La poterie modelée 
          d'Afrique du Nord dite poterie " kabyle " (quatrième 
          partie)
          (note du site : je n'ai pas inséré 
          toutes les illustrations. Voir PDF)
        5. Styles régionaux 
          (suite)
        
          
            |  fig. 35 : Grande Kabylie Jean Couranjou
 | 
        
        55.- Grande Kabylie 
          (fig.35)*
          *Note du Déjanté : Pour 
          les figures, se reporter au PDF.Merci.
          
          La Grande Kabylie, haut lieu de la poterie modelée, rurale et 
          féminine, est à ce titre si réputée qu'elle 
          éclipse la production des autres régions, désignée 
          à tort comme " kabyle ". Parmi les nombreuses zones 
          de toute cette région se distin- guant par leur style, je ne 
          traiterai pas ici la Kabylie maritime.
          
               551. Zone occidentale 
          : Oued Isser
          
          Notre progression toujours vers l'est, nous amène à franchir 
          les gorges 
          de Palestro, de plus en plus serrées verticalement, 
          abruptes dans le calcaire à la paroi duquel les buissons s'accrochent, 
          tandis qu'en contrebas, lisser coule ses teintes d'ocre. Nous sommes 
          dans les marges ouest de la Grande Kabylie où sont confectionnées 
          des poteries dont les différents styles du sud au nord de Visser, 
          annoncent ceux du coeur de la Grande Kabylie toute proche.
          
          Nous n'examinons que l'un de ces styles, celui de la zone qui en est 
          la plus voisine, c'est-à-dire la plus septentrionale, juste au 
          nord de Tizi-Renif.
          
          Invariablement les pichets présentent une panse sphéroïde 
          (fig. 36 et 37). Toujours sur engobe blanc, le décor est très 
          caractéristique, la surface des pièces verticales est 
          divisée horizontalement en deux ou trois étages, parfois 
          plus (fig. 37) séparés entre eux par une fine bande brun- 
          rouge, le plus souvent cernée de noir de chaque côté; 
          ces bandes annoncent celles, plus larges, horizontales et verticales, 
          qui dans le tout proche nord-ouest du coeur de la Grande Kabylie, jouent 
          le même rôle. Mais ici les séparations verticales 
          à l'intérieur de chacun de ces étages sont facultatives 
          et faites de fines lignes noires ; elles déterminent des fenêtres; 
          celles-ci sont décorées intérieurement de motifs 
          formés d'assez nombreuses lignes parallèles la plupart 
          noires, quelques-unes brun- rouge; ce sont des triangles composés, 
          en particulier sabliers et croix de Malte au remplissage divers, très 
          caractéristiques de cette région. Pour les plats, les 
          croix de Malte peuvent être coalescentes (fig. 38). Le vernis 
          est général.
          
               552. Djurdjura
          
          D'ouest en est, sur quarante kilomètres, la chaîne du Djurdjura 
          limite la Grande Kabylie, côté sud (fig. 39). Elle déploie 
          sa barrière couverte de neige jusqu'en juin, faisant miroiter 
          sa blancheur lointaine dans les lumineuses journées d'hiver algéroises. 
          Son impressionnant relief de pitons aigus et de crêtes dentelées 
          habille ses flancs de cèdres séculaires et de pins sapo. 
          
          (Fig. 37 - Décor de la panse d'un pichet de la zone de Tizi-Renif 
          (détale (coll. Pages).
          
                    5521. 
          Versant sud du Djurdjura. 
          Pour ce qui est de la forme des pichets, on retiendra certaines caractéristiques 
          (fig. 40), en particulier la rupture de la ligne du profil de la panse, 
          formant ainsi une arête parfois très basse comme dans le 
          pichet de gauche (fig. 40), la section aplatie, et non circulaire, du 
          tube à pont et plus encore du pont lui-même toujours en 
          position oblique pour les pichets de cette région. Les motifs 
          ne sont pas enfermés dans des fenêtres; sur engobe blanc, 
          le décor est en grande partie constitué de faisceaux de 
          lignes parallèles noires où intervient discrètement 
          le brun-rouge. 
          
          Souvent deux faisceaux de lignes noires parallèles bordés 
          à l'extérieur de festons plus ou moins savants, ménagent 
          entre eux des motifs pouvant être: petits festons de différentes 
          natures, damiers, superposition de petits triangles. La décora- 
          tion des pichets se prolonge sur la partie visible de l'intérieur. 
          Un autre trait caractéristique est la ligne noire sur chacun 
          des côtés du tube, se poursuivant sur la totalité 
          du pont. Chez certaines tribus, le décor de lignes noires parallèles 
          peut devenir très important et dense au point de noircir une 
          grande partie de la surface, voire sa quasi totalité. Le vernis 
          est général.
          
          Voici les appellations de quelques motifs de base sur le versant sud 
          du Djurdjura: la poutre faîtière, les griffes de la 
          panthère, le chemin, les cornes du vent, les dents du veau, le 
          mille-pattes (littéralement le feu du vent (2)), l'oeil 
          du chardonneret.
          
                    5522. 
          Versant nord du Djurdjura. 
          Le versant nord du Djurdjura abrite dans ses vallées, des tribus 
          en contact avec la région de Palestro à l'ouest, et surtout 
          la sous-région centrale au nord-est. Mais au nord- ouest, apparaît 
          une étanchéité correspondant à la dépression 
          de Tizi- Renif à Boghni, avec ses centres créés 
          par les Européens et coïncidant avec la limite de la confédération 
          des Igouchdal.
          Formes et décors des poteries sont assez bien définis 
          (fig. 41), mais les styles cependant caractéristiques, évoluent 
          insensiblement du sud au nord; ceux du sud sont naturelle- ment les 
          plus apparentés à ceux du versant sud qui vient d'être 
          vu au point qu'il n'est pas toujours facile de les en distinguer.
          
          Sur engobe blanc, les motifs sont en noir agrémentés de 
          brun-rouge; comme sur le versant sud, les faisceaux de lignes tiennent 
          une grande place mais cette fois les triangles apparaissent.
          
          Chez les Aït Smail, les triangles prennent toute leur importance. 
          Ils sont limités là encore par des lignes parallèles. 
          Généralement de grande taille et pointe vers le bas, ils 
          sont souvent décorés intérieurement de damiers. 
          Dans le champ du décor, des séparations verticales et 
          hori- zontales sont encore constituées des inévitables 
          faisceaux de lignes noires. Les anses et le bord supérieur des 
          poteries sont brun-rouge.
          
          Pour la partie la plus septentrionale du versant nord, un style transitoire 
          entre elle et la sous-région centrale en contact avec elle, apparaît 
          chez les Ait Bou Addou et les AU Mendès, ce qui ne permet pas 
          une délimitation géographique précise. Ainsi, comme 
          dans les zones qui suivent, les motifs sont enfermés dans des 
          fenêtres délimitées par des bandes horizontales 
          et verticales brun-rouge (fig. 42).
          
               553. Coeur de 
          la Grande Kabylie (fig. 39)
        
          
            |  (fig. 39) 
                Coeur de la Grande Kabylie | 
        
        Le coeur de la Grande Kabylie déploie 
          son relief de pittoresques montagnes appuyées au sud sur le Djudjura. 
          Cette zone est limitée au nord et à l'est, par l'oued 
          Sebaou, à l'ouest par l'oued Ksari. Dans ces lieux au relief 
          mouvementé, on confectionne une poterie dont le style varie assez 
          d'une vallée ou d'un versant à l'autre pour qu'il soit 
          généralement facile de les localiser; mais la transition 
          est parfois si pro- gressive que les limites entre ces zones peuvent 
          rester confuses et que des styles intermédiaires ne permet- tent 
          pas toujours de préciser de façon certaine l'origine d'une 
          pièce isolée.
          
          En fonction des styles, reprenant à Peu de choses près 
          la nomenclature de Balfet, je distinguerai quatre sous-régions 
          : le nord-ouest, le nord- est, et, enserré entre ces deux sous- 
          régions et le versant nord du Djurdjura et influencées 
          par elles, le
          centre; à l'extrême nord-est, les Ait Khellili.
          
                    5531. 
          Nord-Ouest:des Bou Mahni aux Aït Douala 
          
          La sous-région du nord-ouest, des Bou Mahni aux Ait Douala, se 
          situe au sud de Tizi-Ouzou, nom signi- fiant col des calycotomes, le 
          calycoto- me étant un genêt épineux. Le style des 
          poteries s'apparente à celui qui a été vu au nord 
          de Tizi-Renif, à l'ouest, et beaucoup plus à celui des 
          sous-régions de Grande Kabylie qui lui sont voisines: le nord-est 
          et le centre; ainsi le style des Ait Aissi dans la partie est de cette 
          sous- région n'est-il pas séparable de celui des Ait Mahmoud 
          de la sous-région centrale. Avec cette dernière, il n'est 
          pas possible de tracer une réelle limite.
          
          Dans cette sous-région, les poteries sont engobées en 
          deux tons sur la totalité de la surface: un fond blanc coupé 
          de larges bandes brun-rouge horizontales et verticales ménageant 
          des fenêtres quadrangulaires renfer- ment le décor (fig. 
          43). La bande brun-rouge horizontale la plus éle- vée 
          intéresse le sommet de la pote- rie, ainsi toujours brun-rouge. 
          Le pourtour des bandes brun-rouge est cerné d'une large ligne 
          brune accom- pagnée dans le blanc de deux fines lignes brunes 
          parallèles. Accessoirement, les bandes brun- rouge sont elles-mêmes 
          décorées en blanc, de points, de pastilles, de traits 
          (fig. 43) ou de chevrons. Ce sont là les traits communs à 
          toutes ces poteries, mais dans cette sous- région, coexistent 
          en réalité deux styles différant à la fois 
          par la forme des pièces (fig. 44) et par le décor. Je 
          les appellerai respectivement le rouge et brun, et le rouge à 
          festons.
          
          Le style rouge et brun concerne surtout la partie centrale et 
          orientale de cette sous-région (fig. 43, 44, 45 et 46); le profil 
          des pièces verticales est souple, ne montrant pas de ressaut 
          marqué, tout au plus léger au niveau de l'attache supérieure 
          de l'anse ou du tube à pont. Les motifs dérivent le plus 
          souvent de triangles aux contours en brun, renfermant des remplissages 
          où rouge et brun se côtoient. Les poteries en rouge et 
          brun sont toujours vernies.
          
          L'autre style, le rouge à festons, est plus répandu 
          dans l'ouest et le nord de la sous-région. Cette fois le profil 
          n'est plus fait d'une ligne courbe régulière mais d'une 
          suite de droites (fig. 44); ainsi les amphores, à anses petites 
          contrairement à celles des amphores rouge et brun, montrent un 
          profil fait schématiquement de trois droites, le passage de l'une 
          à l'autre étant marqué par une modification brutale 
          du diamètre, formant à ce niveau un bourrelet suivi d'un 
          resserrement (fig. 44 et 48). Il en est de même pour les pichets, 
          souvent faits de la superposition de différents volumes, soit 
          une base grossièrement hémisphérique, un saut de 
          profil et un tronc de cône (fig. 44 et 47); un troisième 
          étage peut exister, séparé du précédent 
          par un fort étranglement (fig. 47). Ici le brun n'apparaît 
          que pour cerner la fenêtre, car les motifs qui s'y trouvent sont 
          entièrement rouges. Plus simples en général que 
          ceux des poteries du style précédent, ils sont toujours 
          bordés de festons pleins, caractéristiques de ce style 
          (fig. 49). Autre différence, contrairement aux précédentes, 
          les poteries en rouge à festons ne sont pas vernies; ainsi non 
          ocrées par le louk, les teintes s'opposent davantage. De plus, 
          le rouge est très brillant grâce à un polissage 
          prolongé qui accroît encore l'opposition au mat du blanc 
          qui le jouxte. L'effet décoratif est très réussi.
          
          On pourrait se demander pourquoi n'avoir pas divisé cette sous-région 
          en deux parties correspondant à chacun des deux styles. C'est 
          qu'en fait ils sont relativement mêlés dans l'espace comme 
          le montrent certaines pièces associant la forme de l'un des styles 
          et le décor de l'autre (fig. 50). Pour en terminer avec cette 
          intéres- sante sous-région, quelques appella- tions des 
          motifs et leur signification à Ait Mesbah chez les Ait Douala: 
          de ceux de ses proches voisins; ainsi entre le 
          style des Aït Mahmoud et celui des Aït Aissi. Dans l'intérieur, 
          le style peut varier dans une même tribu, un même village, 
          mais il reste constant dans l'ensemble de la sous- région.
          
          Le style fait des emprunts aux trois sous-régions des alentours. 
          Le plus fréquemment, les formes sont proches de celles de la 
          sous-région du nord-ouest; on y trouve les profils souples du 
          style rouge et brun et ceux rompus du style rouge à festons y 
          compris la présence du bulbe de ce même style (fig. 51). 
          Comme pour ce dernier, le vernis est toujours absent. Comme dans le 
          nord-ouest, les motifs sont enfermés dans des fenêtres 
          blanches délimitées par de larges bandes rouges horizontales 
          et verticales, mais cette fois très larges comme dans la sous-région 
          du nord- est. Quant aux motifs, ils sont très apparentés 
          à ceux de la sous-région du sud, le versant nord du Djurdjura 
          (fig. 52): en effet, les faisceaux de lignes parallèles prédominent, 
          aussi bien pour border les triangles, qu'à la verticale constituant 
          des sépara- tions sur l'étage. Mais comme plus au sud, 
          dans le versant sud du Djurdjura, une ligne noire s'échappe de 
          la panse pour remonter tout au long de l'accessoire, généralement 
          ici l'anse. Toutefois une personnalité apparaît: la présence 
          sur les bandes rouges, de motifs cette fois bruns, souvent des lignes 
          parallèles; et le gros trait délimitant les fenêtres 
          n'est ici doublé que par une ligne unique, et non pas double 
          comme dans la sous-région du nord-ouest.
          
                    5534. 
          Les Ait Khellili
          
          À propos de la poterie commercialisée, j'ai déjà 
          parlé des Aït Khellili, à l'extrême nord-est.
          
          Cette tribu assez spécialisée dans ce type de production, 
          confectionne des pièces modelées dont j'ai indiqué 
          l'excellente qualité. Ces poteries pansues, jamais vernies, de 
          couleur naturelle rouge sombre, constellées de paillettes de 
          mica apportées par le dégraissant utilisé, portent 
          un décor sommaire; sur fond beige fait d'une large zone ou de 
          bandes, sont tracés en brun des triangles grossiers ou le plus 
          souvent de longues arêtes de poisson.
          (À suivre)
          
          Note:
          1- Voir l'algérianiste n° 
          96, 97 
          et 99.
          2- Le myriapode (mille-pattes) est censé éteindre le vent 
          c'est-à-dire la discorde (Devulder).