Qui, en Afrique du Nord, n'a eu l'occasion de découvrir 
          ces poteries campagnardes, souvent dites en Algérie et de façon 
          restrictive, kabyles ? On peut voir, en effet, en Grande et Petite Kabylie, 
          sur le chemin de la fontaine, ces femmes portant sur leur dos, l'amphore 
          décorée ou non (fig. 1). Mais ces scènes se retrouvent 
          dans les trois pays, car loin de se cantonner à la Kabylie, je 
          devrais dire aux Kabylies, ces poteries rustiques au sens premier Cu 
          terme puisque précisément, elles sont exclusivement rurales, 
          sont confectionnées d'un bout à l'autre de l'Afrique du 
          Nord sans presque de solutions de continuité géographique 
          (fig. 2). Certains les ont peut-être regardées avec désintérêt, 
          voire avec dédain. D'autres en ont acquis au hasard de leurs 
          pérégrinations. Il en est qui les ont considérées 
          avec curiosité, voire avec intérêt, au point même 
          de les collectionner, de s'y attacher et d'essayer d'en savoir plus, 
          notamment grâce aux rares travaux de quelques chercheurs en la 
          matière.
          
          C'est mon cas depuis de longues années. A force de " chine 
          " et grâce à la générosité de 
          quelques amis, j'ai réuni d'une part, une collection de pièces 
          représentant à peu près les diverses régions 
          d'Algérie (et quelques-unes des deux pays voisins), d'autre part, 
          un certain nombre du peu d'ouvrages et d'articles de revues spécialisées,traitant 
          tel ou tel aspect du sujet. A partir des éléments sérieux 
          de connaissance que j'ai pu rassembler, j'ai regroupé et ordonné 
          l'ensemble des questions relatives à ces poteries dans un diaporama 
          que j'ai réalisé et présenté par ailleurs. 
          Le texte qui suit en est une adaptation. Il m'est agréable de 
          faire ainsi partager les résultais et les joies de plus de trente 
          ans de cueillettes aléatoires. Mais je ne suis ni vraiment spécialiste, 
          ni réellement chercheur en la matière. Je n'ai, en effet, 
          jamais opéré sur le terrain, comme il se doit pour cela, 
          si ce n'est celui des marchés aux puces, des brocantes et autres 
          hôtels des ventes; et mes modestes recherches, surtout livresques, 
          se sont essentiellement limitées à localiser (ou au moins 
          essayer de le faire) la provenance des pièces acquises, tout 
          au plus à approfondir les connaissances des styles régionaux.
          
          Au cours de la période française, divers auteurs ont étudié 
          cette poterie campagnarde d'Afrique du Nord : ethnologues professionnels 
          ou amateurs éclairés, et surtout archéologues; 
          ces derniers, pouvaient ainsi étudier, si j'ose dire, in vivo, 
          des techniques du passé pré ou protohistorique, survivances 
          de la nuit des temps. Toutes qualifications confondues, ce sont surtout 
          Van Gennep dans les années dix et vingt; Gobert pour la Tunisie 
          dans les années quarante; Hélène Balfet dans les 
          années cinquante à soixante-dix pour l'Algérie; 
          Camps dans les années cinquante et soixante.
          
          D'autres ont suivi comme Hakenjos dans les années quatre-vingt 
          pour l'ensemble de la céramique marocaine; Véronique Fayolle 
          dans les années quatre-vingt-dix pour la poterie modelée 
          de Tunisie. Divers auteurs ont apporté aussi leur contribution 
          comme Roubet dans les années soixante pour la Kabylie, et, dans 
          les années soixante-dix, Gatineau pour la Tunisie, Delpy pour 
          le Maroc, Musso pour la poterie votive de Grande Kabylie. Naturellement, 
          on ne peut passer sous silence l'ethnologue Servier qui a étudié 
          sur le terrain dans les années cinquante, les murs et les 
          coutumes de très nombreuses régions d'Algérie. 
          C'est à partir de ces études menées sur une grande 
          partie du territoire des trois pays, qu'a été synthétisé 
          ce qui suit et auquel j'ai apporté ma modeste contribution.
          
          1. Comparaison visuelle avec les poteries manufacturées 
          du Maghreb
        
          
            |  
                3. Comparaison des différents types de poterie confectionnées 
                en Afrique du Nord 
                (A : faïence de Fes du XVIIIe; B: faïence de Djerba 
                actuelle; C : poterie brute de Tunisie; D : poterie 
                traditionnelle de l'Est algérien).
               | 
        
        Pour éviter toute confusion, il convient de distinguer 
          la poterie campagnarde de celles manufacturées, également 
          nord-africaines (fig. 3). Ces dernières sont représentées 
          par des pièces de divers types. Les belles faïences de forme 
          sont les plus élaborées, en particulier celles de Fès 
          (17e et 18e, fig. 3A), recherchées par les collectionneurs, et 
          aujourd'hui celles de Safi et celles de Nabeul. La poterie émaillée 
          à fond jaune et motifs plus simples (fig. 3B), confectionnée 
          à Djerba et à Nabeul, est plus ordinaire. Enfin, la Tunisie 
          produit en nombre des amphores, cruches et gargoulettes en terre nue 
          (fig. 3C). Ce sont là les principales formes; il en existe d'autres. 
          Faïence et poterie émaillée présentent une 
          vive polychromie, tandis que la poterie campagnarde qui nous intéresse 
          ici (fig. 3 D), se cantonne dans les teintes naturelles des terres. 
          En outre, à la différence des autres qui, elles, sont 
          cuites à hautes températures dans les fours spécialement 
          conçus, elle présente généralement sur la 
          surface, une zone noircie, témoignant d'une cuisson précaire 
          et fruste. Le décor diffère passablement; à la 
          souplesse et à la curvilinéarité de ceux des poteries 
          industrielles, s'oppose la rectilinéarité caractéristique 
          de celui de la poterie campagnarde. Une constante est la progressivité 
          du passage des appendices, comme l'anse au corps de la poterie, résultant 
          en un profil sans rupture de courbe, contrairement à celui des 
          pièces manufacturées. On peut observer une certaine irrégularité 
          dans le profil ou dans l'aplomb ; celle de la rotondité de la 
          forme témoigne d'une confection sans l'usage de l'instrument 
          du potier : le tour. C'est que, contrairement aux trois autres types 
          de poteries, la campagnarde ne sort pas des mains du professionnel mais 
          uniquement de celles des femmes de la maison pour leurs besoins propres; 
          on verra qu'elles ne sont pas tournées mais modelées. 
          Contrairement à celles du potier (et du faïencier), traditionnellement, 
          ces poteries ne sont donc pas destinées à la vente et, 
          sauf exceptions, ne font pas l'objet d'un commerce. 
        
           
            |  | poteries manufacturées | poterie campagnarde | 
           
            | mode de confection | tournage  | modelage | 
           
            | matière et teintes du 
                décor | faïence  | minérale (terres, pierres) 
                ou végétale (ocres, brun, noir) | 
           
            | motifs | souples et curvilignes | très généralement 
                rectilignes | 
           
            | cuisson  | en four à haute température | précaire, en bûcher 
                primitif, laissant des plages noires | 
           
            | main uvre | professionnelle masculine  | domestique féminine | 
           
            | destination  | commerciale | personnelle (exceptionnellement 
                commerciale) | 
           
            | lieux de production | rares et localisés, urbains 
                 | multiples, ruraux | 
           
            | rythme de production | journalier | saisonnier (sauf exceptions) | 
        
        Les poteries manufacturées, elles, sortent journellement 
          d'ateliers en nombre limité et souvent urbains comme c'est le 
          cas à Djerba pour lapoterie brute ou à Safi pour celle 
          de faïence. Au contraire, les poteries campagnardes sont habituellement 
          confectionnées, au moins en Algérie, à une seule 
          période de l'année, et comme je l'ai dit, de façon 
          quasi continue, d'un bout à l'autre de l'Afrique du Nord.
          
        Ainsi pour différencier les poteries qui nous 
          intéressent- ici des autres poteries nord-africaines, peut-on 
          les désigner aussi bien comme traditionnelles, ou rurales, ou 
          féminines, ou modelées (terme qui leur est généralement 
          consacré); de plus les modèles sont représentatifs, 
          par leur forme et surtout leur décor de la tribu et Dieu sait 
          que leur nombre est élevé.
          
        Il conviendrait d'ajouter ici un autre type de poterie 
          campagnarde, distincte de celle qui nous intéresse et qui, pour 
          cette raison, n'est pas traitée ici. Non pas modelée mais 
          moulée, elle est confectionnée au Maroc par les hommes 
          dans la zone sud de celle intéressant la poterie modelée. 
          Après avoir distingué la poterie modelée des autres 
          poteries nord- africaines, nous allons en examiner successivement la 
          confection, les règles générales qui en régissent 
          la décoration, les diverses formes réalisées, pour 
          terminer avec les différents styles selon les régions. 
          Au long de cette analyse qui sera fractionnée en plusieurs sections, 
          l'Algérie sera mise au premier plan, l'extension aux deux autres 
          pays ayant pour but de mettre en relief l'homogénéité 
          des principes régissant cette production dans toute l'Afrique 
          du Nord.
        2. Confection : techniques 
          et instruments
        C'est donc au même titre que la quête de 
          l'eau, les travaux domestiques et les activités culinaires, que 
          la confection des poteries modelées est une occupation strictement 
          féminine.
          
        Techniques et instruments varient quelque peu selon 
          les régions. Traditionnellement, dès la fin avril, les 
          femmes du village entreprennent la confection des pièces qui 
          vont servir aux différents besoins de la maison et du culte, 
          en remplacement de celles de l'année précédente 
          dont le nombre et la qualité ont subi les atteintes dues a leur 
          grande fragilité. Ce sera l'occasion pour les petites filles 
          d'acquérir auprès des anciennes, la formation nécessaire 
          à ce travail qui va durer plusieurs semaines. Dans certaines 
          tribus de Grande Kabylie, on leur fait consommer l'oeil grillé 
          du mouton pour l'acquisition du sens artistique nécessaire à 
          la décoration (Servier).
          
          La récolte de la terre est la première préoccupation. 
          Le plus souvent, chaque douar a ses gisements, dont les filons à 
          flanc de pente ou d'oued sont connus; parfois leur emplacement constitue 
          un secret bien tenu; le creusement d'un puits peut être une source 
          occasionnelle de matière première. Par nécessité 
          ou par choix pour les poteries particulièrement fines, la terre 
          peut être amenée de loin. Une fois extraite, avec l'aide 
          éventuelle d'un homme de la famille, elle est transportée 
          dans les chouari à dos d'âne jusque devant la maison. Elle 
          est broyée au rouleau, débarrassée de ses impuretés 
          (cailloux, racines) et tamisée avant d'être humectée 
          ou laissée quelques jours à la pluie; c'est l'opération 
          du pourrissage, préparation indispensable bien connue des potiers, 
          qui va donner la souplesse nécessaire. Mais une terre trop grasse, 
          outre qu'elle risque de se montrer difficile en collant à la 
          main, se fendra ensuite à la cuisson. Il faut donc procéder 
          au dégraissage, technique qui consiste à incorporer en 
          proportion convenable (souvent autour d'un tiers) une matière 
          non plastique préalablement finement pilée. Dans la plupart 
          des régions, il s'agit de tessons de vieilles poteries; c'est 
          la chamotte ou tafoun des Tunisiennes. On peut d'ailleurs, en Kabylie, 
          trouver près des habitations, des broyeurs primitifs pour tessons 
          ou, selon la saison, pour olives; ce sont des rochers presentant une 
          légère dépression en cuvette sur laquelle est posé 
          un pros galet (Musso). Dans d'autres regions de Tunisie, on utilise 
          la calcite broyée directement ou après passage au four; 
          mais ailleurs (Ouarsenis, sud de Tlemcen, Aït Khelilli de Grande 
          Kabylie), le sable remplit cet office; chez les Aït Khelilli, riche 
          en mica, il donne aux pièces leur éclat particulier.
        
          
            |  
                5. Confection du colombin.  | 
        
        La terre prête, la confection peut commencer. 
          La potière prépare le nécessaire : argile dans 
          des couffins, jarres d'eau, barbotine et supports. Dès lors, 
          les opérations vont se dérouler au sol sur lequel on commence 
          par disposer autant de supports, le plus souvent ronds (kafeb en Tunisie, 
          rotala dans le Rif...) qu'il y aura de pièces à confectionner. 
          Selon le cas et la région, en bois, en liège, en terre 
          cuite, ou en bouse de vache pétrie et durcie, parfois surélevé 
          sur un plat retourné, le support va servir de base à l'objet 
          à élaborer; il pourra de temps en temps subir une rotation 
          pour éviter à l'opératrice de se deplacer autour 
          de la poterie au cours du travail; mais rien à voir avec le tour 
          ni même avec la tournette, instrument intermédiaire pouvant 
          tourner sur un axe mais sans mécanisme moteur. Le support n'est 
          pas la règle absolue, la confection pouvant se faire à 
          même le sol, pourvu qu'il soit plat et après qu'il ait 
          été sablé pour éviter l'adhérence. 
          De même avant usage, le support est saupoudré de sable 
          ou recouvert d'un chiffon ou d'un disque de sparterie.
          
          Une boule de terre est alors confectionnée dont la taille est 
          proportionnelle au diamètre de la poterie à réaliser. 
          Elle est appliquee sur le support et progressivement aplatie à 
          la main, de façon à devenir un disque épais, le 
          plus rond possible. Dans certaines régions, la potière 
          a l'habitude de presser le centre plus que le bord, pour donner dejà 
          à cette première pose une légère forme de 
          récipient, ce qui va surtout faciliter la pose suivante et son 
          adhérence. Au contraire, au Cap Serrat (nord tunisien), l'opératrice 
          forme un sillon périphérique destiné à recevoir 
          l'apport suivant, en l'occurrence le colombin. Le travail se poursuit 
          en effet, par superposition de colombins successifs à partir 
          de la périphérie du disque; leur fixation est assurée 
          par pression (fig. 4). Le colombin est un boudin d'argile, long et régulier, 
          soigneusement obtenu par roulage entre les mains (fig. 5). Tout au long 
          de cette opération, la potière lisse les parois externes 
          en les humidifiant à la main. L'instrument de lissage est l'estèque, 
          lui-même trempé au cours de son usage (fig. 6). La nature 
          de cet instrument toujours assez primitif est le plus souvent une raclette 
          de bois (Sahel et Mogods pour la Tunisie, Kabylie pour l'Algérie...); 
          mais il varie selon les régions : côte de chameau dans 
          le Dahar tunisien, corne de chèvre dans les Traras, couteau dans 
          le Hodna, dos de peigne dans le Zehroun, débris d'empeigne de 
          babouches dans la zone nord-rifaine, morceau de cuir... Bref, tout instrument 
          apte à racler sera adopté de façon à remonter 
          la terre et à en enlever les excédents, tout en maintenant 
          de l'autre main la face interne de la poterie pour éviter l'effondrement 
          de la piece fraîche en cours de réalisation (fig. 6), Ainsi 
          au fur et à mesure, la paroi est régularisée et 
          amincie.
          
          Pour les pièces larges comme les plats et les jattes, l'intérieur, 
          compte tenu de la concavité, est lissé à l'es- 
          tèque souple (découpée dans de vieilles semelles 
          de caoutchouc) en Tunisie aussi bien dans les Mogods que dans le centre. 
          Pour les poteries grossières que sont les kanoun, le polissage 
          peut être fait directement a la main.
          
          Non sans avoir fait subir quelques rotations au support, en confectionnant 
          plusieurs poteries en même temps de façon a laisser se 
          faire un léger séchage au fur et à mesure, progressivement 
          les formes apparaissent au gré de leur réalisatrice avant 
          d'atteindre leur aspect définitif.
          
          Pour les pièces larges comme les plats et les jattes, il ne reste 
          qu'à confectionner la lèvre du bord dont la forme varie 
          selon la région. Les pièces verticales sont à compléter 
          par la pose d'accessoires de préhension et d'écoulement, 
          opérations là encore menées conjointement pour 
          les différents corps de poterie. Nombre de pièces ne comportent 
          qu'un accessoire, celui assurant la préhension ou celui permettant 
          l'écoulement.
          
          L'anse est confectionnée à partir d'un colombin. Pour 
          les pièces de grande taille que sont les amphores a transporter 
          l'eau et pour lesquelles les anses sont soumises à des forces 
          importantes, la technique de fixation est particulière; il s'agit 
          d'un chevillage après perforation du corps de l'amphore, aux 
          deux ou trois points d'attache. Pour les poteries de tailles plus modestes, 
          la fixation se fait à la barbotine, c'est-à- dire une 
          terre plus mouillée. Les récipients très pansus 
          que sont les pots à lait (halleb), sont munis d'une sorte d'anse 
          de panier fixée au-dessus de la très large ouverture du 
          pot (fig. 7A). Sa confection nécessite la pose préalable 
          d'un bâtonnet pour supporter le colombin. Dans tous les cas, dans 
          la zone de contact de l'anse avec le corps de la poterie, un ajout de 
          terre convenablement lissée renforce la fixation et donne à 
          ces poteries modelées un aspect particulier comme on le verra 
          aussi pour les tubes d'écoulement.
          
          Les accessoires d'écoulement peuvent compléter les récipients 
          verticaux. Ils prolongent toujours une perforation dans la panse, faite 
          avant fixation. Ils sont de deux sortes : le bec tubulaire court, plus 
          ou moins large, éventuellement évasé; pour les 
          pots pansus que sont les halleb (fig. 7A), le tube à pont pour 
          les autres (fig. 7B). Dans les deux cas, après que l'ouverture 
          ait été pratiquée dans la panse, la potière 
          roule un colombin a la taille correspondante, qu'elle perce progressivement 
          de part en part dans sa longueur par un bâtonnet. Pour le bec 
          tubulaire court, une fois la fixation assurée, on procède 
          du doigt mouillé, au lissage de la paroi interne et dans certains 
          cas, à l'évasement du bord. Le tube d'écoulement, 
          beaucoup plus long, nécessi?
          te l'adjonction à la partie supérieure, d'un pont le reliant 
          au col. Dans les deux cas, comme pour les anses, un ajout de terre convenablement 
          lissé assure aux points d'insertion, une bonne transition avec 
          le corps de la poterie : à ce niveau, la souplesse du profil 
          qui en résulte caractérise la silhouette de la poterie 
          modelée, la différenciant de celle de la poterie tournée 
          (fig. 7). Le tube à pont peut servir d'anse et d'accroche à 
          un clou mural; aussi les auteurs le dénomment-ils souvent anse 
          à pont. D'autres accessoires peuvent être mis en place, 
          les uns nécessaires : oreilles de préhension, repose-marmite 
          de kanoun, pointe de tajin..., les autres, décorations propres 
          à la région : ergot sur l'anse, téton de panse...
          
          Nombre de poteries rituelles comportent un pied creux tronconique. Il 
          est confectionné à part au colombin, ouvert sur son grand 
          diamètre de base et fixé par son extrémité 
          étroite au corps de la pièce; l'ensemble reposera sur 
          la partie large du pied. Si la forme du corps de la pièce avant 
          confection du pied permet de le poser retourné sur le sol, il 
          est utilisé dans cette position comme support pour le modelage 
          du pied...
        
          
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                10. Polissage final, ici à la coque de bivalve.  | 
        
        
          
          La confection est terminée; le décor en relief peut être 
          réalisé. Cette pratique n'intéresse que les pièces 
          à feu (kanoun, marmites) et encore dans quelques régions 
          seulement (fig. 8). Dans l'Aurès où le décor peint 
          est rare, elle est plus généralisée. Le décor 
          en relief est obtenu, avant une déshumidification trop poussée, 
          à partir de boulettes ou de colombins éventuellement moulés 
          au doigt. Le décor en creux par impressions fines, lui, est fait 
          à l'estèque ou à la pointe de roseau, selon les 
          régions. Après ces opérations, on procède 
          au lissage, traitement de surface par passage léger des mains 
          trempées dans l'eau ou mieux dans la barbotine, suivi dans certaines 
          régions, par le passage d'un linge mouillé. La surface 
          interne peut être lissée de la même manière 
          si les dimensions du goulot sont suffisantes, ou à la cuiller 
          en cas contraire, mais généralement elle est laissée 
          en l'état. Le lissage peut être complété 
          par un polissage mais le plus souvent celui-ci est pratiqué après 
          l'engobage.
          
          Puis c'est l'engobage, pratique très répandue, sauf dans 
          certaines régions en particulier Rif et Zehroun au Maroc, et 
          Monts des Traras dans l'extrême ouest algérien. Il consiste 
          à enrober tout ou partie de la poterie, de l'engobe (fig. 9), 
          colorant obtenu en délayant après broyage soit une marne 
          blanche, soit une argile ferrique pour le roue. L'engobage se fait directement 
          a la main ou au moyen d'une boule de laine, d'un tampon de tissu ou 
          d'un pinceau sommaire. Dans certaines régions, engobes rouge 
          et blanc, combinés en registres, peuvent constituer le seul décor.
          
          Ensuite, au fur et à mesure de la déshumidification, on 
          procèdé en plusieurs fois au polissage final. Pour cela, 
          on utilise les instruments naturels environnants. Le plus utilisé 
          est le galet de rivière (Kabylie, nord-ouest et centre de la 
          Tunisie, Zehroun marocain...), mais il en existe d'autres comme la coque 
          d'un bivalve (fig. 10; zones côtières du nord de la Tunisie...); 
          la coquille d'escargot est utilisée au Maroc (Rif et Zheroun), 
          en Algérie (Aurès, Hodna) et dans une zone du centre de 
          la Tunisie; là, la potière enfile à chacun de ses 
          doigts de la main sauf le pouce, un gros escargot et d'un mouvement 
          ample et semi-circulaire, en frotte la poterie. Ailleurs, on utilise 
          d'autres instruments : rafle d'épi de maïs, cuir, chiffon 
          mouillé... Dans certaines zones de Grande Kabylie, un long polissage 
          permet aux surfaces en rouge d'acquérir un brillant dispensant 
          du vernissage après cuisson.
          Arrivée à un certain niveau de déshydratation, 
          la pièce reçoit la décoration aux colorants d'origine 
          minérale; c'est la plus courante dans l'ensemble de l'Afrique 
          du Nord, beaucoup plus que le décor en relief déjà 
          vu et plus que celui aux colorants végétaux, pratiqué 
          lui, après cuisson.
          
          La décoration d'origine minérale fait appel à des 
          terres ou des pierres broyees, colorées, analogues a celles utilisées 
          pour les engobes; mais la variété dans les teintes est 
          plus large, selon leurs teneurs en colorants, fer et manganèse 
          en particulier, elles donneront après cuisson, des teintes variées 
          : orangés, rouges, bruns de différents tons. Pour réaliser 
          les motifs qui peuvent être très élaborés, 
          l'opératrice qui, souvent fait preuve d'une très grande 
          dextérité, confectionne dans la plupart des régions, 
          un pinceau constitué de poils de chèvre maintenus dans 
          une boulette d'argile qui lui sert de manche (fig. 11); l'épaisseur 
          du pinceau est commandée par la finesse ou la largeur des motifs 
          à réaliser; pour les traits les plus fins, le pinceau 
          peut être remplacé par la pointe du piquant de porc-épic. 
          Pour les traits larges et les pastilles (dites oeufs de tortue en Grande 
          Kabylie), les doigts conviennent. D'autres instruments existent comme 
          en Tunisie, un pinceau plus primitif fait de poils de chèvre 
          maintenus entre le pouce et l'index, et plus précisément 
          dans les Mogods, la tige de lentisque coupée à l'ongle 
          et la plume d'oiseau.
          
          La pièce achevée doit subir un séchage très 
          progressif jusqu'au coeur pour éviter la casse lors de la cuisson; 
          il est pratiqué d'abord à l'ombre le temps nécessaire, 
          puis au soleil. Tous les stades de la confection étant dictés 
          par ceux de la végétation, le rite veut que la poterie 
          dite " verte " mûrisse en même temps que les épis 
          dans les champs, leur maturité déterminant le moment de 
          la cuisson; elle se fait après la moisson et le dépiquage, 
          lorsque le blé lui aussi est sec.
          
          De même qu'elle ignore le tour, la poterie modelée nord-africaine 
          ignore le four. La cuisson est conduite à même le sol dans 
          des installations précaires exigeant de la technique. Dans certains 
          villages, on fait appel à un spécialiste. La strate inférieure 
          est constituée du combustible ; la suivante correspond aux poteries 
          bien calées entre elles, ouverture vers le bas pour une bonne 
          conservation de la chaleur; la troisième strate est représentée 
          par une autre couche de combustible recouvrant entièrement la 
          poterie. Une couche supplémentaire de matériau incombustible 
          (des pierres) ou à combustion lente (raquettes de figuier de 
          Barbarie, bouse séchée) est éventuellement ajoutée 
          pour une meilleure concentration de la chaleur; le feu est entretenu 
          durant deux ou trois heures. Cette technique, la plus primitive, est 
          largement pratiquée d'un bout à l'autre de l'Afrique du 
          Nord (ensemble de la Tunisie; hautes plaines constantinoises, Babors, 
          Kabylie maritime, Djurdjura, Traras, pour l'Algérie; de Fès 
          pour le Maroc). Une amélioration permettant une meilleure conservation 
          de la chaleur est apportée par la construction, autour de l'appareillage, 
          d'un cercle de pierres (centre et sud tunisien), voire même d'une 
          murette (monts de Mâadi, et Kabylie pour l'Algérie, Merkalla 
          notamment, au Maroc). Une amélioration voisine consiste à 
          creuser préalablement le sol (Zheroun au Maroc). 
          
          La plus évoluée des techniques, associe excavation et 
          murette. Quelque soit le dispositif régional, le plus souvent 
          l'alimentation du foyer n'est pas entretenue, la combustion n'est pas 
          contrôlée; ne dépassant pas 500 degrés, elle 
          ne fait qu'éliminer l'eau de constitution. Après quelques 
          heures de cuisson, et tout le temps nécessaire au refroidissement, 
          on retire les poteries qui n'ont pas été fendues ou cassées 
          par suite d'une préparation insuffisante de la terre; elles portent 
          des tâches noires caracteristiques provenant du léchage 
          par les flammes réductrices, faute d'aération. La précarité 
          de la cuisson apparaît nettement lorsque la poterie est brisée 
          : la couche interne, peu cuite, a conservé sa teinte noirâtre 
          (fig. 12). Cette cuisson rudimentaire conduit à une grande fragilité 
          et à une mauvaise étanchéité n'autorisant 
          pas la longue conservation d'un liquide.
          
          Lorsque la poterie est encore suffisamment chaude, on procède 
          au vernissage, pratique ne concernant pas toutes les régions. 
          On utilise à cet effet une résine (le louk) ou plus exactement 
          une gomme gui serait exudée par différentes especes d'arbustes 
          à la suite de la piqûre d'un hémiptère.
          
          La decoration d'origine végétale est pratiquée 
          dans les régions où n'existent pas de colorants minéraux 
          naturels (Zehroun, nord-ouest du Rif, monts des Traras...). De constitution 
          organique, ces colorants sont incapables de résister au feu; 
          ils sont donc appliqués après cuisson. Ces colorants sont 
          de diverses sortes : écorces de pin d'Alep, jus de caroube, écorce 
          de grenade; mais nombre de ces produits qui, dans le temps ont été 
          signalés, semblent aujourd'hui disparaître au profit de 
          ceux du commerce. Cependant, un des plus largement utilisé est 
          extrait du lentisque, cet arbuste odorant caractéristique de 
          la flore nord-africaine. Les feuilles sont pilées au mortier 
          avec quelques gousses fraîches de caroubier et un peu d'eau. On 
          en extrait un jus verdâtre et trouble qui doit être utilisé 
          frais; pour acquérir sa teinte noire brillante, il exige une 
          légère carbonisation; aussi, est-il appliqué sur 
          la poterie cuite, mise à chauffer légèrement au-dessus 
          du kanoun dès l'application. Plus rarement (Tébessa, Algérie), 
          on confectionne un bitume par distillation de bois de résineux. 
          On verra, en particulier avec la poterie des monts des Traras, que ces 
          décors organiques, beaucoup plus fragiles que les minéraux, 
          résistent mal au temps.
        (À suivre)
          Jean Couranjou
          (Dessins et photos de l'auteur)