les chemins de fer en Algérie
Les locomotives GARRATT
par Pierre MORTON

revue du gamt n°73,2000/1...adhérez
sur site le 22-05-2003
...+novembre 2012

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voir aussi:
LA CLINIQUE des MACHINES - CENT LOCOMOTIVES y viennent chaque mois faire remettre leurs entrailles à neuf. Envoi de Henry Doucet.


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locomotive garatt

-Les voyageurs qui empruntaient de 1936 à 1952 les lignes principales du réseau ferré algérien entre les frontières marocaine et tunisienne ou la ligne de Blida à Djelfa, se rappellent certainement que leurs trains
étaient parfois tractés par des locomotives très caractéristiques : les locomotives à vapeur GARRATT.

------Construites à l'origine sur une idée de l'ingénieur anglais Herbert GARRATT associé au constructeur BEYER-PEACOCK, ces locomotives articulées avaient en effet un aspect caractéristique.

------Schématiquement, une locomotive articulée est constituée par deux groupes moteurs distincts qui pivotent sous un long châssis principal supportant une grosse chaudière ; les réserves d'eau et de charbon se trouvent à chaque extrémité de l'ensemble portant sur chacun des deux groupes moteurs.

------Les locomotives articulées ne furent pratiquement pas utilisées sur le réseau ferré métropolitain qui disposait de locomotives traditionnelles adaptées à ses besoins.

------Pourquoi le furent-elles en Algérie ?

------La capacité de traction d'une locomotive est en grande partie conditionnée par le poids total sur les rails de l'ensemble des roues motrices. Plus on augmente ce poids total, plus on obtient un coefficient d'adhérence sur les rails élevé et on peut donc ainsi tracter des trains plus vite à tonnage égal ou des trains plus lourds à vitesse égale. Mais, il faut que le poids total exercé sur les voies soit adapté à la qualité de celles-ci sous peine de leur détérioration.

------Dans le cas des locomotives traditionnelles (à châssis rigide), les roues motrices sont concentrées sous ce châssis relativement court et une pression très importante est exercée sur les voies sur une surface faible. Les limites de résistance des voies peuvent être rapidement atteintes. Par ailleurs, si on utilise une locomotive comportant plus de roues motrices que celle précédemment utilisée, son empattement sera plus important et il faut veiller à ce que cette locomotive puisse s'inscrire dans les courbes de la voie et ce à des vitesses commerciales acceptables.

Dans le cas des locomotives articulées, les roues motrices sont disposées sous chacun des deux groupes moteurs et leur poids sur les voies est réparti sur une surface plus importante que dans le cas des locomotives traditionnelles. On peut donc augmenter ce poids plus aisément et techniquement l'ajout de roues motrices pose moins de problèmes. En outre, par construction, les locomotives articulées s'inscrivaient mieux dans les courbes à faible rayon que les locomotives traditionnelles.

------Or à l'origine, il faut bien l'admettre, certaines lignes du réseau algérien avaient été construites "à l'économie". Il aurait fallu réaliser des travaux très coûteux, aussi bien sur les voies, qui comportaient de nombreuses courbes à faible rayon, que sur les ouvrages d'art, pour pouvoir utiliser des locomotives traditionnelles plus puissantes.

------Pour ces raisons, le choix des locomotives articulées s'imposait.

------A titre anecdotique, signalons que la première locomotive articulée GARRATT utilisée en Algérie, le fut par la Société des mines du ZACCAR en 1912 sur une voie étroite de 0,75 m.

------En ce qui concerne le réseau ferré d'intérêt général, les premiers besoins se firent sentir sur la ligne à voie étroite de 1 m 05 de Blida à Djelfa.

------L'augmentation du trafic (d'ovins et d'alfa) avait été en effet de 7 % par an entre 1923 et 1930. Pour répondre aux besoins, il aurait fallu, avec les locomotives alors en service, augmenter le nombre de circulations, ce qui évidemment aurait engendré des coûts supplémentaires en personnels et matériels. La solution était d'augmenter le tonnage des trains. Pour cela, il fallait un autre type de locomotives.

------La ligne de Blida à Djelfa qui présentait un profil accidenté avec des rayons de courbes très faibles (de 120 à 150 mètres par endroit), des rampes importantes de 18 à 25 mm/m, et une infrastructure fragile (rails de 25 kilos au mètre) correspondait tout à fait aux possibilités d'une machine articulée.

------Parmi les marques de telles locomotives alors existantes (FAIRLIE, MEYER, GARRATT...), le choix de la compagnie PLM, devenue gestionnaire de la ligne, se porta sur une GARRATT de type 241 + 142 YAT construite par la Société Franco Belge à Raismes (Nord).

------Les essais de circulation eurent lieu à partir du 21 janvier 1932 entre Blida et Médéa. Ils furent suffisamment concluants pour que la compagnie PLM commande immédiatement trois autres locomotives du même type. Après quelques années de fonctionnement, des statistiques montrèrent que l'utilisation des GARRATT sur Blida-Djelfa, avait permis de réaliser des économies de l'ordre de 20 % par rapport à la situation antérieure. Légèrement modifiées, ces locomotives resteront en service jusqu'au début des années 1960.

------En 1932, sur la relation Alger-Oran, les locomotives dont disposait la compagnie PLM ne permettaient de remorquer que des trains de 248 tonnes au plus, à 25 kilomètres par heure dans les rampes de 20 mm/m. Il était sur certaines portions de la ligne, indispensable de recourir à la double traction. Désireuse d'améliorer les services rendus, tant au point de vue rapidité des convois que de leur charge, et dans un souci de rentabilité, la compagnie PLM fit construire en association avec ta Société Franco Belge et Beyer-Peacock, un prototype GARRATT adapté à ses besoins.

------Dans le cahier des charges, il était spécifié, entre autres clauses, que cette locomotive devait pouvoir remorquer des trains de 400 tonnes à 40 kilomètres par heure ou de 540 tonnes à 24 kilomètres par heure en rampe de 20 mn/m.

------Cette locomotive GARRATT, de type 231 + 132 AT1, fut livrée à la compagnie PLM en juillet 1932.
Au titre des premiers essais, elle fut affectée, en septembre 1932, à la remorque des trains express lourds entre Laroche et Dijon. Des essais complémentaires eurent lieu entre Lyon et Roanne, ligne à profil accidenté.

------À partir d'avril 1933, les essais se déroulèrent en Algérie, entre Alger et El-Affroun. Sur ce parcours, il fut vérifié que le prototype pouvait tracter un train de 550 tonnes à la vitesse de 100 kilomètres par heure. Des essais complémentaires, entre Alger et Affreville, permirent de s'assurer de ses performances sur un parcours à relief difficile.

------Le 16 septembre 1933, un train de 402 tonnes tracté par la GARRATT, effectuait la totalité du parcours d'Alger à Oran en 6 h 58. A titre de comparaison, notons que les trains express du moment mettaient 9 h 24 sur le même trajet, avec un changement de machine à mi-parcours.

------Enfin, en accord avec les Chemins de fer algériens de l'Etat des essais se déroulèrent entre Alger et Constantine, parcours plus accidenté qu'Alger-Oran, les 7 et 8/12/ 1934.

------À la suite de toutes ces vérifications, les conclusions générales officielles furent les suivantes : "Toutes les études et les essais qnt affirmé la remarquable aptitude des locomotive GARRATT Double Pacific à la traction des trains lourds. Leur parfaite stabilité doit leur permettre des vitesses courantes de l'ordre de 140 km/h sans difficulté. Type idéal de la locomotive appelée à circuler sur profils variés et durs."

------Au vu de ces conclusions le Comité de Direction du réseau ferré d'Algérie, qui assurait la coordination des exploitations de la compagnie PLM et des Chemins de fer algériens de l'Etat, décidait de commander douze autres locomotives GARRATT.
Pour tenir compte des quelques défauts constatés lors des essais et d'avancées technologiques, la Société FrancoBelge, titulaire du marché, livrera ces douze locomotives en 1936, sous l'appellation de : 231 + 132 BT1.

------Dix-sept autres machines seront livrées par la suite (4 en 1937, 6 en 1939 et les 7 dernières en 1940).
Pour mémoire, notons que l'une des locomotives livrées en 1936, battit, au cours d'essais de certification et en tête d'un train régulier entre Paris et Calais, le record du monde de vitesse pour machine articulée.

------Malheureusement, la carrière des GARRAT sera de courte durée. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette brièveté.-----Paradoxalement pour des locomotives à vapeur, les GARRATT n'aimaient pas l'eau ; tout au moins l'eau qui leur était fournie en Algérie. Alors que dans les pays où elles étaient utilisées en grand nombre (Espagne, Afrique du Sud, Brésil...), leur fonctionnement était satisfaisant, il connut de graves dysfonctionnements en Algérie à cause de la mauvaise qualité de l'eau utilisée. Seul un entretien très strict, notamment un nettoyage complet des chaudières à chaque aller-retour Alger-Oran et Alger-Constantine, permettait de les garder en bon état de fonctionnement. Cet entretien, coûteux, sera réalisé jusqu'en 1942. A partir du débarquement américain, la maintenance des GARRATT, utilisée de façon intensive pour acheminer les convois militaires, ne fut plus suffisante et des avaries graves, voire irrémédiables, apparurent. En outre, la pénurie de pièces de rechange augmentait le temps d'immobilisation des machines. Enfm, les machines Diesel électriques, mises en service à partir de 1946, suffirent à assurer le trafic réduit d'après guerre. En 1948, la traction vapeur n'assurait plus que 20 % de ce trafic.

------Et, c'est ainsi, qu'au début des années cinquante, je regardais avec nostalgie passer en gare d'El-Effroun, les dernières de ces superbes locomotives qui m'avaient fait tant rêver.

Pierre MORTON, Adh. N° 1410

Sources et bibliographies : Centre d'archives historiques de la SNCF, 2 avenue de Bretagne, 72100 LE MANS
- Revue Générale des Chemins de Fer, octobre 1932, "Locomotive articulée GARRATT Double Mountain 241+ 142 YAT pour voie métrique de Blida à Djelfa" par M. DUCLUZEAU, Ingénieur en Chef adjoint au Directeur du réseau PLM
- Revue Générale des Chemins de Fer, juin 1936, "Locomotive articulée GARRATT Double Pacific 231 + 132 pour trains express et rapides, voie normale, des chemins de fer algériens", par le même
- Vapeur en Afrique par C.P. LEWIS et A.A. JORGENSEN, éditions La Vie du Rail, 1981 - The GARRATT locomotive par A.E. DURRANT, NEWTON, ABBOT, 1969

Documentation personnelle De Pierre Moron : - Agenda DUNOD "Chemins de fer", 1929
- L'épopée du train de la vapeur au TGV par Geoffrey Freeman ALLEN, éditions ATLAS mai 1984

A propos de l'acquisition de locomotives articulées
pour notre Réseau Algérien.
Article paru dans "Le Bulletin P.L.M. n°20 de mars 1932.par G. BOURQUIN.

------Le parc du matériel locomoteur de la ligne à voie, de 1,05 m de Blida à Djelfa devenait insuffisant du fait du développement du trafic marchandises de cette ligne, résultant notamment de la mise en exploitation des plantations d'alfa et des régions boisées des environs de Djelfa et de Smila.

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À la suite d'études pour la recherche du type de locomotive le plus approprié à cette ligne à fortes rampes et à à courbes de faible rayon, il fut décidé d'acquérir quatre locomotives articulées "Garratt" 2-4--1+1-4-2, ce type paraissant susceptible de satisfaire aux conditions imposées.

------L'accroissement de l'effort de traction ne pouvant être obtenu que par l'augmentation du nombre des essieux moteurs dont la charge totale sur les rails constitue le poids adhérent, il est indiqué d'avoir le plus grand nombre possible d'essieux moteurs. Or la multiplication. des essieux accouplés, malgré la possibilité d'emploi de' certains artifices destinés à faciliter l'inscription dans les courbes, se heurte à des, difficultés, croissantes. Dans la circonstance, avec les nombreuses courbes à faible rayon (125 m) de la ligne considérée, il eût fallu se contenter de machines à quatre essieux accouplés qui, sur les rampes de 25 mm, eussent permis de remorquer que 190 t à 15km/h (1). Avec ces machines, l'augmentation de puissance eût été insuffisante, quelque désir qu'on eût d'utiliser des machines rigides, en raison de leur entretien plus facile (2).

------Par contre, avec des locomotives articulées, il est possible de remorquer des trains de 400 t à près de 20 km/h sur-cette même rampe de 25 mm.

------Cette puissance étant suffisante et les progrès de la technique permettant aujourd'hui la construction de locomotives articulées se comportant bien en service, on a été ainsi conduit à opter pour des locomotives de ce genre.

------Si l'idée de la locomotive articulée est ancienne, puisque son origine remonte à 1832, le type "Garratt " ne date que de 1909. Cette locomotive est constituée par un châssis rigide supportant la chaudière et la cabine, qui s'appuie, sur les extrémités intérieures de deux trucks moteurs formant bogies

------Les trucks constituent chacun une machine distincte, avec train de roues, cylindres et mouvement de distribution. De plus, ils sont munis des appareils de choc et de traction et portent les approvisionnements.

------Ce dispositif, qui enlèye complètement les trains de roues et le mécanisme de dessous la chaudière, affranchit celle-ci des conditions restrictives habituelles. On peut avoir ainsi une chaudière courte qui a l'avantage, pour. une même surface de chauffe, d'être plus puissante car, au point de vue de la vaporisation, l'efficacité des tubes diminue rapidement
quand leur longueuraugmente.

------L'inscription dans les courbes se fait facilement . Les cylindres sont placés aux extrémités extérieures des trucks. La visibilité de la cabine du mécanicien est toujours bonne, quel que soit le sens de marche, du fait de la faible longueur du corps cylindrique.

------Il convient encore à ce sujet de rappeler, ainsi que l'annonçait M. Jourdain, Directeur de notre Réseau Algérien (3), qu'un autre modèle de " Garratt "
est actuellement en construction, non plus destiné au réseau à voie étroite mais à celui à voie normale où il doit assurer la remorque des express, pouvoir atteindre la vitesse de 105 km/h et circuler sans difficulté à 50 km/h dans des courbes de 200 m de rayon.

------Ci-après les caractéristiques principales de ces locomotives

Disposition des essieux...
2-4-l+1-4-2
2-3-1+1-3-2(4)
Voie
étroite
normale
Chaudière timbre en kg /cm2
14
16
Chaudière : surface de chauffeen m2
189,27
287,00
Chaudière : surface de surchauffe en m2
35,74
69,00
Chaudière : surface de grille en m2

4,06
5,07
Cylindres :nombre
4
4
Cylindres : dimensions en mm

419X 559
490x 660
Diamètre des roues motrices en m
1,092
1,800
Poids total en ordre de marche, en tonnes
143
192
Poids total adhérent
92 t
102 t
Vitesse maximum km/h
65
105
Empattement total en m
21,945
26,510

G. BOURQUIN.

(1) Les machines 2-3-0 actuellement utilisées remorquent dans les mêmes conditions 146 t.
(2) Du fait notamment de la non-existence de joints de vapeur articulés.
(3) Voir le numéro spécial du Centenaire, Bulletin P. L. A4. de mai 1930, p. 76.
(4) Il s'agit des chiffres du projet.

Transmis par Yvette VILLETTE Adh. N° 580