Nechmeya à 43 km de Bône
18 juin 1954 : il y a cent ans, des pionniers venus du Duché de Bade créaient Nechmeya.

GuidesBleus 1955.-" 143 km., de Constantine,sur la route de Guelma à philippeville, commune de 4 300 hab.,à 300m d'alt., non loin des ruines d'un fort byzantin, au lieudit Ascours."

extrait de la revue du gmat n°68, 1999/4...adhérez!
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René PONCET
Paru dans la presse de Constantine le 18 Juin 1954

18 Juin 1954 : IL Y A CENT ANS, des pionniers venus
du Duché de Bade créaient Nechmeya, les fêtes du centenaire du village auront lieu en septembre
-----Pourquoi en présence de M.hibschelé, le maire de Nechmeya, pense-t-on à l'Alsace, l'Alsace des "Oberlé", malgré le pays si différent dans son aspect extérieur, dans ses coutumes, dans son genre de vie ? La haute taille, l'ceil bleu, le cheveu blond suffisaient-ils ?
-----Peut-être parce que l'Alsace de René Bazin, meurtrie, séparée de la France après la guerre de 1870, gardait alors dans son coeur l'amour de la patrie française, comme le font tous ces villages d'Algérie, et ce minuscule Nechmeya perdu dans les terres à blé. Peut-être à cause de ce mot du vieil Alsacien parlant de la France à son neveu : "Faut-il qu'une nation soit belle, mon petit, pour qu'elle fasse lever des amours comme le tien ! Où est le peuple qu'on regretterait de la sorte ? Oh, la race bénie qui parle encore en toi".
-----M. Hibschelé me donna une explication plus satisfaisante lorsqu'il déclara en souriant
-----"- Vous paraissez avoir de la difficulté à prononcer mon nom. Savez-vous que nous sommes ici les descendants d'émigrés allemands ? Oui, en 1854, ce furent quelques familles venues du Grand-Duché de Bade qui dressèrent leurs tentes au milieu de ces terres. Malheureusement, à la mairie, nous n'avons plus, ou presque plus, de documents historiques se rapportant à cette époque. Un arrêté de Napoléon III élevant Nechmeya au rang de commune de plein exercice. En dehors de ça l..."

Il y a cent ans

-----En dehors de "ça", il y a l'Histoire. L'Histoire nous raconte l'histoire de Nechmeya. En 1837, un camp s'y dressa. Son existence fut brève, et le seul souvenir qu'il ait laissé est le nom qu'on lui donna alors le camp des scorpions, à cause de la présence extraordinaire de ces hôtes dangereux. Aujourd'hui, ces peu aimables bestioles ne se montrent pas plus virulentes qu'en bien d'autres coins d'Algérie. En tous cas, elles -font bon ménage avec la population.
-----En 1848, quelques courageux Français tentèrent de s'implanter dans le pays, mais n'y réussirent pas, et ce fut finalement en 1854 que le village fut créé par des émigrants allemands originaires du Duché de Bade.
-----Ce nouveau bourg algérien dépendit d'ailleurs de Penthièvre jusqu'à ce qu'un arrêté de Napoléon III le transformât en "commune de plein exercice". C'est cet arrêté, daté du 18 juin 1867, qui est encore conservé dans les archives de la mairie. On peut y lire à son début
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"Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, à tous présents et à venir, salut.
"Sur le rapport de notre ministre, secrétaire d'état au département de la guerre et d'après la proposition du Gouverneur général de l'Algérie"... suit le texte de l'arrêté, avec au bas, la signature : Napoléon.


-----Les débuts furent pénibles et laborieux pour les pionniers ; les maladies décimèrent les familles. Cependant, le courage opiniâtre des colons triompha de tous les obstacles, et, grâce aux travaux exécutés par le Génie militaire, le village grandit et se fortifia.
-----Bien des siècles auparavant, les Romains étaient déjà passés par là, puisqu'aujourd'hui encore, à quelques centaines de mètres, on trouve les ruines de ce qui fut Ascurrus (que les musulmans appellent souvent Ascours). Cette bourgade était située sur le versant ouest d'une colline au pied de laquelle sourdent les sources qui alimentent le village en eau potable.
-----Dans les environs, la mosquée de Sidi Amar Boucena, dont la réputation a franchi de très loin les limites de la commune, accueille les pèlerins venus parfois du Maroc ou de la Tunisie.
-----Nechmeya est maintenant un village florissant, à 43 kilomètres de Bône, que l'on découvre brusquement dans un tournant de la route menant à Guelma, groupé autour de son église, comme les poussins autour de leur mère, 5 500 à 6 000 personnes, dont 120 européens environ, y vivent en bonne intelligence, sur de petites propriétés - car le terrain est extrêmement morcelé - cultivant principalement le blé, le tabac, et élevant du bétail.

De mon temps...

-----Le maire de la petite commune paraissait soucieux.
-----"- Lorsque je parle des origines du bled, je me demande à la suite de quelles circonstances, politiques ou autres, des habitants du Grand-Duché de Bade eurent l'idée de venir s'établir en terre française d'Afrique. Ce ne fut certainement pas la pauvreté qui poussa ces familles à émigrer, puisque j'ai réussi à savoir que certaines d'entre elles possédaient des brasseries ou des industries prospères. L'appel de l'aventure, alors, qui les incita à entreprendre cette vie dure mais libre ? En tous cas, l'affaire a réussi !"
-----"- En effet, l'affaire a réussi. Mais, monsieur le maire, vous célébrerez le centenaire de Nechmeya en septembre, n'est-ce pas ? Est-ce parce que ce fut en septembre 1854 très exactement, que les premiers colons s'installèrent ici ?"
-----"- Non, répond M. Hibschelé, avec son éternel sourire, non, c'est plutôt en vertu d'une tradition transmise de père en fils, les fêtes de Nechmeya, lorsqu'il y en a - et depuis bien des années, il n'en a plus été organisé - se déroulent toujours au mois de septembre".
-----"- Allons voir le père Fritz, ajouta M. Hibschelé, c'est le doyen du village. Peutêtre aura-t-il quelque histoire à vous raconter."
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Le père Fritz, comme l'appellent ses amis, c'est M. Frédérik Lambert. A 85 ans, M. Lambert transporte toujours les fagots de bois sur son dos, et quand un jeune garçon fait mine de l'aider, Fritz répond invariablement : "A mon âge, je suis encore aussi valide que deux comme toi réunis, galopin!"
-----Pour l'heure, nous trouvons M. Lambert sur le pas de sa porte, assis dans un fauteuil d'osier. Il connaît tout le monde, tout le monde le connaît et le salue avec déférence.

----Il a senti en moi l'étranger, et, comme un car du service Guelma-Bône passe à ce moment, M. Lambert en profite pour me parler du temps où, sur cette même route, les chariots traînés par des boeufs étaient rois.
-----"- Aujourd'hui, vous, les jeunes, vous avez des voitures, des motocyclettes, dit-il. Vous ne savez plus souffrir. De mon temps, il fallait deux jours pour aller à Bône. Je me souviens qu'à vingt ans, allant vendre le grain à la ville, partant le matin avec mes charrettes à boeufs, je faisais boire les bêtes à Penthièvre, et le soir, j'arrivais à Duzerville, où je passais la nuit. Le lendemain seulement j'étais à Bône."
-----"- Et ce n'était pas dangereux ?"
-----"- Dangereux ? Bien sûr que non, répond le père Fritz, c'était même plutôt monotone".Je commençais à me demander si. les histoires de lions attaquant les voyageurs sur la route Nechmeya-Bône, dont on m'avait parlé, n'étaient pas le produit d'une imagination délirante. Mais lorsque nous eûmes pris congé de M. Lambert, le maire m'expliqua que ces animaux sauvages avaient effectivement fait à "l'époque" de terribles ravages. Quand ? Eh bien, "à l'époque", c'est à dire, il y a bien longtemps, comme dans les contes de fée.
-----A quelques kilomètres de Nechmeya, on peut d'ailleurs encore voir les anciennes trappes à lions, immenses trous au fond desquels étaient attachés de jeunes chevreaux et qui étaient recouverts de branchages. La technique est, je crois, connue de tous, grâce aux films de Tarzan et autres livres sur la jungle qui, à défaut de la réalité, ont mis sur notre jeunesse, aux alentours de la dixième année, cet accent d'aventure, de hardiesse, qui nous permit de partager, en imagination tout au moins, les émotions de ces courageux pionniers.

Vestiges du passé

-----Je me suis ensuite promené seul par les rues du village, cherchant les souvenirs, les marques du passage des fondateurs de la commune.
-----Sur le mur de ce qui est actuellement le presbytère, une plaque est scellée, où se devinent plus que se lisent, des mots et des dates pâlis par les années : "Village de Nechmeya, construit par le 70ème de Ligne en 1854 et 1855".
-----Au-dessus de la porte de l'école, qui fait corps avec la mairie, une autre plaque est visible avec une date : "1874". C'était
l'heure de la récréation, et garçonnets et fillettes s'en donnaient à coeur joie. J'avais devant moi les descendants des fondateurs, au moins pour les européens, car beaucoup de familles musulmanes ne sont pas de souche ancienne.
-----Le Maire me l'avait dit
-----"- Il y a ici une vingtaine de familles européennes, et elles remontent toutes à la fondation du village". C'est bien simple, il n'y a que le curé, l'instituteur et le facteur qui ne soient pas du pays... mais on les a quand même adoptés."
-----C'est pourtant dans le sol du cimetière que retentit plus nettement l'appel du passé ! Là, à l'ombre des cyprès, entourés par les joyeuses terres à blé, reposent ceux qui, il y a cent ans, quittèrent leur lointaine terre allemande pour vivre et mourir en Algérie française. Quelques noms relevés sur les marbres me transportèrent bien au delà de la mer
------ Melhoffer Jeanne, née en 1837 à Eckenstein (Bade), décédée à Nechmeya le 14 janvier 1907.
------ Dunke Jean, né en 1831 à Velschneureuth.
------ Elisabeth Schaïb, de Leinsveiller (Bavière).
-----Les tombes des premiers colons français (André Auguste Moreau, né à Vendôme, Loir-et-Cher, en 1858, Bernard Fontan né à Aubarède Basses-Pyrénées, en 1826) sont couvertes de la même terre qui garde à jamais le souvenir des hommes et des femmes venus d'Ichlingen, Vasenveiler, Rothuen. Qu'ils reposent en paix, eux qui, les premiers, défrichèrent le sol et répandirent le grain, bercés aujourd'hui et pour l'éternité par le chant du vent dans les arbres et le murmure de la brise courant à la surface des blés qu'ils semèrent.

Merci Pays bien-aimé

-----Avant de quitter Nechmeya, j'ai voulu avoir une vue d'ensemble du paysage et j'ai grimpé jusqu'au sommet de la colline voisine. Un homme, solitaire, un promeneur, m'y avait précédé, arrêté face à la plaine ét au petit village perdu dans le fond.
-----Qui était-il, berger, propriétaire ? Quelle importance ! Il était un homme du pays, séduit par la poésie et le merveilleux du moment.
-----Du soleil tombant entre les nappes grises de l'orage en fuite, une lumière blonde baignait les terres étagées, la plaine et le village, adoucissant le relief, mettant une couleur de blé sur bien des pâturages. Le soleil baissant, le grand paysage blond devint fauve par endroits et violet aux places d'ombre. Et cette pourpre s'élargit avec la vitesse des nuages qui couraient dans le ciel.
Regardant la terre s'assombrir, le promeneur songeait-il à tous ceux qui s'étaient battus là, autour des maisons submergées par la nuit ? Battus, quand ce n'aurait été que contre la terre et la chaleur, afin que la pensée, la civilisation française demeurent accrochées à ce sol !
-----Encore un moment, et sur la frange du ciel, à l'endroit où commençait le bleu, la première étoile s'ouvrit, seule, faible et souveraine comme une idée. Le promeneur se leva, car la nuit devenait noire, il prit le sentier qui suivait la crête, sans détacher ses yeux de l'étoile.

René PONCET
Paru dans la presse de Constantine le 18 Juin 1954


Le croquet était la distraction favorite des "Nechmeyennes". De chaque côté du jeu de boules, plutôt pratiqué par les hommes, deux espaces étaient réservés à ce sport

Documents P. Y LASSABE
Adh. N° 1968