| Antoine Gadan(1854-1934)
 par Marion Vidal-Bué
 
         
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   Antoine Gadan 
              dans son atelier
 |  Antoine Gadan, né à Seurre 
        en Côte d'Or, a appris son métier de peintre dans son pays 
        natal, de manière autodidacte, et quelques oeuvres de jeunesse 
        représentant la campagne bourguignonne en témoignent encore, 
        mais c'est dans son pays d'adoption, l'Algérie, qu'il a développé 
        son talent exceptionnel de paysagiste.
 Toute une partie de la famille Gadan, d'origine paysanne, part en Algérie 
        pour y chercher une vie meilleure et le jeune peintre, alors âgé 
        de vingt-sept ans, séjourne à Marseille dans l'attente de 
        l'embarquement, avec ses parents, son frère Charles, son épouse 
        et son premier fils Charles, qui y naît en novembre 1880. Ce premier 
        garçon décède à Bône 
        en 1882, un autre fils également prénommé Charles 
        y vient au monde en janvier 1883, mais meurt à son tour au mois 
        d'octobre suivant. Deux filles survivront, Jeanne née en 1884, 
        et Marie-Louise née en 1887.
 
 La réussite couronnera Antoine, comme on va le voir, mais aussi 
        son frère Charles qui dirigea longtemps les caves du domaine de 
        Guébar et qui devint propriétaire de la ferme du comte de 
        Sonis au fort Gênois, une vieille habitation rurale qu'il orna de 
        détails d'architecture mauresque pour en faire " l'élégante 
        demeure qui s'abrite aujourd'hui sous des palmiers et des pins pour regarder 
        orgueilleusement la mer ", ainsi que le raconte Louis Arnaud dans 
        son ouvrage sur Bône (Bône, 
        son histoire, ses histoires, Constantine, Imprimerie Damrémont, 
        1957, p. 214-215.).
 
 Le même auteur, qui consacre plusieurs pages d'hommage au peintre, 
        le décrit installé " dans une petite rue du faubourg, 
        parallèle à l'avenue Célestin Bourgoin, à 
        peu près exactement derrière l'église Sainte Anne 
        (La rue de la Liberté, précise 
        plus loin Louis Arnaud.). La maison, simple comme lui, était 
        presque enfouie dans la verdure et les fleurs, et son atelier était 
        sans le moindre apparat, au bout du jardin touffu ". Cette simplicité 
        se vérifie dans les trois photos qui représentent cette 
        " gloire de Bône " vêtu de façon rustique 
        et coiffé d'une casquette de paysan, dans son atelier comme dans 
        son jardin. L'homme était " modeste et bon ", d'un commerce 
        aimable et facile, toutes qualités humaines qui, jointes à 
        la séduction de son art, lui attirèrent les faveurs des 
        critiques artistiques et le soutien d'artistes importants.
 
 Dans la campagne des environs de Bône, son amour de la nature s'exalte, 
        tout concourt à l'épanouissement de son tempérament 
        en quête d'harmonie. Il aime immédiatement la pureté 
        lumineuse de la contrée, cette lande sauvage et douce, parsemée 
        d'asphodèles ou de touffes de joncs, ces montagnes arrondies, ces 
        jeunes enfants menant leurs troupeaux sur des sentiers surplombant la 
        mer, et ne se lasse pas de les peindre.
 
 Le commentateur de la Revue nord- africaine illustrée l'exprime 
        parfaitement: " Gadan excelle dans ses toiles du Sahel de Bône... 
        L'artiste, on le sent, y est maître de lui, parce qu'il est bien 
        chez lui, parmi des horizons et des couleurs qu'il rend avec une précision 
        qu'une connaissance intime du milieu permet seule de traduire aussi fidèlement 
        [...] Sa peinture a quelque chose d'infiniment doux, de tendre, et en 
        même temps d'enjôleur, parce que au pays de Bône, tel 
        est le charme des baies et des golfes, des plaines et des collines. Nulle 
        action dramatique des éléments, aucun soleil aveuglant, 
        aucune mer trop uniformément colorée, au contraire, traduction 
        fidèle des milieux, c'est le chatoiement des eaux vertes et bleues 
        qui reflètent avec une grande douceur une dune dorée ou 
        des roches brunes, avec des lointains de montagnes de tous les verts des 
        brousses sauvages. Gadan travaille le matin et le soir et surprend la 
        nature à ses heures les plus intimes, quand les ombres et les brumes 
        suaves flottent sur toutes choses. [...] Il ne recherche pas les grands 
        effets, il peint ce qu'il voit avec vérité et poésie. 
        Et avec une
 telle simplicité, il atteint la beauté " ( 
        Boyer, in Revue nord-africaine illustrée, 2 février 1908, 
        p. 59-60.).
 
 Même appréciation chez un autre critique qui note : " 
        Goût sûr et délicat, pinceau simple et franc, léger 
        et aimable, et surtout un goût très vif de la nature " 
        (C. Monplessis, in Revue nord-africaine 
        illustrée, 17 au 24 janvier 1909.), ou chez Frac, 
        qui aime par-dessus tout les sujets pastoraux de l'artiste: " les 
        ravins boisés du Cap de Garde; la luxuriante végétation 
        algérienne se détachant sur les lointaines montagnes qui 
        s'estompent sur un ciel immuable [...] les claires matinées de 
        mars au pied de l'Edough [...], les intérieurs arabes où 
        filtre un rayon de soleil [...]les pâturages dans les chaumes; les 
        crépuscules dans les vallées ombreuses, les luxuriantes 
        moissons, tout est prenant au possible et l'on emporte de cette magie 
        des couleurs, la meilleure des jouissances artistiques ".
 
 Le territoire d'Antoine Gadan ne se limite pas, en effet, à la 
        campagne riante du littoral, il recherche volontiers les paysages contrastés 
        de l'Aurès, apprécie de toute sa sensibilité le déroulement 
        paisible de la vie sur les Hauts Plateaux, sous la tente ou dans le ksar, 
        admire la blondeur du sable et les saisissants changements de lumière, 
        plus loin dans le Sud.
 
 Deux toiles présentées à Paris en 1895, au Salon 
        des Artistes français, le font remarquer favorablement: " 
        La rivière blanche à El Kantara " et " Nuit Algérienne 
        ". Elles sont suivies de " La rivière rouge à 
        El Kantara " au Salon de 1896.
 
 Reconnu dès lors comme paysagiste et décorateur, Gadan est 
        chargé de brosser le diorama destiné à la décoration 
        du Pavillon de l'Algérie au Trocadéro, lors de l'Exposition 
        Universelle de 1900. Il choisit d'illustrer " La côte algérienne 
        de Bône à Oran ", prétexte à faire défiler 
        dans un véritable voyage pictural les plus beaux sites des rivages 
        algériens.
 
 Cet immense diorama qui sera exposé à Londres et à 
        New York, après Paris, obtient un vif succès public, tout 
        en suscitant pour son auteur les éloges du jury, en particulier 
        ceux du peintre d'histoire Edouard Detaille et du paysagiste Jules Breton, 
        membre de l'Académie des beaux-arts. Et lorsque Léonce Bénédite, 
        conservateur du musée du Luxembourg et président de la Société 
        des peintres orientalistes français, offre à la Société 
        des artistes algériens et orientalistes une médaille de 
        vermeil destinée à l'exposant le plus méritant au 
        sein de son Salon, c'est à leur collègue Antoine Gadan que 
          
        Georges Rochegrosse et Albert Mulot, membres des plus éminents, 
        décident de la décerner.
 
 Maxime 
        Noiré, le plus en vue des paysagistes algériens, 
        le prend quant à lui en totale amitié, proclame " sa 
        haute valeur " et l'emmène avec lui au début 1908 pour 
        un " voyage d'études dans les oasis de Biskra 
        et d'El Kantara " (Annales 
        africaines, n° 7, 15 février 1908.).
 
         
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  " Le mont Eydough et 
              la vallée du Ruisseau d'or, environs de Bône ", 
              (coll. B. Toma). |  A la suite de ce séjour fructueux 
        pour le renouvellement de son inspiration, Gadan connaît l'honneur 
        d'une exposition de quinze toiles au musée de Constantine, 
        organisée à l'initiative du conservateur M. Hinglais. Ce 
        sont des " toiles du Sahel méditerranéen de Bône 
        ", et des travaux inspirés par El Kantara et le pays chaouïa. 
        Pour les Annales africaines, ces sujets pris " au seuil du désert 
        " le classent " au premier rang des orientalistes algériens, 
        à côté de Noiré " 161. La Revue nord-africaine 
        illustrée les apprécie tout autant: " C'est partout 
        de la poussière de lumière: dans le troupeau qui rentre 
        dans le soir, comme dans la fumée qui plane au- dessus des maisons 
        de toube et des tentes; dans l'indolent ruissellement de l'oued presque 
        desséché comme sur les feuillages brûlés par 
        l'été qui s'achève " (C. 
        Monplessis, " Notes d'art ", Revue Nord-africaine illustrée, 
        4 avril 1909, pp. 186-187.).
 Cette année faste de 1908 se conclut par un accueil chaleureux 
        au Salon d'Automne à Alger, où Gadan montre entre autres 
        sa " Rivière d'El Kantara ", " à l'heure 
        où le soleil monte: la rivière coule sur les galets blancs, 
        la lumière ruisselle, les palmiers presque bleus et d'énormes 
        abricotiers fleurissent sur les berges dans un vallon éblouissant; 
        le village de toube se dessine au sommet d'une falaise rouge, des femmes 
        chaouïa en descendent pour laver leur linge ", pour reprendre 
        la description de C. Monplessis qui loue également " Le chemin 
        des dunes à Bône au printemps ", " poème 
        intense de vie lumineuse " dans lequel se déploie " la 
        fluidité rose améthyste à travers laquelle [Gadan] 
        nous montre la dune bônoise ".
 
 Le chantre de l'est algérien est alors à son sommet, et 
        le critique Frac peut écrire: " Nous n'avions pas tort de 
        pronostiquer un grand succès pour l'exposition Gadan. il a été 
        plus considérable encore que nous l'avions supposé, puisque 
        toutes les toiles, toutes sans exception, ont été enlevées 
        aussitôt qu'exposées. Ceux qui les possèdent conservent 
        jalousement chez eux ces uvres délicieuses où l'harmonieuse 
        nature resplendit, où le sens de la vérité est si 
        exact, si personnel, où, en un mot, chaque coin est définitif 
        ".
 
 Nous ne savons pas grand-chose de plus sur l'existence apparemment paisible 
        et sans tapage de cet artiste dont les oeuvres ont leur place parmi les 
        meilleurs peintres de l'Algérie. La prestigieuse revue Mercure 
        de France affirmait en 1923 : " Les oeuvres de Gadan, subtil interprète 
        des nuances de lumière dans une Algérie pastorale, sont 
        beaucoup mieux répandues dans la métropole que comprises 
        et estimées dans son pays " (  
        Mercure de France, 1er sept. 1923.). Il est pourtant certain 
        que de nos jours, les collectionneurs originaires d'Algérie, comme 
        les amateurs de peinture " orientaliste ", se disputent ce paysagiste 
        que l'on ne cesse de redécouvrir.
 
 Régulièrement présents dans les ventes orientalistes, 
        ses tableaux s'arrachent parfois à prix d'or, tant ils évoquent 
        avec charme l'image d'une nature inoubliable.
 
 Après la mort d'Antoine Gadan, à Bône, un buste modelé 
        par son gendre, le sculpteur algérien Ernest Popineau ( 
        Décédé à Paris en 1951.) fut érigé 
        dans le petit square Randon proche de sa demeure, louable tribut à 
        la mémoire d'un artiste qui ne recherchait pas la gloire, mais 
        trouvait toute satisfaction dans le bonheur de peindre ce qu'il aimait, 
        et de plaire à ses amateurs. Parmi ceux-ci, le maire de la ville, 
        qui avait choisi plusieurs de ses tableaux pour décorer son bureau 
        : deux d'entre eux s'y trouvaient encore en 2005, selon un visiteur algérianiste.
 
 Dans les collections du musée Gustave Mercier de Constantine, au 
        moins cinq toiles de Gadan témoignaient de son art voué 
        au pays, de son vivant, dans les années 1910. Trois d'entre elles 
        ont été recensées par les services du Musée 
        Cirta en 2005: " Le moulin abandonné " (l'intérieur 
        d'un moulin avec cinq personnages et deux petits ânes), " La 
        cueillette des olives " (une femme et une fillette en robes de couleurs 
        vives contrastant avec la verdure, un groupe d'hommes en burnous blanc 
        parmi les arbres), ainsi qu'un très grand " Portrait " 
        de fillette européenne blonde aux yeux bleus, au regard intense. 
        D'autres toiles ont été repérées dans la réserve 
        du musée, mais ne sont pas encore répertoriées.
 
 Le musée national des Beaux-Arts d'Alger avait reçu à 
        la mort de l'artiste un don de sa fille, Mme Popineau, consistant en cinq 
        peintures à l'huile. Elles figuraient toutes au catalogue établi 
        par Jean Alazard en 1939, et sont toujours présentes dans celui 
        de 1995 (Catalogue des peintures, dessins 
        et gravures (Ecoles européennes du xn.7' siècle à 
        1960) du Musée national des Beaux-Arts, par Mahammed-Orfali Dalila 
        ", Alger, 1995, p. 228.) : " Environs de Bône, 
        les oliviers ", " Paysage couvert à Mandia " (Tunisie), 
        " Environs de Bône ", " Environs de Biskra ", 
        " Plaine de Bône ".
 
 En ce qui concerne les collections des musées français, 
        L'Afrique du Nord illustrée annonçait le 21 décembre 
        1935, à la suite de l'exposition du Pavillon de Marsan dans laquelle 
        " ni Noiré ni Gadan n'avaient trouvé leur place ", 
        que l'oubli était réparé pour ce dernier, et que 
        cinq de ses études prenaient place au musée des Colonies, 
        Porte Dorée à Paris. Trois tableaux d'Antoine Gadan sont 
        en effet répertoriés dans les collections " Histoire 
        " du Musée du Quai Branly, qui a récupéré 
        un grand nombre d'oeuvres de l'ancien Musée national des arts d'Afrique 
        et d'Océanie : " Village en Algérie ", " 
        Paysage du Sud algérien ", " Oued en Algérie ". 
        Il s'agit également de dons de Mme Popineau.
 
 Les visiteurs de la belle exposition " Lumineuse Algérie sous 
        le regard des peintres de marines " qui eut lieu en 2003 dans le 
        cadre du Musée national de la Marine à Toulon, ont pu admirer 
        une très belle toile appartenant à cette institution, " 
        Femmes à la rivière " (Le 
        tableau est reproduit en page 11 du catalogue de l'exposition (12 juin-15 
        déc. 2003). Elle représente une scène 
        du Sud que beaucoup d'autres peintres ont illustrée, mais le traitement 
        incomparable de la lumière par Antoine Gadan n'appartient qu'à 
        lui.
 
 Ces derniers tableaux, tous consacrés au Sud, démontrent 
        l'étendue des registres d'Antoine Gadan, peintre de Bône 
        et du Constantinois.
 
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