| VI ---------Encore 
        d'autres occasions manquées :
 --------Le 
        dialogue entre Algériens et l'Intergroupe des libéraux.--------Nous 
        fûmes un certain nombre à prendre conscience du danger, mais 
        il fallait lui trouver un remède. Il ne pouvait en être de 
        meilleur, pour deux collectivités qui commençaient à 
        se contracter, que de leur proposer d'ouvrir un dialogue dont toute la 
        population algérienne serait témoin et auquel elle aurait 
        droit de participer :
 --------Aussi, 
        le 19 décembre 1950, l'Écho d'Alger mit-il 
        ses colonnes à ma disposition pour ouvrir un " Dialogue 
        entre Algériens ". La règle du jeu était 
        que chaque Européen ou musulman désireux d'y participer 
        devait exprimer librement sa pensée quant aux solutions possibles 
        de notre crise de croissance, politique, économique et sociale.
 --------Dans 
        quatre premiers articles, je précisais le sens et les raisons de 
        cette expérience.--------" 
        A ceux qui s'interrogent sur l'éventualité d'un conflit 
        général, comment ne pas répondre que les hostilités 
        sont déjà en cours? La guerre qui sourd et se développe, 
        celle qu'on appellera peut-être la troisième guerre mondiale, 
        revêt des formes toutes différentes des précédentes. 
        C'est avant tout une guerre de désagrégation interne qui 
        doit livrer les peuples démoralisés, épuisés, 
        suicidés aux mains du matérialisme moscoutaire...
 --------Ici 
        autant qu'ailleurs et malgré des apparences trompeuses, nous ne 
        sommes ni matériellement, ni moralement armés pour affronter 
        les jours sombres qui pointent. Mieux vaut s'en expliquer.
 --------La 
        nécessité de faire le point, de tenter d'y voir plus clair 
        dans la confusion générale, s'avère d'autant plus 
        impérieuse pour l'Algérie qu'en février 1951 la première 
        phase d'une expérience va prendre fin.
 --------A 
        l'occasion du renouvellement partiel de l'Assemblée algérienne, 
        suivi lui-même de plusieurs autres consultations électorales, 
        dont une législative, des bilans seront établis, des méthodes 
        appréciées.
 --------L'ensemble 
        des institutions algériennes, leur aspect social, économique, 
        politique et culturel, l'application même du Statut seront mis sur 
        la sellette et jugés.
 --------Le 
        retour graduel à l'économie de guerre, les difficultés 
        financières inévitables qu'il impliquera, l'intérêt 
        majeur que présentera l'A.F.N. dans le système défensif 
        occidental seront autant de facteurs propres à influer sur les 
        jugements. A leur tour, ces jugements pourront entraîner des décisions 
        plus ou moins opportunes, prises en fonction du seul intérêt 
        du moment et susceptibles d'hypothéquer lourdement l'avenir algérien.
 --------Ainsi 
        risque-t-on d'ajouter quelque nouvelle solution d'expédient à 
        celles déjà trop nombreuses dont on a usé envers 
        l'Algérie, souvent sans grand discernement.
 --------Il 
        est vrai qu'on n'y eût point recouru si, de notre côté, 
        nous avions proposé quelque chose qui fût différent 
        de l'immobilisme irréductible dans lequel nous avons jusqu'à 
        présent cru habile ou facile de nous cantonner. Car c'est bien 
        une antinomie que de défendre une politique statique en même 
        temps que l'on s'applique à promouvoir une évolution indiscutable.
 --------Prolonger 
        cette contradiction entre notre pensée, je dirai même notre 
        absence de pensée, et les faits réels, nous condamnerait 
        tôt ou tard à de douloureux mécomptes.
 --------J'entends 
        qu'un optimisme de commande conseillerait de taire ces choses et d'attendre? 
        Une fois de plus attendre quoi, sinon que la situation intérieure 
        et internationale sous tous les aspects devienne telle que toutes les 
        données de nos problèmes s'en trouvent faussées?
 --------Chaque 
        jour les complique davantage. Aussi l'intérêt général 
        bien compris exigerait-il que sans retard nous nous attachions à 
        repenser nos problèmes. Nous nous devons maintenant de le faire, 
        non plus par rapport à l'intérêt de telle ou telle 
        collectivité, mais des droits et devoirs communs à toutes 
        les collectivités algériennes...
 --------Regrettons 
        que jusqu'à ce jour les confrontations nécessaires aient 
        été négligées. Il n'est pas encore trop tard 
        pour bien faire.
 --------Ces 
        confrontations objectives permettront seules de rétablir un circuit 
        de confiance malheureusement rompu en de trop multiples occasions et d'élaborer 
        un programme d'avenir qui tienne compte du souhaitable et du possible........................
 
 --------" 
        Un climat incertain, une poussière d'hommes, l'absence du " 
        programme ", tels sont les maux dont souffre l'Algérie aujourd'hui. 
        On ne pouvait définir de façon plus précise situation 
        aussi complexe.
 Le mérite en revient à M. Kaïd Hammoud qui, dans 
        la Voix Libre, 
        journal d'union franco-musulmane de Constantine, analyse avec beaucoup 
        de perspicacité le comportement actuel des Algériens. Sachons-lui 
        gré de cette contribution. --------Mais 
        de notre côté, ne nous contentons pas de constater. Agissons 
        ou plutôt réagissons pour créer le climat nécessaire 
        à une libre confrontation des suggestions respectives et à 
        une non moins libre discussion des solutions possibles.
 --------Commençons 
        par substituer à la notion périmée des unions étriquées, 
        telles que les concevaient encore ces temps derniers des collectivités 
        plus ou moins sur la défensive, la notion généreuse, 
        élevée et combien plus constructive d'une véritable 
        Union franco-musulmane.
 --------Cette 
        union, la seule pensable aujourd'hui, est aussi la seule susceptible de 
        créer le climat de confiance dans lequel s'épanouiront des 
        élites insoupçonnées ou négligées. 
        Elles pourront enfin exprimer leur pensée. C'est nécessaire.
 --------Nous 
        découvrirons à cette occasion que nous avons trop longtemps 
        méconnu ou voulu ignorer l'aspect moral de nos problèmes 
        algériens. Nous ne sommes pas suffisamment attachés à 
        connaître l'âme des individus, cette âme dont BOSSUET 
        disait qu'elle est ce qui fait " penser, 
        entendre, sentir et raisonner ".
 --------De 
        ce fait, notre optique est déformée, nous ne comprenons 
        plus les pensées, les sentiments, les raisonnements des musulmans. 
        Nous ne les trouvons plus en harmonie avec les nôtres.
 --------Comment 
        pourrait-il en être autrement?
 --------Nous 
        avons insuffisamment apprécié que cette nature que nous 
        transformions, ce progrès que nous importions, changeaient peu 
        à peu la mentalité des habitants de ce pays.
 --------Nous 
        n'avons pas toujours compris que le berger qui voit la métamorphose 
        de son bled aride, qui regarde l'excavatrice fendre la montagne, le barrage 
        grandir et le bulldozer niveler la colline, apprend autant que le plus 
        hardi voyageur. Dans ce cadre nouveau, son âme n'est plus la même.
 --------Et 
        nous avons encore moins saisi que cette évolution morale du musulman 
        exigeait de nous-mêmes une évolution correspondante et qu'à 
        un changement de mentalité des musulmans devait répondre 
        un changement de notre propre mentalité. En quelque sorte, une 
        adaptation parallèle.
 Parce qu'un monde mourait et qu'un autre monde naissait, créé 
        par nous, un monde différent de celui de notre enfance dans lequel 
        il nous fallait à notre tour apprendre à vivre.
 --------N'avoir 
        point discerné cette nécessité d'une évolution 
        générale des idées est peut-être la raison 
        de nos éloignements, du refroidissement des rapports entre les 
        deux collectivités algériennes. Comment n'auraient-ils pas 
        été exploités !
 --------Opérons 
        le redressement nécessaire pendant qu'il en est temps encore. Nous 
        condamnerions notre oeuvre, si nous nous y refusions.
 --------Et 
        cela est également valable pour l'Administration. A son tour, elle 
        doit évoluer, s'adapter, modifier ses conceptions.
 --------L'armature 
        de ce pays confère à l'Administration un pouvoir considérable 
        sur les hommes. Elle doit en user avec une mentalité rénovée. 
        Qu'elle se garde d'ouvrir des routes qui mèneraient à des 
        horizons vides. " (L'Écho d'Alger, 22 décembre 1950.).
 *** --------" 
        Parler d'un programme, c'est également parler des hommes capables 
        de l'élaborer...--------Contrairement 
        à ce qu'on prétend, l'Algérie ne manque pas d'hommes 
        aptes à concevoir et à réaliser. Il suffit de la 
        parcourir pour en être persuadé. Mais l'arbitraire d'une 
        terminologie absurde, souvent employée non sans malice pour maintenir 
        des situations acquises ou rendre suspects les conciliants, provoque l'élimination 
        d'une foule de vocations nouvelles.
 --------Cette 
        terminologie abusive limite l'éventail poli-tique algérien 
        à deux tendances : l'une dite " colonialiste ", l'autre 
        " séparatiste ". Hors de ces deux extrêmes, point 
        de salut.
 --------Sera 
        colonialiste ou, suppôt du colonialisme, quiconque louera sans réserve 
        l'oeuvre française en ce pays.
 --------Sera 
        séparatiste ou suspect de mauvaises intentions quiconque déclarera 
        cette oeuvre perfectible, en sou-lignera les points amendables, rappellera 
        des engagements imprudemment souscrits et négligés, critiquera 
        l'Administration ou enfin proposera des solutions différentes de 
        celles exclusivement admises par un conformisme de bon aloi.
 --------Cette 
        déplorable et trop élémentaire classification incite 
        à une généralisation non moins regrettable. Nanti 
        de ces préjugés, on a tôt fait de déclarer 
        que la majorité de l'élément d'origine européenne 
        est colonialiste et que la majorité des musulmans est farouchement 
        séparatiste.
 Gardons-nous de jugements aussi sommaires qui faussent d'emblée 
        toutes les règles du jeu.
 
 --------Certes, 
        il y a des colonialistes, c'est-à-dire des gens d'un égoïsme 
        irréductible que leur intérêt maté-riel seul 
        attache à l'Algérie, à l'exclusion de tout autre 
        sentiment. Ils tiennent à tirer du pays et des gens, de tous les 
        gens, le maximum aux moindres frais et iraient aussi bien planter leur 
        tente ailleurs s'ils y découvraient matière à exploitation 
        plus lucrative.
 --------Ce 
        type d'individus n'est pas spécifiquement algérien; il se 
        rencontre sous toutes les latitudes. On ne saurait, sans injustice, le 
        considérer comme caractéristique du colon ni de la masse 
        d'Européens modestes qui vivent en Algérie, en partagent 
        la bonne et la mauvaise fortune et n'ont ni le désir ni les moyens 
        d'aller ailleurs.
 --------Certes, 
        il y a aussi des séparatistes, apôtres d'un nationalisme 
        jaloux et exclusif qui ne conçoivent de solutions qu'à sens 
        unique. Cette tendance non plus n'est pas spécifiquement algérienne. 
        La Bretagne et l'Alsace pourraient en témoigner.
 --------S'ils 
        étaient de bonne foi, les séparatistes algériens 
        auraient certainement conscience de l'utopie de leur doctrine à 
        une époque où les nationalismes se démantèlent 
        progressivement devant la nécessité de conclure des alliances 
        et des unions internationales de plus en plus intimes. --------Mais 
        ils ne sont pas tous de bonne foi. Le nationalisme à bon dos. Il 
        est pour certains un prétexte commode pour abuser une foule de 
        braves gens mécontents, les pressurer, les exciter et les lancer 
        enfin dans des aventures rocambolesques et sanglantes, auxquelles, bien 
        entendu, les dépositaires de la doctrine ne participent pas.
 --------Pendant 
        que les adeptes trop naïfs complotent et risquent la prison, les 
        leaders, protégés par la loi du pays qu'ils condamnent, 
        dépensent largement à Paris et ailleurs l'argent sacré 
        de la cause, investi pour des motifs plus personnels dans quelque commerce 
        profitable. Tel est le cas du P.P.A. modèle 
        1950.
 --------Ces 
        deux extrêmes, colonialisme et séparatisme, ces deux sectarismes 
        ne sont pas toute l'Algérie. Le soi-disant no man's land qui les 
        sépare mériterait d'être mieux exploré; on 
        y découvrirait l'Algérie presque entière, non pas 
        une Algérie amorphe et sans vie, mais une Algérie bouillonnante 
        dans le creuset de l'évolution, façonnant une race nouvelle, 
        réceptive aux résonances extérieures, prenant conscience 
        de sa vitalité, de sa personnalité, soucieuse de son destin, 
        éternellement respectueuse de ses religions et de ses traditions, 
        une Algérie si pleine de dynamisme et de promesses que sa vue même 
        pourrait nous effrayer.
 --------C'est 
        pourtant là qu'il faut maintenant puiser. Nous y découvrirons 
        des hommes certainement différents de ceux auxquels nous avons 
        été accoutumés. Ne condamnons pas ces derniers. Leur 
        action répondait aux nécessités d'une époque, 
        elle ne répond plus aux nécessités d'aujourd'hui.
 Nous ne sortirons de l'impasse dans laquelle des vues trop étroites 
        et les imperfections fondamentales de notre système hybride nous 
        acculent que si des équipes rénovées, largement recrutées, 
        nous apportent le concours d'une pensée nouvelle.
 --------Et 
        cela me paraît valable pour les deux collèges. Le conformisme 
        qui s'exprime trop souvent dans le premier collège par un gouvernementalisme 
        béat et dans le second par un " beni-oui-ouisme " aveugle 
        ne peut être concevable que dans un régime politique suffisamment 
        stable.
 --------Dès 
        que la marque du régime devient, comme elle l'est aujourd'hui, 
        une instabilité chronique, acquiescer à tout, au bon et 
        au mauvais, n'est plus que de l'opportunisme, au sens péjoratif 
        du terme.
 --------J'entends 
        que dans le deuxième collège les alliés des jours 
        difficiles, les grandes familles venues à nous dès le début 
        pour servir une belle cause, placent la France au-dessus de ces petitesses. 
        Nous leur en devons reconnaissance. Mais à côté d'elles, 
        il est des recrues occasionnelles qu'inspire la seule pensée de 
        leur intérêt et dont l'âpreté défigure 
        le vrai visage de la France. Alors, soyons quittes.
 --------A 
        en croire MONTESQUIEU, le principe du gouver?
 nement démocratique serait la Vertu, prise dans son sens étymologique 
        de force morale et de courage.
 Ne négligeons pas ce principe et dans le choix des hommes politiques, 
        considérons aujourd'hui qu'il est plus sûr d'avoir auprès 
        de soi des < demi-rebelles " que des domestiques " (L'Écho 
        d'Alger, 26 décembre 1950.)
 * ** --------A 
        cette invite répondirent quatorze personnalités européennes 
        et musulmanes, mais le dialogue, soupape de sécurité des 
        rancoeurs et des refoulements qui eût dû s'exprimer dans la 
        presse plutôt que dans les maquis, fut jugé dangereux en 
        haut lieu. On y mit donc un terme.--------Les 
        idées semées vont tout de même leur chemin...
 --------En 
        février 1951, l'Assemblée algérienne venait d'être 
        partiellement renouvelée par les élections. Ayant volontairement 
        quitté le Parlement français, je venais d'être admis 
        dans cette assemblée qui était divisée en trois blocs 
        : le maigre bloc des représentants des partis nationalistes sur-vivants 
        des élections, le bloc des élus européens et des 
        élus musulmans considérés comme " administratifs 
        ", c'est-à-dire tenant plutôt leur mandat de l'appui 
        de l'Administration que d'un réel succès électoral; 
        enfin un troisième bloc de délégués qui, désapprouvant 
        l'autoritarisme, le sectarisme ou la servilité de ces extrêmes, 
        pensait l'occasion venue de tisser la toile d'un travail confiant entre 
        les membres des deux collectivités.
 --------Dès 
        le 16 mai 1951, le troisième bloc s'était découvert 
        et avec lui naissait l'Intergroupe des libéraux. Quelques extraits 
        de sa déclaration constitutive, largement reproduite dans toute 
        la presse nord-africaine, traduit l'esprit dans lequel
 les membres de cet intergroupe entendaient coopérer :
 
        
          | ---------" 
            Venus d'horizons politiques différents, chacun de nous conservant 
            en toute indépendance ses convictions propres, nous nous sommes 
            rassemblés en cet Intergroupe des libéraux pour sauvegarder 
            des libertés communes que nous considérons aujourd'hui 
            menacées. --------Ce 
            geste qui, dans la confusion des temps présents, veut être 
            un témoignage, nous l'accomplissons parce que nous sommes des 
            hommes libres, respectueux de l'Homme et de sa dignité, qui 
            voulons penser, agir, et nous exprimer librement dans le respect de 
            nos lois, de nos religions et de nos traditions.
 --------Les 
            attributions et les pouvoirs de l'Assemblée algérienne 
            et de l'Administration ont été définis par la 
            loi. Seule, celle-ci peut les modifier. Nous entendons que ces pouvoirs 
            et ces attributions soient respectés. Nous ne saurions admettre 
            que personne n'en altère la lettre ou l'esprit.
 --------Nous 
            voulons être le témoignage de cette prise de conscience 
            d'hommes de bonne volonté devant les nécessités 
            morales et matérielles de ce pays au stade de son évolution 
            actuelle.
 --------Nous 
            reconnaissons tous que les hommes d'Algérie, tous les Algériens 
            et Algériennes ont soif de dignité, de bien-être 
            dans la paix sociale, dans la paix des coeurs, dans la paix tout court.
 --------Nous 
            sommes décidés à oeuvrer pour satisfaire ces 
            aspirations légitimes en bannissant ce qui subsiste encore 
            de préjugés de race, de complexes d'infériorité 
            générateurs de haine et de peur, de terminologies abusives 
            entretenues pour diviser, condamner et exclure.
 --------Nous 
            avons la conviction profonde que le destin de l'Algérie n'est 
            pas une épreuve de force, mais une oeuvre de confiance à 
            laquelle, de tout son être, chaque Algérien doit contribuer 
            sans rancoeur et sans arrière-pensée.
 La routine, le contrôle de plus en plus envahissant du pouvoir 
            central sur l'Administration algérienne, cause d'alourdissement 
            dans l'exécution, l'absence d'esprit de continuité, 
            conséquence de l'instabilité politique, nous acculent 
            à des expériences souvent sans suite mais dans la plupart 
            des cas financièrement coûteuses.
 L'économie et la société algériennes ne 
            pourront bientôt plus les supporter.
 --------Nous 
            voulons maintenant savoir où nous allons, faire en commun l'inventaire 
            de ce qui rapproche et de ce qui divise, confronter tous nos points 
            de vue, fixer d'un commun accord les étapes d'un développement 
            harmonieux dans la réalisation des légitimes aspirations 
            des diverses communautés algériennes. "
 |  --------Les 
        noms des signataires de cette déclaration ont aussi leur valeur... 
        Signèrent entre autres : LAQUIÉRE, PAPILLON, CARDONA, ALAIN 
        DE SÉRIGNY, FARÉS ABDERRHAMANE, VIGNAU, MESBAH, BAUJARD, 
        MALPEL, IMALAYHENE, J. CHEVALLIER, etc...--------Ainsi 
        pour la première fois en Algérie était né 
        un groupement franco-musulman qui se prévalait du libéralisme. 
        --------Mais 
        les forces puissantes que risquait de bousculer ce geste révolutionnaire 
        devaient l'étouffer.
 --------L'Intergroupe 
        des libéraux, comme le dialogue entre Algériens, eut une 
        existence précaire. Leur décès quasi simultané 
        alla grossir le lot des occasions manquées.
 VII --------La 
        soi-disant politique des abandons.
 --------LA 
        dégradation progressive du climat politique en Algérie, 
        consécutive aux atermoiements et aux restrictions apportées 
        à l'exercice des droits civiques malgré les essais de quelques-uns 
        pour pallier cette politique aveugle, un travail de désagrégation 
        interne entrepris dès 1950 sur la masse musulmane par l'élément 
        précurseur du F.L.N. devaient en fin de compte provoquer la rébellion 
        du 1er novembre 1954.
 --------Mais, 
        entre temps, des événements extérieurs d'une portée 
        considérable avaient aussi marqué la vie de la nation, singulièrement 
        en Indochine et en Tunisie. L'Union française était ébranlée.
 --------Ignorant 
        volontairement les conséquences des occasions perdues, celles de 
        l'impuissance parlementaire à définir une politique cohérente 
        dans l'Union française, d'autre part ne se gênant pas pour 
        bousculer la chronologie, violer la vérité ou méconnaître 
        les vraies responsabilités, des esprits malicieux n'ont cessé 
        depuis cinq ans d'exploiter à leur profit la somme des événements 
        malheureux en dénonçant les trames d'un sombre complot dont 
        le but final, calculé et minuté, serait l'abandon de l'Algérie.
 --------Trop 
        de mal a été commis en Algérie par l'exploitation 
        de ces légendes malhonnêtes qui exaspèrent à 
        juste titre la sensibilité, le patriotisme et la crédulité 
        des Français d'Algérie et leur donne le sentiment d'être 
        sans cesse trahis, pour ne pas rétablir la vérité.
 --------" 
        Une erreur et un mensonge qu'on ne prend point la peine de démasquer 
        acquièrent peu à peu l'autorité
 du vrai ", disait CH. MAURRAS.
 --------Alors 
        cherchons les trames du complot des "abandons ".
 
 --------Et d'abord, quid 
        de l'Indochine?
 --------Le 
        7 mai 1954, sous le gouvernement de M. LANIEL, Indépendant, l'héroïque 
        garnison de Dien-Bien-Phu pilonnée durant cinquante-six jours de 
        siège par 200 000 coups d'artillerie et des assauts incessants 
        avait dû, submergée par le nombre, céder au Viet-minh. 
        Avec elle disparaissait le fer de lance du corps expéditionnaire 
        français en Extrême-Orient et ce désastre scellait 
        l'agonie de l' Indochine.
 --------Ayant 
        eu la redoutable charge d'administrer l'armée française 
        au lendemain de Dien-Bien-Phu, les servitudes mêmes de la fonction 
        m'ont fait vivre plus intensément que beaucoup d'hommes politiques 
        chacun des douloureux instants du dernier mois de cette guerre.
 --------Quelques 
        chiffres qui, sauf erreur, n'ont jamais été reproduits, 
        donneront une idée précise de l'hémorragie que subissait 
        l'armée et avec elle la nation française. Ils expriment 
        ce que peut coûter une opération politique mal menée.
 --------En 
        1954, du 1er janvier au 1er mai, soit pendant cinq mois de lutte, les 
        pertes de l'armée française et celles des États associés 
        en morts, blessés, prisonniers, etc. s'élevaient à 
        38 130 hommes.
 --------Durant 
        les trois mois suivants, c'est-à-dire jusqu'au " cessez-le-feu 
        " de juillet, le chiffre des pertes bondit à 62 796 hommes.
 --------En 
        moins de sept mois, 100 926 hommes avaient donc été mis 
        hors de combat.
 --------A 
        cette usure extraordinaire avait fatalement répondu la nécessité 
        de renforts correspondants dont le rythme allait sans cesse croissant, 
        bien que notoirement insuffisants : 53 000 hommes en 1952, 66 000 en 1953, 
        129 000 en 1954.
 --------Seuls 
        les militaires de carrière étaient envoyés sur ce 
        théâtre d'opérations. Il était inéluctable 
        que devant de pareils besoins, le rythme des engagements devenant rapidement 
        insuffisant, on dût se décider à envisager l'envoi 
        des jeunes du contingent.
 --------C'est 
        ainsi que furent hâtivement constituées par prélèvement 
        sur nos faibles disponibilités métropolitaines et de couverture, 
        deux divisions nouvelles, la 11e et la 14e. Il était envisagé 
        qu'une troisième division, la 12e, soit par la suite mise sur pied 
        de la même façon et pour la même mission.
 --------Et 
        pourtant, si l'on voulait continuer la guerre d'Indochine, la solution 
        n'était pas seulement l'envoi de ces trois divisions, mais encore 
        une mobilisation des ressources de la nation tout entière.
 --------Le 
        3 juillet 1954, quelques jours après la dramatique réunion 
        du Comité de défense nationale tenue le 26 juin à 
        l'Élysée, lorsqu'il me fut demandé d'indiquer nos 
        ressources en personnel de carrière, et cela afin d'éviter 
        l'envoi du contingent en Indochine, je ne pus que fournir des chiffres 
        effarants.
 --------Abstraction 
        faite de la maintenance, nous ne pouvions envoyer en renfort en Indochine, 
        de juillet à décembre 1954, que... 879 hommes.
 --------L'armée 
        française saignée à blanc dans ses cadres et dans 
        son personnel de carrière était à bout de souffle. 
        Sept ans de combats, 100 000 morts chez nous et dans les troupes de l'Union 
        française, 30 000 prisonniers, l'équivalent de deux promotions 
        de Saint-Cyriens exterminé chaque année, des centaines de 
        milliards gaspillés, 170 000 hommes traqués et cernés 
        en majorité dans le Delta tonkinois, la sécurité 
        française en métropole amoindrie par l'affaiblissement de 
        sa couverture sur le Rhin, l'armée d'Afrique exangue et désorganisée... 
        fallait-il continuer, persévérer jusqu'à la catastrophe 
        finale?
 
 --------Qui 
        aurait secouru l'Afrique du Nord quelques mois plus tard et depuis si 
        toute l'armée française s'était perdue dans ce gouffre?
 --------En 
        Indochine, les militaires ont fait leur devoir,
 tout leur devoir et mieux encore. Par contre, sur le plan politique, l'échec 
        a été total. En nous accrochant à des fantômes, 
        nous avons été conduits au néant.
 --------Contre 
        un adversaire qui avait une pensée
 politique et qui jouait son va-tout militaire avec un synchronisme parfait, 
        qui s'engageait à fond sur l'un et l'autre, nous n'avons répondu 
        qu'à moitié, jouant parcimonieusement le militaire, hésitant 
        sur le politique, le négligeant ou même l'ignorant.
 --------Malgré 
        l'émotion et la tristesse ressenties à l'occasion du dénouement 
        indochinois, l'opinion algérienne en comprit alors l'impérieuse 
        nécessité et, traduisant son sentiment, l'Écho d'Alger 
        du 28 juillet 1954 pouvait écrire :
 --------" 
        M. Mendès-France, à qui l'on ne saurait dénier d'éminentes 
        qualités d'homme d'État, vient de faire la preuve de son 
        habileté et de sa prudence en mettant fin à un conflit qui 
        n'était plus soutenable et pour la solution duquel une certaine 
        force d'âme était plus nécessaire que celle des armes.
 --------Le 
        pays a approuvé l'action du président du Conseil parce qu'il 
        a bien compris que c'était faire preuve de sagesse que de préférer 
        un compromis - même douloureux - à la poursuite d'une aventure 
        dont on ne pouvait attendre d'issue honorable.
 --------M. Mendès-France a gagné 
        la première manche dans la conquête de l'opinion publique 
        et la mise en ordre des affaires nationales. 
        "
 --------Et 
        maintenant, quid de l'abandon de la Tunisie?--------De 
        bonne foi, nombre d'Algériens attribuaient au discours de Carthage 
        du 31 juillet 1954 l'origine de tous nos maux. A ignorer les prémices, 
        cela pourrait paraître ainsi. La vérité était 
        tout autre.
 --------Un 
        geste de cette importance, décidé en conseil des Ministres, 
        c'est-à-dire avec l'approbation du président de la République 
        et de l'ensemble du Gouvernement, geste auquel s'associait ALPHONSE JUIN, 
        maréchal de France, de surcroît Algérien authentique, 
        n'était pas et ne pouvait pas être une initiative intempestive 
        simplement imaginée pour meubler l'écran des actualités 
        ou pour jouer les fiers-à-bras.
 Ces hommes, sauf à les considérer comme des inconscients, 
        des complices ou des sots, avaient pesé les conséquences 
        de ce geste et avaient aussi quelque raison sérieuse pour le justifier. 
        Elle n'était certes par négligeable.
 --------Il 
        s'agissait, ni plus ni moins, de mettre un point d'arrêt brutal 
        à une situation dont le pourrissement devenait catastrophique et 
        dont les prolongements contaminaient déjà dangereuse-ment 
        la frontière algérienne. En d'autres termes, il fallait 
        éteindre le foyer tunisien ou tenter d'en réduire l'intensité 
        pour qu'il n'embrasât pas toute l'Afrique du Nord.
 
 |  | --------Le point 
        d'arrêt ne pouvait procéder que de l'action militaire ou 
        de la négociation politique.--------Avec 
        les moyens dont on disposait, l'action militaire s'avérait devoir 
        être parcimonieuse et incomplète, donc hasardeuse, surtout 
        si elle devait parer à une flambée dans toute l'Afrique 
        du Nord.
 --------Il 
        fallait en effet, au gros de l'armée française écartelée 
        sur trois continents, saignée dans ses cadres et dans ses effectifs, 
        les délais nécessaires pour se regrouper, se reformer et 
        reprendre toute sa valeur combative.
 L'effroyable et continuelle ponction indochinoise ayant interdit jusque-là 
        un renforcement suffisant, l'armée, en Tunisie, ne disposait, en 
        date du let juillet 1954, que de 18 370 hommes.
 --------Au 
        1er janvier 1955, grâce à l'allégement des servitudes 
        d'Extrême-Orient et aux rapatriements hâtifs ordonnés, 
        ces effectifs devaient être portés à 43 112 hommes.
 --------Mais 
        les possibilités militaires, en juillet 1954, étant insuffisantes, 
        il ne restait dans l'immédiat que la négociation politique. 
        Sa reprise fut l'objet de la déclaration de Carthage.
 En fait, cette déclaration tant décriée n'innovait 
        rien. Elle confirmait simplement un engage-ment solennel souscrit en 1950 
        par le gouverne-ment français et dont la réalisation avait 
        été différée comme n'ont cessé de l'être 
        la plupart des engagements algériens, d'où la naissance 
        du conflit franco-tunisien et aussi du conflit algérien.
 --------Pour 
        parler net, par l'acte de Carthage, le gouvernement français de 
        1954 réglait la traite acceptée par son prédécesseur 
        de 1950.
 --------En 
        effet, en juin 1950, au cours d'un banquet
 offert à Thionville par M. ROBERT SCHUMAN,
 ministre des Affaires étrangères, aux parlementaires d'outre-mer, 
        notre ministre déclarait que le nouveau résident de France 
        en Tunisie, M. PÉRILLIER, avait reçu mission du Gouvernement 
        " d'amener la Tunisie vers l'indépendance 
        qui est l'objectif principal pour les territoires au sein de l'Union française 
        ".
 --------Atténuant 
        la portée des déclarations de son ministre, devant les vives 
        réactions qu'elles avaient suscitées, M. Périllier 
        précisait quelques semaines plus tard, dans un communiqué 
        commun avec le Bey, qu'il était chargé de négocier 
        les réformes " devant conduire la 
        Tunisie vers son autonomie interne ".
 --------Il 
        n'en demeure pas moins que le mot d'indépendance, tempéré 
        par celui d'autonomie interne, avait été lâché 
        au nom du Gouvernement par le ministre en exercice responsable de la Tunisie.
 --------Comment 
        les Tunisiens n'auraient-ils pas considéré cette déclaration 
        comme une adhésion à leurs revendications et, qui plus est, 
        comme un engagement de la France?
 --------Dès 
        lors, les faits ne cessent de se précipiter, dominés par 
        la revendication de l'autonomie interne, c'est-à-dire par le souci 
        de voir exécuter la promesse faite.
 --------En 
        octobre 1951, M. CHENIK vient à Paris réclamer une " 
        accélération " des réformes, M. Schuman lui 
        répond le 15 décembre 1951 par une lettre qui entraîne 
        la rupture des négociations.
 --------Le 
        28 mars 1952, M. Chenik et les membres de son cabinet sont envoyés 
        en déportation.
 --------L'action 
        terroriste se déclenche alors dans la Régence. L'anarchie 
        gagne rapidement pour atteindre son point culminant en juin-juillet 1954.
 --------Si 
        le discours de Carthage du 31 juillet arrête le terrorisme politique 
        dans les villes, il n'entrave pas l'action des fellagha dans les campagnes.
 --------Aussi 
        les renforts précédemment destinés à l'Indochine, 
        mais que le " cessez-le-feu " vient de libérer, la IIe 
        et la 14e divisions du contingent acheminées sur Tunis dès 
        le 20 juillet, vont-ils, avec d'autres éléments appelés 
        à les rejoindre, renforcer nos moyens d'action et permettre de 
        lancer une offensive générale contre les fellagha.
 --------Cette 
        pression intense, conjugée avec l'action politique menée 
        auprès du gouvernement tunisien, aboutit, fin novembre 1954, à 
        la reddition des fellagha.
 --------Du 
        30 novembre au 20 décembre 1954, faisant suite à une déclaration 
        commune du général DE LA TOUR et du président TAHAR 
        BEN AMAR, 2 740 fellagha remettaient aux troupes françaises 2 128 
        fusils, mitraillettes et mitrailleuses, sanctionnant par ce geste la fin 
        de la guerre civile dans la Régence.
 --------Et 
        pourtant, aucune convention n'avait encore été signée 
        ni discutée. Les conventions franco-tunisiennes devaient faire 
        l'objet, dans les mois suivants, de discussions serrées et n'aboutir 
        que bien plus tard, le 3o mai 1955, sous le gouvernement EDGAR FAURE.
 --------Tels 
        étaient les faits.
 --------Au 
        lendemain de la déclaration de Carthage, un avis primait les autres, 
        celui du général BLANC, chef d'état-major de l'armée 
        qui, au retour d'une inspection en Tunisie du 6 au II août 1954, 
        et abordant le problème politique en tant que conseiller du Gouvernement 
        pour tout ce qui concernait la défense nationale, la défense 
        de l'Union française et la stratégie militaire, exposait 
        dans son rapport du 17 août 1954:
 
         
          | --------" 
              La Tunisie en était, à la veille du 31 juillet, au 
              stade de l'Indochine en 1945-1946.--------Le 
              peuple tunisien se répartissait, comme au Vietnam, en deux 
              grandes masses :
 - l'une animée par le Néo-Destour, fortement organisée, 
              obtenant une audience internationale croissante, répandant 
              la peur parmi les Tunisiens non affiliés à ce parti 
              et organisant le terrorisme à l'égard des Français 
              et de leurs amis,
 - l'autre, ayant à sa tête quelques chefs appartenant 
              à des partis sans consistance et ne s'appuyant que sur une 
              masse non évoluée politiquement.
 --------Vouloir 
              juguler par les armes - même avec des effectifs renforcés 
              - un tel terrorisme, s'étendant progressivement du bled aux 
              villes, sans s'attaquer à ses sources tant locales qu'étrangères, 
              c'est-à-dire sans résoudre le problème politique 
              de base, aurait conduit la France à une nouvelle expérience 
              BAo-DAI, à une lutte sans issue comme ce fut le cas en Extrême-Orient. 
              Cette expérience désastreuse pour-suivie au Viet-nam 
              a suffisamment démontré, comme il avait été 
              prédit, l'impossibilité de maîtriser par la 
              force un mouvement populaire sans y mettre un prix considérable. 
              Poursuivre les mêmes errements eût ébranlé 
              tout l'édifice français d'Afrique du Nord et mis en 
              cause la position de la France en Europe.
 --------Une 
              solution politique a donc été envisagée. Ses 
              effets apparents ont été immédiats en Tunisie. 
              Le terrorisme est, à l'heure actuelle, en nette régression, 
              celui régnant encore dans le bled n'étant plus pour-suivi 
              que par les hommes de main recrutés par nos opposants d'hier 
              et ne leur obéissant guère. "
 |  
 --------Bien que 
        l'opinion algérienne à l'époque se montrât 
        plus réservée quant à la procédure de règlement 
        envisagée pour l'affaire tunisienne, l'Écho d'Alger 
        n'en écrivait pas moins le 10 août 1954, à la veille 
        d'une interpellation sur cette affaire : 
         
          | --------"Il 
              (M. Mendès-France) peut pour la Tunisie aisément démontrer 
              sans doute que les mesures prises étaient, comme il l'a déjà 
              dit et comme l'arépété depuis M. CHRISTIAN FOUCHET, ministre 
              des
 Affaires marocaines et tunisiennes, les seules possibles. Si l'on 
              en doutait, il pourrait rappeler en quelques mots que la politique 
              ébauchée dans le passé a abouti, hélas, 
              à des résultats diamétralement opposés 
              à ceux que l'on recherchait.
 --------M. 
              Mendès-France s'élèvera encore contre les reproches 
              qui lui sont faits çà et là plus ou moins ouvertement 
              d'avoir ouvert les portes à l'abandon. "
 On ne pouvait mieux dire...
 |  *** --------Un 
        autre argument souvent employé aussi pour attiser chez les Français 
        d'Algérie le sentiment d'avoir été trahis et, par 
        là même, donner apparence de vérité à 
        la soi-disant politique des abandons, consiste à déclarer 
        urbi et orbi: " Sile 1er novembre 1954, lorsque éclata la rébellion, on avait 
        " mis le paquet " et vigoureusement maté le tout sur-le-champ, 
        l'affaire eût été réglée en moins de 
        rien. "
 --------Cette 
        idée, qui a pris maintenant l'allure d'un slogan, exprime la pensée 
        des partisans de la manière forte qui eussent voulu qu'en 1954, 
        on réprimât sans discrimination comme on l'avait fait, mais 
        dans un tout petit secteur, le 8 mai 1945 lors des événements 
        de Sétif.
 --------Il 
        n'est pire erreur que de comparer ces deux événements douloureux.
 --------Le 
        souvenir du 8 mai 1945, je l'ai dit, n'a cessé d'hypothéquer 
        les rapports mutuels des collectivités européenne et musulmane, 
        mais depuis cette date, je crois l'avoir démontré, se sont 
        accumulées tant sur le plan intérieur qu'extérieur 
        nombre de raisons nouvelles d'aigreur et de difficultés.
 --------La 
        rébellion du ter novembre 1954 n'était pas un incident local 
        et limité. Si elle ne fut perceptible dans ses débuts que 
        dans les manifestations des bandes armées de l'Aurès, ses 
        racines n'en étaient pas moins profondes et depuis 1950 s'étendaient 
        sous l'Algérie tout entière. Étant donné son 
        ubiquité, une double action s'imposait pour tenter de la réduire.
 --------Militaire, 
        d'abord, contre les bandes armées de l'Aurès, politique 
        ensuite pour retenir et faire basculer de notre côté une 
        masse francophile, mais néanmoins hésitante et troublée, 
        ce qui impliquait une politique hardie de réformes et une discrimination 
        extrêmement stricte dans la répression pour éviter 
        toute injustice qui, en confondant aveuglément l'innocent et le 
        coupable, pût créer du coupable. Cela fut tenté tant 
        sur le plan militaire que sur celui des réformes.
 --------Pour 
        apprécier la situation sur le plan militaire, à la veille 
        de la rébellion algérienne, il faut d'abord se souvenir 
        que, de 1945 à 1954, les effectifs globaux des forces terrestres 
        en Afrique du Nord oscillaient pour l'ensemble Algérie, Tunisie, 
        Maroc, entre 100 00o et 110 000 hommes et qu'à fin juin 1954, au 
        lendemain de Dien-Bien-Phu, les effectifs terrestres pour la seule Algérie 
        ne totalisaient que 54 000 hommes. Les corps de troupes avaient dû 
        être transformés par le soutien du corps expéditionnaire 
        d'Extrême-Orient en centres d'instruction et en dépôts 
        de passage.
 --------A 
        titre d'exemple, pour un effectif théorique de 2 511 hommes, les 
        1er et 2e régiments de tirailleurs algériens avaient respectivement 
        compté 30 000 et 32.000 mutations individuelles de novembre 1953 
        à novembre 1954. Un document autorisé donnait les précisions 
        suivantes :
 
        
          | --------" 
              Encasernés, insuffisamment encadrés, inaptes à 
              entrer rapidement en action, ils sont d'ailleurs inadaptés 
              au rétablissement de l'ordre, car essentielle-ment organisés 
              et préparés en vue du combat sur un théâtre 
              d'opérations européen.En particulier, il n'y a plus d'unités spécialisées 
              ou de type allégé capables de rivaliser, dans une 
              certaine mesure, de légèreté, de rusticité 
              et de souplesse avec l'adversaire éventuel.
 --------Certes, 
              le commandement local a proposé à l'Administration 
              centrale le 22 octobre un certain nombre de créations d'unités 
              allégées, soit par prélèvement sur la 
              masse plus ou moins inorganisée des corps de troupes, soit 
              par un recrutement particulier. Certes, il a décidé 
              de lui-même le 27 octobre de passer à l'exécution 
              de la première tranche de ces créations ou transformations. 
              Certes, sur intervention personnelle du secrétaire d'État 
              à la Guerre, un envoi de cadres et des crédits pour 
              les achats nécessaires de chevaux et de mulets sont prescrits 
              et accordés par Paris le 31 octobre, en même temps 
              que la 25e D.I.A.P., alertée la veille, est mise en route 
              sur l'Algérie, partie par voie aérienne, partie par 
              voie maritime.
 --------Il 
              n'en reste pas moins que ler novembre, lorsque éclate l'insurrection, 
              les moyens immédiatement disponibles se réduisent 
              à deux bataillons de parachutistes, trois bataillons de la 
              IIe B.I. arrivés en août et en pleine période 
              d'organisation et d'instruction, un bataillon à constituer 
              au moment du besoin, donc sans cohésion, sur la légion, 
              et deux escadrons blindés.
 --------Aucun 
              appui n'est à attendre des forces auxiliaires : la notion 
              même du partisan a disparu; une application trop stricte des 
              dispositions du statut de 1947 interdit à l'armée 
              de créer des unités de supplétifs et c'est 
              seulement depuis le 15 octobre que les autorités civiles 
              du Constantinois commencent, à la demande de l'armée, 
              à se préoccuper de ce problème.
 --------Enfin, 
              il n'y a aucun service de renseignement militaire et dans ce domaine 
              les possibilités de la Gendarmerie et des Affaires militaires 
              musulmanes sont très limitées.
 --------En 
              bref, il n'y a plus d'armée en mesure de rétablir 
              l'ordre sur-le-champ.
 --------La 
              rébellion a bien choisi son moment, car les troupes aguerries 
              en Indochine ne sont pas encore rentrées d'Extrême-Orient.
 |  --------Telle 
        est la situation dramatique dans laquelle l'hémorragie indochinoise 
        a placé l'armée en Algérie, comme le constatait son 
        chef, ce très brillant officier qu'est le général 
        CHERRIÉRE, commandant la Xe région militaire d'Alger.--------A 
        noter également que sur ses ressources squelettiques, l'Algérie 
        avait dû envoyer hors plan en Indochine, fin juin 1954, le 22e régiment 
        de tirailleurs algériens avec un groupe d'artillerie et diriger 
        pendant l'été sur la Tunisie cinq bataillons d'infanterie, 
        deux compagnies sahariennes de la légion, quatre escadrons à 
        cheval ou blindés, onze groupes de choc avec auto-mitrailleuse, 
        transmissions, train, etc.
 --------Malgré 
        cela les événements de la Toussaint n'avaient pas entièrement 
        pris au dépourvu les autorités civiles et militaires. Dès 
        le 17 octobre, l'armée avait réagi sur les confins algéro-tunisiens 
        à l'est de Souk-Ahras et le 27 octobre à o heure, le Gouverneur 
        général avait confié au général Cherrière, 
        commandant de la Xe région militaire, le commandement interarmées 
        en Algérie pour le maintien de l'ordre.
 --------Si 
        nos forces terrestres étaient squelettiques, les moyens aériens 
        l'étaient encore davantage. A l'automne de 1954, l'on ne disposait 
        en Algérie que de huit Junkers utilisables alors que le transport 
        aérien est le seul qui, en Afrique du Nord, permette, conjugué 
        avec les parachutistes, de régler rapidement les incidents. Quant 
        aux hélicoptères, ils étaient inexistants.
 --------Ces 
        chiffres et ces faits méritent d'être médités. 
        Ils donnent la mesure de notre pauvreté en moyens au moment où, 
        non encore dégagée du guêpier indochinois, l'armée 
        française devait faire front à l'insurrection naissante 
        et à celle qui existait dans toute l'Afrique du Nord française.
 --------Une 
        véritable course contre la montre allait alors s'engager pour hâter 
        le rapatriement du corps expéditionnaire d'Indochine et le diriger 
        sur l'Afrique du Nord, opération délicate et non immédiatement 
        exploitable du fait de la reconstitution nécessaire de ces unités 
        et de la remise en état physique de leurs cadres et troupes dure-ment 
        éprouvés par cette pénible campagne.
 --------Cela 
        étant, le total des effectifs stationnés en Afrique du Nord 
        le 30 juin 1954, qui n'était que de 117 000 hommes, avait été 
        porté au 31 décembre de la même année à 
        173 000.
 Pour la seule Algérie, il avait été porté 
        à 75 000 hommes et de nombreuses unités sur le chemin du 
        retour d'Indochine voguaient en renfort vers ses rives. Par ailleurs, 
        vingt compagnies républicaines de sécurité (C.R.S.), 
        soit le tiers de l'effectif global métropolitain, avaient également 
        été dirigées sur l'Algérie.
 --------Pour 
        qui n'est pas de mauvaise foi, ces renforcements massifs ne traduisaient 
        nullement un désir de capitulation ou d'abandon. Les gens qui, 
        depuis quatre ans, pour exciter les Français d'Algérie, 
        ont prétendu le contraire, ont tout simplement menti.
 --------Ouvrant 
        la session de l'Assemblée algérienne,
 le 16 novembre 1954, le gouverneur général ROGER LÉONARD, 
        actuellement premier président de la
 Cour des comptes, évoquant la rébellion naissante déclarait 
        :
 --------" 
        Je me bornerai à rappeler qu'au cours de l'été il 
        n'est pas de semaine qui n'ait été marquée par un 
        renforcement important de notre dispositif militaire et policier et je 
        me plais à reconnaître qu'avant comme après le 1 er 
        novembre, le gouvernement s'est ingénié selon tous ses moyens 
        à répondre avec une exceptionnelle promptitude aux appels 
        que je lui adressais devant la montée des périls. "
 Et plus loin encore :--------" 
        L'exceptionnelle promptitude avec laquelle il 
        a été répondu à nos appels par le gouvernement 
        et spécialement par M. le ministre de l'Intérieur et par 
        M. le secrétaire d'État aux Forces armées témoigne 
        que derrière des mots il y a des faits. "
 --------Et le maire 
        de Batna, la ville la plus éprouvée le ter novembre 1954 
        lorsque éclata la rébellion, ne confirmait-il pas le 16 
        novembre 1954 devant l'Assemblée algérienne : --------" Je 
        tiens à le déclarer publiquement, d'ores et déjà 
        nous avons trouvé, tant auprès des autorités administratives 
        que des autorités militaires, la plus large compréhension 
        et nous avons collaboré dans les meilleures conditions. De plus, 
        des renforts ont été envoyés dans la région 
        de Batna avec toute la promptitude souhaitable. "
 --------Peut-on 
        souhaiter meilleurs juges?
 --------Mais, 
        parallèlement à cette indispensable action
 militaire, une action de remise en ordre législative et administrative 
        s'imposait. La rébellion algérienne mettait en lumière 
        l'inadaptation de notre appareil judiciaire et législatif à 
        un état de choses sans précédent qui nous contraignait 
        à de véritables opérations de guerre contre des citoyens
 français (car le fellegh est citoyen français) dans des 
        départements français, en temps de paix et sous un régime 
        de paix.
 --------Les 
        faiblesses et les lenteurs que l'on a si souvent incriminées au 
        début de la rébellion, en y voyant les pires intentions, 
        n'avaient d'autre cause que cette inadaptation de moyens qui poussait 
        les autorités responsables à enfreindre la légalité 
        si elles voulaient agir rapidement et efficacement. --------Cela 
        impliquait de leur part des responsabilités personnelles qu'elles 
        répugnaient parfois à assumer.
 --------C'est 
        pourquoi, le 9 décembre 1954, le gouverneur de l'Algérie 
        suggérait l'adoption d'un texte instituant l'état de sauvegarde 
        civile qui, remanié, devait cinq mois plus tard seulement devenir 
        la loi sur l'état d'urgence.
 --------Pour 
        retenir de notre côté une masse musulmane hésitante 
        et troublée par la rébellion naissante, un geste politique 
        s'avérait nécessaire. Il ne pouvait en être de meilleur 
        que d'appliquer effectivement, cette fois, le Statut de l'Algérie 
        ou, au besoin même, de l'élargir. Ce fut l'objet du projet 
        de réformes de M. MITTERRAND en janvier 1955.
 --------Quand 
        on considère aujourd'hui son contenu et comparé à 
        tout ce qui a été depuis concédé par la loi-cadre 
        de 1958 ou le 13 mai sur le forum d'Alger, on ne peut s'empêcher 
        de mesurer l'étendue du chemin parcouru. Ces réformes visaient 
        les domaines administratif, politique et le développement de la 
        communauté nord-africaine. Sur le plan administratif, elles prévoyaient 
        :
 ----------le 
        regroupement de centres municipaux en vue de former des communes nouvelles 
        de plein exercice ;
 ---------l'amélioration 
        des règles de fonctionnement des douars ;
 ---------la 
        création, à la place des communes mixtes, de e grandes communes 
        " dotées d'un conseil élisant son président; 
        l'administrateur civil, désormais investi de pouvoirs de tutelle 
        étendus, devait être chargé des fonctions de maire 
        de la nouvelle collectivité;
 ---------la 
        création de nouveaux départements et arrondissements;
 ---------la 
        réorganisation du gouvernement général de l'Algérie, 
        regroupé dans cinq directions générales : Intérieur, 
        Finances, Affaires économiques, Travaux publics, Affaires sociales;
 ---------la 
        fusion des cadres supérieurs de la Sécurité générale 
        de l'Algérie et de la Sûreté nationale.
 
 --------Sur 
        le plan politique :
 ---------le 
        droit de vote des femmes musulmanes : celles qui remplissaient les mêmes 
        conditions que les hommes allaient pouvoir accéder au ter collège; 
        inscription des autres, sur leur demande, sur les listes au 2e collège;
 ---------le 
        maintien des deux collèges électoraux;
 ---------l'unification 
        des conditions d'inscription sur les listes du 2e collège, quelle 
        que soit la nature de l'élection considérée.
 
 --------Pour 
        le développement de la communauté nord-africaine :
 ---------le 
        transfert de l'école de Saint-Cyr en Algérie;
 ---------la 
        création d'un " centre algérien de formation administrative 
        ";
 ---------la 
        création d'un institut d'études franco-islamiques à 
        Paris;
 ---------l'égalité 
        des salaires entre l'Algérie et la métropole.
 
 --------Présenté 
        trop hâtivement, sans consultation préalable de la représentation 
        algérienne, ce projet souleva une vive opposition qui, en réalité, 
        argua de la forme maladroite de sa présentation pour en condamner 
        le fond.
 --------L'inévitable 
        crise ministérielle fit le reste, comme quelques mois plus tard 
        la liquidation de l'Assemblée nationale devait réserver 
        un destin identique à un autre plan de réformes, celui de 
        M. Jacques Soustelle.
 
 
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