agriculture et arboriculture en Algérie avant 1962
Le miracle de la vigne
Paul Birebent

Du même auteur:
Sur ce site : Dans les vignes de mon père - extraits du numéro 107, septembre 2004 de "l'Algérianiste",

Hommes, vignes et vins de l'Algérie française aux éditions Gandini.

Paul Birebent, le fondateur de la Worldwide Vineyards
Fondée en 1985, la Worldwide Vineyards s'est progressivement spécialisée dans l'exercice des surgreffages de vignes, par l'introduction de techniques américaines qui ont été adaptées aux climats européens plus tempérés.

Issu d'une famille de 5 générations de vignerons, Paul BIREBENT est né en 1931 en Algérie, dans les coteaux de l'Oranais. C'est sur cette terre qu'il va faire ses premières armes en reprenant l'exploitation familiale. Il quitte ce pays en 1962, pour créer un vignoble de 140 ha en Corse.

Au cours d'un voyage professionnel aux Etats-Unis, en 1981, il va découvrir le surgreffage et ses fantastiques débouchés. Il décide alors de " rapatrier " ces techniques en France pour les étudier, les perfectionner, et les adapter à la viticulture européenne. Il publiera de nombreux articles sur ses travaux de recherches, tout au long de sa carrière.

En 1985, il crée sa société de conseils et services en viticulture et oenologie, Worldwide Vineyards, et développe la pratique du surgreffage.
C'est notamment grâce à lui que se sont développés, à l'époque, les vins de cépages améliorateurs, Chardonnay b., Merlot n. et Cabernet Sauvignon n.

Passionné par le surgreffage, il ira jusqu'à mettre au point une nouvelle technique de greffage à oeil dormant, la « greffe Birebent », qui lui vaudra la Palme d'Or de l'ingéniosité au Sitevi 1988.

Vigneron de talent et pionnier du surgreffage, ce professionnel internationalement reconnu dans le monde viticole, savoure désormais une retraite heureuse, tout en suivant de près la carrière de ses fils.

Paul Birebent, qui vit à présent dans le Sud de la France, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'Algérie et la viticulture. Il est toujours reconnu comme un consultant viticole de grande valeur.

la suite sur "http://www.worldwide-vineyards.com/fr/


extraits du numéro 131, septembre 2010 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
ici, en octobre 2014

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Sur ce site : -La Vigne de la brochure :Les grands secteurs de l' Agriculture algérienne - Édité par le Gouvernement Général - Revu et augmenté par les soins de l'office Algérien d'Action Économique et Touristique - OFALAC - 40 rue d'Isly - Alger - anc.Imp.V.Heintz

Le miracle de la vigne
Paul Birebent

L'Algérie agricole de 1830 était un pays pauvre. Ses habitants répugnaient à tirer profit de ses ressources naturelles. Pour la majorité des Arabes et Berbères, l'économie se limitait à satisfaire leurs besoins immédiats. L'activité essentielle, hors les villes, consistait à cultiver de l'orge et du blé dur et à élever des moutons. Toutes les autres spéculations, arboricoles ou maraîchères, demeuraient secondaires.

La vigne introduite par les Phéniciens et ravagée après la conquête musulmane, n'avait jamais complètement disparu. A la chute de la Régence turque, elle recouvrait environ 2 000 ha, disséminés en petits lopins autour des villes de la côte et de la montagne et des fermes de notables. La production était destinée à la consommation en fruits frais et en raisins secs, et à l'élaboration d'un peu de vin cuit bu sur place et parfois exporté par des navires en transit.

Dans les premières années de la colonisation, les bateaux venus de France et qui ravitaillaient une Algérie improductive, transportaient essentiellement de la farine, du sucre, du riz, du tabac à chiquer et des barriques de vin. Ce vin, jugé indispensable pour le moral et le maintien de la bonne condition physique des troupes, était de piètre qualité et ne se conservait pas. Il en résultait un " empoisonnement général qui brûlait les entrailles sous la double influence de la chaleur et de la soif ".

La " Commission d'Afrique " cependant déconseillait de planter de la vigne pour ne pas concurrencer la production française déjà excédentaire. Elle admettait toutefois que le sol et le climat lui étaient favorables. Quelques colons et maraîchers espagnols s'essayaient, sans grand succès, parce que, sans matériel approprié, à faire du vin à partir de raisins achetés aux indigènes et de plants ramenés d'Europe dans leurs bagages.

C'est après la bataille de l'Isly et le début de la colonisation officielle, militaire d'abord qui se soldait par un échec, puis civile avec la création de villages que, prudemment, commençait la spéculation viticole.

L'un des premiers à en prendre l'initiative était le colonel de Saint-Arnaud qui commandait la subdivision d'Orléansville. " Je ferai continuer mes plantations... je planterai cette année... beaucoup de vignes ". Cela se passait en 1845.

Trois ans plus tard les colons qui débarquaient avec les " convois de 48 " ignoraient où les envoyait l'Etat qui les avait recrutés. Les discours, les affiches officielles étaient floues et mensongères. Pour le plus grand nombre d'entre eux, ils croyaient à la " terre promise " et au " vent du large " et ne pouvaient imaginer de pires conditions que celles qui les attendaient : la brutalité et le mépris des militaires, l'impréparation totale, le provisoire sans limite de temps, l'absence de perspectives économiques, les hésitations et la discipline imposée, l'arbitraire des autorités.

Ayant quitté la France dans le dénuement le plus complet, ils ne pouvaient revenir en arrière. Ils n'avaient pas d'autre choix que de s'accrocher et de tenter l'impossible. Pour nombre d'entre eux, la colonie était un retour à la terre, y compris pour les " Parisiens " originaires des provinces. Ils en avaient été chassés, à une époque ou à une autre, par la tradition de l'héritage au fils aîné, par les incertitudes du métier occasionnel de brassier (quelqu'un qui loue ses bras), les mouvements migratoires vers l'illusion urbaine de l'industrialisation.

A cette époque, le vignoble algérien recouvrait environ 750 ha dont 200 Lins le Sahel algérien, 300 à Mascara et le reste réparti entre Miliana, I lougie, Bône et Oran, alors qu'en France venait d'éclater la première crise viticole, celle de l'oïdium ( Maladie produite par un champignon venu d'Amérique. Elle sera traitée par des poudrages au soufre sec.).

Les convois de 1848, après des premières années difficiles, allaient donner in essor considérable à la vigne. L'administration prenait en effet conscience des possibilités offertes par cette nouvelle culture et décidait de fournir des plants aux colons des centres de colonisation. L'expérience se soldait I Jar un échec mais l'élan était donné.

En 1854, la récolte métropolitaine avait chuté de 54 millions d'hectolitres à 11 millions. Le prix du vin augmentait considérablement et le négoce français s'approvisionnait en vins à l'étranger. L'idée de rendre l'Algérie autosuffisante et pourquoi pas exportatrice, commençait à s'imposer. Les plan- la fions anarchiques des premiers temps se multipliaient mais avec un peu Mus de réflexion: choix des cépages et des expositions, des types de sols et des densités. En 1861, les vignes recensées étaient de l'ordre de 5500 ha, alors que le vignoble métropolitain avait retrouvé sa pleine capacité de production. De nombreux viticulteurs français chassés par la crise, avaient choisi d'émigrer en Algérie. Ils apportaient leur savoir-faire.

Il n'y avait pas parmi eux que des hommes vertueux. Certains s'exilaient à cause de leurs opinions politiques ou de leur comportement social. Ils en tiraient une grande fierté. A la classe ouvrière, à celles des paysans et des bourgeois, s'ajoutait celle de la petite noblesse, les " gants jaunes ". Ils débarquaient en bonnets de laine, en casquettes de toile, en chapeaux ronds de cuir. Ils transportaient des pioches, des faucilles, des poêles, des chaudrons, des couvertures. Ils avaient presque tous, mais cela ne se voyait pas, des qualités d'audace, de persévérance, de travail, d'épargne, d'ingéniosité qu'eux-mêmes ne soupçonnaient pas.

Lentement la colonisation s'étendait et gagnait toute l'Algérie. Des plantations de vignes limitées, disparates, hétérogènes, se faisaient un peu partout et étaient condamnées à l'échec. Des boutures de vignes affluaient de toutes les régions viticoles de France, d'Espagne, d'Italie, et d'ailleurs. Elles étaient plantées selon les traditions anciennes de leurs pays d'origine et sans tenir compte des spécificités climatiques et pédologiques (étude la composition des sols) algériennes.

De grands noms de France de la noblesse et de la banque, de grosses fortunes favorisées par la politique du Second Empire, investissaient dans la vigne, ce qui faisait dire au directeur général des services civils de l'Algérie " que l'Algérie serait un jour un des grands pays viticoles du monde ". En attendant, le pays subissait toutes les calamités agricoles des " années terribles " et des " années noires ", révolte des tribus du sud, sirocco et pluies torrentielles, sécheresse et invasions de sauterelles, famine, exodes de populations, épidémies de choléra et de typhus. Des colons, qui avaient survécu et voulaient continuer, avaient acquis une certaine expérience qui, appliquée à la vigne, permettait d'améliorer qualité et production. A la chute de l'Empire en 1871, la colonie produisait sur 12 000 ha 127000 hectolitres de vin.

Aux incertitudes de l'utopique royaume arabe rêvé par Napoléon III, faisait suite avec la Hie République une politique active de peuplement, d'équipement et de progrès dans les institutions. La colonisation privée se développait et prenait un essor considérable dont profitait la vigne. L'Oranie jusque-là délaissée, du fait de son climat plus sec, accédait en superficie à la première place du vignoble algérien.

Pendant ce temps, la France subissait la crise phylloxérique qui détruisait progressivement la totalité de son vignoble ( En 25 ans, depuis 1863, 2300000 ha arrachés et replantés.). Le ministère de l'Agriculture se tournait vers l'Algérie " pour apporter un palliatif à ce désastre viticole, agricole et commercial ", et décidait " q u 'o n planterait de la vigne partout où la nature du sol semblerait lui convenir ". L'Algérie réagissait et se couvrait de vignes. Elle était le miracle économique attendu depuis 1830, la solution enfin trouvée à tous les échecs, à toutes les hésitations; le remède universel aux crises passées, à la pauvreté, à l'emploi, au manque de fonds propres. C'était aussi l'avis de l'administration qui demandait aux banques, dès 1877, d'élargir les crédits à tous les agriculteurs. Ces perspectives nouvelles de crédit attiraient environ 10000 viticulteurs ruinés du Midi, qui avaient l'ambition de reconstruire une carrière viticole dans un pays neuf.

Avec eux et avec les descendants de la première génération de colons, la n igne gagnait du terrain et allait de plus en plus loin et de plus en plus haut. Elle précédait le tracé des routes et la fondation des villages. Elle 'réait des emplois sédentaires et saisonniers, elle entraînait l'ouverture de i'raits commerces, de services, d'administration. Elle modifiait ou relançait économie.

Pour la première fois en 1885, l'Algérie dépassait le million d'hectolitres avec 60410 ha en production. Pour la première fois aussi, apparaissait la menace d'excédents et de crise viticole, bien que la colonie soit devenue,avec 320 900 hectolitres, le troisième fournisseur de sa métropole.

Le 2 juillet 1885, le phylloxéra était découvert près de Tlemcen et allait progressivement gagner tout le pays. Mais la parade était trouvée avec le greffage de plants français sur des vignes sauvages américaines et une loi de 1886 organisait la lutte contre ce parasite des racines qui avait détruit le Vignoble français. L'unanimité ne se faisait pourtant pas parmi les viticulours algériens. Certaines régions étaient atteintes, d'autres pas et une longue lutte allait opposer pendant des années : " am éricanistes " et " non ri in é ricaniste s ", pour prendre fin en 1898.

Avec la reconstitution de son vignoble, la production française atteignait, en 1900, un potentiel de 60 millions d'hectolitres. Plus de 500000 ha avaient été replantés sur vignes américaines greffées en cépages très productifs, et le plus souvent en terres basses, alluvionnaires et fertiles. Le vin produit était généralement invendable en l'état, pauvre en couleurs et en tannins, avec de fortes acidités et de faibles degrés. Il avait besoin de remontants, de vins de coupage ou d'assemblage, inexistants en France.

En Algérie, depuis le début de l'attaque phylloxérique, la superficie plant ée en vignes avait doublé et recouvrait 145 000 ha qui produisaient 5,5 millions d'hectolitres. Le prix du vin n'avait pas suivi et avait perdu près de la moitié de sa valeur en dix ans. Les vins d'Algérie devenaient pour les vins du Midi des concurrents sérieux puisqu'ils possédaient naturellement tout ce qui leur manquait. Il fallait les disqualifier et les écarter. Commençait alors une " guerre du vin " qui allait durer sept ans. Tous les arguments étaient utilisés pour dénigrer les vins algériens. Leurs producteurs étaient accusés, sans preuves, de frauder. On décelait dans les vins des matières suspectes, des cendres, des acides qui perforaient l'estomac. Leur goût de terroir devenait un goût de vin trafiqué.

En réponse, l'Algérie exigeait des analyses complètes et des comparaisons avec les vins importés et les vins des autres régions françaises où la fraude à grande échelle avait commencé dès le début de la crise phylloxérique : addition illégale de sucre, fermentation de deuxième cuvée par addition d'eau sucrée sur les marcs, élaboration de piquettes par lavage des marcs, utilisation de raisins secs et de figues de Grèce et de Turquie, ajout de produits chimiques.

Tout cela se faisait sans contrôle pour le plus grand bénéfice de négociants et trafiquants peu scrupuleux malgré des lois votées en 1900 et 1903 pour limiter la pratique de la chaptalisation (Addition de sucre de betterave.).

Les " frères de misère " du Midi de la France s'en prenaient à la " fertile colonie algérienne " et exigeaient la taxation de ses vins, la démission des élus; ils ordonnaient la grève des impôts, déclenchaient des manifestations, bloquaient les navires en provenance d'Algérie.

Les syndicats agricoles d'Algérie réagissaient et demandaient la suppression du monopole du pavillon et la possibilité de faire transiter leurs vins par des ports d'Espagne et d'Italie. Ils souhaitaient que des déclarations de récoltes avec contrôle soient rendues obligatoires, seul moyen d'empêcher la fraude, tant au niveau de la propriété que de celui du commerce, dans les caves, les transports, les entrepôts.

Pendant ce temps, les cours du vin continuaient de chuter et la " révolte des gueux " éclatait dans le Languedoc en 1907. D'immenses rassemblements dans les grandes villes dénonçaient la fraude et les fraudeurs et mettaient en cause les betteraves du Nord et les régions viticoles sans soleil, incapables de produire du vin sans faire usage du sucre et d'artifices de " fabrication ".

Insensiblement cependant, les points de vue des deux côtés de la Méditerranée se rapprochaient. Vignerons d'Algérie et vignerons du Languedoc comprenaient qu'ils menaient le même combat et décidaient de s'unir " contre la fraude sous toutes ses formes et contre les fraudeurs de tous poils ". Cette année 1907, la récolte métropolitaine dépassait les 66 millions d'hectolitres auxquels s'ajoutaient les 8,6 millions d'Algérie. Rien n'était réglé. Les excédents s'accumulaient. Ils étaient dus à l'inconscience des hommes. Surendettés, de nombreux colons renonçaient et se résignaient à vendre leurs exploitations. Ces ventes entraînaient des concentrations de vignobles au profit de riches sociétés et de viticulteurs plus aisés ou plus I la nceux. La petite propriété avait tendance à disparaître.

Les viticulteurs algériens comprenaient qu'il fallait changer de méthodes, ( l'abord par un meilleur choix des variétés de vignes avec des cépages itioins productifs, mais surtout en améliorant les techniques de vinification. I )es colons, des chercheurs imaginatifs s'ingéniaient à mettre au point et à répandre " les procédés modernes de vinification en pays chaud ". L'Ecole (l'agriculture de Rouiba devenait la première du nom en matériels viti-vinimies. Ceux qui étaient mis au point en Algérie s'exportaient dans tous les pays qui cultivaient de la vigne. Les efforts de recherche portaient esseniellement sur la maîtrise des températures et la conservation des vins sans oxygénation et risques d'altération. Aussitôt la qualité des vins s'améliorait, entraînant un vaste mouvement de rénovation et d'équipement et la création de caves coopératives. Lors d'une session d'un Congrès international de la viticulture, un intervenant se permettait de déclarer en saluant les efforts consentis en Algérie: " Nous savons aujourd'hui que la conduite des fermentations en pays chauds est un art dont les viticulteurs de France n'avaient pas une idée... une science nouvelle est née ".

Désormais face à la demande croissante de la métropole, le vignoble algérien retrouvait un rythme de développement accéléré. La raison en était évidente. Alors que la France produisait en 1914, 60 millions d'hectolitres de " vins épais et bleuâtres " dont à peine 2 millions atteignaient 11° d'alcool, les vins d'Algérie titraient couramment 13° et parfois 14° et 15° et sans aucun artifice. Les négociants métropolitains avaient donc impérativement besoin des vins algériens qui devenaient plus que jamais des " vins médecins ". Cette même année, l'Algérie battait un record de production avec plus de 10 millions d'hectolitres pour une superficie proche de 150 000 ha. La fin de la Grande Guerre relançait l'extension du vignoble algérien un moment ralenti. Commençait alors ce que l'histoire a appelé le " temps béni des colonies ". La vigne en 1925 recouvrait 200 000 ha et s'étirait d'est en ouest sur un millier de kilomètres et en Oranie sur 200 km de profondeur. En altitude, des sables du bord de mer, elle grimpait à 1 200 m à Ben Chicao et à 1 300 m à Bossuet.

Dix ans plus tard, au moment des fêtes commémoratives du centenaire, la superficie viticole approchait les 300 000 ha et sa production oscillait entre 15 et 22 millions d'hectolitres. La Colonie expédiait ses vins par milliers d'hectolitres à Bordeaux, Chalon-sur-Saône, Châteauneuf-du-Pape, Tain l'Hermitage, Beaune, Mâcon, Nuits, vers les plus réputées des régions françaises qui connaissaient certaines années des déficiences en couleur, de faibles degrés ou de trop fortes acidités.

Et le mouvement s'accélérait vers le Midi de plus en plus demandeur. L'Algérie devenait le premier fournisseur de la France avec, bon an mal an, l'expédition d'environ 10 millions d'hectolitres.

Alors que la presse et l'opinion française affichaient leur mépris pour le vin algérien, " La France est célèbre par ses crus, l'Algérie ne connaît que les vins de chais ", les organisations syndicales algériennes décidaient de réagir et de promouvoir leurs vins par des classifications territoriales à l'image de ce qui se faisait en métropole. Leur ambition n'était pas de concurrencer des appellations réputées et souvent millénaires, mais de donner leur juste place à des vins qui " tressaient quelques fleurons de plus à la couronne vinicole de la Mère Patrie ".

Toujours inconscients et pressés, les viticulteurs algériens ne connaissaient pas de frein et continuaient de s'emballer et de planter pour atteindre un plafond de 398 600 ha en 1938 et 21 500 000 hectolitres. L'Algérie devenait le quatrième producteur mondial derrière la France métropolitaine, l'Italie et l'Espagne.

Les vins d'Algérie, depuis peu, étaient classés, en fonction de leur région d'origine, en trois appellations simples: les " vins de plaine " dans la Mitidja et le long de l'oued Isser, dans les plaines littorales et les dépressions intérieures de l'Oranie, et dans les basses vallées de la zone orientale; les " vins de coteaux " regroupaient les vins du Sahel algérien et de la côte de Cherchell à Tenès, ceux des collines de Témouchent, de Rio-Salado et de Mostaganem, ceux de Beni-Melek près de Philippeville; les " vins de montagne " se situaient autour d'Aïn-Bessem et Bouira, à Souk-Ahras, à Mascara et à Tlemcen.

L'année suivante en 1939, la récolte se montait à près de 18 millions d'hectolitres. Elle chutait à 14 millions l'année suivante, puis à 10, remontait à 12 et enfin dégringolait à 6 en 1943, son plus faible volume depuis 1921.

La rupture des relations maritimes avec laFrance entraînait l'accumulation de stocks invendus et la dégradation du vignoble qui, tante de moyens financiers et en l'absence des viticulteurs, perdait en cinq ans près de 4 millions d'hectares. Fort heureusement la situation m'améliorait rapidement et, en 1946, les stocks de vin s'écoulaient à la cadence de 1 200 000 hectolitres par mois. Repris en mains et reconstitué, le vignoble passait de 325 794 ha cette même année 1946, à 371 385 sept ans plus tard en 1953. En 1954, année cruciale pour l'Algérie, Il représentait encore 371 000 ha pour une récolte de 19 297 000 hectolitres, proche du record de 1934. Il allait ensuite inéluctablement décroître jusqu'en 1962 et disparaître presque totalement au cours de la décennie suivante.

Le professeur Aldebert, de la chaire de viticulture de Maison-Carrée, recommandait une politique très qualitative dans l'encépagement des vignobles à reconstituer. Il conseillait fortement l'arrachage de l'aramon, « pisse vin » du Midi français, encore très répandu dans la Mitidja, et son remplacement par du cinsault plus fin et moins productif. Pour les vinifications en rouge il proposait des assemblages de carignan, de cinsault et d'un peu d'alicante teinturier. En zones de montagne, il ajoutait l'autres cépages qui faisaient la notoriété de certains crus français. Le pinot de Bourgogne, le cabernet bordelais mais aussi le morrastel espagnol.

Ces conseils répercutés par la presse spécialisée étaient largement suivis par les viticulteurs puisque, selon les statistiques de l'époque,
le carignan, avec 140 000 ha, représentait 40 % de la superficie totale. Il était suivi par l'alicante avec 75 000 ha et le cinsault avec 60 000 ha.

La vigne, en matière d'occupation des sols, dominait en Oranie avec 250 000 ha, contre 87 200 à Alger à 16 800 à Constantine (Statistiques 1958.). Ces deux derniers départements étaient caractérisés par la grande et la moyenne propriété, alors que la petite propriété était la plus fréquente dans le département d'Oran. Les " vins de plaine " étaient généralement destinés au coupage ou aux assemblages, rarement à la consommation courante. Ils titraient naturellement 10° à 12° dans les plaines à fort rendement, 12,5° à 13° en Oranie moins productive.

Les " vins de coteaux " que l'on disait de longue conservation, étaient situés sur les collines orientales autour de Stora, Saint-Charles, El-Arrouch, Jemmapes, près de l'oued Marsa. On les retrouvait dans le Sahel algérois à Fouka, Sidi-Ferruch, et plus haut vers l'Atlas tellien à Damiette, mais encore dans la zone littorale de Cherchell à Tenès et plus au sud du côté du Zaccar. Dans le Dahra, des vins réputés étaient produits à Rabelais, Paul-Robert, Renault, Fromentin. On les rencontrait dans les sols siliceux de la rive droite du Chélif à Cassaigne, Lapasset, Belle- Côte, Picard, et dans les terres plus légères d'Aïn Tedeles, Aboukir, Rivoli. Les " vins de coteaux " caractérisaient également la région de Sidi-Bel-Abbès et les Monts du Tessalah à Guiard, Tassin, Palissy. Le vignoble en coteaux de la région d'Aïn-Témouchent entre mer et montagne représentait à lui seul le quart de la production du département.

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Quelques cépages de cuve cultivés en Algérie
Quelques cépages de cuve cultivés en Algérie

Les " vins de montagne ", issus de vendanges tardives, en octobre, titraient entre 13° et 14°. Ceux de Miliana, d'une grande finesse et d'une belle couleur brillante, étaient classés en " Côtes du Zaccar ". L'appellation Médéa " regroupait les villages de Ben Chicao, de Berrouaghia et de Loverdo, avec des vins d'une belle coloration et d'une verdeur agréable. On pouvait y ajouter les petits vignobles d'Aïn Bessem et de Bouira. Les vins de Tlemcen produits à Mansourah et à Bréa étaient d'une grande finesse et pouvaient être bus sans vieillissement. Les vins de Mascara avaient le taux d'extrait sec le plus élevé d'Algérie et titraient facilement 14° en rouge et 15° en blanc de cépage indigène faranah, ce qui ne les empêchait pas d'être souples et bouquetés.

En 1958, alors que s'amorçait son déclin, la surface viticole représentait 10 % seulement de l'ensemble des terres cultivées. En valeur, la viticulture atteignait 32,5 % des productions végétales et distribuait 30 millions de salaires au profit de 40 % de la main-d'ceuvre salariée de l'Algérie.

Statiquement encore, sur 31 748 déclarants de récolte, 21 686 produisaient moins de 200 hectolitres, soit près de 68 % de l'ensemble. 22 % d'entre eux se situaient entre 200 et 1 000 hectolitres. Ils étaient 10 % entre 1 000 et 10000, et 0,3 % seulement récoltaient davantage. Ils faisaient partie, les uns ou les autres, de ces gros colons dont parlait Albert Camus, et qui bien entendu n'existaient ni en Bourgogne, ni en Gironde, ni ailleurs dans le monde: " A lire une certaine presse il semblerait que l'Algérie soit peuplée d'un million de colons à cravache et à cigare, montés sur Cadillac " ( La bonne conscience, l'Express du 21 octobre 1955.).

Ces gros colons avaient oublié que leurs ancêtres avaient été un jour des transportés ", des " proscrits ", des " gueux ", des " d éplacés ", des " mendiants ", de la Monarchie à la République, en passant par l'Empire. Ils pouvaient très justement se demander par quel miracle ou par quel labeur acharné leurs ancêtres étaient parvenus à se tirer d'affaire. Les échecs n'étaient pas écrits sur les tombes dans les cimetières. L'Algérie qu'ils connaissaient et dans laquelle ils vivaient n'existait pas en 1830. Ils l'avaient créée. Les Arabes en avaient profité. Ils étaient toujours là et avaient évolué. En dépit de l'anathème jeté par l'islam sur le vin, ils s'y étaient essayés: " La réussite est étonnante: actuellement 10 000 familles musulmanes produisent 600 000 quintaux de raisin sur 17000 ha et vivent de cette culture " (Viticulture musulmane et colonisation dans la région de Mostaganem, A. Beau, 1957.).

Ces familles musulmanes et les autres n'avaient pas été volées ou dépossédées par les colons. En 1950, 630 732 propriétaires arabes possédaient 7 349 100 ha de terrains pour seulement 22 037 colons et 2 726 000 ha.

Comme l'a écrit l'un des nôtres, Paul Bellat: " On a beaucoup parlé... des spoliations dont les occupants de l'Algérie auraient été victimes ! Nous n'avons jamais spolié que les marécages, la brousse, le désert et leurs hôtes, les hyènes et les chacals " ( Un vieux m'a dit, Paul Bellat, 1948.).