Urbanisme, architecture à Alger, en Algérie
Évolution de l'architecture européenne en Algérie
Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, noel 1938, n°68 .Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger

Pour saisir le caractère de l'architecture européenne et retrouver la marche progressive qu'elle a suivie en Algérie, il faut reconstituer les phases de l'occupation française et tenir compte des conditions matérielles imposées par les circonstances aux artisans de la Colonisation urbaine. II importe aussi de savoir si l'idéal esthétique des Français à leur arrivée à Alger pouvait y provoquer la naissance d'une formule originale, capable de faire revivre la tradition monumentale.

mise sur site le 7-11-2005
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-------Pour saisir le caractère de l'architecture européenne et retrouver la marche progressive qu'elle a suivie en Algérie, il faut reconstituer les phases de l'occupation française et tenir compte des conditions matérielles imposées par les circonstances aux artisans de la Colonisation urbaine. II importe aussi de savoir si l'idéal esthétique des Français à leur arrivée à Alger pouvait y provoquer la naissance d'une formule originale, capable de faire revivre la tradition monumentale.
-------Le " Perfide Moghreb " avait déjà connu de belles floraisons architecturales. Les éléments naturels n'y faisaient pas défaut. On y pouvait trouver de la pierre calcaire, du tuff et du grès, du sable, du gravier, del'argile, de la pierre à chaux, du bois de pin et du cèdre. D'autre port, le négoce pratiqué par les Turcs avec l'étranger avait ouvert des voies propices à l'approvisionnement de certains matériaux ouvrés.
-------Mais, pour utiliser ces ressources, pouvait-on recruter sur place une main-d'œuvre qui, malgré l'affaiblissement croissant de la vitalité du pays, n'avait peut-être pas encore oublié les précieuses recettes enseignées à leur retour d'Andalousie par les artisans maures, dépositaires des traditions moghrébines ?
-------On a objecté que les conditions n'étaient pas aussi favorables qu'on peut être tenté de le croire. En effet, l'exploitation des carrières avait été abandonnée. Les Turcs n'avaient-ils pas utilisé les belles pierres provenant des ruines romaines ? On ne pouvait pas songer à ériger ce procédé en règle fertile. Les industries locales, n'étaient plus vouées au bâtiment, mais à des arts secondaires : la céramique, la tapisserie, la broderie, le fer forgé.

-------Enfin, la main-d'oeuvre livrée à elle-même depuis longtemps, faute de programmes, avait perdu de son habileté et, dans ce domaine aussi, toute une rééducation était nécessaire.
-------Certains ont soutenu que Rome, lorsqu'elle entreprit la colonisation matérielle et culturelle de l'Afrique après la chute de Carthage, profita de circonstances meilleures.
-------L'Histoire a mis fin à cette controverse et démontré que les conditions rencontrées par les envahisseurs, qui se sont succédé en Afrique, ne pouvaient être comparées entre elles.
-------Essayons tout de même de dégager la part de ces différents conquérants dans le caractère des oeuvres qui subsistent encore.
-------Les premières influences grecques, auxquelles mêlèrent plus tard des influences égyptiennes phéniciennes, n'aboutirent jamais à créer vraiment africain.
-------L'oeuvre romaine ne devait pas davantage créer de l'inédit et ses vestiges témoignent de son fidèle attachement aux disciplines de l'art impérial.
-------A l'avènement du christianisme, l'Afrique du Nord romanisée accueillit le répertoire de la Syrie et de l'Égypte qui, s'il n'ajouta rien à la technique architectonique des Romains dont il était issu, eut du moins le mérite d'ouvrir la porte aux conceptions byzantines. Celles-ci exercèrent d'ailleurs le meilleur de leur rayonnement lors du brillant défilé des conquérants islamiques qui, en combinant les procédés éclectiques des traditions gréco-latines avec l'ornementation osiatique, furent les seuls à provoquer sur un sol, en apparence voué aux importations, une floraison architecturale citée parmi les plus originales que le monde ait jamais connues !
-------Enfin, la domination des Turcs dispensa l'harmonieux désordre de son architecture, Sous la blancheur crayeuse de ses cubes, le muet jaillissement d'une ornementation délicate et mystérieuse garde, à plus de cent ans de distance, la fraîcheur d'une inimitable enluminure.
-------La France à son arrivée à Alger avait-elle un idéal esthétique ?

-------Il semble que, peu enthousiasmée par les débuts hésitants de son invasion, elle préféra rester fidèle à l'idéal esthétique de l'Europe, qui vivait toujours sous le masque de la tradition italienne, et restait impuissant, depuis des siècles, à se transformer pour répondre à des besoins nouveaux.
-------Il faudrait pouvoir faire une véritable reconstitution de toutes les données du plan colonial français et dresser un inventaire détaillé des phénomènes d'ordres historique, politique et économique qui ont servi, ou desservi, le développement de l'architecture franco-algérienne. Cette étude, qui a été savamment traitée par les maîtres éminents de la Faculté d'Alger, n'est pas de notre ressort. Nous nous contenterons de relever les faits les plus saillants qui peuvent illustrer l'orientation architecturale de ce pays, depuis l'occupation militaire, jusqu'à nos jours.
-------Il apparaît tout d'abord que, dans l'esprit des réalisateurs, le visage des villes d'Algérie devait n'être que le reflet de celui des villes méditerranéennes françaises, ou des cités italiennes dont elles s'étaient inspirées. C'était d'ailleurs la mode, depuis longtemps, dans la Métropole d'emprunter à la soeur latine son langage architectural. Les défenseurs de cet esprit de suite ne manquaient pas.
-------Dès le début, la majeure partie des constructeurs et de la main d'oeuvre spécialisée afflue de l'Italie, du Nord en particulier. Ces artisans reproduisent aveuglément les formes traditionnelles de leu; pays d'origine, sans se soucier le plus souvent de les adapter aux exigences des programmes et du climat.

Croquis du portique d'entrée de l'ancien
Croquis du portique d'entrée de l'ancien passage des Consuls, témoin de l'influence italienne. (Style Toscan).

-------La technique constructive et les traits essentiels de l'ornementation des premiers immeubles confirment cette tendance.
-------Les murs sont élevés en pierre de taille. Les encadrements des portes et des fenêtres, également en pierre, font corps avec la masse des murs et sont appareillés suivant les règles classiques. Les balcons, plus répandus sur les places que dans les rues où ils sont condamnés pour des raisons défensives, sont constitués par des motifs de fer forgé reposant sur des dalles monolithes incorporées dans les murs et soulagées par des corbeaux de même matière. II en est de même des corniches, qui protègent et couronnent l'immeuble, et dans lesquelles on retrouve, taillés à même la pierre, les éléments classiques : modillons, larmiers et doucines.
-------Les étages, au nombre de trois, sont accusés par des bandeaux de pierre dure qui, règnent souvent d'un immeuble à l'autre et concourent à produire un heureux effet d'homogénéité. Des arcades, sous lesquelles prennent jour les magasins du rez-de-chaussée et leur entresol, soutiennent les murs de façade et répondent au désir d'échapper aux rigueurs du " brûlant soleil d'Afrique ". Les portiques apportent une note originale à l'ensemble composite des immeubles qui restent néanmoins figés sous un masque impersonnel et ne satisfont qu'imparfaite-ment aux besoins des habitants.
-------Les façades les plus intéressantes sont quelquefois celles qui ornent les cours intérieures. Moins monotones et moins sévères que les façades sur rues, elles tirent leur charme de l'élégance de leurs galeries que rehaussent des motifs de terre cuite polychromes.
-------Nous ne pouvons résister au plaisir de signaler la maison des bains parisiens construite en 1870, à l'angle des rues Bab-el-Oued et de la Fonderie. Sa cour rappelle les fines interprétations de notre Premier Empire.

Croquis du plan de la maison des Bains parisiens, à l'angle de la rue Bab-el-Oued et de la rue de la Fonderie
Croquis du plan de la maison des Bains parisiens, à l'angle de la rue Bab-el-Oued et de la rue de la Fonderie


-------Enfin, les tuiles rouges des couvertures en toiture jettent une note discordante et se relient mal aux volumes qu'elles compromettent par leur juxtaposition désordonnée.
-------Ces quelques traits, trop rapidement esquissés, suffisent cependant à établir la prédominance de l'influence italienne qui est la caractéristique principale du style de la première période.
-------Bien qu'elles ne portent la marque d'aucune originalité, les réalisations de cette époque ne semblent pas cependant mériter en bloc les jugements sévères, dont elles ont été l'objet. En particulier, il semble qu'on a trop délibérément accusé l'autorité militaire d'avoir compromis, par la rigidité de sa voirie, l'avenir de l'urbanisation et qu'on s'est montré, par contre, trop indulgent à l'égard de constructeurs impuissants à trouver une formule architecturale originale et à créer un type d'habitation adapté à la fois au site, au climat et aux charges imposées par les programmes.
-------Le mépris, qu'ont eu pour les " maisons françaises à toits de tuile et à contrevents verts "... certains poètes en quête d'orientalisme, ne doit pas nous empêcher d'admirer l'esprit d'ordre et de discipline qui se dégage encore des grandes voies tracées par le Génie. Celui-ci n'a pas compromis l'avenir et a offert aux urbanistes modernes la possibilité de combiner son oeuvre avec les plans les plus hardis.
------On ne saurait non plus oublier l'influence particulièrement heureuse que l'empereur Napoléon III exerça lui-même sur les programmes arrêtés pendant son règne. Ces programmes reflètent manifestement l'audace des grandes réalisations dont la capitale de la France s'offrait alors le luxe. Ils ont eu évidemment le tort de trop sacrifier au décor, mais ce défaut a été compensé par le mérite d'entraîner l'opinion et de la préparer aux grands mouvements extérieurs.

------Citons à Alger seulement : la place du Gouvernement, primitivement place d'Armes, symbole d'autorité d'une ordonnance très équilibrée (voir les pages associées); le boulevard de l'Impératrice avec ses immeubles parfois banals obéissant à un tracé d'ensemble qui réhabilite devant la juridiction de l'Urbanisme ceux qui en ont imposé les lignes. (voir ce boulevard)-

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bd de l'Impératrice devenu "bd de la République"
bd de l'Impératrice devenu "bd de la République"


-------La fin de la tutelle militaire provoqua une activité économique et commerciale considérables, d'une heureuse répercussion sur la prospérité générale du pays, mais qui n'apporta aucun changement sensible à son orientation architecturale. Les réalisations resteront pendant longtemps esclaves de la nécessité, pour un Gouvernement d'occupation, d'abriter d'abord l'armée et les administrations et de favoriser le développement du commerce, de l'agriculture et de l'industrie.
-------Dans les habitations construites pendant cette deuxième période, on constate un affaiblissement sensible de l'influence italienne et une nouvelle tendance qui reflète le goût marqué de la nouvelle école française pour le style officiel du Second Empire, d'ailleurs accueilli avec ferveur par l'opinion publique.
-------Les débuts du régime républicain furent marqués par plusieurs expositions parisiennes qui attirèrent la curiosité des Algériens et donnèrent le signal des échanges culturels.
-------C'est à cette époque qu'on enregistre l'arrivée en Algérie d'architectes dont la formation professionnelle, exclusivement française, provoqua un nouvel essor qui bénéficia des progrès sans cesse grandissants de l'industrie locale. Cependant, la rupture avec la tradition italienne eut pour résultat immédiat de chasser une partie de la main-d'oeuvre fidèle aux anciennes formules.
-------En outre, le développement de l'industrie attira rapidement dans les usines une autre fraction des ouvriers qui jusqu'alors travaillaient sur les chantiers de construction.
-------Les habitations réalisées avec les nouvelles techniques se ressentent tellement de la pauvreté des exécutants et des matériaux employés qu'elles font, certes, regretter la qualité des bâtiments élevés au début suivant des méthodes éprouvées par une main-d'oeuvre habituée à utiliser des matériaux dont on connaissait parfaitement les lois.
-------A côté de cela, l'étude des possibilités techniques du métal, désormais admis comme auxiliaire des supports, préoccupe les professionnels au point qu'ils en négligent la recherche du beau. C'est l'époque du mensonge, où les constructeurs, en dépit de conditions matérielles extrêmement favorables, sacrifient la vérité architecturale à la poursuite d'un effet par des artifices contraires à la bonne règle.
-------L'exploitation des carrières et l'extension de la céramique, en généralisant l'emploi du moellon et de la brique, modifient complètement la construction des murs. Le noble appareillage de la pierre de taille est détrôné par un frêle revêtement d'enduit sans résistance.
-------Le triomphe du plagiat, du décor factice de staff et de plâtre, reflète la sympathie de la clientèle algérienne pour le style 1900, dont l'influence a été particulièrement néfaste sur l'orientation architecturale du pays.
-------En revanche, la formation en Algérie d'une élite, qui participe aux recherches scientifiques de la Métropole, contribue indirectement par ses travaux à faire entrer dans le domaine de l'habitation des notions nouvelles.
-------La technique architecturale elle-même en est impressionnée. Le retour à des conceptions erronées, dues à l'ignorance dont avaient été victimes les premiers constructeurs, est écarté en matière d'orientation et d'hygiène.
-------Petit à petit, la pratique routinière du maçon, " maçon à tout faire ", cède sur les chantiers devant la compétence de véritables équipes spécialisées, d'un recrutement composite, qui impriment aux nouvelles habitations un cachet essentiellement algérien sans toutefois rompre avec les tendances de la Métropole.
-------Quoi qu'il en soit, l'architecture algérienne ne cesse de subir des influences et, pendant la période dite " d'avant-guerre ", elle perfectionne sa technique et cherche encore sa voie.
-------C'est seulement à l'instigation d'un Gouverneur Général, particulièrement soucieux de l'esthétique du pays, qu'elle doit d'abandonner pour la première fois, momentanément d'ailleurs, les traditions latine et néo-classique française. Son style officiel, s'inspire cette fois du caractère oriental adapté aux circonstances particulières et aux programmes.
-------Cette idée d'un compromis ou d'une association, très belle mais mal interprétée, n'a pas donné les résultats escomptés. Condamnée sans appel en Algérie, elle devait pourtant être reprise avec succès au Maroc. Là, enfin comprise, elle a provoqué l'éclosion d'une architecture locale où la délicatesse du goût français s'allie au pittoresque d'un art merveilleusement adapté au pays.
-------II convient toutefois de signaler que, si la formule n'a pas réussi à répondre aux exigences des programmes officiels algériens, par contre elle s'est montrée apte à satisfaire les propriétaires privés qui, depuis longtemps déjà, s'accommodent fort bien des ressources de son esthétique.
-------Ainsi donc, après avoir constaté la prédominance de l'influence italienne, nous avons assisté à sa disparition et à l'avènement du style officiel français néo-classique. Tous deux étaient dépourvus de personnalité. Par la suite, nous avons noté un fléchissement de l'orientation architecturale favorisée cependant par de nouvelles méthodes techniques.
-------Enfin, après ces oscillations, nous avons enregistré une orientation momentanée mais très caractérisée de l'architecture officielle vers une décoration orientale qui n'a pas réussi à s'implanter.
-------C'est seulement après la guerre que l'Algérie, entraînée par un prodigieux essor, prend conscience de sa personnalité et se dirige vers un nouvel idéal.
-------Trois-quarts de siècle d'acclimatation et d'intense activité ont mûri l'opinion. Celle-ci, moins hantée désormais par la crainte du soleil, amène progressivement les constructeurs à ouvrir davantage les maisons. De grands balcons s'alignent, s'étagent presque sans interruption, laissant déborder la vie au-delà des murs dont la physionomie se trouve ainsi complètement modifiée.
-------La découverte du béton armé et les progrès rapides de sa technique ne permettent plus d'hésitations et orientent définitivement l'architecture vers un esprit nouveau.

Maison de l'Agriculture en béton armé (Arch.:Jacques Guiauchain)
Maison de l'Agriculture en béton armé (Arch.:Jacques Guiauchain)


-------Les toitures cèdent de plus en plus la place aux terrasses et se préparent à accueillir une jeune génération gagnée par le goût des sports et le charme de la vie au grand air. A la place des misérables buanderies, pergolas et jardins suspendus se silhouettent dans le ciel et sont comme le prélude d'une vie nouvelle qui se superposera bientôt à l'ancienne.

Terrasse-jardin d'un immeuble moderne (Architecte: M.Salvador)
Terrasse-jardin d'un immeuble moderne (Architecte: M.Salvador)


-------Aidée par le concours de toutes les collectivités, qui cette fois semblent s'accorder, l'architecture algérienne ne doute plus de son avenir et s'élance hardiment à la conquête de ses destinées de toute la force de ses ressources intellectuelles et matérielles.
-------Au grand mouvement de rénovation dessiné par la France, elle apporte une précieuse contribution et, dès la célébration de son centenaire, elle offre, de nouvelles oeuvres, qui témoignent désormais de la réalité de son école.
-------Après les expériences de ces dernières années, il est à présumer que l'architecture d'Algérie continuera à suivre la tradition classique française, mais qu'elle profitera de l'expérience des hommes du pays et des influences extérieures sérieusement controlées pour prendre une physionomie originale et définitive.

M. CLARO, Architecte.