Cette ligne de chemin de fer du désert
est mentionnée sous quatre noms dans les ouvrages et les articles
qui l'évoquent ou l'étudient.
On peut ainsi trouver :
----------------------le Transsaharien ;
nom le plus ancien,
----------------------le Méditerranée-
Niger ; nom officiel apparu en 1940,
----------------------le Mer- Niger également
dans les années 1940,
----------------------le M.N.ou le MN pour
abréger.
Quatre noms pour une voie qui n'a jamais été
posée, sinon sur un petit bout sans avenir, c'est beaucoup !
Il est vrai, qu'en compensation on en avait beaucoup parlé, 60
ans durant, avant de poser les rails sur un tronçon de 275 km
aujourd'hui abandonné. L'histoire du Transsaharien est celle
d'un rêve grandiose, mais qui a échoué parce qu'on
s'y est pris trop tard.
I/
Pré-histoire d'une illusion
L'idée serait apparue dès le Second Empire, après
qu'un traité eut été passé, le 26 novembre
1862, entre le Gouverneur Général de l'Algérie,
le Maréchal de France et Duc de Malakoff Amable Pélissier,
et une tribu de Touaregs Azdjer ( tribu de l'est par opposition aux
tribus Ahaggar ou Hoggar du centre). Ce traité de Ghadamès
(ville libyenne ) avait été négocié par
la mission de Polignac. Il autorisait n'importe quel Targui (un Targui,
des Touaregs) à commercer librement en Algérie et au Soudan
français. En échange les Touaregs s'engageaient à
faciliter le passage de négociants français ou indigènes.
En vérité ils n'ont vu passer aucun négociant avec
qui négocier un péage et une protection, mais des explorateurs
et des militaires .Ils auraient été fort déçus.
A/
Premier épisode: 1874-1884
En 1874 un explorateur grand connaisseur du grand sud algérien,
Soleillet, pose officiellement la question de la création
d'une voie ferrée à travers le Sahara pour relier l'Algérie
et le Soudan français.
En 1878 son collègue Gazeau de Vautilbaut promeut
cette idée en publiant 4 brochures et en faisant à travers
la France, 24 conférences ; sans succès apparent. Pourtant
l'année suivante l'idée est reprise par un ingénieur
des Ponts & Chaussées, Maître-Devallon qui obtient
un ordre de mission pour étudier le tracé. En 1879
Maître-Devallon se rend en Algérie, va jusqu'à Laghouat
ou à peine plus au sud. Il rapporte de ce voyage limité
à l'une des portes du désert, un volumineux rapport dont
il ressort que la construction est à la fois souhaitable et possible.
Il réussit à convaincre le Ministre des Travaux Publics
Freycinet qui prépare et publie cette même année
le plan de développement des réseaux ferrés métropolitain
et algérien qui porte son nom. En décembre 1879 Freycinet
obtient du Parlement le vote des crédits nécessaires à
l'envoi au Sahara, de 4 missions devant reconnaître les 5 itinéraires
envisagés. Freycinet crée aussi une " Commission
Supérieure du Transsaharien " qui sera chargée d'étudier
les comptes rendus.
La mission Pouyanne est chargée du tracé
oranais. Pouyanne ne va pas au delà de Colomb-Béchar.
La mission Soleillet est responsable d'un tracé mauritanien
des plus improbables, car il ne peut, à cette date se rendre
dans des régions où l'influence française est nulle,
et grande l'insécurité.
La mission Choisy doit étudier deux tracés pour
El-Goléa, l'un par Laghouat, l'autre par Touggourt Il accomplit
parfaitement cette double mission eu un seul voyage ; aller par Ghardaïa
et retour par Ouargla.
La mission dévolue à Flatters est de reconnaître
l'itinéraire oriental par la vallée de l'Igharghar. Si
l'histoire a retenu son nom mieux que celui de ses collègues,
c'est à cause du dénouement tragique de son second voyage.
La première fois il quitta Ouargla le 5 mars 1880 avec 39 hommes.
Il avait rendez-vous avec l'Aménokal (chef) des Touaregs Ahaggar.
Il attendit 5 jours ; puis craignant de manquer de vivres, et se sentant
peut-être menacé, il partit. Il semblerait que l'Aménokal
soit arrivé le lendemain du départ de Flatters, et qu'il
en aurait été très vexé. Flatters arriva
à Ouargla le 17 mai et en repartit le 4 décembre avec
une escorte plus fournie : 93 hommes, dont 8 Français, 7 guides,
78 tirailleurs , et 280 animaux. Flatters ignorait que les Touaregs
Azdjer et les Touaregs Ahaggar ligués contre lui, étaient
venus avec 600 hommes.. Arrivé au puits de Tadjemout, dans l'Immidir
à mi chemin d'In Salah et de Tamanrasset, il tomba dans un guet-apens
où il périt avec son Etat-Major français. Le reste
de la troupe chercha son salut dans une fuite éperdue dont ne
sortirent vivants que 21 hommes.
Ce désastre entraîna une pause de 20 ans. La Commission
Supérieure fut dissoute en 1884.
Cliquer
sur l'image pour l'agrandir
Cette
carte représente les 5 itinéraires qui furent
effectivement reconnus à des dates diverses.
Il n'indique pas le tracé par Tindouf
et la Mauritanie qui eût été impossible
avant 1934.
Le tracé finalement adopté est
celui qui passe par Adrar et Reggan, et qui part de Nemours
Le petit tronçon d' Aïn Témouchent
à Oran n'a jamais été construit.
Tous les itinéraires convergent vers
In-Tassit au Soudan.
Commentaire: 1 Il y a une petite contradiction
entre cette carte et celle de Devallon, ci-dessous, qui mélange
2 itinéraires. C'est lui qui a raison. L'itinéraire
par Djelfa est absurde. L'antenne Affreville-Boghari est reprise
en ce moment en tant que projet de voie normale rapide entre
Bou-Medfa , Médéa et Djelfa;
|
B/
Deuxième épisode: 1912-1914
En 1912 la présence française au Sahara a beaucoup
progressé. In Salah est conquis en 1899 ; et dans la foulée
toutes les oasis du Tidikelt, du Gourara, du Touat et de la vallée
de la Saoura.
Mais, plus au sud , les Touaregs demeurent hostiles, et à cause
du souvenir de Flatters, on surévalue leur puissance. L'obstacle
est levé par le combat de Tit quand, le 7 mai 1902, le Lieutenant
Cottenest et ses goumiers Chaamba ralliés de la veille, battent
les Touaregs. La tribu des Chaamba forme alors une sorte de parti de
la France. C'est parmi eux que se recrutaient les Méharistes
des Compagnies créées par Laperrine en 1902 également.
En 1911, c'est Djanet (futur Fort Flatters) qui
est occupé, en profitant de ce que la garnison turque de l'oasis
libyenne de Ghât, est bloquée par la guerre italo-turque.
En 1912, la sécurité est suffisante
pour tenter de nouvelles reconnaissances de tracé. Le nouveau
Ministre Berthelot évoque même un futur Alger-Le Cap :
quand on rêve, on peut tout se permettre, y compris de passer
chez les Belges et les Anglais. Il met sur pied deux missions de reconnaissance
; celle du capitaine Nieger vers le Tchad par le Niger, et celle de
Maître-Devallon vers le Soudan par El Goléa. Maître-Devallon
s'adonna à sa tâche avec passion.
Mais la guerre de 1914 renvoya à plus tard les décisions
d'ouverture d'un éventuel chantier.
C/
Troisième épisode: 1928-1929
Après la guerre, et surtout après 1927, plusieurs organisateurs
d'expéditions automobiles ont eu le souci d'évaluer la
" faisabibilité " d'une voie ferrée près
des pistes qu'il parcouraient. Parfois même, tels les frères
Estienne, ils étaient mandatés pour ce faire.
En 1927, un député, Monsieur de Warren, dépose
un nouveau projet de loi. Il est suivi par le Ministre des Travaux Publics,
André Tardieu, qui fait voter la loi du 7 juillet 1928 créant
un " Organisme d'Etudes " spécial, dont la direction
est confiée à Maûtre-Devallon promu Inspecteur Général
des Ponts & Chaussées. Après un an d'études
sérieuses Maître -Devallon conclut qu'il faut construire
le Transsaharien. Mais l'arrivée de la crise de 1929 en France,
fin 1931, plus l'opposition des Ministres des Finances et du parti radical-socialiste
très influent, font ajourner une fois encore l'ouverture d'un
chantier.
D/
1939: le projet sort enfin des oubliettes.
Pourquoi est-ce en 1939 que les conclusions de Maître-Devallon
entraînent enfin la décision du Ministre des Travaux Publics
de Monzie d'engager le début des travaux au Maroc ? Je l'ignore.
Sur Internet on trouve un texte, une carte et un slogan qui résument
les arguments et les propositions de l'Inspecteur Général
: " il faut supprimer le Sahara ". Pourquoi ? Pour des raisons
stratégiques, morales et économiques.
-
Le transsaharien sera l'épine dorsale de notre Empire africain.
" Si on faufile un Empire avec des routes,
on ne le coud qu'avec le chemin de fer ". Pensait-il
au Turksib des soviétiques ? C'est probable. Ce transsaharien
permettrait de transporter en toute hâte, vers un front européen,
les régiments sénégalais de notre " force
noire ". Il serait un élément important pour notre
défense nationale.
- Le Transsaharien
accroîtra notre prestige tant auprès des puissances étrangères,
qu'auprès des populations locales. De plus, en facilitant le
transport des médecins et des infirmières, il permettrait
le doublement de la population de l'AOF et du Sahara en 25 ans.
- Le Transsaharien
assurerait la prospérité économique de plusieurs
régions. A vrai dire un seul projet en cours hante les esprits
à l'époque ; celui de l'essor de la culture du coton dans
le delta mort du fleuve Niger en aval de Segou.. En 1932 a été
créé dans ce but, l'Office du Niger. Les travaux de construction
du barrage de Markala (ou de Sansanding) ont débuté en
1934. Ils ne seront terminés qu'en 1947. A l'origine on escomptait
irriguer 900 000ha ; il y en a aujourd'hui 60 000.
Maitre-Devallon affirmait qu'il suffirait d'un trafic de 300 000 tonnes,
pour assurer la rentabilité du Transsaharien. En ajoutant au
coton les phosphates de la vallée du Tilemsi près d'In
Tassit, on atteindrait ce tonnage annuel aisément.
II/
Histoire d'un échec.
A/Les
préliminaires.
-
Le choix du tracé a été fait par Maître-Devallon.
Sur sa carte, que je reproduis sur la page suivante, apparaissent les
seules deux voies possibles, à son avis ; la voie constantinoise
qui part de Philippeville, et la voie oranaise qui part de Nemours.
La voie oranaise est la meilleure ; en réalité il faudrait
dire l' orano-marocaine, car la voie ne reprend pas le chemin de fer
à voie étroite de Colomb-Béchar, mais le chemin
de fer normal d'Oujda à Colomb-Béchar. En effet on doit
construire, non pas un tortillard, mais un chemin de fer capable de
supporter des trains lourds.
La voie oranaise a l'avantage d'être plus courte
et de ne pas nécessiter la mise à voie normale de la section
Biskra-Touggourt. Même si les deux propositions figurent sur sa
carte, ainsi qu'une option Biskra-Bougie par M'Sila, l'auteur prend
nettement parti en faveur de la traversée du Maroc oriental.
Ce tracé oriental a aussi l'énorme avantage de ne nécessiter
qu'un petit nombre d'ouvrages d'art. Au sud d'Adrar on pourra presque
poser la voie sur le reg du Tanezrouft, avec de très longues
lignes droites : les terrassements y seront réduits à
presque rien. Vous aurez remarqué qu'à In Tassit le Transsaharien
se divise en deux branches qui, toutes deux, atteignent le fleuve Niger,
à Segou au Soudan, ou à Gao au Niger, avec terminus à
Niamey. Segou est à 2285 km de Colomb-Béchar, et Niamey
à 2480.
Cliquer sur l'image pour
l'agrandir
Le
transsaharien
Commentaires: L'option Biskra -Bougie est
en voie de réalisation d'Ain-M'Lilla à Bordj Bou
Arréridj par M'Sila
|
-
Le choix du port sur la Méditerranée est logique,
dès lors qu'on ignore les frontières entre territoires
d'un même Empire. Les politiciens de Paris avaient d'abord songé
à Oran, port bien équipé. Mais la géographie,
le bon sens et Maître-Devallon imposèrent Nemours( Ghazaouet).
Le port n'était pas grand, mais extensible et desservi par une
voie ferrée normale depuis 1936.
- Le
choix du point kilométrique zéro. Techniquement le
PK zéro est le PK 289 de la ligne Oujda Colomb-Béchar.
Mais comme ce point est situé en plein désert, dans une
zone inhabitée, les trains du Transsaharien, appelé officiellement
Méditerranée-Niger, se formaient 50km plus au nord, dans
la gare de Tendrara qui possédait les installations indispensables.
Les trains devaient s'arrêter au PK zéro et demander par
radio le droit de manuvrer l'aiguillage bloqué par une
serrure.
|
|
Voici
le PK zéro. Pour Colomb-Béchar prendre
à gauche ; pour Bou-Arfa à droite.
|
-
Le choix d'une date de naissance symbolique.
C'est le 23 mars 1941 qui s'impose, avec la promulgation de la loi qui
autorise la construction d'une voie normale " Méditerranée-Niger
" de Bou-Arfa à Segou et Niamey.
Bien sûr cette date théorique est fausse puisque les travaux
ont commencé en 1939 sous les ordres du Général
Noguès, commandant en chef des troupes d'Afrique du nord, fort
de l'approbation de de Monzie, Ministre des Travaux Publics, d'août
1938 à juin 1940. Mais elle est symboliquement très forte
puisque c'est ainsi " Vichy " qui passe aux actes et Pétain
qui promulgue la loi.
Ce n'était peut-être pas le meilleur moment
pour se lancer dans une entreprise coûteuse et d'aussi longue
haleine. Mais, paradoxalement, ce moment est justifié, aux yeux
de ses partisans, par le désir de rendre à la France une
part de son prestige englouti dans la défaite de mai-juin 1940.
Certains font aussi valoir que c'est un acte de résistance, car
en déplaçant tant de matériel et de personnels
spécialisés en Algérie, on les soustrait au risque
d'éventuelles exigences de l'occupant allemand. Cet argument
n'est pas dénué de pertinence. A la même date on
camouflait, en Algérie, du matériel militaire dans les
mines du Zaccar près de Miliana., avec succès. Ce matériel
a effectivement échappé aux investigations de la Commission
d'Armistice italo-allemande qui travaillait à Alger, en civil.
Accessoirement, c'est cette loi de mars 1941 qui rend officielle l'appellation
" Méditerranée-Niger ".
B/
Les étapes de la construction: 1940-1948
- Avant
la loi du 23 mars 1941 les travaux concernaient seulement la section
marocaine.
La France manquait de tout, et notamment d'acier pour fabriquer des
rails. Il fallut recourir à des rails récupérés
sur des voies déclassées de la zone libre, à des
dates diverses. Ce matériel était hétéroclite
; on réussit néanmoins à le rendre compatible.
Pour diminuer le nombre de rails à poser, on choisit en janvier
1940, pour le premier tronçon de Bou-Arfa à la plaine
de Tamlelt, une solution d'urgence, courte (8 km), mais en pente très
forte (35 mm) ; trop forte pour des convois lourds.
Le tronçon Oujda-Bou-Arfa avait été
ouvert en février 1931. Et la voie Zoudj el Beghal-Nemours en
mars 1936.
-
Après la loi du 23 mars 1941
En 1941-1942 le chantier avance très vite, dès le mois
d'avril, sur les hautes plaines steppiques où les obstacles sont
faciles à contourner. A l'exception des courbes dues à
l'obligation de contourner les djebels dominant la plaine de l'oued
Guir, la voie est tracée presque en ligne droite.
Le tronçon Bou-Arfa-Colomb-Béchar est inauguré
le 8 décembre en présence du Secrétaire d'Etat
aux Communications, Jean Berthelot, et d'un détachement de goumiers
marocains.
On enchaîne aussitôt par la pose d'une voie de raccordement
au bassin houiller de Kenadsa ; et par les travaux de terrassement vers
Abadla, au sud de Colomb-Béchar.
L'autorail
De Dietrich pour l'inauguration du
8 décembre 1941 à Tiguer-Zaguine.
L'endroit de la photo est le point où le secrétaire
d'Etat a fait semblant de visser la dernière éclisse
|
Le lendemain du 8 novembre 1942 tout est bloqué
à cause du débarquement américain.
Les troupes françaises d'Algérie et du Maroc entrent en
guerre aux côtés des alliés ; tout le matériel
et tous les personnels sont appelés à travailler ailleurs,
et notamment sur la voie Ouled-Rahmoun-Tébessa qui assurait
l'essentiel des transports de munitions de carburants et de soldats
vers le front de Tunisie.
En 1946 les travaux reprennent sur deux sections.
La déviation de Foum Defla remplace la rampe de 35 mm par une
rampe de 6 mm au prix d'un détour de 20 km, et d'un pont à
7 arches.
Et la voie progresse au sud de Colomb-Béchar, sur 90km, jusqu'à
Abadla.
Les 2 chantiers sont achevés en 1948.
Cliquer
sur l'image pour l'agrandir
|
Le
viaduc de la déviation de Foum Defla
|
La carte est là pour bien situer,
du nord au sud :
- la gare de Tendrara où se formaient les trains ;
- le PK zéro à la bifurcation ;
- la gare et la mine de Bou-Arfa ;
- la rampe de 35mmm abandonnée en 1948. |
|
Une des
4 locomotives prussiennes reçues par la
France après 1918, au titre des dommages de guerre.
Elle a circulé sur les voies du M.N. jusqu'en 1958
|
Au sud de Colomb-Béchar, la voie s'éloigne
de la piste qui suit la vallée de la Saoura pour être à
l'abri des crues violentes ( comme en septembre 1959) de cet oued desséché
la plupart du temps. Lorsque Abadla est atteint en 1948, personne n'imagine
que ce terminus provisoire sera définitif. D'autant moins que
les études préparatoires sont terminées dès
décembre 1947 pour les 2080 kilomètres qui séparent
Colomb-Béchar de Gao.
D'ailleurs les travaux de piquetage et de terrassements continuent jusqu'à
400km au sud de Colomb-Béchar. Dans les ouvrages publiés
en 1949-1950 on considère le prolongement de la ligne jusqu'au
Soudan comme une certitude. On publie même le tracé précis
de la voie jusqu'au Touat. La carte ci jointe concerne l'arrivée
sur Kerzaz avec le tracé adopté dans l'immédiat
pour franchir la chaîne d'Ougarta, et un possible tunnel à
creuser plus tard, sous le col de la vipère.
Cliquer
sur l'image pour l'agrandir
le col
de la vipère.
|
Alors, pourquoi cet arrêt définitif ? Je
n'en sais rien. J'ai trouvé la trace, en 1953, d'un vote de l'assemblée
(consultative) de l'Union Française, demandant la reprise d'urgence
des travaux sur 525 km jusqu'à Adrar.
Je n'ai trouvé nulle trace, par contre, d'une décision
officielle de renoncement au projet.
C/
L'exploitation: 1940-1942
La gestion du M.N. est confiée par la loi 18 juillet 1941, à
" l'Administration des Chemins de Fer de la Méditerranée
au Niger ". Cette administration est, sinon internationale, du
moins domiciliée en Algérie et au Maroc.
A Alger est basée la Direction Générale.
A Oujda se trouve la Direction technique.
A Colomb-Béchar on aménage l'atelier et le dépôt
principal.
-
Le matériel
On commence, en 1940, avec des locomotives et des wagons usagés
et récupérés au hasard des disponibilités
des réseaux algériens et français de la zone libre
; lesquels réseaux ne donnent que du matériel déjà
ancien. Dans ces régions pauvres en eau, il eût été
logique de choisir le Diesel. Mais d'une part ce matériel était
trop précieux pour s'en débarrasser, d'autre part l'AFN
manquait dramatiquement de produits pétroliers. C'est l'époque
où les autobus roulent au " gazogène " fourni
par la combustion de charbon de bois. Les premières locomotives
fournies au M.N. avaient fait la guerre de 1914-1918. Elles étaient
toutes à vapeur : les Pershing étaient américaines,
les 040-G8 étaient prussiennes.
La traction Diesel-électrique ne fit son apparition sur cette
ligne qu'en mai 1947. Les 4 dernières locomotives Diesel-électriques
achetées neuves, furent livrées en 1956.
La photo
est celle d'un train mixte pour Abadla. La voiture unique est
une 3ème classe à portes latérales.
|
Pour les voyageurs 3 autorails De Dietrich " presque
neufs " furent mis en circulation dès juillet 1941, quand
il y avait du carburant. La pénurie de carburant ne permit pas
de services réguliers avant la fin de 1942, à condition
que les Américains acceptent de céder les quantités
souhaitées.
Le parc de wagons de marchandises comportait essentiellement
des wagons tombereaux de 30 tonnes de charge utile pour le transport
du charbon et du minerai de manganèse.
Pour les voyageurs, outre les autorails, il y avait de très vieilles
voitures des 3 classes alors en service sur tous les réseaux
français. Il n'y avait que deux voitures de 1ère classe,
plus un wagon-lits et salon du PLM, des voitures de 2ème classe
" normales " avec couloir entre les compartiments, et des
voitures de 3ème classe à portes latérales.
-
Les transports de marchandises.
Cliquer
sur l'image pour l'agrandir
|
Dans le sens sud-nord le trafic est charbonnier
à plus de 80%, à partir des trois centres d'extraction
de Kenadsa, Béchar-Djedid et Ksi-Ksou. Dans l'autre sens
le trafic est plus diversifié, même si les carburants
sont importants.
Les statistiques soulignent des augmentations
de volume importantes en pourcentage, mais faibles en valeur absolue.
------------ En 1948 203 000t
------------En 1955 484 000t
------------En 1957 plus de 500 000t,
dont 110 000 du nord au sud.
Les trains ayant une charge de 900 à 1000 tonnes, cela
signifie qu'il y avait un train ou deux par jour. Et que dans
le sens du nord au sud les wagons tombereaux circulaient à
vide.
Le développement du centre d'essais spatiaux de Hammaguir
a un peu dopé le trafic nord- sud vers la fin des années
d'exploitation.
|
La carte montre, à l'évidence, que ce
chemin de fer aurait pu connaître de gros trafics miniers, si
tous les embranchements proposés avaient été réalisés.
A Guettara il y a du manganèse, et non du charbon comme indiqué
par erreur sur la carte.
-
Les services voyageurs
D'Oujda à Colomb-Béchar il n'y eut, en 1940 et 1941 que
des services irréguliers à cause de la pénurie
de carburant pour les autorails. C'était, au mieux, une liaison
hebdomadaire de bout en bout, dans chaque sens.
Vers 1950 il y eut deux autorails par jour, et une ou plusieurs voitures
voyageurs accrochées à un train mixte quotidien.
Entre Colomb-Béchar et Abadla, ainsi que vers
les sites d'extraction du charbon, il y avait soit un train mixte, soit
un autorail de ramassage des ouvriers. Il est précisé
que, si les autorails de ramassage étaient quotidiens, les trains
mixtes " circulèrent parfois à la demande ".
Voici
l'autorail De Dietrich qui assurait le ramassage quotidien des
ouvriers du site de Ksi-Ksou ; le plus éloigné
de Colmb-Béchar.
|
D/Dix
ans d'agonie.
La maladie mortelle du M.N. ne fut pas d'ordre économique, mais
de nature politique.
Les premières difficultés et les premiers renoncements
sont apparus au Maroc, avec les troubles liés à la déposition
du sultan Mohamed V, que la France exila à Madagascar, où
il fut installé, avec sa famille élargie, dans le bel
hôtel des Thermes qui domine la ville d'Antsirabé.
Les services d'autorail sont suspendus en 1956, et jamais rétablis.
Puis la frontière avec le Maroc est fermée à une
date qui est, au plus tard, 1963. Les services réguliers avaient
été désorganisés bien avant, à cause
de la montée de l'insécurité dans le sud-Oranais
tout proche, dès 1955. Aujourd'hui la voie est carrément
abandonnée de Bou-Arfa à Colomb-Béchar. Et au sud
de Tendrara, il ne circule que des trains de marchandises.
En tant qu'institution le Méditerranée-Niger
est dissous lors de l'accession à l'indépendance de l'Algérie,
en juillet 1962. Les voies posées en Algérie demeurent,
mais ne sont plus utilisées depuis la fermeture des houillères
du sud-Oranais. Elles ont disparu de la carte officielle diffusée
en 2006 sur le site de la SNTF ( la SNCF algérienne).
Apparemment, sur les 275 km de lignes construites, il
ne reste que des rails inutiles. La construction fut partielle, l'échec
est total.
Que dire de ce fiasco ?
Devrait-on penser " Gare aux chimériques qui rêvent
de gares impossibles ? ". Je ne le crois pas, car le Transsaharien
eût été techniquement facile à construire
et financièrement supportable pour la France. Certes la rentabilité
n'était pas assurée. Mais c'est la majorité des
voies métropolitaines et algériennes (à l'exception
des lignes minières ) qui n'est pas rentable. On ne les a pourtant
pas toutes supprimées.
Il aurait fallu poser ces quelques 3000 km de rails
au bon moment. Quand le rêve est né, vers 1870, c'était
trop tôt car le territoire à traverser n'était ni
reconnu, ni sûr. Ce rêve impérial supposait un Empire
en bonne santé, voire triomphant. Ce fut le cas avant 1914 et
après 1918, dans l'euphorie d'une victoire qui ajoutait à
notre Empire africain le Cameroun et le Togo.
Pourquoi ne l'a-t-on pas fait alors ? Il y avait comme
presque toujours, d'autres priorités dictées par des visions
à court terme. Il n'empêche: quelle apothéose auraient
connu les fêtes du Centenaire de l'Algérie si le Transsaharien
avait atteint Segou avant mai 1930 ! Le Président Doumergue aurait
pu prendre place dans une voiture pour le Soudan, au lieu de s'asseoir
dans l'express de Blida. Et quel coup de pouce aurait été
donné aux projets en panne, comme celui de la culture du coton
dans le delta mort du Niger à l'aval de Segou, ou celui de la
mise en exploitation des phosphates de la vallée du Tilemsi,
près d'In -Tassit.
Bien sûr je rêve. Mais ce rêve ne
coûtera rien aux contribuables ; il coûtera juste un peu
du temps de Bernard Venis auquel je dis ici mes remerciements pour l'accueil
qu'il a réservé à ma prose, et mon admiration pour
ses compétences informatiques.
Lorsque le projet du Transsaharien fut enfin mis sur
de vrais rails, la bonne heure avait fui. C'était l'heure d'un
désastre national aussi accompli que celui de 1814, et porteur
d'une décolonisation qui, avec le morcellement politique qui
s'ensuivit, sonna le glas d'une entreprise qui ignorait les frontières.