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        Extrait de la brochure : "Visages et Réalités 
          du Monde- l'Algérie" Auteur : ?????Souvenirs de la Mitidja ....
 ------Que 
          de vicissitudes ,de dur labeur, dans cette Mitidja hostile située 
          aux portes d'Alger, arrosée par les torrents qui débouchent 
          des montagnes de l'Atlas. Spectacle impressionnant et angoissant qui 
          arrêtera les troupes du Général de Bourmont; joncs, 
          plantes des marais y poussaient à foison, abritant des myriades 
          de microbes, d'insectes, de reptiles de toutes sortes qui s'ébattaient 
          dans ce milieu pestilentiel de vase où l'on s'enlisait facilement. 
          En venant d'Alger on abordait cette région par Boufarik que les 
          Arabes appelaient "l'Émeraude de la Mitidja" tellement 
          la région était verte.------Cette avancée 
          à travers le Sahel, la Mitidja, est due à l'armée 
          qui voulait établir des points stratégiques. L'armée 
          incitera les soldats à s'établir dans le pays, tel César 
          Voilier qui était sous-officier à la 7e compagnie d'ouvriers 
          d'artillerie. II quitte l'armée, s'installe à Alger, où 
          ses activités l'amènent à fréquenter régulièrement 
          les marchés de Bourafik et de Maison Carrée qui sont les 
          plus importants de la région d'Alger.
 ------"En 
          se transportant là le lundi matin on jouit de l'un des plus pittoresques 
          spectacles que l'on puisse souhaiter.
 Dès la nuit précédente, les routes sont encombrées 
          de troupeaux, de Kabyles voyageant à dos de mulets, de petites 
          charrettes, de pauvres hères qui, un ballot sur l'épaule, 
          vont chercher fortune à la "grande verte".
 ------A 
          l'aube, vers le marché clos par des murs et occupant un espace 
          immense, se dirigent acheteurs et vendeurs. Cacophonie de couleurs et 
          de bruits, mélange inouï de costumes et de races; pêle-mêle 
          confus d'animaux.
 ------Ici les Kabyles 
          coiffés du grand chapeau de paille, là le colon endimanché 
          avec son feutre mou et son costume fantaisie généralement 
          gris. Puis toute la série des petits métiers, des petites 
          industries, depuis le raccommodeur de sandales jusqu'au médecin 
          maure assis gravement devant un étalage de fioles et d'instruments 
          de chirurgie primitifs. Plus loin les bateleurs, les brocanteurs, les 
          cawadjï et, faut-il le dire -les bonneteurs...
 ------Le 
          marché dure longtemps, les transactions y sont importantes. Tout 
          ce monde s'agite, de démène, crie, gesticule. Le marché 
          de Bourafik apporte chaque année, une très grosse somme 
          à la commune; il fait vivre les hôtels et les restaurants, 
          car c'est presque toujours là que se traitent les grosses affaires. 
          Tel est le Bourafik de notre époque... Ville agréable, 
          saine, hospitalière. Oeuvre immortelle de trois générations 
          d'hommes qui moururent à la tâche ?".
 A. Fraigneau - L'Algérie de nos jours. 1893.
 ------Dans 
        ces villages de la Mitidja, la vie en commun est difficile, souvent les 
        nouveaux arrivants perçoivent journellement une allocation de 10 
        centimes, des rations de vivres : 750 g de pain, 60 g de riz, 16 g de 
        sel, 250 g de viande ou 200 g de lard, 125 g de pain de soupe, 1/4 de 
        litre de vin, 12 g de sucre, 12 g de café, les enfants de moins 
        de dix ans ayant droit à une demi-ration. Dès le premier 
        été, la dysenterie et la malaria (le paludisme), font leur 
        apparition ; à l'automne c'est le choléra.------Les années 
        1866 à 1868 furent terribles. La sécheresse, les invasions 
        de sauterelles et criquets, le choléra, le paludisme, des tremblements 
        de terre provoquèrent de nombreux dégâts et la famine.
 ------Le 5 août 
        1876 sur une proposition du Gouverneur Général de Gueydon 
        datant de 1871, la commission préfectorale propose la création 
        du centre Vallée du Nador: Desaix qui comprendra 20 concessions 
        d'une trentaine d'hectares chacune et 1 lot de ferme, à distribuer 
        à 14 immigrants (50 personnes) et 7 algériens (30 personnes). 
        Les pétitionnaires candidats à une concession furent nombreux; 
        il y eut 116 pétitionnaires algériens parmi lesquels: Vallier-César. 
        Celui-ci aura quelques difficultés pour obtenir son titre car il 
        travaille à Alger, et en France la banque met du temps pour lui 
        avaliser les titres, témoin cette lettre de son épouse :
 ------"Mon 
        Cher César,
 Si j'ai tant tardé à t'écrire c'est que j'attends 
        toujours de recevoir les titres de la banque et comme je vois qu'on ne 
        se presse pas pour les envoyer je ne veux pas rester davantage sans te 
        faire savoir de nos nouvelles. Je te dirais d'abord que nous avons eu 
        la visite de Mr Léandre Lanret qui est venu prendre un repas chez 
        nous ainsi que Gavoty. Ils nous ont donné quelques détails 
        sur l'Afrique et sur ta concession, ils ont obtenu une concession eux 
        aussi à Corso (L'Alma), Gavoty est arrivé ici avec les fièvres, 
        mais aujourd'hui il est guéri et il se décide à aller 
        prendre possession de son lot... Dans ta prochaine lettre tu me fera savoir 
        si Henri a toujours de la fièvre... Emilie Voilier"...
 ------II 
        prendra difficilement possession des terres, car lors des expropriations, 
        on avait laissé entendre que les propriétaires auraient 
        la jouissance de leurs terres jusqu'à la récolte. ------Les problèmes 
        de concessions réglés, il vient chercher son épouse 
        et son fils Marius qui est tout juste âgé de huit ans. Quelle 
        ne fut pas la surprise pour cet enfant, de voir surgir de la brume après 
        une longue et éprouvante traversée, ces maisons blanches 
        qui descendent en cascade vers la mer. II installe sa famille à 
        Mustapha, 
        fait construire une maison à un étage à Desaix, s'occupe 
        des terres, partage son temps de loisirs entre un idéal politique 
        et philosophique. II est élu Conseiller Municipal à Alger, 
        accepté à la loge maçonnique Belisaire, il participe 
        à la création du "fourneau économique", 
        oeuvre pour aider les nécessiteux d'Alger qui sont nombreux en 
        ces années difficiles.
 ------Parfois, il 
        emmène mon grand-père Marius jusqu'à Blida, véritable 
        petite expédition dans ces années 85, car le train met environ 
        deux heures pour faire 51 kilomètres en passant par 
        Maison 
        Carrée, le gué de Constantine, Baba Ali, 
        Boufarik et Beni Mered. Spectacle curieux à observer pour cet enfant 
        qui arrive de Provence découvrant ces scènes Bibliques de 
        la campagne algéroise...
 ------La veille de 
        Pâques dans chaque famille on préparait la Mouna, 
        gâteau brioché d'origine espagnole parfumé à 
        la fleur d'oranger, souvent cuit parle boulanger. Le lundi de Pâques 
        les familles s'entassaient dans les voitures hippomobiles, les camionnettes 
        et les automobiles pour partir pique-niquer joyeusement à la forêt 
        de Sidi Sliman, ou à Matarès. Cette tradition nous est venue 
        semble-t-il d'Oran, où chaque année le lundi de Pâques 
        et à la Saint Vincent, les familles espagnoles partaient pique-niquer 
        aux alentours du fort de la Mouna, sous les pins des Planteurs...
 ------"Le 
        grand départ a lieu dès l'aube. Des familles entières 
        ont pris place sûr des jardinières, des charrettes, des chars-à-bancs 
        aux attelages les plus bizarres. On a entassé pêle-mêle 
        les ustensiles de ménage qui serviront à faire la cuisine 
        en plein air pour toute la journée. Assise au fond du véhicule, 
        une vieille femme chante un refrain du pays ; près des brancards 
        des jeunes filles, brunes Carmen, nue tête sous le soleil de feu, 
        mais protégées par le casque épais de leur chevelure 
        font claque leurs doigts imitant le bruit des castagnettes tandis que 
        derrière elles, à demi?étendu, un jeune homme pince 
        mélancoliquement de la guitare ou joue de l'accordéon. Le 
        chef de famille, charretier improvisé, fait claquer son fouet, 
        cingle mulets et chevaux accouplés au même collier. Devant 
        eux éclaireurs, cavaliers à la façon de Sancho-Pança, 
        des jeunes gens ouvrent la marche juchés sur des bourricots minuscules 
        qui ont peine à les porter.
 Ce sont, tout le trajet durant, des chansons et des rires qui ne feront 
        que s'accroître quand, arrivés à destination, on aura 
        dévoré les mets safranés, vidé, pour calmer 
        le palais embrasé, les bouteilles de vin épais d'Espagne, 
        de vin clair de Tlemcen ou de Mascara.
 ------A la tombée 
        du jour, à la clarté des foyers que quelques brindilles 
        raniment, commenceront les danses successives de polkas et de fandangos, 
        de valses et de flamenco dont l'état civil ne manquera pas de consigner 
        en ses registres les bienfaisants effets". Oran/Lys du 
        Pac/ 1893.
 ------La vie triomphe 
        de la maladie, les enfants grandissent en même temps que les cultures, 
        vignes, céréales recouvrent lé sol. Les familles 
        s'épanouissent, les structures sociales se mettent en place, de 
        nouvelles traditions se créent par le voisinage d'abord, parle 
        sang ensuite. Le sous-officier Velot Casimir originaire du Gard devenu 
        liquoriste, puis concessionnaire des messageries s'était laissé 
        séduire par une adorable blanchisseuse aux yeux de braise de Valencia 
        qui lui donnera plusieurs enfants... De plus en plus, les enfants ne songent 
        plus à la terre comme leurs parents et s'orientent vers d'autres 
        métiers, partent vers la ville, travaillent dans des bureaux. Marius 
        s'établit maréchal-ferrant à Marengo, épouse 
        une fille Vélot, une nouvelle page est tournée, on s'enracine 
        au sol, on vit au rythme de son village. Le dimanche la gare de Marengo, 
        avec ses quais encombrés de barriques de vins est un lieu de promenades 
        et de rencontres vers 16 h 00 pour assister au passage du train qui relie 
         Cherchell 
        à El Affroun. Petit train à voie étroite qui 
        restera jusqu'à 1925 le moyen de transport le plus pratique, charriant 
        sable et graviers de Oued Bellah, bois et charbon de bois de Zurich, vin 
        et céréales de Marengo... les femmes et les enfants rentrent 
        à la maison, les hommes vont s'attabler aux terrasses des cafés 
        qui débordent jusque sur la route. Puis c'est la grande guerre 
        de 14?18, nombreux seront les hommes qui partiront et qui mettront pour 
        la première fois leurs pieds sur le sol de la Mère Patrie, 
        à l'égal de leurs frères d'armes de métropole, 
        ils se battront jusqu'à la limite du courage, de la mort. Dans 
        chaque village un Monument aux Mors rappellent les noms de ceux qui ne 
        sont pas revenus, noms aux consonances méridionales, latines, méditerranéennes... 
        la vie reprend son cours, les familles se dispersent de plus en plus, 
        l'exode vers les grandes villes s'accentue, les ouvriers et métayers 
        européens sont remplacés par des indigènes. Toute 
        la vie s'articule autour des travaux de la vigne et en particulier des 
        vendanges, à cette époque toute la population disponible, 
        hommes, femmes, enfants venant parfois de fort loin est requise pour couper 
        les raisins. Avant le lever du jour, les chevaux, les mulets, piaffent 
        devant la porte de la forge, les enfants doivent chasser les mouches pour 
        éviter que les chevaux ne s'excitent. La liste des clients de la 
        maréchalerie de mon grand-père s'allonge; tôt le matin 
        et tard le soir le son du marteau résonne sur l'enclume.
 ------Les beaux jours 
        revenus, le dimanche parfois c'était le pique-nique en famille 
        au bord de la mer à Matarès, au Chenoua 
        ; ce jour là on entassait forces victuailles, une bonbonne de vin 
        rosé, de l'eau, des fruits... une partie de pêche avec des 
        hameçons de toutes tailles accrochés sur un morceau de liège, 
        des carreaux - petites caissettes avec un fond en verre - pour voir le 
        fond de la mer et ramasser les oursins avec un crochet. Puis ivre de soleil 
        et d'embrun la corbeille pleine, c'est le retour sur la plage et la dégustation 
        des oursins avec du pain frais, arrosé de vin que l'on avait mis 
        dans une anfractuosité de rocher battu par les vagues pour lui 
        conserver sa fraîcheur. En fin d'après-midi lorsque le soleil 
        disparaissait derrière le Chenoua, c'était le signal du 
        départ pour le village. Car le lendemain matin dans les villages 
        on se lève tôt, on profite de la fraîcheur pour exécuter 
        les travaux les plus pénibles.
 ------On vit au contact 
        de la Méditerranée "qui sourit 
        à toutes les races du monde, qui montre son beau ventre de déesse 
        largement plissé" - Gabriel Audisio -
 ------Tous les visiteurs 
        qui venaient du Nord ont été frappés par cette forme 
        d'animalité sauvage et splendide de ce peuple, plein d'ardeur à 
        vivre, et à jouir de tous ses sens et de l'environnement marin. 
        On va à la mer, pique-niquer, faire le méchoui, en famille, 
        par villages entiers, c'est une foule colorée, cosmopolite, où 
        parmi les autos entremêlées se faufilent les petits ânes 
        gris, une cohue où se coudoient races et types les plus différents 
        pour communiquer avec la mer, la nature.
 ------"Parfois 
        la mer, immensément calme, semble arrivée à ce point 
        suprême de puissance où le mouvement est inutile: si immobile 
        qu'on dirait une vaste patinoire qui se liquéfiait seulement sur 
        son bord, en écumes rampantes et sournoises ; et, sur elle, des 
        ombres de nuages, ces îlots insaisissables". (H. 
        de Montherlant. II y a encore des paradis).
 ------Dans ce paysage 
        vierge, idyllique, où l'on vouait un culte au soleil, une entité 
        résiste à toutes les attaques, reste solidaire aussi bien 
        dans le bonheur que dans le malheur: La Famille.
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