Jean Carrot
Jean Carrot

Alger, Algérie : vos souvenirs
La page de Geneviève Gehin

LEUR RUE ou L'HISTOIRE D'UNE AMITIE
Acteurs : Geneviève Gehin, Jean Carrot (1919- 15 janvier 2002), Michel Venis (1918- 3 mars 2005)
url de la page : http://alger-roi.fr/vos_souvenirs/gehin/gehin.htm

voir sur ce site une facture en provenance de la miroiterie

+ oct. 2016

Michel Venis
Michel Venis

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LEUR RUE ou L'HISTOIRE D'UNE AMITIE

----------Geneviève Gehin à souvenir-alger@piedsnoirs.org (courriel du 27 novembre 2000)
----------" Mon arrière-grand-père travaillait à " LA GAULOISE ", première brasserie installée à Alger. Qui pourrait m'en parler ?D'avance, Merci. "

----------Michel Venis à Geneviève Gehin (lettre du 12 mars 2001)
----------" Lorsque j'ai lu votre message demandant des renseignements sur la brasserie " LA GAULOISE ", j'ai hésité à vous répondre, me jugeant trop âgé pour vous parler du personnel précédent l'indépendance. J'ai maintenant 83 ans et j'ai été employé à la Brasserie de 1940 à 1946, cela fait déjà longtemps, mais puisque votre arrière-grand-père a été brasseur de 1880 à 1900, cela me rajeunit.
----------Je ne sais pas si tous les renseignements que je vais vous donner vous intéresseront, mais pour moi, né à Alger comme mes enfants, mon père et mon grand-père, c'est un plaisir de parler de " mon pays ".
----------Note : Lire - sur ce site qui l'a publiée depuis - l'histoire de la Brasserie " La Gauloise ". Michel Venis est le père de Bernard.

----------Geneviève Gehin à Michel Venis (lettre du 14 mars 2001)
----------" Je viens de recevoir, de lire et de relire, votre lettre du 12 mars et je vous en remercie vivement. Je désespérais de retrouver un jour quelqu'un qui aurait pu travailler à " La Gauloise " et m'en parler.
----------Vous avez été très complet et vous m'avez appris bien davantage que je n'osais l'espérer sur la brasserie la plus ancienne et longtemps unique d'Algérie.
----------J'ai un cousin de votre âge, Jean Carrot, né à Alger à l'angle de la rue Michelet et de la rue Horace Vernet qui vit aux Baléares depuis 1962.
C'est par lui, mémoire de la famille, que j'ai appris que notre arrière-grand-père avait travaillé à " La Gauloise ". Je vais photocopier et lui envoyer votre lettre et vos précieux documents : nul doute qu'il en sera ravi et sûrement très ému ; Merci aussi pour lui ! "

----------Michel Venis à Geneviève Gehin (lettre du 26 mars 2001)
----------" Vous signalez dans votre lettre les quartiers de Mustapha, Plateau Saulière et la rue Horace Vernet. Pour moi ce sont beaucoup de souvenirs.
----------Mes parents, mes deux frères et moi habitions le 25 de la rue Horace Vernet (A)*, les balcons et fenêtres du côté de la rue Bastide, entre 1924 et 1930. J'avais alors 7 ans. J'en ai gardé de bons souvenirs. Nous avons fréquenté l'école communale (B) jusqu'au certificat d'études.
----------Au début de la rue, il y avait les Moulins des frères Grima (F). Une grande minoterie qui alimentait les boulangeries d'Alger et du département.
A la fin de cette rue, il y avait un atelier de sculpture (D) qui m'attirait beaucoup et ce n'est seulement qu'en France que j'ai appris, par des amis qui avaient habité ce quartier, que cet atelier était celui de Paul Belmondo, le père de l'acteur.
----------J'allais souvent chez des amis de mes parents qui habitaient rue Elie de Beaumont (la rue formant le coin de l'immeuble où se trouvait l'atelier). Je profitais des commissions qu'on m'envoyait faire pour coller ma figure contre la grande glace de la façade de l'atelier. J'étais fasciné par les sculptures en cours de finition, des têtes barbues et chevelues grecques, des statues, etc. et au milieu un grand monsieur en blouse blanche qui remarquait mon manège. Sans le savoir à ce moment, je voyais quelqu'un qui allait devenir célèbre. "
----------*Pour situer les lettres, voir plan de Michel Venis.

----------Geneviève Gehin à Michel Venis (lettre du 28 mars 2001)
----------" Quelle émotion ! J'étais loin de me douter, quand j'ai reçu votre message en réponse à ma question sur " La Gauloise ", que j'aurais la chance de retrouver un proche voisin de ma famille.
----------Je joins à cette lettre le " plan approximatif du Plateau Saulière " dressé par mon cousin*.
----------*Voir plan de Jean Carrot.

----------Michel Venis à Geneviève Gehin (lettre du 3 avril 2001)
----------" Vous dites être émue, je le suis aussi car à cette occasion tous les souvenirs de ces années me reviennent, même les plus petits. Vous êtes la première personne et sûrement la dernière à qui je peux parler de mes jeunes années.
----------Voyez comme les choses arrivent. Le jeudi 29 mars, un ami me téléphone pour me dire qu'étant de passage, il viendra me rendre visite. Un très bon ami d'enfance, un grand copain depuis 1936. On s'est retrouvé par hasard en 1994. Il habite Nice. Nous passons l'après-midi en parlant de quoi ? Des souvenirs d'Alger. Et à un moment, on parle de la rue Michelet et de la rue Horace Vernet. Je me souviens, me dit-il entre autres, des établissements Bergougnan et d'une miroiterie en bout de rue du nom, croit-il, de Carrot. Je lui réponds que je m'en souviens également. Et voilà que le lendemain, je reçois votre lettre et un plan où vous parlez de ces deux noms !!! Qu'en pensez-vous ?
----------Le plan de Monsieur Carrot est exact mais il est postérieur à 1930, date de notre départ de la rue Horace Vernet. En effet, le groupe d'immeubles et le marché n'existaient pas encore. Il y avait à cet endroit, au coin de la rue Barnave, une petite maison habitée par des nommés De Bernardi. Un des fils allait à l'école dans la classe de mon frère aîné.
----------Au coin de la rue Elie de Beaumont se trouvait un magasin de pièces automobiles du nom de " Chenou et Pomponi ".
----------Avant Bergougnan, il y avait les ateliers des poids lourds " Latil ".
----------Au lieu du cinéma Rex, il y avait une maison qui abritait une chapelle où un père blanc, le Père Berthel, disait le dimanche une messe le matin et les vêpres l'après-midi. Mon frère et moi avons été enfants de chœur. La propriétaire de la maison était Melle Marie. Les enfants du quartier s'y retrouvaient le jeudi pour le catéchisme.
----------Je me souviens de l'immeuble de Monsieur Gehin, 17 rue Horace Vernet, un très bel immeuble, comme d'ailleurs tous ceux de cette partie de rue. Les escaliers étaient plutôt rue Elisée Reclus. Le 17 était presque en face de l'école. Plus loin, peut-être au 19, au coin de la rue Nocard, il y avait un épicier arabe, un mozabite, où on achetait, pour deux sous, de la cassonade, un sucre roux, avant d'entrer à l'école.
----------Je dois apporter des rectifications. D'une part, j'ai dit avoir habité au n°25 mais, puisque les familles Gehin et Carrot habitaient des n° impairs, je devais habiter le n°26, comme le montre mon premier plan. D'autre part, on m'avait dit que l'atelier de sculpture était celui de Belmondo or Monsieur Carrot indique sur son plan le nom d'Ardizio, un nom que je connais. Il se peut que Belmondo ait été là avant.
----------Vous m'avez fait revivre des souvenirs de ma jeunesse. Je me suis revu à cette époque, courant dans les rues, en classe avec des instituteurs qui se nommaient Jamet et Germain, peut-être ceux également de Monsieur Gehin et de Monsieur Carrot. Et je serais heureux s'ils pouvaient rappeler de bons souvenirs aux personnes de votre famille originaires de ce quartier. "

----------Jean Carrot à Michel Venis (lettre du 26 juin 2001 - copie adressée à G.Gehin)
----------" Ma cousine, Geneviève Gehin, m'avait communiqué, en son temps, copie de vos lettres des 12 et 26 mars derniers, traitant de " notre " quartier du Plateau Saulière et de la brasserie " La Gauloise ". Pour des raisons de santé, je n'ai pu y donner suite et je me permets, même avec cet énorme retard, de prendre contact avec vous.
----------Ma joie, à la lecture de vos lignes, a été immense.
----------Vous avez 83 ans, je vais célébrer le 28 août prochain ma 82ème année.
----------Nous avons été basiquement instruits dans la même école, à l'angle de la rue Camille Desmoulins. Vous deviez me précéder d'une classe et sans doute avez-vous connu Lespinasse, instituteur de la 7ème au fond de la cour (côté droit) ; le père Castan ; Charles Lehmann qui fut mon maître préféré et qui me mena au certificat d'études (avec lequel je suis resté 3 ans car il " montait " de classe avec moi) ou Maurice Bloch que je connus 2 ans de suite vers les 14/16 ans. Vous avez quitté notre école en 1930. En 1931, je passai chez M. Germain (à droite en débouchant des escaliers) puis en 1932-33-34-35, chez M.Bloch et M.Jamet (à gauche en arrivant par les escaliers). Le premier chargé des Lettres - Littérature, Histoire-Géographie et instruction civique ; le second des Maths - Géométrie et Sciences. Cela nous menait au brevet simple. Après ce fut l'Ecole de Commerce, rampe Chassériau, dirigée par M. Messerschmidt.

----------Horace Vernet, c'est " notre " rue. ( voir plan réalisé par Jean Carrot)
miroiterie Carrot
La miroiterie Jean Carrot
Extrait du site www.alger.50.com avec l'autorisation de Marc Morell

----------Vous habitiez avec vos parents au n°26. Mon père, miroitier et contremaître d'un atelier situé rue Hoche, avait débuté à son compte au n°17 en 1911/1912 et transféré son affaire en 1918 au 87 rue Michelet et 1, 3 et 11 rue Horace Vernet, occupant plus de 1500 m2. En 1925-26, il devait y avoir une bonne vingtaine d'ouvriers. Le dépôt du n°11, au pied de l'escalier formant la rue Elisée Reclus, était mitoyen avec le magasin de vins appartenant aux Ayela dont le fils, également ancien élève de notre école, monta par la suite un orchestre.
----------Au fin fond, car je pars du n°1/3 mitoyen du cinéma Rex, il y avait effectivement les Moulins Grima et, au 17, l'immeuble Zanetti avec, au rez-de-chaussée, le " Bar des Amis ", face à l'école. Ce 17 de la rue Horace Vernet avait appartenu à notre grand-père, Charles Simon Gehin, venu d'Alsace en 1872.
----------En fait de sculpteur plâtrier, je me souviens d'Ardizio, collant au magasin Chenou et Pomponi - pièces détachées automobiles - et flanqué sur son côté début de rue de la minuscule boutique du charbonnier, vieil espagnol à la ceinture rouge. La pharmacie Dumas et Richier formant ensuite angle avec la rue Michelet (n°85), face à notre miroiterie. Tout ce pâté de maisons, entre les rues Michelet et Elie de Beaumont, portait donc des n° pairs.
----------A l'autre angle de la rue Elie de Beaumont venait un immeuble puis un terrain sur lequel était construite une file de maisonnettes qui furent abattues pour faire place à un grand immeuble qui, lui, formait angle avec la fameuse rue Barnave. Son école de filles faisait bloc avec notre école de garçons aboutissant à l'angle de la rue Camille Desmoulins, sans oublier la " maternelle ".
----------C'est sans doute chez Louis Ardizio que vous avez pu entrevoir le père de Belmondo. C'est en tout cas l'endroit " D " que vous situez sur votre plan. Il existait également sur le chemin de l'école, côté impair, entre Ayela (n°11) et le " Bar des Amis " (n°17), un autre atelier de sculpture et plâtrerie tenue par un italien assez haut de taille et portant lunettes dont je ne me souviens pas du nom…
----------Nous nous sommes certainement côtoyés mais je n'arrive pas à mettre un visage sur " Venis " quoique ce nom me " sonne " comme on dit en espagnol. Pour terminer cette très ou trop longue missive, je vous demande toute votre indulgence pour le jaillissement de mes idées que je n'arrive jamais à contrôler.
----------Cher Monsieur Venis, j'espère avoir de vos nouvelles, car il est temps à nos âges ; mais nous disposons encore du temps suffisant pour " renouer " des relations que nous n'avons pu entamer chez nous. "

----------Michel Venis à Geneviève Gehin (lettre du 3 janvier 2002)
----------" Nos échanges de correspondance se sont arrêtés avec votre lettre du 9 avril.
----------Je n'ai rien oublié car cela m'a permis de revoir ce quartier de mon enfance.
----------Monsieur Carrot a dû vous le dire, nous avons pris le relais en échangeant nos souvenirs communs et retrouvé de nouveaux faits*. J'ai trouvé, dans un livre sur Alger, une photo du coin de la rue Michelet et de la rue Horace Vernet. D'un côté se trouve la pharmacie et, en face, le magasin de la famille Carrot (que l'on ne voit pas). Ci-joint copie de cette photo. Je vais en envoyer une à monsieur Carrot.
----------Comme je l'ai dit à votre cousin, ce serait formidable d'être en face l'un de l'autre. Nous aurions des heures de conversation pour raconter des tas de souvenirs et de choses sur l'Algérie.
----------Encore merci d'avoir fait passer ce message sur la brasserie d'Alger. "

----------*Lire - sur ce site - le texte consacré par Michel Venis à la Rue Horace Vernet (Rue Michelet).

----------Jean Carrot, hospitalisé, meurt à Palma de Majorque le 15 janvier 2002.

----------Michel Venis à Geneviève Gehin (lettre du 23 janvier 2002)
----------" C'est une bien triste nouvelle que vous m'annoncez. Nous avions noué avec Monsieur Carrot une amitié certaine. Je sentais qu'il désirait comme moi revoir ces années d'enfance pleines d'insouciance. A nos âges il ne nous reste que des souvenirs, le futur on le connaît.
----------Sa dernière lettre commençait par " Cher Ami Venis ". C'est vrai que je ressentais aussi cette amitié pour lui. C'était la seule personne avec qui je pouvais parler de ces années.
----------Je lui ai écrit le 5 janvier en lui parlant encore de notre quartier. Je lui donnais certains noms et j'aurais aimé qu'il me dise : je m'en souviens.
----------A-t-il l pu les lire ? J'espère que oui.
----------Je vous serai toujours reconnaissant de m'avoir fait connaître ce témoin des beaux jours. "

----------Oui, cher Monsieur Venis, Alberte Carrot, l'épouse de Jean, lui a lu votre lettre, à la clinique, et lui a montré vos photos.
----------Elle vous remercie d'avoir été à ses côtés jusqu'au bout du chemin…

----------Michel Venis nous a quittés le 3 mars 2005.

A leur mémoire,
En hommage à leur amitié.

Geneviève Gehin