Alger :
La " Royale "et l'Algérie française
Pierre Poutensan

extraits du numéro 110 , juin 2005 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 4-12-2010

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La " Royale "et l'Algérie française
Pierre Poutensan

À la suite de divers incidents consulaires et diplomatiques entre la France et le Portugal en juin et juillet 1831, une force navale venue de Brest et de Toulon prend position sur le Tage, devant Lisbonne. Un combat oppose Français et Portugais et, parmi les vaisseaux de 74, 80 ou 90 canons, se trouve le vaisseau " Alger", exactement un an après le débarquement victorieux de Sidi-Ferruch le 14 juin et l'exil du dey Hussein le 10 juillet vers l'Italie ( DARRIEUS (Henri, amiral) et QUEGUINER (Jean, capitaine de vaisseau), Historique de la Marine française: 1815-1918, L'ancre de marine, Saint-Mato, 1997, p. 33 et 34.).

Ce premier et imposant exemple, par son rang, va annoncer, au cours du destin commun entre la Marine nationale et l'Algérie, une osmose totale à travers les noms de baptême des navires de combat. Nous nous attachons ici aux trois périodes les plus proches de notre histoire: la Première Guerre mondiale, l'entre-deux-guerres, la Seconde Guerre mondiale avec ses suites.


La Première Guerre mondiale (1914-1918) et les années vingt

Excepté pour les navires en chantier et autres constructions en cours, les arsenaux maritimes furent surtout destinés aux fabrications pour l'armée de terre.

Ce qui explique que l'on fit appel aux chantiers alliés. Ainsi, l'un d'entre eux, le Japon, s'engagea à livrer, en moins d'un an, douze torpilleurs d'escadre qui eurent " des noms d'habitants de territoires coloniaux français ". Conçus suivant des normes japonaises, surprenantes pour des Français et ayant des hauteurs " sous barrots " adaptées aux " tailles " des marins japonais, ils provoquèrent sur les têtes de nos marins des chocs douloureux. Sauf quelques autres défauts, ils rendirent de très grands services. Pour notre Marine, ce furent L'Algérien, L'Arabe, Le Kabyle et Le Touareg.

Ils furent de tous les théâtres d'opérations de la fin de la guerre et des années suivantes et ne furent radiés de la flotte qu'en 1935-1936 ( GARIER (Gérard), Revue Navire et Histoire n° 6, mars 2000, Les torpilleurs d'escadre de construction japonaise. Le type " Algérien, 1917-1936, p. 33 et suivantes, photos du Kabyle, p. 35, tableau des marques particulières p. 45.).

Leur temps de service eut surtout comme cadre les années vingt et le début des années trente, avec la Méditerranée orientale, la mer Noire et aussi la guerre du Rif.

Déjà dans les années vingt, les chantiers français livrèrent des nouveautés aux noms " bien de chez nous " : le contre-torpilleur Chacal en service en 1926; le contretorpilleur Lion en service en 1930; le torpilleur Simoun en service en 1927; le torpilleur Sirocco en service en 1927 ( Historique de la Marine française: 1922-1942, op. cit., L'Ancre de marine, St-Malo, 1996, p. 29 et 30 .).

Mais les unités les plus importantes et les plus intéressantes pour notre histoire datent des années trente.

L'entre-deux-guerres
Les années trente

Pour le centenaire de l'arrivée des Français dans la Régence, un croiseur de 10 000 tonnes, L'Algérie, est mis en construction en août 1930 à l'arsenal de Brest. Mis sur cale le 19 mars 1931 sur le chantier du Point-du-Jour dans le Penfeld, il sera lancé le 21 mai 1932 et sa première sortie en mer se déroule le 23 août 1933 ( MOULIN (Jean), MAURAND (Patrick), Le croiseur " Algérie ", Marine Éditions, Nantes, 1999, imprimerie Marne, Tours, p. 12 et 13.).

L'Algérie, le dernier croiseur de 10 000 tonnes, était probablement le meilleur du monde de ce tonnage, remarquablement protégé, doté d'un rayon d'action approprié ( Historique de la Marine française: 1922-1942, op. cit. p. 21.). Du 16 au 22 juin 1936, il fait partie de la première escadre qui se trouve à Alger ( Le croiseur Algérie, op. cit., p. 19.).

Toujours dans la période de célébration du débarquement de 1830, parmi les sous-marins de la classe de 1 500 tonnes, se trouve le Sidi- Ferruch mis en service en 1936 qui sera coulé devant Casablanca le 11 novembre 1942 par les Américains avec les rescapés de Mers el-Kébir.

Déjà en 1934 avait été lancé un sous-marin côtier de 630 tonnes, La Sultane, qui ne sera condamné que le 26 décembre 1946 ( MASSON (Philippe), La Marine française et la guerre 1935-1945, collection Approches, Tallandier, 1991, p. 501.). Les programmes suivants de 1931 à 1937 s'illustrèrent par le torpilleur le Mameluk en service fin 1940; l'aviso-dragueur Gazelle lancé en juillet 1939 ( Historique de la Marine française: 1922-1942, op. cit. p. 29, 30, 34, 35.).

Tous ces navires aux noms africains subirent des destins divers, mais la reconstruction d'une partie de la flotte avec l'aide U.S., dès 1943, fit revivre d'anciens noms.

La Seconde Guerre mondiale

En 1939 sont commandés à la Royal Navy, des patrouilleurs chalutiers à capacité ASDIC (détection anti- sous-marine) dont La Bônoise en octobre 1939, sabordée le 9 novembre 1942 au cours de l'opération " Torch " (9MASSON (Philippe), op. cit. p. 509 et DARRIEUS (Henri), op. cit. p. 35.).

Début 1940, des chalutiers U.S. de 750 tonnes furent achetés comme L'Algéroise, L'Oranaise. Le croiseur Algérie fera partie en 1939 des forces combinées anglo-françaises, surtout dans l'océan, à partir de Dakar, ou bien sera chargé d'escorter des convois amenant des USA du matériel (avions et véhicules automobiles divers). En mars 1940, il transporte 147 tonnes d'or, représentant 7 milliards de francs de l'époque, de Toulon au Canada. Puis en juin, il participe à l'attaque des côtes italiennes du golfe de Gênes, dans la nuit du 13 au 14 juin 1940 ( Le croiseur " Algérie ", op. cit. p. 27 à p. 30.). Faisant partie de la flotte d'armistice basée à Toulon, le navire eut droit à quelques améliorations très faibles par rapport à ce qui se faisait à l'époque aux USA, en ce qui concerne la D.C.A.

Mais c'est surtout l'installation de radars " à la barbe des commissions d'armistice " qu'il faut noter.

En 1942-1943, la marine de guerre française se retrouve, enfin, officiellement face à l'ennemi " habituel ". Les convois Dakar-MarocGibraltar-Algérie, au rythme d'une dizaine par mois, sont ainsi escortés, par exemple, par le Simoun, entre autres (11 Historique de la Marine française, op. cit. p. 32.).

Mais la " guerre en haillons " pour des bâtiments mal défendus en D.C.A. et lutte anti-sous-marine va disparaître à la mi-1943. Cessions et transferts de la Marine américaine : six destroyers d'escorte (D.E.) de type Sénégalais dont L'Algérien D.E. 107, cédé le 23 janvier 1944. Trente- deux escorteurs (P.C.) dont les Cimeterre, Tirailleur, Spahi,Goumier, Mameluk, Légionnaire ( DARRIEUS (Henri), op. cit., p. 328.).

Les radars

La Marine nationale s'est intéressée à la détection électromagnétique à partir de 1935 et des essais sont réalisés sur l'aviso Ville-d'Ys dès cette époque. On parle alors de DEM (détection électro-magnétique); le terme radar sera introduit pendant la guerre par les Américains. Les recherches ont d'abord pour but l'installation de barrages pour protéger les ports de guerre puis, plus particulièrement, pour détecter les avions mouilleurs de mines. Une station est installée au cap Sicié fin 1939, puis à Port-Cros début 1940. Les installations embarquées ne commencent qu'à partir de 1941 avec l'installation d'un appareil Sadir-Compagnie des Compteurs sur le Richelieu à Dakar.

En juillet 1941, la décision est prise d'installer la DEM sur le Strasbourg et sur L'Algérie.

Dès janvier 1942, L'Algérie reçoit la maquette d'un appareil de la société LMT travaillant sur l'onde de deux mètres. La puissance est de 60 W.

Ce premier dispositif est complété en juillet-août 1942, par un nouveau récepteur, avec un dispositif de télémétrie. La précision atteint 25 m à moins de 30 000 m et reste de l'ordre de 500 m entre 30 et 150 km. Les antennes tournent à 10 tours/minute et les jeux dans les commandes pénalisent la mesure du gisement, avec une précision de plus ou moins 5°. Les portées mesurées ont été de 35 km sur un bâtiment de ligne, 15 à 25 km sur un croiseur et de 10 à 15 km sur un aviso ou un remorqueur. Il est à noter que le matériel résiste bien aux effets du tir du bâtiment porteur.

Les aériens sont installés sur les vergues porte- antennes de la tour donjon.

Tout est détruit lors du sabordage du 24 novembre 1942 (
Le croiseur " Algérie ", op. cit. p. 77)

La Royale n'était pas la seule à avoir expérimenté la DEM puisque la ligne Maginot était aussi protégée des attaques aériennes par de tels barrages de détection.

Chasseurs de sous-marins, dragueurs, vedettes, sont numérotés et renforcés par des navires concurrents, transférés par la Royal Navy. L'aviso Gazelle, lancé au début des hostilités en 1939, sera modernisé aux Bermudes en 1943, entièrement destiné à la lutte contre les avions et les sous-marins.

Une remarque importante et assez pénible doit être présentée. Si le Sénégalais, premier de la série des D.E., a eu l'honneur d'être remis à la Royale par le président Roosevelt, venu en compagnie de l'amiral Fenard, chef de la Commission navale française pour la modernisation des forces maritimes (je me souviens avoir vu l'événement aux Actualités cinématographiques à Alger), l'appui U.S. décida de la refonte du Richelieu, des différents croiseurs, contre-torpilleurs, torpilleurs, sous- marins, etc. Mais les USA refusèrent de transférer tout bâtiment neuf au- dessus des D.E. (ni croiseurs, ni porte-avions !). Même les radars des cuirassés, croiseurs, étaient du type contre-torpilleur, ne permettant que le tir de jour.

Les Anglais en revanche, accordèrent des radars pour le tir de nuit, en particulier en vue de la campagne d'Asie.

En conclusion, on peut dévoiler que certains navires, non achevés à l'armistice de 1940, furent terminés, comme L'Africaine, sous-marin de la classe Aurore, catégorie côtier de 1 170 tonnes et lancé le... 7 décembre 1946 ( - MASSON (Philippe), op. cit. p. 502.).

Cependant, dans les années cinquante en Indochine, un transport de débarquement (L.S.T.) est baptisé Chéliff.

Enfin, d'autres destroyers d'escorte, cédés par l'U.S. Navy, les Arabe, Kabyle, Touareg et Berbère, de 1952 à 1960 (restitués à cette date), participèrent à l'opération de Suez en 1956.

Autre nom relevé, le transport de chalands de débarquement, le T.C.D. Sirocco (L.9012) est, de nos jours, basé à Toulon et a servi en mer Adriatique et mer Égée, à l'occasion des conflits locaux actuels.

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Je remercie Edgar Scotti de sa patience pour sa " traduction " et la mise en page de mes textes manuscrits.