Les voies ferrées de pénétration sahariennes en Afrique du nord française
1ère partie

Texte, illustrations: Georges Bouchet
sur site le 24-2-2007

Eléments de bibliographie.
L'essentiel vient de EXPLOITS ET FANTASMES TRANSSAHARIENS par Dominique et Pascal Bejui aux éditions :La Regordane- Le Villard -BP 3- 48230 Chanac - Octobre 1994
Quelques détails viennent de: Les Chemins de Fer de la France d'Outre-Mer par Pascal Bejui, Luc Raynaud, JP Vergez-Larrouy
Tome sur L'Afrique du Nord . Le Transsaharien - Editions La Regordane -1992. ..... et le guide Michelin 1956.

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vers 2èpartie: Djelfa-Touggourt-djebel Onk

Il est nécessaire, pour commencer, de souligner le flou entourant la définition de la limite nord du Sahara. Pour les indigènes d'AFN tout ce qui n'est pas Tell est Sahara. Ils englobent donc, sous ce terme, à la fois ce que nous appelons désert et ce que nous appelons steppes. Pour eux Djelfa est la porte du Sahara ; pour nous il faut atteindre Laghouat. Pour éviter d'inutiles discours, je reproduis la carte dessinée en 1953 par Robert Capot-Rey, Directeur de l'Institut de Recherches sahariennes à Alger. Il a choisi la limite des palmeraies qui incorpore le Hodna au désert. Entre les deux lignes la zone dite saharo-steppique. La limite des palmeraie est la ligne continue.

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Limites du Sahara
Limites du Sahara

Bien sûr je me propose de discourir, non point des seules voies ferrées qui ont atteint ou dépassé cette limite, mais aussi de celle de Djelfa qui s'en approche et dont il avait été prévu qu'elle la franchirait.

Au Sahara français il n'y eut de voies ferrées qu'au nord ; rien de semblable en AOF. Il ne sera pas question des voies de l'AOF. Par contre il y eut des projets de transsaharien et on construisit une voieminière dans le désert mauritanien ; il en sera parlé.


Les voies de pénétration en Algérie

Il y en a 4 d'ouest en est :
----------------------- Arzew-Colomb-Béchar, 711km, ouverte en 1906, voie de 1,055m
----------------------- Blida-Djelfa, 273km, ouverte en 1921, voie de 1,055m
----------------------- Biskra-Touggourt, 217km, ouverte en 1914, voie de 1m
----------------------- Tébessa-Djebel Onk, 95km, ouverte en 1966, voie normale de 1,435m

             I/ La pénétrante de Colomb-Béchar
C'est une voie ferrée étroite à voie unique qui relie en 711km le petit port d'Arzew à l'oasis de Colomb-Béchar. Elle a été construite en 29 ans, entre 1877 et 1906. En 1900 elle a été prolongée jusqu'au port d'Oran, à 43 km d'Arzew. Et à diverses dates elle a été pourvue de plusieurs embranchements spécialisés.

Cette voie aborde la zone steppique au sud de Saïda. Je ne traiterai que des voies situées au sud de cette ville et du franchissement des monts des Daïas.

                                A/ Les étapes de la construction
                                          · de l'axe principal
Saïda (l'heureuse) est atteinte en 1879. Le port d'Arzew devient alors le port où débarquent tous les matériels nécessaires à la poursuite du chantier vers le sud : il y gagne beaucoup. Le prolongement est en effet tout de suite envisagé, voire imposé, par des considérations économiques et politiques. A 20 km de la ville commence la " mer " d'alfa des hautes plaines oranaises qu'il s'agit d'exploiter. Mais presque aussitôt s'est ajouté un impératif de maintien de la sécurité : en 1881 éclate l'insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh plus à l'est, et des ouvriers espagnols sont assassinés sur un chantier de cueillette de l'alfa près de Kralfallah.

Au sud de Méchéria c'est l'imprécision de la frontière algéro-marocaine et les fréquentes intrusions de nomades marocains, qui posent problème. Il faut donc pouvoir déplacer rapidement des troupes au cas où…De surcroît cette frontière est contestée par le sultan du Maroc, surtout près du saillant de Figuig ; et au delà elle reste en pointillé sur les cartes. C'est Lyautey, Commandant des troupes du Sud-Oranais, qui, à l'approche de Beni-Ounif de Figuig, fixe les détails de la frontière de telle sorte que la voie ferrée ne quitte pas le territoire français. Plus au sud on se propose de prolonger la voie jusqu'au Touat, avec terminus à Igli considérée alors comme l'oasis principale de cette région.

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La pénétrante de Colomb-Béchar
La pénétrante de Colomb-Béchar
Sur la carte, la voie de pénétration a été surlignée en rouge ; mais pas ses embranchements. On est allé très vite pour les 200 premiers kilomètres : Méchéria est atteint dès 1882 grâce à de la main d'œuvre militaire et même à des détenus amenés de France pour accélérer les travaux. Plus au sud on ralentit un peu : Aïn-Sefra attendit son train jusqu'en 1887 et Beni-Ounif jusqu'en 1903. Avec l'arrivée du chemin de fer Colomb-Béchar devint la base de départ des missions militaires de reconnaissance et de pacification des confins du Rio de Oro et de Mauritanie. Le film Fort Saganne évoque fort bien ce rôle

Un peu plus tard, au tournant des années 1920, Colomb-Béchar devint aussi la base de départ des expéditions de reconnaissance automobile des itinéraires transsahariens vers le Soudan et le fleuve Niger.

NB. Sur la carte la ligne en traits discontinus verts est une nouvelle ligne, à voie normale, en construction dans les années 1990 Il en sera question plus loin, ainsi que de la voie marocaine par Bou Arfa.

                                                   · des embranchements

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carte alfa, Les voies alfatières
Les voies alfatières

Les prolongements alfatiers de la steppe se greffent sur les gares de Kralfallah et Modzbah, dès la fin du XIXè siècle. Ils desservent des dépôts d'alfa .De Krafallah part une voie de 0,60m vers Sidi-Youssef, et de Modzbah une voie de 1,055m qui rejoint à Marhoum une autre voie à 0,60m venue de Ras-el-Ma. Ces voies alfatières jouèrent un grand rôle jusque dans les années 1920. Ensuite la concurrence des camions entraîna leur déclassement. Il n'y eut jamais de trains de voyageurs.

Tout au sud, c'est la découverte en 1907, par le géologue Flamand, du gisement de Kenadsa qui justifia, durant la guerre de 1914 la mise en exploitation dès 1917 de la veine Rouzaud, la plus proche de Colomb-Béchar. Puis on équipa tout le gisement dès 1921 et on y ajouta une ligne de 15km vers Béchar-Djedid et vers 1940, l'antenne de Ksi-Ksou, toujours pour l'extraction de charbon. Vers Kenadsa au moins, il y eut des trains de voyageurs.

NB 1 :

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Kenadsa
A partir du 8 décembre 1941 ces deux lignes houillères à voie étroite sont doublées par de nouvelles voies à écartement normal. Elles sont dès lors délaissées sans être fermées, et le trafic lourd se reporte sur la voie marocaine. La gare de Colomb-Béchar voit son trafic s'accroître, mais pas la voie de 1,055m.

La voie qui se dirige vers le sud est l'amorce du transsaharien qui ne fut jamais terminé.










 

NB 2 : Quelle situation en 2007 ? Difficile d'être affirmatif car le site de la SNTF (société nationale du transport ferroviaire) distingue fort mal ce qui a été réalisé, de ce qui est en cours de réalisation, ou simplement projeté à brève échéance. Je tiens pour assuré que la voie étroite fonctionne encore jusqu'à Béchar (plus de Colomb). Je sais que la liaison avec le Maroc est fermée : les traverses ont même été enlevées. Dans les années 1990 la SNTF a repris un projet français de 1958 qui aurait consisté à prolonger vers le sud la voie normale Tabia-Ras-el-Ma avec un tracé non précisé. La SNTF a sûrement engagé des travaux pour un ligne directe Ras-el-Ma Méchéria. J'ignore si elle est terminée. Son achèvement devrait provoquer la fermeture de la voie étroite entre Saïda et Méchéria.
Pour le long terme il existe des projets aussi grandioses qu'improbables, notamment une ligne de 800km qui irait au delà de Tindouf et rendrait exploitable l'énorme gisement de fer de Gara Djebilet. L'Algérie en prenant partie pour le Polisario, contre le Maroc, espérait sûrement en retour l'autorisation de tracer une ligne directe et courte vers un port de l'ancienne Seguiet el Harma espagnole. C'est raté.


                              B/ Description de la ligne
Saïda est déjà à 810m d'altitude. La ligne monte encore un peu et la plus grande partie de son parcours steppique est à plus de 1000m, car les hautes plaines à alfa s'étalent entre 1000 et 1100m.Sur ces hautes plaines il n'y a pas de difficultés majeures ; le chott ech Chergui ( occidental) est traversé, après Le Kreider, sur une sorte d'isthme entre deux
zones inondables par fortes pluies. Au sud de Méchéria l'altitude augmente encore et la ligne franchit, à 1314m le point culminant de toutes les voies d'AFN.

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Ain-Sefra
Ain-Sefra
 
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Figuig
Figuig

Au delà de ce seuil de Mékalis, la voie descend vers Aïn- Séfra ; jusque là, la ligne était souvent rectiligne sur de longs parcours. Après Aïn-Séfra elle aborde une vraie difficulté ; elle doit contourner le djebel Mekter, puis se faufiler entre les djebels Cheracher et Djaara, grâce à la cluse de l'oued Namouss. Après l'étroit défilé de Mograr Foukani elle traverse le bassin d'El Feidja et oblique vers l'ouest pour passer bien près de l'oasis marocaine de Figuig. Il en est résulté un épisode plus folklorique que tragique, mais qui aurait pu mal tourner. En effet le convoi inaugural du 21 avril 1906, rempli de hautes personnalités, fut attaqué par des cavaliers marocains. Heureusement ce n'était qu'un simulacre, une fantasia bruyante. Mais il y eut tout de même quelques vitres brisées. La République, bonne fille, offrit aux cavaliers du sultan, un voyage de retour en train, avec changement à Perrégaux. Et la frontière resta fixée là où Lyautey l'avait placée. La gare de Beni-Ounif de Figuig (ou Revoil) était en Algérie ; et l'oasis au Maroc.

Au nord de Méchéria les gares étaient d'une grande banalité, comme presque partout en Algérie, en dehors des plus grandes villes. A partir de Méchéria elles devenaient plus originales car elle étaient fortifiées et tenaient du bordj autant que de la gare. Pour les gares les mieux protégées l'architecture saharo-militaire bâtissait le château d'eau, indispensable à la garnison et aux locomotives, dans une enceinte fermée où l'on pouvait également entrer le matériel roulant pour le mettre à l'abri, pour le moins, des vols et des déprédations.


 

 

 


 

 

NOOON ! pas besoin de cliquer sur l'image pour l'agrandir.
La gare de Ben-Zireg est à l'ouest de Beni-Ounif
La gare de Ben-Zireg est à l'ouest de Beni-Ounif dans une zone où la frontière marocaine est proche et suit la crête du djebel Antar à une dizaine de km. La locomotive est à droite.

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Profil en long Oran-Kénadsa
Profil en long Oran-Kénadsa
    

                                    C/ L'exploitation : trafics et rôles
Le débit et la vitesse de ce type de ligne, construite à l'économie, sont forcément très limités. Avant l'arrivée du Diesel, l'une des difficultés majeures était la fourniture d'eaux non corrosives aux chaudières des locomotives. La plupart des gares n'étaient que des haltes où les trains pouvaient se croiser ; parfois il n'y eut plus de personnel permanent une fois la sécurité établie. Pour faire demi-tour on avait privilégié les triangles de retournement : on ne manquait pas de place et ils exigeaient moins de maintenance. La vitesse commerciale très basse avait imposé de nombreux dépôts de locomotives : 4 entre Saïda et Colomb-Béchar, en plus de ces deux gares majeures et centres de tri. Après 1945 les locomotives Diesel ont bien simplifié la gestion de la ligne. En effet elles roulaient plus vite, n'avaient pas besoin d'être ravitaillées en eau, et leur mise en route était bien plus rapide. La même locomotive pouvait remorquer un train sur la totalité du parcours. On put même diminuer les frais de personnel.

Le trafic principal était celui des marchandises ; essentiellement l'alfa et le charbon vers le nord, les carburants importés, vers le sud.

Vers le port d'Arzew c'est l'alfa des hautes plaines qui domine dès le début. C'est un écossais qui avait découvert en 1864 que l'alfa permettait de fabriquer du papier de qualité supérieure. Or l'alfa ne manquait pas. En 1873 une " Société Générale des alfas " reçut une immense concession en Oranie, peut-être plus de 600 000hectares sur les 4 millions répertoriés dans toute l'Algérie, contre une redevance de 15 centimes par tonne qui ne fut modifiée qu'en 1956 ! Des embranchements alfatiers avec parcs de stockage avaient fort bien organisé la collecte d'environ 100 000 tonnes d'alfa par an. Cette concession fut une richesse pour cette région pauvre et pour ses concessionnaires (dont la famille Blachette), un fournisseur d'emplois pour les semi-nomades et la source du premier trafic pour le chemin de fer, jusqu'au port d'Arzew. Les clients étaient des papetiers anglais qui jugeaient l'alfa algérien préférable à l'alfa espagnol.

Vers le reste de l'Algérie il y eut un trafic charbonnier très irrégulier, à partir des terminus de Kenadsa, Béchar- Djedid et Ksi-Ksou. Ce charbon était de qualité médiocre avec des coûts d'extraction élevés à cause de l'étroitesse des veines ( moins de 0,50m le plus souvent). Il était aussi sulfureux. C'était un combustible passable pour les locomotives à vapeur . La production fut d'ailleurs entreprise en 1917 par les chemins de fer ; elle a progressé jusqu'en 1935 avec 43 000 tonnes, et gravement régressé ensuite jusqu'à la guerre. Les difficultés des relations avec la métropole en 1940 ont relancé la production de charbon, mais pas le trafic du chemin de fer car entre temps une voie normale avait été établie par le Maroc français. ( voir § sur le transsaharien). Ce trafic disparut peu après l'indépendance de l'Algérie, avec la cessation d'activité des houillères, sans doute en 1967.

Du port d'Arzew vers le sud le seul trafic notable, à partir des années 1920, fut celui des carburants.

Le trafic voyageurs est toujours resté faible. D'Oran à Colomb-Béchar les trains étaient confortables, avec wagon-restaurant et wagons-lits, mais il fallait être patient : au temps de la vapeur le voyage durait 21 heures à 36km/h de moyenne en 1939. Avec le Diesel en 1948 17h30 suffirent, à 43km/h de moyenne et60km en vitesse de pointe. A la gare de Bou-Ktoub un autobus assurait la correspondance pour Géryville (El Bayadh) à 88km vers le S.E.

On se souvient qu'avant d'être alfatière , puis charbonnière, cette voie, dans ses débuts, fut d'abord militaire et stratégique. Ces rôles ont accéléré son établissement. Il s'agissait de mieux surveiller, et les tribus nomades des steppes, et la frontière marocaine trop poreuse et trop mal délimitée, du moins avant la convention de Fès en 1912 et le protectorat français. Le rôle militaire ne disparut jamais et redevint capital dans les années 1930 lorsque la France décida d'occuper effectivement les confins algéro-hispano-maroco- mauritaniens. Tindouf n'est occupé qu'en 1934.

Par contre cette voie oranaise est restée à l'écart des trafics pétroliers qui sont apparus dans les années 1950 plus à l'est, essentiellement dans le Constantinois. J'ignore dans quelle mesure elle a pu être concernée par la base d'essais nucléaires française de Reggan (1960-1967) et par la base d' Hammaguir où 3 bases de lancement de fusées sont installées dès 1952. Avant l'évacuation de 1967 la France avait procédé à 214 essais, dont celui, réussi, du premier satellite français le 26 novembre 1965, par une fusée Diamant. Il est probable qu'elle a été utile.

l'une des bases d'Hammaguir
l'une des bases d'Hammaguir
A l'O.S.O. d'Abadla.