Cest souvent que les souvenirs affluent quand une
pensée, un mot, une odeur, une image, un contact, un mouvement,
une ressemblance, un son, une chanson, une voix, un rêve ... surgissent
du néant où ils étaient enfouis.
Et ce qui est dune banalité consternante pour certain-e-s,
revêt pour celle ou celui qui la vécu, moi en loccurrence,
une importance et une objectivité accrues par la surprise de la
(re)découverte de ce document, en ma possession par un concours
de circonstances extraordinaires.
Je vous laisse le soin de les deviner grâce à un "détail"
avant de les partager et de les revivre avec vous. Merci. (Voir PJ)
Ce détail, cest la date : 30 JUIN
1962 ! ! !
Date historique sil en fut, pour les PN mais aussi pour les historien-ne-s
pour lesquel-le-s la Grande Histoire sécrit aussi avec les
petites.
Après ma 1ère année, en tant que prof de Anglais-Français
au Collège Laverdet de Maison-Carrée, et pour obtenir ma
titularisation, je suis muté doffice à celui de Marengo-Square,
poste pour lequel, les candidatures ne se bousculent pas ...
« Généreusement », on me confie une classe de
65 élèves dans un préfabriqué jouxtant le
commissariat (soigneusement barricadé et ... quelquefois attaqué).
Aucunement préparé pour les classes primaires, je fais de
mon mieux pour enseigner à des enfants démunis, atteints
de trachome à soigner, supporter avec eux le froid puis la chaleur
torride de ce préfabriqué, les déplacements angoissants
en car pour rentrer chez moi, à BEO le weekend et pour en revenir,
pas très rassuré, le lundi vers 5h du matin.
À peine marié, fin décembre, je reçois mon
ordre dincorporation pour le 4 janvier au Bastion 15 à Alger,
annulé par un télégramme de lAcadémie,
menjoignant de me rendre à mon poste.
Avec un travail énorme de préparation et de corrections,
un succès flatteur aux épreuves écrites du CAP, jattends
de pied ferme linspection qui devrait me permettre dêtre
titularisé grâce à ces enfants, disciplinés,
attentifs et travailleurs.
Hélas pour moi, les jours passent et point dinspecteur à
lhorizon.
Je le sollicite maintes fois et surprise massue ! Ce monsieur T.,
craignant de venir à Marengo, me convoque, chez lui à Blida,
école du Centre, à 8h.
Choix cornélien. Ne pas y aller, cest perdre lespoir
de ne plus être titularisé, y aller, cest prendre dénormes
risques sur une route dangereuse où je peux être abattu ou
disparaître. Je choisis de répondre présent. Je me
retrouve devant une classe moins nombreuse mais totalement inconnue avec
des consignes à exécuter dans les différentes matières
et ce, pendant toute la journée, bien longue.
De 16H30 à 17h30, lInspecteur me donne des conseils, des
bibliographies etc. , me félicite pour la conduite magistrale de
mes leçons et la réussite au CAP quil me promet de
madresser rapidement.
Très éprouvé mais aussi très fier et heureux,
je quitte létablissement et me rends à larrêt
dautobus pour retourner, toujours anxieux (barrages, mitraillages,
force locale...) à Marengo.
Mais là, cruelle déception ! Les cars ne circulent plus
à cette heure-ci. Que faire ? Je nai pas lhabitude
des hôtels ni même la pensée den trouver un.
Je suis pressé de rentrer et jattends au bord de la route,
une des rares voitures qui saventurerait sur cette route réputée
peu sûre. Et voilà que, au bout dune bonne heure, une
403 camionnette, sarrête. Elle est conduite par le père
dun de mes élèves et nous arrivons sains et saufs
au bercail.
Le mois de juin se passe sans aucune nouvelle de mon CAP.
Le samedi 30 juin, dernier jour de classe aussi ... sauf que demain, dimanche
est un autre jour, le 1er JUILLET 1962 et que ce sera lIndépendance.
Malgré les promesses du FLN qui sétait engagé
à protéger nos personnes et nos biens, je ne tiens pas à
rester sur place et à 16h30, avec des collègues, je descends,
(après une multitude de barrages et au milieu de foules de gens)
sur Alger, direction lInspection Académique où jarrive
au pas de course à 17h55.
Le concierge (que je connais) se prépare à fermer DÉFINITIVEMENT
la porte et me laisse entrer dans ces lieux familiers où javais
travaillé pendant lété 1960.
Sans difficulté, je trouve le bureau de M. Scotti, Inspecteur d'Académie
Adjoint qui se prépare à mettre un point final à
ses fonctions et à qui jexplique mon odyssée.
Après vérification, il se rassoit, renseigne le CAP vierge,
le signe, le tamponne et me le remet.
Nous sortons ensemble et les portes se referment derrière nous.
Cest donc le dernier document, (obtenu de haute lutte) de lInspection
Académique de lAlgérie Française que je détiens
précieusement et sans lequel, je naurais pas pu faire valoir
mes droits ni exercer ce métier que jai tant aimé.
En écrivant laborieusement ces lignes, surgissent dautres
souvenirs de cette époque où il fallait aimer notre pays
natal par-dessus tout pour y demeurer (comme par exemple, entre autres,
regagner mon logement de fonction à Marengo début juillet
et le retrouver entièrement vide
Merci de les avoir lues et partagées : vous mavez ainsi permis
dexorciser en partie, ces dures épreuves (et bien dautres
plus tragiques) que nous avons vécues, nous, les richissimes colons
....
Antoine Billotta
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