre chose plus subjective : les espaces n'ont pas de caractère 
        et d'échelle urbaine. Ville par sa densité, ses voisinages, 
        ces concentrations de voitures, il manque à la banlieue tout ce 
        qui pourrait lui conférer l'ambiance urbaine.
 
        
          |  La ville se 
              développe en prenant appui sur les structures nouvelles : pleine utilisation des terrains constructibles et des équipements. 
              D'où impérieuse nécessité d'un plan 
              directeur.
 |  La ville se 
              développe sans ordre le long des voies existantes : gaspillage des terrains.
 La dilution des opérations ne permet pas la
 constitution de centres (Phénomène-type des banlieues)
 |  Or, les impératifs de l'économie 
        et de la démographie ( Pour ce problème 
        particulier, ne pas oublier que le problème Alger est indissociable 
        du problème de toute l'Algérie.) nécessitent 
        la densité urbaine : un bref calcul montre que seule la texture 
        urbaine répond au problème. Un rendement de terrain de 100 
        % (rapport de la surface habitable à la surface du terrain), qui 
        représente pour 4 niveaux moyens d'immeuble une surface construite 
        de 25 % définit une trame urbaine normale. Si on la remplace par 
        une trame de lotissement, qui ramène les rendements de terrains 
        à 30 % au plus, la surface de la ville triple. Il s'agit bien entendu 
        d'une démonstration par le paradoxe.
 Qu'en est-il d'Alger ? A priori, ce phénomène " banlieue 
        " qui existe, est un peu escamoté par le prestige d'un site 
        merveilleux. Mais les années à venir, où vont se 
        saturer petit à petit les terrains libres, seront déterminantes, 
        puisque Alger deviendra A ou B (croquis). Cela me ramène à 
        décrire, en grands traits, quelques-uns des principes d'aménagement 
        des hauts d'Alger, pour montrer comment pourra se fixer cet objet déterminé 
        A.
 
 Un 
        réseau de voies nouvelles sera créé sur Alger. 
        Ces voies ne sont plus la confirmation des anciennes, insuffisantes, souvent 
        impossibles à élargir, souvent trop raides (les anciens 
        chemins muletiers), mais un grand maillage juxtaposé à la 
        cité. En particulier les voies longitudinales créent des 
        axes de composition nouveaux liant directement les hauts d'Hussein-Dey, 
        Kouba, Birmandreïs, El-Biar pour aboutir à Châteauneuf. 
        Ce réseau détermine une économie entièrement 
        nouvelle des hauts d'Alger. Les quartiers ne sont plus orientés 
        vers le centre-ville actuel, mais dans un axe Est-Ouest. La création 
        de nouveaux centres urbains à l'intérieur des mailles réorganise 
        tout le système. Il est évident que la nouvelle zone de 
        densité urbaine impose des centres commerciaux, des centres de 
        divertissements et d'administrations, impliquant eux-mêmes des surfaces 
        de terrain pour les parkings et les constructions, des dégagements 
        par les rapidités d'accès, qui ne sauraient se trouver dans 
        les petits centres communaux d'ores et déjà engorgés:
 Un centre au promontoire de l'Oued Ouchaïa, le centre des Annassers, 
        ceux de l'Oued Kniss, de Sidi Yahia et de Châteauneuf pourraient 
        redéterminer dans cette nouvelle optique tous les quartiers des 
        anciennes communes suburbaines. De l'autre côté de l'Harrach, 
        un centre urbain sur la crête de Lavigerie rééquilibre 
        une partie de Maison-Carrée.
 
         
          |  Actuel quartier 
              de l'oued Oucha'ïa, à Hussein-Dey Entre les maisons 
              disparates de ces lotissements hétéroclites et la lisière des Eucalyptus (château-d'eau) sera implanté 
              un centre urbain.
 |  Un des premiers 
              jalons de l'Alger futur : du sol encore fleuri
 de l'extrémité ouest de l'opération Annassers,
 on voit la cité de la Concorde
 (C.I.A. Birmandreïs, 1.000 logements).
 |  
        
          |  Contraste 
              saisissant qui caractérise certains aspects de l'ex-banlieue 
              algéroise : une vaste culture maraîchère (on 
              voit un ouvrier agricole sarclant à la main) au milieu d'immeubles 
              ultra-modernes - C'est un coin d'Hussein-Dey. |  Lorsqu'on étudie la mise en forme de cette agglomération 
        on finit par s'apercevoir que le site d'Alger se réduit à 
        quelques grandes lignes de force. Le tracé d'une ville (d'une ville 
        ou d'autre chose) est la juxtaposition d'une volonté sur une matière, 
        ici 15.000 hectares de terrain. Les tracés des structures sont 
        donc très simples et très grands. Les grands thèmes 
        une fois tracés, tous les détails particuliers (un petit 
        vallon, un chemin d'oliviers, une villa turque, trois arbres, etc...) 
        peuvent en conditionner les variations et les fioritures. Alger pourrait 
        devenir ce grand objet très simple, contenant une variété 
        infinie de perspectives et d'aspects. J.-J. DELUZ |