| ---------Au début 
        de 1873, le théâtre d'Alger 
        recevait pour les six mois de saison, une subvention de soixante mille 
        francs, et ne donnait point toujours satisfaction aux spectateurs.---------On 
        reprochait à l'administrateur Alméras de permettre le sabotage 
        des partitions, de ne prendre aucune mesure contre la mutilation des textes, 
        de porter atteinte, en un mot, " à la dignité de l'art 
        ".
 ---------On 
        reprochait encore à ce brave Directeur en butte aux difficultés 
        énormes de l'après-guerre, de ne pas donner de pièces 
        nouvelles, de se contenter d'un répertoire vieillot, ne présentant 
        aucun attrait.
 ---------De 
        plus, on ne se montrait guère satisfait des décors.
 Ceux de " L'Africaine " servirent à " 
        Moïse ", alors qu'on s'attendait à en trouver de 
        nouveaux ; le deuxième acte de " Robin des Bois " 
        s'était terminé sans la moindre " pluie de feu "...
 ---------Mais 
        là ce fut beaucoup plus grave. Le public manifesta son mécontentement 
        par un tumulte indescriptible. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Le 
        régisseur, M. Gravier, vint assurer sur scène que " 
        la pluie avait été ratée et que la mèche 
        n'avait pas pris ".
 ---------On 
        affirmait dans les couloirs, que personne n'était dupe de pareille 
        assertion...
 ---------Le 
        15 Mars 1873, M. Alméras, Directeur 
        infortuné, résignait ses fonctions et les artistes se groupaient 
        en société, afin de mener l'esquif jusqu'au port, je veux 
        dire jusqu'à la fin de la saison.
 ---------Le 
        18 Mars, le Théâtre organisait 
        une fête patriotique à l'occasion de la libération 
        des départements occupés par les Prussiens. Mme Soustelle 
        y chanta la " Marseillaise ".
 Par la suite, " les artistes associés " jouèrent 
        : " Charles VI "
 ---------Réveille 
        toi, France opprimée
 ---------On 
        te crut morte et tu dormais,
 ---------Un 
        jour voit mourir une armée
 ---------Mais 
        un peuple ne meurt jamais !
 puis, " Le Comte Ory ", au bénéfice de 
        Mme Alhaiza ; " La Sorcière " ou les " 
        Etats de Blois " ; " Le Bal Masqué " 
        ; " Faust " ;
 
 ---------C'est 
        le 9 Juillet 1873, que le Général 
        Chanzy prit un arrêté relatif au partage d'attributions entre 
        le Préfet et le Maire d'Alger.
 ---------Dans 
        cet arrêté il était dit que l'action administrative 
        du Préfet s'exercerait sur les objets suivants
 
         
          | ---------1° 
              Censure dramatique : examen et contrôle du répertoire 
              général de la troupe admise à l'exploitation 
              du théâtre ; examen et contrôle de l'affiche 
              du jour ; examen avant toute représentation des manuscrits 
              des pièces inédites ;---------2° 
              Police administrative : Interdiction des pièces anciennes 
              ou nouvelles dans l'intérêt de la morale et de la tranquillité 
              publique ; suspension des représentations ou fermeture du 
              Théâtre par mesure d'ordre ou de sécurité 
              publique ; fixation des heures où doit finir le spectacle 
              ; mesures préventives et répressives des troubles 
              et désordres, tant à l'intérieur qu'à 
              l'extérieur du Théâtre.
 ---------Enfin 
              et généralement tout ce qui est du domaine de la police 
              générale, telle qu'elle est définie par les 
              lois et notamment en ce qui touche les théâtres, par 
              l'article 12 de l'arrêté consulaire du 12 Messidor, 
              an VIII. "
 |  ---------Les pouvoirs 
        du Maire s'étendaient, sous contrôle du Préfet, à 
        l'établissement du cahier des charges pour l'exploitation du Théâtre 
        ; aux conventions passées avec les Directeurs ou chefs de troupes 
        ; aux détails réglant : l'exécution scénique 
        ; les débuts ; l'admission ou le rejet des artistes engagés 
        pour la campagne théâtrale ; aux précautions à 
        prendre contre les accidents pouvant résulter du feu ou de l'encombrement 
        des spectateurs ; aux assurances à souscrire en cas d'incendie. 
        En un mot, à tous les mille et un détails, très souvent 
        ignorés, pas même soupçonnés, qui se rattachent 
        à la gestion du théâtre.
 ---------Le 
        7 Janvier 1874, M. G. Leroux prit la Direction du 
        Théâtre. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Pas pour 
        longtemps, car cet homme aimable et entendu, mourut quelques jours après. 
        Sa femme lui succéda. Elle fit représenter, notamment : 
        " Les Brigands ", opéra-bouffe en trois actes, 
        d'Offenbach ; " Les pauvres de Paris ", drame en sept 
        actes ; " La Tour le Londres ", etc...M. Ben Aben prit, le 8 Octobre 1874, la place de Mme Vve Leroux. Il fit 
        appel, à grands frais, au premier rôle : Mme Simiane et à 
        la première ingénuité : Mlle Yvonnet. Il eut, il 
        est vrai, tout bénéfice de cette initiative.
 ---------M. 
        Ben Aben rechercha, toujours, les meilleurs éléments : MM. 
        Angel, Quinet, Baldy, Navarro ; Mmes Mineur, Laurentin, Zollin, Depassio..., 
        tinrent, longtemps, le public en haleine.
 ---------Aux 
        derniers jours de 1874, le Conseil Municipal se 
        réunit sous la présidence du Maire d'Alger, M. Blasselle 
        et, après discussion, vota à l'unanimité un crédit 
        de 120 francs, destiné à couvrir les frais d'éclairage 
        au gaz de la salle du Théâtre, pendant les fêtes organisées 
        par la Société des Anciens Militaires.
 ---------Les 
        programmes de 1875 comportaient différentes 
        créations, plus ou moins dignes d'être retenues : " 
        La Jeunesse des Mousquetaires ", drame en 5 actes et 14 tableaux. 
        http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Un drame qui n'en finissait plus 
        et qui obligea la Direction à ouvrir ses portes dès 6 heures 
        30. On joua aussi : " La Marguerite ", opéra-comique 
        en un acte, de M. Aniés, musique de Dhermineur, un enfant d'Alger 
        ; " Madame Angot et ses demoiselles ", de Lecoq, paroles 
        d'Amédée de Gallois ; " La Boule ", comédie-vaudeville, 
        jouée au bénéfice de M. Angel, bon chanteur et bon 
        comédien, que les amateurs du moment tenaient aussi en grande estime. 
        On joua encore : " Le Maître de Chapelle " ; " 
        La Fille du Régiment " ; " La Juive " 
        ; " Les Diamants de la Couronne " ; " Lucie de 
        Lammermoor " ; "La Fiamina ", de Mario Uchard 
        ; " Le Bossu " ; " Le Postillon de Longjumeau 
        "; " Le Feu au Couvent ", avec MM. Jolly, Trouffy, 
        Delcroix, Mmes Bardoux et Ozanne. Je citerai encore une création: 
        " Madame l'Archiduc ", opéra-bouffe en trois actes, 
        d'Offenbach.
 
 --------La 
        saison de 1875 connut, comme beaucoup d'autres 
        qui la suivirent ou la précédèrent, d'assez graves 
        ennuis de gestion. Deux pétitions, signées d'un nombre imposant 
        d'abonnés demandant la déchéance du Directeur et 
        la révision du Cahier des Charges, furent envoyées au Maire 
        et au Gouverneur Général.
 ---------Une 
        commission - en aurons-nous connu de ces commissions - se réunit 
        aussitôt. Elle se composait de Conseillers municipaux désignés 
        par le Maire : MM. Mallarmé, Huré, La Baume, Le Lièvre, 
        Hélie.
 ---------Les 
        travaux de cette commission durèrent peu, ce qui n'est pas courant. 
        Ils eurent pour résultat la nomination de M. Bouvard en qualité 
        de Directeur et l'adoption d'une proposition de ce dernier
 ---------1°Acquisition 
        de mobilier de scène ;
 ---------2° 
        Acquisition de partitions du répertoire courant ;
 ---------3° 
        Construction des décors indispensables ;
 ---------4° 
        Paiement mensuel de la subvention sans production préalable de 
        feuilles d'émargement.
 
 
 ---------II y eut tout de même en 1875 des 
        débuts que nous ne saurions passer sous silence : ceux du grand 
        premier rôle Gestin, dans " Par droit de conquête 
        " ; ceux du ténor Raoul, dans : " Le Chalet " 
        ; ceux de Mme Gilbert, jeune premier rôle " en tous genres 
        " (disait l'affiche), dans : " La Closerie des genêts 
        " ; ceux enfin, du ténor léger Dupuy, dans : " 
        Le Barbier de Séville ".
 ---------Le 
        19 Novembre, M. Robbio, violoniste, élève 
        de Paganini, donnait un concert à l'Opéra, avec le concours 
        des principaux artistes : Lachapardière, Gérald-Joly, Mmes 
        Max Robert et Gilbert. Au programme :
 
         
          | "Le Réveil ", poésie 
              de Victor Hugo, dite par M. Alhaiza ; "Grande fantaisie 
              pour violon ", exécutée par M. Robbio ; Grand 
              air des " Dragons de Villars ", chanté par 
              Mlle Falconnet. |  ---------On applaudit 
        enfin, dans la salle, Aubert, Adolphe Adam, Sardou.---------John 
        Pradier, attaché à la Direction des Beaux-Arts de Paris, 
        venu en mission à Alger, publiait en 1875 une plaquette, dans laquelle 
        il consacrait quelques lignes au théâtre
 ---------" 
        Cette salle, écrit-il, toujours émaillée de fraîches 
        toilettes et d'uniformes éclatants, était vraiment éblouissante. 
        On devine aisément le coup d'oeil ; une ravissante corbeille d'étoffes 
        chatoyantes, de rubans, de bonbons, de camélias et de roses ; puis, 
        comme entourage, un véritable flot mouvant d'épaulettes 
        scintillantes, d'insignes diamantés, d'aiguillettes d'or et de 
        gants paille. A minuit, les élégantes remontaient en voiture, 
        les brillants cavaliers escortaient et les aspirants regagnaient leur 
        frégate ".
 
 ---------M. Bouvard, 
        n'ayant pas satisfait aux exigences matérielles de son exploitation, 
        le Conseil Municipal déclarait vacante, en Janvier 1876, la direction 
        du Théâtre Municipal. ---------Les 
        artistes décidèrent alors de mener eux-mêmes la saison 
        à bonne fin, et réussirent fort bien dans leur tâche.http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .
 ---------Après 
        " Les canotiers de la Seine ", vaudeville en cinq actes 
        ; " Les pauvres de Paris ", drame en sept actes " 
        ; après " Guillaume Tell ", où le fort 
        ténor Géricault fit de brillants débuts, les artistes 
        associés présentèrent : " Les Amours du Diable 
        ", opéra féerique en quatre actes et huit tableaux, 
        où Mme Alhaiza connut un nouveau succès. C'est à 
        l'issue de cette représentation, qui marquait la fin de la saison 
        1875-1876, que Mme Alhaiza reçut au 
        nom des abonnés, une aigrette de pierres fines...
 ---------Aux 
        derniers jours de Septembre, M. Fromant était nommé Directeur 
        du Municipal et adressait à la presse la lettre suivante
 
         
          | " La nouvelle Direction s'est imposé 
              le devoir de placer le Théâtre d'Alger au rang des 
              premières scènes de France. Une activité soutenue, 
              un ardent désir de bien faire et surtout la bienveillance 
              du public algérien contribueront je l'espère, à 
              atteindre le but proposé ". |  
 
 
   ---------M. Fromant 
        ouvrait la saison par : " Le Barbier de Séville " 
        et un vaudeville non encore représenté à Alger : 
        " Un tigre du Bengale ". " Le Barbier " 
        se signalait par les débuts de Mlle Hasselmans, du ténor 
        léger Bach, du baryton Delbecchi et de la basse Romani. Nous retrouvons 
        ces artistes dans " La Favorite " ; " Les Dragons 
        de Villars " ; " Le Trouvère " ; " 
        Les Monténégrins ", opéra-comique en 
        trois actes, d'Alboize, Gérard et Linauder ; " L'Ange de 
        minuit ", etc...---------Mais 
        il me faut relever encore, à l'actif de M. Fromant : une comédie 
        de Mallefille : " Les deux Veuves " ; " Le Passant 
        ", de François Coppée ; " Héloïse 
        et Abélard " ; " La Grâce de Dieu ", 
        et aussi, une " Soirée mystérieuse ", présentée 
        par le Professeur Bargeon, qui se disait, avec le plus grand sérieux, 
        " agréé de plusieurs cours 
        étrangères, applaudi à Londres, Paris, Bruxelles, 
        Philadelphie ", où il avait donné vingt-sept 
        représentations consécutives avec le Comte Patrizzio et 
        Bosco fils...
 ---------J'en 
        demande pardon au lecteur, j'allais oublier une comédie : " 
        La rue de l'homme armé " qui, au soir de sa création 
        à Paris, en 1848, faillit coûter la vie à son auteur, 
        ce bon Labiche.
 ---------Cette 
        comédie était d'ailleurs assez réactionnaire. De 
        nombreux ouvriers étaient venus pour la siffler. Ils réclamèrent 
        bruyamment :
 ---------- 
        " Les tripes de l'auteur ! Les tripes de l'auteur ! Les tripes de 
        l'auteur ! "
 ---------Attiré 
        par le vacarme, effrayé au plus haut point, le Directeur se précipita 
        vers Labiche
 ---------- 
        " Qu'y a-t-il ? Mais qu'y a-t-il donc ? " Avec le plus grand 
        calme Labiche expliqua
 ---------- 
        " Le public exige mes tripes et moi je ne veux pas les lui donner. 
        Voilà tout le différend. Il n'y a pas autre chose. "
 -
 --------L'année théâtrale 
        1877 débuta par un hommage à Molière. 
        A cette magnifique occasion on joua " Galathée ", 
        opéra-comique en deux actes de Jules Barbier et Michel Carré, 
        musique de Massé, qu'interprétèrent Mme Hanselmans 
        et la troupe de M. Fromant. On joua encore " Le Dépit Amoureux 
        ", de Molière, avec Mlle Darc dans le rôle de Marinette.
 ---------La 
        soirée bien entendu, se termina par le couronnement du buste de 
        Molière.
 ---------Rien 
        de particulièrement saillant au cours des mois qui suivirent. J'indiquerai 
        toutefois : " L'homme entre deux âges ", de M. 
        X..., d'Alger ; " L'Africaine " ; " Les Jocrisses 
        de l'amour " ; " Les Orphelins du pont de Notre-Dame 
        ", drame en cinq actes et huit tableaux, de A. Bourgeois et Masson.
 ---------Le 
        16 Octobre 1877, la direction du Théâtre 
        fut confiée à M. Médéric Delestang. Cet homme 
        de goût appela auprès de lui de bons artistes : Delbecchi, 
        baryton ; Lesbros, basse ; Mlle Guérinot, première dugazon 
        ; Belny ; Danglade ; Mme Beauchamps ; Mlle Marie Moreau, etc..., qui firent 
        leurs débuts dans : " Le Trouvère " ; " 
        Le Barbier de Séville " ; " Latude ou 35 ans 
        de captivité ", de Pixérécourt ; " 
        Haydée ", de Scribe ; " La Juive " 
        ; " Le lion amoureux ", de Ponsard ; " L'étoile 
        du Nord ", de Scribe (avec le concours de la musique du 4e Zouaves) 
        ; " Bébé ", de Delacourt ; " Zampa 
        ou la fiancée de marbre ", de Melesville, etc... " 
        La jeunesse des Mousquetaires ", drame en 5 actes et 14 tableaux, 
        puis " Vingt ans après ", 5 actes et 12 tableaux, 
        occupèrent largement les premières soirées de 1878.
 ---------M. 
        Delestang avait monté en outre, avec le plus grand soin " 
        Le Domino noir " ; " Le Prophète " ; 
        " Marceau ou les enfants de la République " ; 
        " Les fils aînés de la République " 
        ; " Les quatre sergents de la Rochelle ", joués 
        au bénéfice de l'Association des artistes lyriques et dramatiques 
        ; " Piccolino ", opéra-comique ; " Le 
        Songe d'une nuit d'été " 
        ; " Patrie " ; " Robert le Diable " 
        ; " La Dame aux Camélias ", etc...
 ---------En 
        Octobre 1878, M. Delestang cédait sa charge 
        à M. Rival de Rouville, qui s'attachait sans désemparer 
        à organiser une troupe lyrique irréprochable. Réussit-il 
        dans sa tâche malaisée ? Je ne saurais le croire. Il présenta 
        et fit admettre le premier ténor léger Dupuy ; les premières 
        chanteuses, Mlle Jouanny et Mlle Delprato ; le baryton Eyraud ; le jeune 
        premier rôle Chollez qui débuta dans " Le Cousin 
        Jacques ".
 ---------En 
        fin d'année, M. de Rouville organisa une soirée de comédie 
        au bénéfice des artistes du Théâtre de Constantine, 
        détruit par un incendie. Au programme : " La pluie et le 
        beau temps ".
 
 
 ---------Le 
        7 Janvier 1879, marqua les débuts du baryton Raynal dans 
        " Charles VI ". Raynal fut suivi de près par une 
        artiste parisienne qui connut vraiment une grande célébrité 
        : Emma Valadon ou, mieux : Thérésa. Née le 27 Avril 
        1837 à la Bazoche-Gouet, Thérésa chanta à 
        l'Alcazar en 1860 et fut appelée à donner des leçons 
        de chant à Mme de Metternich. Puis, continuant de fouler le chemin 
        de la gloire, Thérésa fut admise à se produire à 
        Saint-Cloud et aux Tuileries. À Alger elle joua : " La 
        Dame aux Camélias " et " Ménage en ville 
        ". Son succès fut considérable.
 ---------Quelques 
        créations sont à retenir qui donnèrent un certain 
        attrait aux programmes de cette saison : " Loterie Nationale 
        ", charmante comédie d'un tout jeune auteur Lyonnais, M. Derrioz 
        ; " Pétrarque ", grand opéra en cinq actes 
        ; " Les 37 sous de M. Bautaudoin " ; et des reprises 
        : " Faust " ; " Les Huguenots " ; " 
        Les Amours du Diable " ; " La Juive ", etc..., 
        où se produisirent MM.Guille, Bordeneuve, Gilbert, Aumerat, première 
        basse de grand opéra ; Mmes Rizzio, Céline Mey et Jordanis.
 ---------En 
        Octobre 1879 M. de Rouville se retira et fut remplacé 
        par M. Duméry.
 
 
 ---------Au 
        cours de l'année 1880, on joua, outre quelques 
        comédies assez négligeables : " Le Cabinet Piperlin 
        ", d'Hippolyte Raymond ; "Les vivacités du Capitaine 
        Tic " ; " Le fils de Coralie " ; " La 
        boîte à Bibi " ; " Par droit de conquête 
        ", différentes pièces du répertoire courant, 
        où se distinguèrent de très bons artistes : "Le 
        Petit Duc ", avec Fronty, Douchet, Gandoin ; " Les Huguenots 
        ", au bénéfice du premier ténor Maire ; " 
        Carmen ", pour la gloire duquel Mme Lesceau, costumière 
        de l'Opéra, confectionna soixante brillants costumes et le peintre 
        Rousselot, deux décors entièrement nouveaux ; " 
        Le Trouvère ", avec Dulaurens, Artières, Mmes Calvet 
        et Hasselmans ; " Le roman d'un jeune homme pauvre ", 
        de Feuillet, avec Hary, Morel ; Mmes Laurent et Duchaumont ; " 
        La Juive ", avec la première basse Denoyé ; " 
        Barbe Bleue ", avec Dormond, Couturier ; Mmes Leblond et Clary 
        ; " Carmen ", avec Mme Gally-Marié et le baryton 
        Guillien qui, en 1890, prendra les rênes directoriales.
 ---------Mme 
        Gally-Marié créa le rôle de Carmen à Paris 
        où elle fut stylée par Bizet lui-même.
 
 ---------Le 
        21 Janvier 1881, eut lieu, au Théâtre 
        Municipal, un grand festival artistique, sous le patronage de la Presse 
        d'Alger : I' " Akbar ", " La Vigie Algérienne 
        ", le " Moniteur ", la " Solidarité 
        ", le " Petit Colon ".
 ---------Un 
        mois après, la Société des Beaux-Arts d'Alger fêtait, 
        toujours au Municipal, les quatre-vingts ans de Victor Hugo. M. Alaux, 
        professeur à l'Ecole Supérieure des Lettres fit, à 
        cette occasion, le plus émouvant éloge du poète.
 1881, valut aux Algérois une excellente troupe de comédie
 MM. Morel, Couturier, Douchet, Dumery, Golat, Mmes Harel, Verdier, Joly 
        et Vial, qui se firent applaudir dans " Nos députés 
        en robe de chambre ", de Paul Ferrier ; " Divorçons 
        ", de Victorien Sardou, etc...
 ---------C'est 
        au cours d'une répétition de cette pièce à 
        Paris, que Sardou vit arriver un soir, furieuse, une de ses interprètes 
        qui lui dit " Tout de même, M. Sardou, 
        c'est honteux ce que l'on me fait là ! Regardez le rôle qu'on 
        m'a distribué ! Celui d'une femme de trente-cinq ans. Je ne peux 
        pas jouer ça. Je suis loin d'avoir cet âge-là. "
 ---------Alors 
        Sardou la regarda en souriant et d'une voix douce répondit : " 
        Attendons quinze jours ! "
 ---------Cette 
        petite histoire vraie, en appelle une seconde, non moins vraie.
 ---------Une 
        artiste du boulevard comptait de nombreux lustres de gloire en dépit 
        d'une admirable jeunesse de coeur et d'allures. Elle rencontra un jour 
        deux auteurs dramatiques et tout de suite leur dit sa joie d'être 
        installée, déjà, à la campagne
 ---------- 
        C'est un bonheur, le matin, dès potron-minet de se lever et d'aller 
        aux champs ! Il fait si bon là-bas. Si pur ! Et je m'amuse, si 
        vous saviez, comme une petite folle, à courir à travers 
        prés et bois !...
 ---------Après 
        quelques minutes de ce gentil bavardage, les deux auteurs s'éloignèrent 
        et le plus illustre, soudain, monologua
 ---------- 
        Elle me rappelle un vers d'Hugo !
 ---------- 
        Lequel ? demanda l'autre.
 Alors, le premier de murmurer avec une cruelle gravité
 ---------- 
        " Ce siècle avait deux ans !... "
 
 ---------1881, 
        valut aussi aux Algérois une très appréciable troupe 
        d'opéra et d'opéra-comique : Watson, Tauriac, Dorbel, Altairac, 
        Pagès, Bétraucourt ; Mmes Larochelle, Pia, Scotti et Anglade, 
        acclamés dans : " Les Martyrs ", de Scribe (ballet 
        dansé par Bataglini, Bonnefoy, Bianchetti et Coquelle) ; " 
        Madame Favart ", de Daru et Chivot, musique d'Offenbach ; 
        " Le Songe d'une nuit d'été ", de Rosier 
        et Leveu, musique de Thomas ; " Ruy Blas ", de Victor 
        Hugo ; " La muette de Porticci ", de Scribe, musique 
        d'Auber, etc...
 ---------Le 
        19 Mars 1882 l'Opéra d'Alger fut la proie 
        des flammes. Les travaux de reconstruction s'achevèrent à 
        la fin de l'année 1883. Le 1er Décembre, la salle était 
        ouverte au public.
 ---------Ainsi 
        que je l'ai indiqué dans le chapitre consacré à la 
        reconstruction Oudot, on reprit, au cours de la saison 1883-1884, 
        les principales pièces du répertoire classique : " 
        La Juive " ; " Les Huguenots " ; " Rigoletto 
        ", etc..., avec, comme interprètes Doria, Bach, Varenne, 
        Déthurens, Savelli et bien d'autres encore...
 
 ---------La 
        saison 1884-1885, présenta quelque 
        intérêt. M. Fromant, une fois de plus Directeur du Municipal, 
        fit lever le rideau sur différentes créations, saluées 
        avec un enthousiasme peu commun. C'est du moins ce qui ressort des textes 
        chaleureux que j'ai pu réunir.
 ---------On 
        joua " La Vie Parisienne " ; " L'Eté de 
        la Saint-Martin " ; " Le Maître de Forges " 
        (on appelait volontiers l'oeuvre de Georges Ohnet : " l'événement 
        littéraire de l'année "). On joua " Paul et 
        Virginie " avec Mlle Ritter, une artiste de 17 ans, qui paraissait 
        pour la première fois en public.
 ---------On 
        organisa une fête de charité au profit des ouvriers d'Alger 
        sans travail, et des victimes du tremblement de terre d'Espagne.
 ---------Mme 
        Leblanc, chanteuse légère des Folies dramatiques et du Théâtre 
        historique de Paris, fille de Charles Sylvain-Leblanc qui administra notre 
        scène sous la direction Jourdan (1868-1869), fut l'animatrice de 
        cette fête.
 ---------On 
        accueillit enfin avec une sympathie marquée, la venue de M. Larrivé, 
        première basse d'opéra-comique, pour lequel, au débarqué, 
        un rimailleur algérois écrivit l'acrostiche suivant
 
        
          | La voix chaude, 
              vibrante et vraiment sympathique,Avec le jeu parfait 
              du vrai comédien,
 Rien ne lui manque : il est tour à 
              tour poétique,
 Railleur, persuasif et noble en son 
              maintien.
 Il est l'enfant gâté du 
              public qui l'adore ;
 Venu vers nous jadis, il y revient 
              encore,
 Et de lui l'on ne trouve à dire 
              que du bien.
 |  |  | ---------Un autre 
        rimailleur commit, dans le même temps, une page fort mauvaise, intitulée 
        : " Le Théâtre National ", dont le 
        seul mérite est de nous faire connaître quelques noms d'artistes 
        et quelques titres de pièces
       
         
          | En face le square, à deux pas Du Cognon, endroit très folâtre,
 S'élève notre grand Théâtre
 Qu'adorent les gens délicats.
 Là, Monsieur Fromant se pavane
 Au milieu de ses sultanes,
 Escorté de son régisseur,
 Teyserre, le joyeux viveur.
 C'est en ce lieu que le poisseux
 Applaudit Flachat et Favreux.
 Là, vit Bazin, le magnanime,
 Tout auprès, Madame Viorron
 Répand sa verve de démon,
 Qui fait le jeu du grand Alcime.
 A Leblanc, cédant le pas,
 On voit Pagès et de Marco.
 Le Directeur de notre scène
 Jouit d'une assez forte veine.
 Le Canaque a pour lui sauté
 Et l'a joliment argenté,
 Il tira, dit-on, des Sonnettes
 Une somme assez rondelette
 Loriquet, qui faisait fureur,
 Le rendit d'excellente humeur,
 Avec la Femme qui se lance
 Il augmentera sa finance,
 Et Barbe-Bleue lui donnera
 Une campagne à Mustapha.
 |  ---------Le " 
        Cognon ", dont il est question ici, 
        était un des cafés les plus fréquentés d'Alger. 
        Le Tantonville actuel l'a remplacé.-
 
 -------Pour 
        la saison 1885-1886, M. Fromant fit mieux encore. 
        De Paris, où il s'était rendu au mois de Juin 1885, il publia 
        son programme. En voici le meilleur, dans l'ordre où, par la suite, 
        ce programme fut exécuté : " Robert le Diable 
        " ; " Ma femme manque de chic ", comédie 
        de Busnach et Delret, pour laquelle Mlle Favreux, Mme Duchemin, M. Douchet 
        composèrent de très spirituelles silhouettes ; " 
        Ruy Blas ", de Victor Hugo ; " L'Auberge des Adrets 
        " ; " Carmen ", triomphe de Mlle Gérald, 
        du Théâtre de Bordeaux ; " Le tribut de Zamora 
        ", de Gounod ; " Jérusalem ", donné 
        au profit des Ecoles ; " Le tour du monde en 80 jours ", 
        etc...---------Le 
        ténor Bovet, la basse chantante Olive Roger, la chanteuse légère 
        Beretta, les acteurs Férénoux, Dufernez, Damy, Bresset, 
        Leblanc, et celui qu'on appelait familièrement le père Pagès, 
        autre vieille figure algéroise, firent partie de la distribution.
 ----------Malgré 
        sa belle carrière directoriale, M. Fromant dut se retirer au seuil 
        de la saison 1886-1887 et passer le flambeau à M. Coste, luthier, 
        installé rue de Constantine, dont le fils fut, plus tard, chef 
        d'orchestre à ce même Opéra d'Alger.
 ---------Cette 
        saison débuta par le bruyant succès du ténor Henry 
        Leroy et de la chanteuse légère Valgalier.
 ---------Au 
        répertoire : " Les Mousquetaires de la Reine ", 
        d'Halévy ; " La Périchole " ; " 
        Don Cézar de Bazan " ; " Mignon " ; " 
        Mam'zelle Nitouche " ; " La Traviata " (Mme 
        Fincken) ; " Le Grand Mogol " ; " Le Voyage en 
        Chine " ; " Le Pardon de Ploërmel ", de 
        Carré et Barbier, musique de Meyerbeer (Artières, Gourdon, 
        Séguin ; Mmes Fincken et Valgalier) .
 
 ---------En 
        1887, le Théâtre, " Impérial 
        " à l'origine, puis " National ", fut décrété 
        " Municipal ", ce qu'il resta.
 
 ---------L'Etat 
        ne pouvait continuer son aide financière et la subvention de trente 
        mille francs qu'il servait jusque là, fut supprimée.
 ---------Les 
        placards qui firent une grosse publicité autour des premières 
        semaines de la saison 1887-1888 (Direction 
        Manent), s'attardèrent complaisamment sur les noms de Mlle Cordier, 
        de l'Opéra Comique, en représentation dans " La 
        Traviata " et " Mignon " ; sur les noms du fort 
        ténor Carbonal ; de la basse Viennet ; de Mlle Bloch, chanteuse 
        légère, très appréciée dans " 
        La Juive " ; sur les noms encore d'Ortel, Scarella, Pagès, 
        qui interprétèrent le chef-d'oeuvre de Daudet " 
        L'Arlésienne " (musique de Bizet). M. Manent, par la suite, 
        fit jouer : " Carnot ", drame militaire, de Blondeau 
        et Jonathan ; " Boccace ", opérette de Suppé 
        ; " Nos bons jurés ", comédie nouvelle 
        de Ferrier et Carré ; " Le monde où l'on s'ennuie 
        ", comédie de Pailleron, etc...
 ---------M. 
        Manent avait songé à Agar. Elle vint en 1888 
        accompagnée de son partenaire de la Comédie-Française, 
        M. Charpentier. On l'applaudit dans les pièces du répertoire 
        classique, dans deux poèmes : " Le Cimetière d'Eylau 
        ", de Victor Hugo et " L'Alsace ", d'Erckman-Chatrian 
        ; on l'applaudit encore dans une comédie où elle atteignait 
        au sublime : " Le supplice d'une femme ".
 ---------Agar, 
        Léonie Charvin, était d'une grande beauté. Son portrait, 
        oeuvre émouvante de Théodore Chassériau - neveu de 
        l'architecte de l'Opéra - qui avait voulu représenter en 
        elle la muse de la Tragédie, fut longtemps exposé dans le 
        grand foyer du Municipal.
 ---------Agar 
        mourut à Alger, un jour du printemps 1891. La Comédie Française, 
        sur l'initiative de Sarah Bernhardt, fit apposer une plaque sur la façade 
        de la modeste maison où, rue Poiret, celle qui fut Camille, Phèdre, 
        Hermione, rendit le dernier soupir...
 ---------M. 
        Fromant, après une année de demi-retraite, reprit son poste 
        de Directeur (pour la troisième fois), libérant ainsi M. 
        Manent.
 
 ---------L'ouverture 
        de la saison 1888-1889 eut lieu le 29 
        Octobre 1888 par la représentation de " La Bouquetière 
        des Innocents " et du "Barbier de Séville 
        ", débuts du baryton d'opéra-comique Talabot. Suivirent 
        : " Les Contes d'Hoffmann " ; une comédie nouvelle 
        "Le Docteur Jojo " ; une opérette-bouffe : " 
        Les cent Vierges " ; "Carmen " avec Mlle 
        Gally-Marié, etc., etc...
 
 ---------L'année 
        théâtrale algéroise 1889 
        fut aussi marquée par un événement considérable 
        : la présence sur la scène des Nouveautés, de la 
        grande tragédienne Sarah Bernhardt.
 ---------Théodore 
        de Banville a dit de Sarah Bernhardt : " 
        Un statuaire grec voulant symboliser l'ode, l'eût choisie pour modèle 
        ".
 ---------Son 
        arrivée à Alger suivait d'assez près son retour triomphal 
        d'Amérique, où elle venait de jouer " Frou-Frou 
        ", " Théodora ", " La Dame aux Camélias 
        ".
 ---------Alger 
        lui fit le plus chaleureux accueil. Tout laisse croire qu'elle y fut extrêmement 
        sensible. Elle joua : " La Tosca ", " Fédora 
        ", "Frou-Frou ", " Adrienne Lecouvreur 
        ", avec, comme principal partenaire, son ex-mari Damala.
 ---------On 
        m'a conté, à propos de la mort de Sarah Bernhardt, une savoureuse 
        anecdote
 ---------Une 
        toute petite, petite actrice, petite par la taille autant que par le talent, 
        pleurait, pleurait à chaudes larmes, assise sur un portant, dans 
        un recoin de l'arrière-scène.
 ---------- 
        Qu'avez-vous, mademoiselle ? lui demanda un de ses admirateurs (elles 
        en ont toutes !) .
 ---------- 
        Oh ! mon cher, je pleure parce que, aujourd'hui, c'est l'anniversaire 
        de la mort de l'une de mes bonnes camarades.
 ---------Et 
        l'admirateur de la petite, toute petite actrice ayant voulu savoir quelle 
        " si bonne camarade " la touchait de si près
 ---------- 
        Sarah Bernhardt, lui fut-il répondu entre deux sanglots...
 ---------1890. 
        - Le baryton Chauvreau était couvert de fleurs. Il chantait : " 
        Rigoletto ", " Hamlet " et " L'Africaine ".
 ---------Nous 
        ne passerons pas sous silence la mort de Mme Jonzac, ouvreuse des fauteuils 
        de balcon depuis 32 ans. Bousculée rue d'Isly, la malheureuse femme 
        fit une chute, se démit l'épaule et mourut huit jours après. 
        C'était une vieille figure du Théâtre et qui en savait 
        long...
 ---------En 
        Juin, M. Guillien était mis à la tête de notre grande 
        scène. Il débuta à Alger, comme baryton, en 1875, 
        sous la direction Bouvard. 11 y revint en 1 880 après une tournée 
        très honorable en Europe.
 ---------M. 
        Guillien s'entoura de bons artistes : Mmes Térestri, Clary, Linse, 
        Mary Albert, Baretty ; MM. Chauvreau, Plaire, Rouyer, Mikaelly, Fonteix, 
        Augier.
 Cependant, au Conseil Municipal, M. Begey demandait la suppression, par 
        mesure d'économie, du second chef d'orchestre, qui suppléait 
        M. Maubourg, premier chef ; la suppression de plusieurs musiciens et celle, 
        aussi, du gardien d'orchestre, un pauvre bougre qui, pour quinze francs 
        par mois, allumait les lampes, rangeait les pupitres, rendait mille petits 
        services...
 ---------En 
        Novembre, le grand chanteur Boudouresque, de l'Opéra, engagé 
        pour quelques représentations, était accueilli avec la plus 
        grande faveur. Il donna une première audition dans " Robert 
        le Diable ", puis une seconde dans " La Juive ".
 ---------C'est 
        au cours des dernières semaines de 1890, que M. Guillien fit jouer 
        une pièce tirée d'un roman d'Alphonse Daudet : " Jack 
        ". J'en parle tout spécialement, parce qu'il me souvient que 
        cette pièce fut évoquée un jour par Lucien Descaves, 
        d'une manière des plus amusantes, à propos du journaliste 
        Rochefort.
 ---------Rochefort 
        était très pénétré de son importance 
        sous des dehors blasés. Dînant un soir chez Alphonse Daudet, 
        il fut amené à dire qu'il était le seul homme capable 
        de faire descendre, à son appel, cent mille hommes dans la rue.
 ---------Daudet 
        venait de n'obtenir qu'un demi-succès avec " Jack ". 
        Il braqua son monocle sur l'agitateur et dit doucement
 ---------- 
         Vous devriez bien, Rochefort, les envoyer à 
        l'Odéon !
 
 ---------1891. 
        - Une partie de la saison fut réservée aux comédies 
        gaies : " Les Boussigneul " ; " Les surprises 
        du divorce " ; " Le voyage de Monsieur Perrichon 
        " ; " La Cagnotte " ; " Les noces d'un réserviste 
        ", etc...
 ---------Hyacinthe, 
        un Algérien, jouait alors dans " Lili ", avec 
        Mlle Miller. Un journaliste facétieux autant qu'observateur lui 
        adressa un jour la petite critique suivante
 ---------" 
        Au 2e acte de Lili, Hyacinthe se présente en galant officier de 
        chasseurs ; ayant jugé inutile de se faire une tête il se 
        contente de ses avantages naturels ; or, au point de vue capillaire ils 
        sont assez minces, car l'ami Hyacinthe est encore plus déplumé 
        que son Directeur...
 ---------" 
        Il revient au 3e acte en très vieux général, et alors, 
        ô merveille ! la chevelure qu'il ne possédait pas à 
        trente ans a poussé depuis et quoique d'un gris panaché, 
        elle est tout simplement absaIonienne ".
 ---------C'est 
        en 1891 que, succédant à la 
        troupe Achard, Alger eut le rare plaisir d'avoir sur la scène du 
        Théâtre des Nouveautés, la grande comédienne 
        : Madame Favart. Mme Favart ne joua qu'un soir : " Gabrielle 
        ", d'Emile Augier, et " Monsieur Alphonse ", d'Alexandre 
        Dumas fils.
 ---------L'Opéra 
        reprit " Lakmé ", à la mort de Léo 
        Delibes. M. Bonnard et Mlle Gabriel y connurent un fort joli succès.
 **************
       --------------------------J'ai 
        gardé mon âme ingénue -------------------------- A 
        la fiancée inconnue...
 ---------La 
        création de " Sigurd ", en cette même année 
        1891, fut, pour le ténor Dolléon un véritable triomphe. 
        Triomphe aussi pour ses partenaires Soum, Louyrette, Mmes Martinon, Marie-Gabriel, 
        Valgalier une des figures les plus curieuses du théâtre d'Alger. 
        Triomphe enfin pour le Directeur, M. Guillien.
 ---------Mise 
        en scène, décors, musique, chants, furent, il est vrai, 
        d'une parfaite tenue et d'une peu commune homogénéité.
 ---------Depuis 
        bien des années, création n'avait connu pareil engouement.
 ---------Peu 
        après, les Algérois purent voir dans un Corso fleuri, le 
        char de " Sigurd " monté par un groupe de figurants 
        chantant l'air fameux
 ------------------" 
        Peuple fais retentir les airs de chants 
        joyeux... "---------Le 
        ténor Dolléon, en costume, précédait le char. 
        Il montait son fameux cheval blanc, auquel un soir, rue de Chartres, un 
        plaisantin ridicule coupa la queue : une queue magnifique...
 ---------Comme 
        on le pense, le célèbre ténor fut, du Bastion XV 
        à la place du Gouvernement, salué par une foule conquise 
        et enthousiaste.
 
 
 ---------1892 
        ! " Samson et Dalila ". Saint-Saëns est dans la 
        salle. Impénétrable. Songe-t-il à cette soirée 
        du 8 Septembre 1874 où, à Croissy, devant un petit groupe 
        d'amis, Mme Viardot chanta - elle fut la première - les quelques 
        fragments du second acte écrits la veille ? Songe-t-il à 
        Listz qui fit jouer " Samson et Dalila " à Weimar 
        en 1877, puis dans toute l'Allemagne, cependant que la France ne s'y intéressait 
        que douze ans après ?
 ---------Dolléon, 
        le " Sigurd " hautement apprécié de 1891, 
        et Mme de Vita, tiennent les rôles de Samson et de Dalila.
 ---------Tous 
        ceux qui ont entendu chanter Mme de Vita, gardent le souvenir ineffaçable 
        de sa voix chaude et puissante, où rien ne trahissait l'gpprêt 
        ni l'artifice, et dont la souple ardeur rendait plus sensibles encore, 
        les beautés de l'oeuvre admirable.
 ---------Il 
        est juste de dire, que cette interprète hors de pair, eut le don 
        d'émouvoir Saint-Saëns, qui tint à la complimenter 
        : ce qui vaut d'être dit.
 
 ---------La 
        saison 1892-1893, patiemment préparée 
        par le nouveau Directeur Manent, que nous connaissions déjà, 
        et le chef d'orchestre Maubourg, vit l'inoubliable création de 
        " Manon " avec Mme Vaillant-Couturier, qui fut dans la 
        pensée de Massenet, la Manon idéale. C'est encore au cours 
        de cette saison que se produisirent sur la scène du Théâtre 
        Municipal, dans le répertoire de grand opéra, le ténor 
        Escalaïs, sa femme, Mme Lureau-Escalaïs et Boudouresque.
 
 ---------En 
        1894, sous la Direction Coulanges, Coquelin aîné 
        joue au Municipal pour les écoles de la ville, le rôle de 
        Mascarille, des " Précieuses ridicules ". En 1892, 
        Coquelin cadet avait joué " Mademoiselle de la Seiglière 
        ", de Sandeau, au petit théâtre des Nouveautés, 
        Casino Music-hall actuel. Il était alors accompagné de Jean 
        Coquelin à ses débuts et de Mme Favart.
 ---------La 
        création de " L'attaque du Moulin ", de Bruneau 
        ; de " Lohengrin " et surtout celle d' " Etienne 
        Marcel ", de Saint-Saëns, illustrèrent cette saison 
        de 1894 et vinrent consacrer le talent de Mme Cagnart-Verhés, des 
        ténors Verhés et Reynaud, du chef d'orchestre Rey.
 ---------Et 
        je n'aurai garde d'oublier le concert de la Chorale des Chanteurs Russes, 
        que dirigeait avec toute l'autorité et toute la science désirables, 
        Dimitri Slavianski d'Agreneff. ---------Beaucoup 
        se souviennent encore de ces mélopées originales et mélancoliques, 
        de ces voix d'hommes, de femmes et d'enfants, si étrangement combinées 
        et confondues ; beaucoup ont aimé entre autres, ce chant naïf 
        et triste qui montait de la scène en un long murmure :
 ---------" 
        Cherche mon petit anneau que je cache... "
 ---------Ernest 
        Comte, ancien lutteur et boxeur, baryton amateur de grand opéra, 
        chante " Guillaume Tell " en 1895. 
        ---------Dans 
        cette même année, la danseuse noble Reggio Baudino, obtint 
        les plus éclatants succès, cependant que Mlle d'Hamy, grand 
        premier rôle de comédie, est en difficulté avec les 
        étudiants, qui " chahutent 
        " ses représentations.
 ---------Mme 
        Tarquini d'Or, des Concerts Colonne et Lamoureux, chante " Carmen 
        ", " Mignon " et " Werther ". 
        Elle est, nul ne le conteste, une des meilleures cantatrices de son temps.
 
 ---------Il me faut citer encore, parmi les célébrités 
        de l'époque Mme Tariol-Baugé, mère du baryton André 
        Baugé, vedette du septième art ; Mlle Riccordo ; MM. Dorfert, 
        Baugé, Lafon, du Rozay, Montégut ; et parmi les pièces 
        où elles se produisent : " Le Coeur et la Main " 
        ; " Les pauvres de Paris " ; " Les Huguenots 
        " ; " La Favorite " ; " Gilette de Narbonne 
        ".
 ---------" 
        Les Deux Orphelines ", de Dennery, font salle comble; de même 
        qu'une gentille comédie, " Mam'zelle Carabin ", 
        représentation pittoresque et nostalgique d'une idylle au quartier 
        latin.
 
 
 ---------L'aube 
        de 1896 voit sous la troisième Direction 
        Coste quatre créations estimables : " La Casquette du Père 
        Bugeaud " ; " La prise de la Smalah d'Abd-el-Kader " 
        ; " La Vivandière " et surtout " Salammbô 
        ", de Reyer, où Mme Laville-Ferminet et Mestre affirmèrent 
        une fois de plus la rare qualité de leur talent.
 ---------M. 
        Coste présenta par la suite : " Les Amours du Diable 
        " ; " Les Contes d'Hoffman " ; " Antonia 
        " ; " Madame de Rennecy ", drame en trois actes 
        d'un journaliste algérien, M. Castéran ; " Le Voyage 
        de Suzette ", avec Mme Tariol-Baugé ; " Les Noces 
        du Baron ", de Marius Lambert ; enfin " Le Songe d'une 
        nuit d'été ",
 donné au bénéfice de Mlle Chambellan. Cette soirée, 
        qui fut brillante, se termina pourtant d'assez singulière façon. 
        Au dernier acte, le ténor Jullian, en difficultés financières 
        avec son Directeur, jugea opportun de ne pas paraître à point 
        nommé et de tirer profit de la situation par ce moyen péremptoire.
 ---------Ce 
        n'était pas il est vrai, l'affaire des spectateurs. Ils le firent 
        bien entendre.
 ---------Cette 
        histoire m'en remet en mémoire une autre, de la même veine.
 ---------On 
        jouait à la Porte Saint-Martin, une pièce d'Alexandre Dumas: 
        " Antony ", pièce qui, assez froidement accueillie 
        au Théâtre Français, devait connaître sur les 
        Boulevards un prodigieux succès.
 ---------Bocage 
        et Dorval y jouaient les principaux rôles et tenaient les spectateurs 
        en haleine jusqu'au tomber du rideau, c'est-à-dire, jusqu'au moment 
        où Bocage penché sur Dorval, qu'il venait de poignarder, 
        prononçait, avec toute la dignité voulue
 ---------- 
        " Elle me résistait : je l'ai assassinée ! ", 
        phrase qui, il faut le dire, constituait toute la morale de la pièce.
 ---------Or 
        un soir, par la faute d'un régisseur mal renseigné, le rideau 
        tomba sur la scène finale avant que Bocage ait dit la fameuse phrase.
 ---------Déçu, 
        le public réclama le " dénouement " à la 
        grande confusion du régisseur, lequel demanda aux artistes de permettre 
        qu'on relevât le rideau.
 ---------Dorval 
        reprit docilement son attitude de femme assassinée et le rideau 
        se releva ; mais Bocage furieux, ne parut point.
 ---------Une 
        rumeur venue des hautes places gagna bientôt la salle entière.
 ---------Dorval 
        pressentit l'orage. Elle se leva alors, vint sur le bord de la scène 
        et, dans le silence brusquement revenu
 ---------- 
        Messieurs, dit-elle, je lui résistais, il m'a assassinée 
        !
 ---------" 
        Cyrano de Bergerac ", présenté en 1898 
        par M. Miallet-Métellio, successeur de M. Coste, déçut 
        quelque peu. ---------Le 
        rôle de Cyrano était tenu par Pouctal, artiste de mélodrame 
        remplaçant dans la distribution l'interprète habituel de 
        la tournée, l'acteur Hirsch. Pouctal ne le valait pas. Hirsch incarnait 
        son rôle avec beaucoup de charme et d'éclat ; mais il était 
        israélite. Or, les heures troublées de 1898 imposaient en 
        Alger la plus élémentaire prudence et la plus grande circonspection.
 ---------Le 
        chef-d'oeuvre de Rostand n'en souffrit pas moins, malgré la présence 
        de Jeanne Rolly, qui fut une Roxane remarquable.
 
 ---------La fin du XIXème 
        siècle ne devait, en somme, rien présenter de sensationnel 
        dans la vie théâtrale algéroise. Nous excepterons 
        toutefois la très minutieuse et très honorable création 
        du " Tannhauser ", pour la gloire duquel artistes et 
        machinistes firent véritablement, l'impossible. Mme Demours, Mme 
        D'Osta y jouèrent agréablement, tout comme, il est vrai, 
        le ténor Cornubert, excellent chanteur et excellent garçon. 
        C'est lui, Cornubert, qui racontait volontiers cette petite anecdote, 
        rapportée de quelque tournée obscure, au temps des premières 
        armes
 ---------Dans 
        un théâtre de province on jouait un drame du moyen âge. 
        Sur scène il y avait Louis X entouré de sa cour. Dans la 
        salle il y avait peu de monde, bien peu de monde. Assez, cependant, pour 
        trouver que les artistes étaient inférieurs à leur 
        tâche et pour le leur prouver par de discrets murmures.
 ---------Un 
        acteur excédé de ces manifestations hostiles s'avança 
        vers la rampe et s'adressant au maigre public, lui dit, sans colère, 
        mais avec fermeté
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        Prenez garde, vous savez, nous sommes plus nombreux que vous !
 
 
    
         
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