LA QUESTION DES EAUX A
ALGER
Alger manque d'eau. Voilà une bien
triste et bien pénible constatation. Mais ce qui est plus triste
et plus pénible encore c'est de songer que, tous les ans, à
pareille époque, il faut pousser le même cri d'alarme, c'est
de penser que rien n'a été l'ait de vraiment sérieux
pour empêcher à jamais le retour d'une telle éventualité.
Dès les premiers feux de l'été, l'eau s'absente.
Peut-être pourrions-nous nous écrier comme dans l'Oiseau
bleu, de Maeterlinck : " L'eau est indisposée ".
Ce qui est malheureusement trop certain c'est qu'elle abandonne réservoirs
et bornes-fontaines, comme si elle obéissait, dès les premières
chaleurs, à un mystérieux mot d'ordre.
Ce sont alors des récriminations amères. Seuls les porteurs
d'eau se réjouissent, qui, eux, tirent profit de la situation,
au grand désespoir d'une population altérée.
On écrit à la presse. La Municipalité essaie de se
justifier et répond. Elle répond, ma foi, fort bien. Car
si notre bonne ville manque d'eau, les sources de l'Hôtel de Ville
ne manquent pas, elles, d'eau bénite...
" Patientez, déclare le chef de nos édiles dans ses
subtiles exhortations, patientez... jusqu'à l'année prochaine
! C'est la sécheresse qui est cause de tout le mal. Que voulez-vous,
il n'a pas assez plu. Et puis, nous avons eu des accidents, plaignez-nous,
nous sommes vraiment bien à plaindre. Il y a aussi l'électricité
qui s'est bien mal conduit envers nous. Toutes les forces de la nature
nous sont hostiles. Mais soyez bien tranquilles. L'année prochaine,
vous serez plus heureux. Vous verrez ça. En attendant, lavez-vous
le moins possible, buvez pur votre vin et ménagez l'eau, cette
pauvre personne qui n'en peut mais... Quant à nous, nous allons
faire appel aux sourciers et aux hydrologues, et évoquer les ombres
des aquilèges disparus. "
Et après avoir prononcé quelques formules cabalistiques
où l'on surprend, comme aux lèvres des médecins de
Molière, de mystérieuses paroles : Baraka ou Baraki, destinées,
sans doute, à conjurer les mauvais esprits qui président
à la sécheresse et déchaînent les épidémies,
la Municipalité, contrite et malheureuse, retourne à ses
profonds travaux.
Ne la dérangeons plus, je vous prie, et confiants dans le pouvoir
magique de la baguette de coudrier, relisons, avant de nous mettre nous-mêmes
en quête des eaux qui se dérobent, les conseils et les avis
de Pline, de Vitruve ou de Palladins.
Mais trêve de plaisanteries. Et n'allons pas pleurer sur les ruines
de l'aqueduc romain qui alimentait la vieille Icosium ou sur les citernes
de cette nymphée dont, le plan ci-contre du XVIème siècle
nous montre l'imposant monument.
Un des hommes qui se sont le plus soucié de cette importante question
des eaux à Alger est M. Henri Murat, le distingué ingénieur
dont les travaux sont bien connus.
M. Henri Murat, dans une série d'articles, a donné d'après
des documents officiels, l'état de l'alimentation d'Alger en eau
potable, aux diverses époques de son histoire.
Il a complété par des recherches personnelles tout à
fait remarquables les études de ses nombreux prédécesseurs,
qui, ingénieurs et hydrologues, se sont occupés de l'alimentation
d'Alger en eau potable : les Dessoliers, les Aymard, les Godfernaux et
autres dont les projets sont couverts, aujourd'hui, d'une antique et très
vénérable poussière...
Il ressort de la lecture de ces longs rapports demeurés inefficaces
que la bonne volonté fit moins défaut que ce précieux
élément dont, nous en sommes à déplorer aujourd'hui
encore les regrettables absences.
Certes, projets et rapports abondent. Ce qui abonde moins, c'est l'eau.
On a beaucoup compté sur l'Harrach pour obtenir enfin la solution
du problème.
Malheureusement, les divers projets se rattachant à cette combinaison
exigent l'emploi de machines élévatoires.
D'autre part, en 1875, déjà, l'Inspecteur général
des Mines concluait en ces termes, à ce sujet :
" L'inconvénient le plus grave du projet est que l'on n'est
pas sûr d'avoir sur ce point, une quantité suffisante d'eau
pour l'alimentation complète d'Alger et de la banlieue. On avait
cru à la présence d'une nappe souterraine considérable,
s'écoulant par la coupure de l'Harrach. Il résulte des études
du Service des Mines que cette nappe n'a qu'une faible importance; il
n'est donc pas prouvé que l'on puisse trouver à la seconde
500 à 400 litres d'eau potable aux usines de Maison-Carrée.
"
Après maintes expériences, M. Henri Murat, en est arrivé
à conclure qu'aux environs du Hamiz, à des points judicieusement
choisis, il est facile d'obtenir la quantité d'eau potable nécessaire
à l'alimentation de la ville d'Alger.
Les eaux dont il est question se trouvent aux environs immédiats
de la rivière le Hamiz, rivière qui a environ 38 kilomètres
de longueur jusqu'à son embouchure. Le Hamiz coule du Nord-Ouest
au Sud-Est et est alimenté par plusieurs oueds sans grande importance.
" Si, dit M. Mural, nous comptons sa superficie, nous arriverons
au chiffre de 192 kilomètres carrés, si nous prenons le
chiffre de 0 m 88 d'eau de pluie qui tombe dans ce bassin, chiffre équivalent
à celui du bassin de la Mitidja, cela nous donnera le chiffre de
cent soixante-huit millions de mètres cubes d'eau annuel pour ce
bassin, si nous admettons qu'il n'en arrive dans la plaine où nous
avons fait nos travaux, il nous restera le chiffre respectable de quatre-vingt-huit
millions de mètres cubes annuels. "
M. Henri Murat, conclut que sur le débit total de deux mètres
à la seconde ou de deux cent mille mètres cubes par jour,
on pourrait prélever les trente mille mètres cubes nécessaires
à l'alimentation de la ville.
La rivière du Hamiz, d'autre part, n'a pas les inconvénients
de l'Harrach, trop près du Sahel, et a, par contre, l'avantage
de posséder un bassin de sable filtrant d'une superficie de douze
kilomètres carrés.
Depuis que ce projet a été déposé par M. Henri
Murat, de nouveaux sondages ont été exécutés,
notamment en 1916.
Ces sondages ont donné, tout d'abord, d'excellents, - même
de surprenants résultats. Cependant personne n'a songé à
rechercher d'où venaient les eaux et comment s'opérait leur
jaillissement.
Or, ces eaux ne sont que des eaux de surface, alimentées par le
bassin de l'Harrach et dont le débit varie inévitablement.
En 1910, à un certain point de son cours, un jaugeage a donné
334 litres à la seconde et pendant une année de sécheresse,
au même point, on n'a obtenu que 116 litres, ce qui établit
une différence appréciable de 218 litres par seconde.
Dans les nappes ascendantes, les variations se font encore sentir davantage.
Enfin, il y a un plus grave danger, c'est le risque de contamination par
ces eaux presque superficielles, car elles arrivent à leur point
d'infiltration chargées de toutes les impuretés que peuvent
entraîner et contenir des eaux de ruissellement.
Que compte-t-on faire pour résoudre enfin un problème posé
depuis tant et tant d'années et dont la solution apparaît
chaque jour plus impérieuse, plus inévitable ?...
Les épidémies sont fréquentes en Algérie,
mais c'est surtout aux premiers brasiers de l'Été que s'allume
et s'alimente leur feu dangereux et soudain.
Le typhus plus particulièrement exerce ses ravages dans notre population.
Rien n'est plus nécessaire, plus indispensable que l'eau pour combattre
cette redoutable épidémie et enrayer ses terribles effets.
Il est vraiment surprenant et navrant de constater l'indifférence
avec laquelle on accueille dans les sphères officielles les doléances
de la population.
Des exhortations à la patience ne suffisent plus.
De graves désordres se soin déjà produits.
A Tiaret, les incidents se multiplient journellement autour des minces
filets d'eau coulant des fontaines et un service d'ordre a dû être
établi à la fontaine du Figuier, la plus abondante de la
ville.
A la prison civile, pendant la nuit, les prisonniers réclamaient
à boire à grands cris en cognant, violemment contre les
portes.
Il fallut tirer de son sommeil le fontainier municipal.
Les propriétaires se sont résolus à faire creuser
des puits.
Un tel état de choses est profondément regrettable et ne
saurait se prolonger sans provoquer de l'effervescence et une irritation
tout à fait légitime.
Enfin, il est difficile d'admettre que seule une certaine partie de la
ville soit lésée. Il nous revient, en effet, que jamais
on ne s'est plaint à Mustapha du manque d'eau dont souffrent plus
particulièrement les quartiers du boulevard Général-Farre,
de Bab-el-Oued, ou des tournants Rovigo.
La population d'Alger s'est accrue dans de considérables proportions.
Il n'est, pas compréhensible que l'on s'en tienne aujourd'hui encore
aux maigres moyens de fortune qui président à son alimentation
en eau potable.
Il y va de sa santé.
La Municipalité, qui a charge d'âmes, ne saurait, je pense
l'oublier.
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