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-Les voyageurs qui
empruntaient de 1936 à 1952 les lignes principales du réseau
ferré algérien entre les frontières marocaine et
tunisienne ou la ligne de Blida à Djelfa, se rappellent certainement
que leurs trains
étaient parfois tractés par des locomotives très
caractéristiques : les locomotives à vapeur GARRATT.
------Construites
à l'origine sur une idée de l'ingénieur anglais Herbert
GARRATT associé au constructeur BEYER-PEACOCK, ces locomotives
articulées avaient en effet un aspect caractéristique.
------Schématiquement,
une locomotive articulée est constituée par deux groupes
moteurs distincts qui pivotent sous un long châssis principal supportant
une grosse chaudière ; les réserves d'eau et de charbon
se trouvent à chaque extrémité de l'ensemble portant
sur chacun des deux groupes moteurs.
------Les
locomotives articulées ne furent pratiquement pas utilisées
sur le réseau ferré métropolitain qui disposait de
locomotives traditionnelles adaptées à ses besoins.
------Pourquoi
le furent-elles en Algérie ?
------La capacité
de traction d'une locomotive est en grande partie conditionnée
par le poids total sur les rails de l'ensemble des roues motrices. Plus
on augmente ce poids total, plus on obtient un coefficient d'adhérence
sur les rails élevé et on peut donc ainsi tracter des trains
plus vite à tonnage égal ou des trains plus lourds à
vitesse égale. Mais, il faut que le poids total exercé sur
les voies soit adapté à la qualité de celles-ci sous
peine de leur détérioration.
------Dans
le cas des locomotives traditionnelles (à châssis rigide),
les roues motrices sont concentrées sous ce châssis relativement
court et une pression très importante est exercée sur les
voies sur une surface faible. Les limites de résistance des voies
peuvent être rapidement atteintes. Par ailleurs, si on utilise une
locomotive comportant plus de roues motrices que celle précédemment
utilisée, son empattement sera plus important et il faut veiller
à ce que cette locomotive puisse s'inscrire dans les courbes de
la voie et ce à des vitesses commerciales acceptables.
Dans le cas des locomotives articulées, les roues motrices sont
disposées sous chacun des deux groupes moteurs et leur poids sur
les voies est réparti sur une surface plus importante que dans
le cas des locomotives traditionnelles. On peut donc augmenter ce poids
plus aisément et techniquement l'ajout de roues motrices pose moins
de problèmes. En outre, par construction, les locomotives articulées
s'inscrivaient mieux dans les courbes à faible rayon que les locomotives
traditionnelles.
------Or à
l'origine, il faut bien l'admettre, certaines lignes du réseau
algérien avaient été construites "à l'économie".
Il aurait fallu réaliser des travaux très coûteux,
aussi bien sur les voies, qui comportaient de nombreuses courbes à
faible rayon, que sur les ouvrages d'art, pour pouvoir utiliser des locomotives
traditionnelles plus puissantes.
------Pour
ces raisons, le choix des locomotives articulées s'imposait.
------A titre
anecdotique, signalons que la première locomotive articulée
GARRATT utilisée en Algérie, le fut par la Société
des mines du ZACCAR en 1912 sur une voie étroite de 0,75 m.
------En ce
qui concerne le réseau ferré d'intérêt général,
les premiers besoins se firent sentir sur la
ligne à voie étroite de 1 m 05 de Blida à Djelfa.
------L'augmentation
du trafic (d'ovins et d'alfa) avait été en effet de 7 %
par an entre 1923 et 1930. Pour répondre aux besoins, il aurait
fallu, avec les locomotives alors en service, augmenter le nombre de circulations,
ce qui évidemment aurait engendré des coûts supplémentaires
en personnels et matériels. La solution était d'augmenter
le tonnage des trains. Pour cela, il fallait un autre type de locomotives.
------La ligne
de Blida à Djelfa qui présentait un profil accidenté
avec des rayons de courbes très faibles (de 120 à 150 mètres
par endroit), des rampes importantes de 18 à 25 mm/m, et une infrastructure
fragile (rails de 25 kilos au mètre) correspondait tout à
fait aux possibilités d'une machine articulée.
------Parmi
les marques de telles locomotives alors existantes (FAIRLIE, MEYER, GARRATT...),
le choix de la compagnie PLM, devenue gestionnaire de la ligne, se porta
sur une GARRATT de type 241 + 142 YAT construite par la Société
Franco Belge à Raismes (Nord).
------Les
essais de circulation eurent lieu à partir du 21 janvier 1932 entre
Blida et Médéa. Ils furent suffisamment concluants pour
que la compagnie PLM commande immédiatement trois autres locomotives
du même type. Après quelques années de fonctionnement,
des statistiques montrèrent que l'utilisation des GARRATT sur Blida-Djelfa,
avait permis de réaliser des économies de l'ordre de 20
% par rapport à la situation antérieure. Légèrement
modifiées, ces locomotives resteront en service jusqu'au début
des années 1960.
------En 1932,
sur la
relation Alger-Oran, les locomotives dont disposait la compagnie
PLM ne permettaient de remorquer que des trains de 248 tonnes au plus,
à 25 kilomètres par heure dans les rampes de 20 mm/m. Il
était sur certaines portions de la ligne, indispensable de recourir
à la double traction. Désireuse d'améliorer les services
rendus, tant au point de vue rapidité des convois que de leur charge,
et dans un souci de rentabilité, la compagnie PLM fit construire
en association avec ta Société Franco Belge et Beyer-Peacock,
un prototype GARRATT adapté à ses besoins.
------Dans
le cahier des charges, il était spécifié, entre autres
clauses, que cette locomotive devait pouvoir remorquer des trains de 400
tonnes à 40 kilomètres par heure ou de 540 tonnes à
24 kilomètres par heure en rampe de 20 mn/m.
------Cette
locomotive GARRATT, de type 231 + 132 AT1, fut livrée à
la compagnie PLM en juillet 1932.
Au titre des premiers essais, elle fut affectée, en septembre 1932,
à la remorque des trains express lourds entre Laroche et Dijon.
Des essais complémentaires eurent lieu entre Lyon et Roanne, ligne
à profil accidenté.
------À
partir d'avril 1933, les essais se déroulèrent en Algérie,
entre Alger et El-Affroun. Sur ce parcours, il fut vérifié
que le prototype pouvait tracter un train de 550 tonnes à la vitesse
de 100 kilomètres par heure. Des essais complémentaires,
entre Alger et Affreville, permirent de s'assurer de ses performances
sur un parcours à relief difficile.
------Le 16
septembre 1933, un train de 402 tonnes tracté par la GARRATT, effectuait
la totalité du parcours d'Alger à Oran en 6 h 58. A titre
de comparaison, notons que les trains express du moment mettaient 9 h
24 sur le même trajet, avec un changement de machine à mi-parcours.
------Enfin,
en accord avec les Chemins de fer algériens de l'Etat des essais
se déroulèrent entre Alger et Constantine, parcours plus
accidenté qu'Alger-Oran, les 7 et 8/12/ 1934.
------À
la suite de toutes ces vérifications, les conclusions générales
officielles furent les suivantes : "Toutes
les études et les essais qnt affirmé la remarquable aptitude
des locomotive GARRATT Double Pacific à la traction des trains
lourds. Leur parfaite stabilité doit leur permettre des vitesses
courantes de l'ordre de 140 km/h sans difficulté. Type idéal
de la locomotive appelée à circuler sur profils variés
et durs."
------Au vu
de ces conclusions le Comité de Direction du réseau ferré
d'Algérie, qui assurait la coordination des exploitations de la
compagnie PLM et des Chemins de fer algériens de l'Etat, décidait
de commander douze autres locomotives GARRATT.
Pour tenir compte des quelques défauts constatés lors des
essais et d'avancées technologiques, la Société FrancoBelge,
titulaire du marché, livrera ces douze locomotives en 1936, sous
l'appellation de : 231 + 132 BT1.
------Dix-sept
autres machines seront livrées par la suite (4 en 1937, 6 en 1939
et les 7 dernières en 1940).
Pour mémoire, notons que l'une des locomotives livrées en
1936, battit, au cours d'essais de certification et en tête d'un
train régulier entre Paris et Calais, le record du monde de vitesse
pour machine articulée.
------Malheureusement,
la carrière des GARRAT sera de courte durée. Plusieurs raisons
peuvent être avancées pour expliquer cette brièveté.-----Paradoxalement
pour des locomotives à vapeur, les GARRATT n'aimaient pas l'eau
; tout au moins l'eau qui leur était fournie en Algérie.
Alors que dans les pays où elles étaient utilisées
en grand nombre (Espagne, Afrique du Sud, Brésil...), leur fonctionnement
était satisfaisant, il connut de graves dysfonctionnements en Algérie
à cause de la mauvaise qualité de l'eau utilisée.
Seul un entretien très strict, notamment un nettoyage complet des
chaudières à chaque aller-retour Alger-Oran et Alger-Constantine,
permettait de les garder en bon état de fonctionnement. Cet entretien,
coûteux, sera réalisé jusqu'en 1942. A partir du débarquement
américain, la maintenance des GARRATT, utilisée de façon
intensive pour acheminer les convois militaires, ne fut plus suffisante
et des avaries graves, voire irrémédiables, apparurent.
En outre, la pénurie de pièces de rechange augmentait le
temps d'immobilisation des machines. Enfm, les machines Diesel électriques,
mises en service à partir de 1946, suffirent à assurer le
trafic réduit d'après guerre. En 1948, la traction vapeur
n'assurait plus que 20 % de ce trafic.
------Et,
c'est ainsi, qu'au début des années cinquante, je regardais
avec nostalgie passer en gare d'El-Effroun, les dernières de ces
superbes locomotives qui m'avaient fait tant rêver.
Pierre MORTON, Adh.
N° 1410
Sources et bibliographies : Centre d'archives historiques
de la SNCF, 2 avenue de Bretagne, 72100 LE MANS
- Revue Générale des Chemins de Fer, octobre 1932, "Locomotive
articulée GARRATT Double Mountain 241+ 142 YAT pour voie métrique
de Blida à Djelfa" par M. DUCLUZEAU, Ingénieur en Chef
adjoint au Directeur du réseau PLM
- Revue Générale des Chemins de Fer, juin 1936, "Locomotive
articulée GARRATT Double Pacific 231 + 132 pour trains express
et rapides, voie normale, des chemins de fer algériens", par
le même
- Vapeur en Afrique par C.P. LEWIS et A.A. JORGENSEN, éditions
La Vie du Rail, 1981 - The GARRATT locomotive par A.E. DURRANT, NEWTON,
ABBOT, 1969
Documentation personnelle De Pierre Moron : - Agenda DUNOD "Chemins
de fer", 1929
- L'épopée du train de la vapeur au TGV par Geoffrey Freeman
ALLEN, éditions ATLAS mai 1984
A propos de l'acquisition
de locomotives articulées
pour notre Réseau Algérien.
Article paru dans "Le Bulletin P.L.M. n°20 de mars 1932.par
G. BOURQUIN.
------Le parc du
matériel locomoteur de la ligne à voie, de 1,05 m de Blida
à Djelfa devenait insuffisant du fait du développement du
trafic marchandises de cette ligne, résultant notamment de la mise
en exploitation des plantations d'alfa et des régions boisées
des environs de Djelfa et de Smila.
------À la suite d'études
pour la recherche du type de locomotive le plus approprié à
cette ligne à fortes rampes et à à courbes de faible
rayon, il fut décidé d'acquérir quatre locomotives
articulées "Garratt" 2-4--1+1-4-2, ce type paraissant
susceptible de satisfaire aux conditions imposées.
------L'accroissement
de l'effort de traction ne pouvant être obtenu que par l'augmentation
du nombre des essieux moteurs dont la charge totale sur les rails constitue
le poids adhérent, il est indiqué d'avoir le plus grand
nombre possible d'essieux moteurs. Or la multiplication. des essieux accouplés,
malgré la possibilité d'emploi de' certains artifices destinés
à faciliter l'inscription dans les courbes, se heurte à
des, difficultés, croissantes. Dans la circonstance, avec les nombreuses
courbes à faible rayon (125 m) de la ligne considérée,
il eût fallu se contenter de machines à quatre essieux accouplés
qui, sur les rampes de 25 mm, eussent permis de remorquer que 190 t à
15km/h (1). Avec ces machines, l'augmentation de puissance eût été
insuffisante, quelque désir qu'on eût d'utiliser des machines
rigides, en raison de leur entretien plus facile (2).
------Par contre, avec des locomotives articulées,
il est possible de remorquer des trains de 400 t à près
de 20 km/h sur-cette même rampe de 25 mm.
------Cette puissance étant suffisante
et les progrès de la technique permettant aujourd'hui la construction
de locomotives articulées se comportant bien en service, on a été
ainsi conduit à opter pour des locomotives de ce genre.
------Si l'idée de la locomotive articulée
est ancienne, puisque son origine remonte à 1832, le type "Garratt
" ne date que de 1909. Cette locomotive est constituée par
un châssis rigide supportant la chaudière et la cabine, qui
s'appuie, sur les extrémités intérieures de deux
trucks moteurs formant bogies
------Les trucks constituent chacun une machine
distincte, avec train de roues, cylindres et mouvement de distribution.
De plus, ils sont munis des appareils de choc et de traction et portent
les approvisionnements.
------Ce dispositif, qui enlèye complètement
les trains de roues et le mécanisme de dessous la chaudière,
affranchit celle-ci des conditions restrictives habituelles. On peut avoir
ainsi une chaudière courte qui a l'avantage, pour. une même
surface de chauffe, d'être plus puissante car, au point de vue de
la vaporisation, l'efficacité des tubes diminue rapidement
quand leur longueuraugmente.
------L'inscription dans les courbes se fait
facilement . Les cylindres sont placés aux extrémités
extérieures des trucks. La visibilité de la cabine du mécanicien
est toujours bonne, quel que soit le sens de marche, du fait de la faible
longueur du corps cylindrique.
------Il convient encore à ce sujet
de rappeler, ainsi que l'annonçait M. Jourdain, Directeur de notre
Réseau Algérien (3), qu'un autre modèle de "
Garratt "
est actuellement en construction, non plus destiné au réseau
à voie étroite mais à celui à voie normale
où il doit assurer la remorque des express, pouvoir atteindre la
vitesse de 105 km/h et circuler sans difficulté à 50 km/h
dans des courbes de 200 m de rayon.
------Ci-après les caractéristiques
principales de ces locomotives
Disposition des
essieux...
|
2-4-l+1-4-2
|
2-3-1+1-3-2(4)
|
Voie
|
étroite
|
normale
|
Chaudière
timbre en kg /cm2
|
14
|
16
|
Chaudière
: surface de chauffeen m2
|
189,27
|
287,00
|
Chaudière
: surface de surchauffe en m2
|
35,74
|
69,00
|
Chaudière
: surface de grille en m2
|
4,06
|
5,07
|
Cylindres :nombre
|
4
|
4
|
Cylindres
: dimensions en mm
|
419X 559
|
490x 660
|
Diamètre
des roues motrices en m
|
1,092
|
1,800
|
Poids total en
ordre de marche, en tonnes
|
143
|
192
|
Poids total
adhérent
|
92 t
|
102 t
|
Vitesse maximum km/h
|
65
|
105
|
Empattement total en m
|
21,945
|
26,510
|
G. BOURQUIN.
(1) Les machines 2-3-0 actuellement utilisées
remorquent dans les mêmes conditions 146 t.
(2) Du fait notamment de la non-existence de joints de vapeur articulés.
(3) Voir le numéro spécial du Centenaire, Bulletin P. L.
A4. de mai 1930, p. 76.
(4) Il s'agit des chiffres du projet.
Transmis par Yvette
VILLETTE Adh. N° 580
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