Tipasa de Maurétanie (écrit en 1955.)
La petite et riche commune de Tipasa, située à 65 kilomètres d'Alger, vient, au cours d'imposantes manifestations officielles et populaires, de commémorer tout à la fois sa création plus que bimillénaire et le centenaire du jour qui en marque le renouveau
PIEDS-NOIRS D'HIER ET D'AUJOURD'HUI, N°62 , novembre 1995
sur site le 20/09/2002...+ le 14-1-2012

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-----La petite et riche commune de Tipasa, située à 65 kilomètres d'Alger, vient, au cours d'imposantes manifestations officielles et populaires, de commémorer tout à la fois sa création plus que bimillénaire et le centenaire du jour qui en marque le renouveau. A vrai dire, ces cérémonies se préparaient au moment de la catastrophe d'Orléansville et ont été retardées jusqu'à maintenant. Mais qu'est-ce qu'une année de retard pour une bourgade dont le nom n'a pas varié depuis 2 600 ans ?
-----Avant de brosser à larges traits l'histoire de Tipasa punique, puis romaine, il est intéressant de se pencher sur l'aventure commencée en 1854 : elle jette un jour tout particulier sur les débuts héroïques de l'Algérie française et sur ce mot de colonisation, prononcé avec mépris par les uns, mais avec une vénération attendrie par les petits-enfants de ceux qui sont morts à la tâche.
-----Tipasa moderne, née sur les ruines de la ville antique, doit le jour à la rencontre entre l'initiative hardie d'un riche entrepreneur parisien et l'ambition colonisatrice de Napoléon III : il en naquit un décret. Par extraordinaire en cette matière austère, la lecture en est savoureuse.
-----Le décret accordait à l'entrepreneur une concession de 2 672 hectares, à charge pour lui de construire un village agricole de 50 maisons, de le peupler, d'attribuer à chaque colon 10 hectares de bonne terre , et de verser à l'État une somrné de 20 000 francs. -----L'Etat, de son côté, se chargeait des rues du futur village, auquel il assurerait une alimentation en eau potable, et_de faire construire une église et une école dès que la population atteindrait 30 familles. I1 prenait aussi l'engagement de créer tout le long du littoral une grande route qui traverserait Tipasa, cette simple ruine
perdue dans un maquis de broussailles et de palmiers nains.
-----Moins d'un an plus tard, l'audacieux défricheur, Auguste Demonchy, qui s'était mis immédiatement à la tâche et avait commencé la lutte contre les marécages infestés de moustiques, mourait du paludisme.
-----Quatre ans après, la courageuse Mme Demonchy, qui avait voulu continuer l'oeuvre de son mari, était emportée à son tour par le terrible fléau.
----- Tant bien que mal, le village projeté commença à se peupler de curieuse façon : sans doute avec quelques ouvriers parisiens survivants des fameuses colonies agricoles nées des généreuses utopies de 1848, - avec des déportés politiques de 1851, et naturellement avec des Espagnols et des Algériens ; mais les routes étaient toujours à faire et l'eau absente. "Nous les ferons quand le village aura pris quelque importance", disait l'Etat ; à quoi le fils des pionniers répondait : "Comment le pauvre hameau se peuplerait-il sans eau et sans voies d'accès ?". Aussi, un an
après leur installation, la moitié des habitants avait renoncé et deux d'entre eux étaient morts...
-----A la fin du XIX° siècle, Tipasa, dont la renaissance était si laborieuse, avait cependant réussi à montrer en quelques points que la culture de la vigne était possible, "bien que les récoltes en fussent faites en partie par des bandes de merles ou de véritables troupeaux de chacals". Ce petit inconvénient n'était pas fait pour arrêter un noyau d'énergiques viticulteurs de l'Hérault, ruinés par le phyloxéra et attirés par l'espérance que leur donnait un pays neuf. Ils réussirent à acclimater des plants de vigne importés du Languedoc.
-----Aussi, lorsqu'en 1886, la commune de Tipasa fut officiellement constituée,elle comprenait 230 Français et 1 200 Musulmans, cultivant 500 hectares de vignes.

----Mais, c'est au cours des 50 et plus particulièrement des 30 dernières années que Tipasa gagna enfin la lutte patiente qu'elle avait menée avec une tenacité et une obstination dignes d'éloges.
-----Elle pouvait enfin se pencher avec orgueil sur son passé si difficile et parfois si tragique : exemple entre cent de ce que furent les débuts de la colonisation algérienne que l'on oublie trop facilement aujourd'hui.
-----Actuellement, Tipasa, bourg d'un millier d'habitants, reçoit en été 3 000 estivants qui viennent rechercher ses plages, son site magnifique et une brise de mer si reposante.
-----Elle est fière de ses 1 500 hectares de vignes dont la production dépasse nettement 100 000 hectolitres, fière de ses orangeraies modèles et de ses cultures de primeurs, mais soucieuse, comme toute l'Algérie, de l'accroissement démographique dû à la paix française, à la fin des meurtrières luttes entre tribus ou villages et à la diminution énorme d'une mortalité effrayante : 6 000 indigènes appartenant aux fractions montagneuses et dont le nombre s'accroit sans cesse doivent puiser leurs ressources sur le territoire de la commune.
-----Si Tipasa est depuis peu bien alimentée en eau potable, ses habitants n'oublient pas que leurs pères durent se contenter, au cours de la longue période de démarrage, de ce qu'ils puisaient au fond des puits romains ou des restes de l'aqueduc. Car sans cesse, dans les travaux agricoles, le matériel ultramoderne accroche quelque bloc d'une construction antique et ramène en surface les restes d'une jarre ou d'une amphore.
-----C'est que notre vigoureuse centenaire est seulement la remplaçante des Tipasa qui se succédèrent en ce coin béni de la côte algérienne : fait unique dans l'Histoire, notre petit port n'a pas changé de nom depuis plus de 2 500 années. Car les Français reprirent, après les Romains, le mot phénicien que les grands coureurs de mers avaient donné à leur escale sur la route océane et qui veut simplement dire : lieu de passage.

Jean Baradez 1955

-----Au milieu de vignobles renommés, le village français de TIPASA s'abrite au pied du Chenoua dont le sommet est un point panoramique. Tipasa est un musée en plein air, où les restes du forum, de la basilique, des thermes, du théâtre, apparaissent dans la verdure. Il y a surtout le cimetière chrétien mis à jour autour de la chapelle de SainteSalsa. Beaucoup de ces sarcophages portent le nom de pélerins venus de très loin. Ces tombes sur la pente de la colline qui domine la mer sont quelque chose de très émouvant dans ce paysage plein de sérénité et d'une harmonie virgilienne.

Gabriel Esquer 1957

Amicale des Enfants de Sainte-Salsa
chez R. Lagodié
25 Le grand pré