-----La petite et
riche commune de Tipasa, située à 65 kilomètres d'Alger,
vient, au cours d'imposantes manifestations officielles et populaires,
de commémorer tout à la fois sa création plus que
bimillénaire et le centenaire du jour qui en marque le renouveau.
A vrai dire, ces cérémonies se préparaient au moment
de la catastrophe d'Orléansville et ont été retardées
jusqu'à maintenant. Mais qu'est-ce qu'une année de retard
pour une bourgade dont le nom n'a pas varié depuis 2 600 ans ?
-----Avant de brosser à larges traits
l'histoire de Tipasa punique, puis romaine, il est intéressant
de se pencher sur l'aventure commencée en 1854 : elle jette un
jour tout particulier sur les débuts héroïques de l'Algérie
française et sur ce mot de colonisation, prononcé avec mépris
par les uns, mais avec une vénération attendrie par les
petits-enfants de ceux qui sont morts à la tâche.
-----Tipasa moderne, née sur les ruines
de la ville antique, doit le jour à la rencontre entre l'initiative
hardie d'un riche entrepreneur parisien et l'ambition colonisatrice de
Napoléon III : il en naquit un décret. Par extraordinaire
en cette matière austère, la lecture en est savoureuse.
-----Le décret accordait à
l'entrepreneur une concession de 2 672 hectares, à charge pour
lui de construire un village agricole de 50 maisons, de le peupler, d'attribuer
à chaque colon 10 hectares de bonne terre , et de verser à
l'État une somrné de 20 000 francs. -----L'Etat,
de son côté, se chargeait des rues du futur village, auquel
il assurerait une alimentation en eau potable, et_de faire construire
une église et une école dès que la population atteindrait
30 familles. I1 prenait aussi l'engagement de créer tout le long
du littoral une grande route qui traverserait Tipasa, cette simple ruine
perdue dans un maquis de broussailles et de palmiers nains.
-----Moins d'un an plus tard, l'audacieux
défricheur, Auguste Demonchy, qui s'était mis immédiatement
à la tâche et avait commencé la lutte contre les marécages
infestés de moustiques, mourait du paludisme.
-----Quatre ans après, la courageuse
Mme Demonchy, qui avait voulu continuer l'oeuvre de son mari, était
emportée à son tour par le terrible fléau.
----- Tant bien que mal, le village projeté
commença à se peupler de curieuse façon : sans doute
avec quelques ouvriers parisiens survivants des fameuses colonies agricoles
nées des généreuses utopies de 1848, - avec des déportés
politiques de 1851, et naturellement avec des Espagnols et des Algériens
; mais les routes étaient toujours à faire et l'eau absente.
"Nous les ferons quand le village aura pris
quelque importance", disait l'Etat ; à quoi le
fils des pionniers répondait : "Comment
le pauvre hameau se peuplerait-il sans eau et sans voies d'accès
?". Aussi, un an
après leur installation, la moitié des habitants avait renoncé
et deux d'entre eux étaient morts...
-----A la fin du XIX° siècle,
Tipasa, dont la renaissance était si laborieuse, avait cependant
réussi à montrer en quelques points que la culture de la
vigne était possible, "bien que les récoltes en fussent
faites en partie par des bandes de merles ou de véritables troupeaux
de chacals". Ce petit inconvénient n'était pas fait
pour arrêter un noyau d'énergiques viticulteurs de l'Hérault,
ruinés par le phyloxéra et attirés par l'espérance
que leur donnait un pays neuf. Ils réussirent à acclimater
des plants de vigne importés du Languedoc.
-----Aussi, lorsqu'en 1886, la commune de
Tipasa fut officiellement constituée,elle comprenait 230 Français
et 1 200 Musulmans, cultivant 500 hectares de vignes.
----Mais,
c'est au cours des 50 et plus particulièrement des 30 dernières
années que Tipasa gagna enfin la lutte patiente qu'elle avait menée
avec une tenacité et une obstination dignes d'éloges.
-----Elle pouvait enfin se pencher avec orgueil
sur son passé si difficile et parfois si tragique : exemple entre
cent de ce que furent les débuts de la colonisation algérienne
que l'on oublie trop facilement aujourd'hui.
-----Actuellement, Tipasa, bourg d'un millier
d'habitants, reçoit en été 3 000 estivants qui viennent
rechercher ses plages, son site magnifique et une brise de mer si reposante.
-----Elle est fière de ses 1 500 hectares
de vignes dont la production dépasse nettement 100 000 hectolitres,
fière de ses orangeraies modèles et de ses cultures de primeurs,
mais soucieuse, comme toute l'Algérie, de l'accroissement démographique
dû à la paix française, à la fin des meurtrières
luttes entre tribus ou villages et à la diminution énorme
d'une mortalité effrayante : 6 000
indigènes appartenant aux fractions montagneuses et dont le nombre
s'accroit sans cesse doivent puiser leurs ressources sur le territoire
de la commune.
-----Si Tipasa est depuis peu bien alimentée
en eau potable, ses habitants n'oublient pas que leurs pères durent
se contenter, au cours de la longue période de démarrage,
de ce qu'ils puisaient au fond des puits romains ou des restes de l'aqueduc.
Car sans cesse, dans les travaux agricoles, le matériel ultramoderne
accroche quelque bloc d'une construction antique et ramène en surface
les restes d'une jarre ou d'une amphore.
-----C'est que notre vigoureuse centenaire
est seulement la remplaçante des Tipasa qui se succédèrent
en ce coin béni de la côte algérienne : fait unique
dans l'Histoire, notre petit port n'a pas changé de nom depuis
plus de 2 500 années. Car les Français reprirent, après
les Romains, le mot phénicien que les grands coureurs de mers avaient
donné à leur escale sur la route océane et qui veut
simplement dire : lieu de passage.
Jean Baradez 1955
-----Au milieu
de vignobles renommés, le village français de TIPASA s'abrite
au pied du Chenoua dont le sommet est un point panoramique. Tipasa est
un musée en plein air, où les restes du forum, de la basilique,
des thermes, du théâtre, apparaissent dans la verdure. Il
y a surtout le cimetière chrétien mis à jour autour
de la chapelle de SainteSalsa. Beaucoup de ces sarcophages portent le
nom de pélerins venus de très loin. Ces tombes sur la pente
de la colline qui domine la mer sont quelque chose de très émouvant
dans ce paysage plein de sérénité et d'une harmonie
virgilienne.
Gabriel Esquer
1957
Amicale des Enfants de Sainte-Salsa
chez R. Lagodié
25 Le grand pré
|