VISITE AUX RUINES DE TIPASA, DE SAINTE
SALSA ET AU TOMBEAU DE LA CHRÉTIENNE.
PAR WILFRID WINUM
-----Jean
Baradès, archéologue. Directeur des Fouilles de Tipasa.
dans son "introduction" de la plaquette éditée
par la Sous-Direction des Beaux-Arts du Gouvernement Général
de l'Algérie, tirée sur les presses de l'Imprimerie Officielle,
en 1952. à Alger, dit que "... Tipasa,
située seulement à 70 kilomètres à l'ouest
d'Alger. est un ensemble unique ... un site spécifiquement méditerranéen.
où la couleur ocre des roches et des terres contraste avec le vert
brillant des lentisques et avec les panaches pâlement argentés
des armoises ;
c'est à la fois un ensemble archéologique
méritant à lui seul un voyage d'études et un paysage
délicat de dessin très pur, dont la lumière sans
cesse changeante, plus douce et plus nuancée qu'en tout autre point
de l'Algérie, impose fréquemment la comparaison avec les
îles grecques.
-----Côte
découpée aux multiples anfractuosités limitant de
minuscules ou vastes plages, falaises à pic alternant avec les
criques, côteaux couverts de pins, sur les pentes desquels ondulent
les riches vignobles et les belles plantations d'amandiers, masse rugueuse
du Chenoua fermant l'horizon du côté de Cherchell,
végétation luxuriante du Parc National, tel est l'écrin
des ruines de Tipasa.
-----Il est peu de lieux plus évocateurs
et plus émouvants pour qui veut se pencher sur les témoignages
des premiers siècles du christianisme, sur ses angoisses, sur ses
martyrs, sur son triomphe, sur son déclin."
-----C'est
là ce qui motivait nos fréquentes promenades vers ces lieux
exceptionnels de la Côte Turquoise.
Là était une plage - la plus belle - de l'histoire ancienne
de l'Afrique du Nord.
Quant aux découvertes archéologiques en cette partie de
la terre, depuis la Préhistoire.
Tout, semble-t-il, avait commencé là.
-----Et, quant
aux "Origines et à l'Histoire", le texte en cette plaquette,
dit notamment : "... Si haut que nous puissions remonter dans le
temps. nous trouvons les témoins de la vie des hommes préhistoriques
sur la Côte Méditerranéenne de Tipasa à Bérard.
Ces hommes sont contemporains de la couche des limons rouges charriés
par les eaux des pluies diluviennes qui accompagnèrent en Afrique
du Nord le climat très froid auquel correspondait en Europe la
période glaciaire.
-----A cette
époque contemporaine du paléolithique supérieur et
éloignée de nous de Il .000 ans au moins, l'homme avait
avant tout besoin de protection contre ses semblables et contre les bêtes.
Aussi trouvons-nous dans certaines grottes et à l'extrémité
des caps les plus abrupts les produits de son travail et les outils en
silex éclaté dont il se servait (sur le promontoire de Sainte
Salsa et sur celui de l'Ouest auxquels viendront d'ailleurs tout naturellement
s'accrocher -au milieu du 2è siècle de notre ère
- les extrémités des fortifications protégeant le
port romain).
-----Mais
il faut attendre la lin de l'âge de bronze de la Méditerranée
Orientale pour voir les phéniciens affronter la haute mer et s'élancer
à la découverte du bassin Occidental.
-----Très
vite, les premiers navigateurs ouvrirent de véritables routes maritimes
sur lesquelles s'égrenaient les points de relâche, les abris,
les escales et les comptoirs stir lesquels elles s'appuyaient."...
-----C'était
la première invasion étrangère de l'Afrique du Nord.
-----En arrivant
à Tipasa , on laissait la voiture à l'ancienne carrière
qui tenait lieu de parking. devant la nécropole de Sainte-Salsa.
Mais deux ou trois cents mètres avant, sous la haute frondaison
des pins maritimes du plateau rocheux qui surplombait la mer entre le
rivage quasi à pic et la RN11
souvent était là
l'arrêt pique-nique habituel.
-----De là,
à pied. on se rendait, par le chemin romain, au Parc National,
pour y trouver les merveilleuses découvertes du parc domanial Trémaux.
côté Cherchell, à l'ouest par rapport à la
colline de l'est dite de Sainte-Salsa, côté Alger.
-----A l'ombre
des hautes luxuriantes végétations de pins, d'oliviers sauvages,
d'eucalyptus et autres,... aux branchages souvent entremêlés....
puis en sous-bois tout venant de lentisques, cistes, figuiers rabougris
en compagnie de ceux, épineux, de barbarie... s'étendent
les ruines mises au jour en les grands espaces couverts de verdure que
sépare la voie romaine principale de la cite,... le décumanus
et son prolongement en droite ligne allant de S.O. en NE, en bordure duquel
sont, en partant du S.O... le théâtre, le nymphée...
puis vers le N.E. en bout du décumanus... à 400 mètres
depuis le théâtre.., le Temple Anonyme jouxtant l'Amphithéâtre
et le Nouveau Temple au côté opposé.
-----Le décumanus
allait-il jusqu'au Forum à deux cents mètres de là
? On ne sait
-----Le Forum
étant établi sur le Promontoire dit "du forum"
entre, à l'ouest le Promontoire dit "de la Nécropole
de l'ouest" (de l'Évêque Alexandre ) et, à l'est,
le Promontoire dit "de Sainte-Salsa "
-----La distance
entre le Promontoire de l'ouest et celui de l'est étant de 1 750
mètres environ.
-----Entre
le Promontoire du Forum distant de celui de Sainte- Salsa d'un kilomètre
environ, se trouve le Fort romain.
..-----On
ne saurait dire - tant elles sont nombreuses - de toutes ces merveilles
en les ruines de Tipasa. avec tout ce que chacune évoque en particulier.
Toutefois. d'un exemple : le "décumanus", disons de cette
rue principale de l'antique cité avec ses vastes dalles de pierre
qui en pavaient le sol, devenues, à l'usure, quasi-convexes par
leurs bords arrondis, plongeants, plus sensibles sous l'effet des roues
des chars et des sabots des fougueux chevaux que guidaient des auriges
épris de vitesse, au point qu' aux tournants de rues pris "à
la corde" on peut y voir la gorge creusée par les roues dans
la pierre en forme de "pain de sucre" dont sont protégés
les bas de murs angulaires des maisons en rez-de-chaussée où,
... ici était la boutique d'un grainetier en laquelle, sous la
charpente charbonnée s'y trouvant telle qu'effondrée du
fait des incendiaires destructeurs d'envahisseurs barbares, ... y peuvent
se voir encore les graines variées, de même, charbonnées.
mais de formes encore intactes permettant de les identifier
dans
des jarres en terre cuite, intactes, les contenant, au choix d'une clientèle
d'antan, lorsqu'elles étaient alors comestibles.
-----Telle
se montre là, comme en mille autres lieux du territoire, où
les choses furent avec ce qui s'y passait. l'Histoire ancienne de notre
Algérie donc.
Disons, à l'occasion, en cet exemple comme en tant d'autres, qu'on
ne peut qu'éprouver un sentiment d'admiration pour la manière
dont furent si intelligemment menées les fouilles par les spécialistes
d'alors. des Services de la Direction de l'Intérieur et des Beaux-Arts
du Gouvernement Général de l'Algérie.
..
-----La visite
terminée on revient à l'ombre du bois de pins qui. venant
d'Alger. précède, deux cents mètres avant la nécropole
Sainte-Salsa, de celle-ci quelque peu retiré. On pique-nique là,
en les parties de sous-bois non embarrassées de lentisques, cistes
oit épineux.
De là se montre, entre le petit bois allongé le long et
à droite de la route, un espace du plateau rocheux jusqu'à
l'aplomb sur la mer, où, toutefois la descente vers cette dernière
est rendue possible par une inclinaison, du sol, moins pentue.
-----Au pied
de la pente un rocheux petit promontoire s'avance dans la mer qui fut
gîte exploitable en pierre à tailler pour la construction
en mer calme. S'y montre le procédé d'extraction d'antan,
des blocs bruts destinés à la taille hors carrière.
-----De la
forme en parallélépipède du bloc, en sont. d'abord.
dans une partie convenable de la masse rocheuse, ébauchées
trois faces dessus, de face en longueur, et de côté en retour
à angle droit). Le problème restant à détacher
le bloc en ses trois autres faces solidaires de la masse. En sont tracées
les lignes d'adhérence, ces dernières de surcroît
précisées par piquetage à l'aiguille de sorte que
demeurées apparentes de nos jours. Tel l'ouvrage s'y trouvant toujours
en exécution suspendue.
-----Sur ce tracé sont apparents les trous
forés à profondeur calculée pour recevoir des chevilles
de bois dur, sec, dont le gonflement provoqué par mouillage soutenu
provoque la séparation du bloc brut de la masse rocheuse.
L'objet est alors roulé sur rondins de bois dur, sur le cheminement
préalablement aménagé, dressé à dessein,
pour aboutir au pied de la rampe préparée de même
pour l'accès au plateau de niveau avec la R.N. A ce niveau d'aboutissement
de la rampe, d'un même roulage, se pratique le prélèvement
des blocs bruts de pierre, cordages et cabestan faisant.
-----Là
se montre, sous une légère végétation de petits
buissons, l'ouvrage des tailleurs de pierre en un vaste chantier fait
d'un matelas de forte épaisseur, d'éclats de pierre résultant
de la mise en forme finale de chacun des multiples ouvrages destinés
à la construction ou objets divers s'y rapportant en la ville antique
de Tipasa.
-----On suppose,
par ailleurs, que des pierres taillées de l'habillage final du
Tombeau de la Chrétienne proviennent des mêmes carrières
dont les antiques emplacements apparaissent le long des pieds de falaises
à pic des trois promontoires.
Leur transport jusqu'au tombeau, possible par chariots à boeufs,
depuis la crête final de la chaîne côtière, par
chemin de crête aboutissant à la porte principale, antique,
de la cité. Le dit chemin conduisant, tout droit, à 7 kilomètres,
au Tombeau, lui, étant à l'altitude de 260 mètres
au-dessus du niveau de la mer ; l'aboutissement se faisant devant la fausse
porte Ouest du Mausolée. Le même chemin de crête d'antan
reliait alors Tipasa à Coléa. Pratiqué principalement
par moyen équestre lorsqu'eurent lieu les travaux d'archéologie
commencée au Tombeau en fin du XIXe siècle.
Cheminement allant selon l'axe d'est en ouest.
-----Or, se
trouvent sur cet axe les portes (fausses) de l'est et de l'ouest, celles
du nord et sud complétant la rigoureuse position des quatre points
cardinaux de l'édifice.
Le Tombeau de la
Chrétienne
-----Sur cet axe
se trouvant l'entrée antique dans le monument sous la fausse porte
Est, comme s'y trouvai t un accès plus ancien conduisant directement
aux chambres centrales elles-mêmes, établies ensuite, sur
le même axe.
-----Qu'en
cela fut une première méprise d'antiques chercheurs de trésor,
apparemment bien informés, alors, quant à la propriété
de l'axe est-ouest, qui, à tort, d'entrée, pratiquèrent
une première fouille au Tombeau, sous la fausse porte ouest, puis
convaincus de leur erreur, où ne se montrait nulle entrée
souterraine, allant en Est à coup sûr. en "leur esprit",
y trouver la bonne entrée. Pénétrant dans le Tombeau,
n'y trouvant aucune sépulture, hormis les deux chambres trouvées
vides, l'accès auxquelles se faisant par portes de pierre brisées,
par ces premiers chercheurs sans doute, mais leurs dimensions n'auraient
en aucune manière permis l'introduction de sarcophages.
-----D'une
promenade à Tipasa on pouvait, revenant vers Alger, s'arrêter
près de la Ferme Beauséjour, pour y prendre le chemin carrossable,
en lacets, par le flanc nord, côté mer, depuis la R.N2, montant
au Tombeau.
-----On y
allait, motivés par son mystère, ses légendes, par
ces hypogées de souverains de la Mauritanie antique, qu'on n'avait
pas encore décelés.
-----Nous nous reposions sur les assises
de base de l'édifice, chacun se remettant en mémoire ce
qu'il s'avait déjà sur la signification de cette antique
construction, plaquettes diverses en mains, portant toutes l'indication
"Documents pour servir à l'histoire de l'Afrique du Nord".
-----Or. nous cherchions toujours à propos de cette dernière,
demeurée obscure en nos entendements, ce que de mieux et de vraisemblable
nous pouvions apprendre de ces plaquettes, lesquelles se réfèrent,
en général, aux travaux d'historiens, tels que Messieurs
Stéphane GSELL et ESQUER.
-----Or, selon S. GSELL, c'est vraisemblablement
là, le Mausolée, à la mémoire de Juba Il et
de Cléopâtre Séléné, antiques souverains
de la Mauritanie Césaréenne.
-----Il paraît,
quant à la description du monument, convenable de dire que celle-ci
n'était possible lorsque le bâtiment n'apparaissait que tel
une colline boisée, le 20 octobre 1835 au Maréchal CLAUZEL,
gouverneur général accompagné de son secrétaire
particulier BERBRUGGER visite trop rapide toutefois, pour que d'utiles
observations aient pu, alors, être faites.
-----C'était
là, en fait, un monticule de blocs de pierre verdoyant parce que.
des siècles durant, exposé aux quatre vents lui avait valu
apport accumulé de poussières mêlées de graines
méditerranéennes en tous genres dont résultèrent,
entre autres, arbrisseaux de cistes aux blanches pâquerettes, courts
épineux à fleurs jaunes et quelques petites touffes de lentisques,
entre lesquels n'apparaissaient que quelques pierres du monument dont
les éboulis sur le pourtour contribuaient à l'aspect d'une
éminence naturelle du sol.
-----L'éboulement,
de surcroît, autant dû aux intempéries qu'au fait de
l'enlèvement, par les indigènes, du plomb, en mortaises
en queue d'~ronde, qui réunissait les blocs. Adrien BERBRUGGER
fut, vers 1855-1856, chargé par le Maréchal RANDQN, gouverneur
général, de pratiquer les premières fouilles au Tombeau
de la Chrétienne. Elles n'aboutirent qu'à l'en débarrasser
de la petite brousse qui le masquait.
Les ressources financières furent défaut.
-----Ce n'est
qu'en 1865, à l'occasion d'un passage de Napoléon III, près
de ce que les indigènes appelaient "Kober Roumia", qu'une
exploration sérieuse fut décidée. alimentée
par des fonds que l'Empereur prélevait sur sa cassette personnelle,
particulière.
Une décision de juin 1865 désignait Adrien BERBRUGGER, archéologue
et MAC CARTHY, architecte, comme chargés des travaux.
BERBRUGGER décrit alors le monument:
"... édifice constitué par un amoncellement de moellons
et de gros blocs de tuf, recouvert extérieurement de belles pierres
de taille de grand appareil; il a 60 m 90 de diamètre, 185 m 22
de circonférence et 32 m 40 d'élévation.Le cylindre
de base comporte quatre fausses portes de 6 m 20 de hauteur.Le cône,
au-dessus du cylindre, a 33 gradins de o m 58 chacune haut qui couronne
le mausolée, et se termine, en haut, par une petite plate-forme
où devait autrefois se dresser une statue... "Comme on le
sait, plusieurs trous de sondage furent pratiqués, depuis le cône
de couverture, au trépan à percussion;... l'un d'eux finissant
par tomber dans le vide près de la fausse porte sud, malencontreusement
détruite à l'explosif ouvrant une brèche de pénétration
dans la galerie circulaire. Percée de mur de 6 m 75 d'épaisseur.Or,
le plan dressé dès lors par MAC CARTHY représente
cette galerie en forme de courbe d'un (?) se lovant vers le centre y montrant
la suite des deux chambres centrales selon un axe d'alignement sud-ouest,
nord-est.En fait n'était là que milieu d'un noyau central
d'une construction qui avait été un premier mausolée
de faible prétention, vraisemblablement édifié, plus
modeste, de son vivant par Cléopâtre Séléné
.... son royal époux, par la suite survivant, embellissant l'ouvrage
par un doublage fait d'une galerie circulaire, comme l'imposait la forme
cylindrique du premier bâtiment. De celui-ci en défaisant
le couronnement pour y appuyer le pied de la courbe de plein-cintre constituant
la voûte de la galerie de doublage. Laquelle a 2 m de largeur, 2
m 40 de hauteur sous voûte, et 150 m de longueur. Elle fait le tour
du premier bâtiment construit mais, près de son point de
départ au droit de l'entrée souterraine Est,.., décrit
un coude brusque presque à angle droit vers le centre jusqu'à
l'entrée de la première des deux chambres.
-----Ce qui démontre que le doublage
nécessita ce qui fut qualifié de " loup " dans
la construction du bâtiment que voyait être construit d'un
seul et même " jet ", M. Christophe architecte, par la
suite chargé de la reconstitution des façades écroulées
du mausolée.Ce qui, comme on sait, ne fut pas l'avis de Stéphane
GSELL convaincu d'un doublage d'après coup, du bâtiment initial,
qui nécessita la création souterraine du caveau-vestibule
de nouvelle entrée d'accès à la galerie par substitution
à celle qui, à l'origine, se pratiquait directement sur
l'extérieur.En témoignent d'ailleurs les pierres de la corniche
à goutte d'eau du premier bâtiment. Pierres utilisées,
très visibles dans le parement déjà partiellement
reconstitué du bâtiment.
-----Par ailleurs, dans le fond du caveau-vestibule
souterrain de la nouvelle entrée Est, se montre une fouille assez
profonde qui ne saurait être que le fait de ces chercheurs antiques
qui avaient, par erreur, cherché l'entrée sous la fausse
porte ouest. La visite au Tombeau de la Chrétienne terminée,
demeure toujours la question de la raison d'être de cet antique
monument.
... Rien à retenir de toutes légendes, qui vont avec moults
récits fantastiques, telles que celle qui fit, au XVJe siècle,
le Pacha Sala Réis, canonner le tombeau avec l'espoir de mettre
au jour des caisses d'or et de pierreries.Mais les boulets de ces bombardes
ne réussirent qu'à ouvrir une brèche large mais superficielle
au-dessus de la fausse port Est.
-----Demeure plausible la possibilité
d'un hypogée établi, avant la construction du bâtiment
dans le flanc sud de la colline où seraient les souverains de la
Maurétanie Césaréenne.
-----Réalisation, dans le plus grand
secret à l'abri des regards que favorisait la haute frondaisie
d'une forêt de pins parasols, faîte du vivant de Juba et Cléopâtre.
Leurs origines, quoique très différentes, sont convergentes
dans une commune raison ancestrale de concevoir, pareillement, leurs sépultures.Quant
à la rencontre de ces deux êtres en ce qui allait les unir
un jour, souvenons-nous de Juba d'abord, qui, en l'an 60 av. notre ère,
se trouvaient en triumvirat, maîtres de Rome, César, Pompée
et Crassus. Or, le roi de Nurnédée Juba 1er, s'avisa de
se dresser contre César alors politiquement opposé à
Pompée. Guerre s'en suivit et Juba, battu à Thapsus en 46
av. J.C., de ce fait, se donna la mort. Ne pouvant paraître au triomphe
de son fils, petit prince de 6 ans qui le remplaça mais récupéré
ensuite à la cour de Rome dans les principes de laquelle il fut
élevé et éduqué.
-----Par ailleurs, face au promontoire grec,
à l'entrée du golfe d'Arta, eut lieu la bataille navale
d'Actium où, en 3 1 av. J.C., fut la victoire d'Octavien sur Marc
Antoine, lequel, pour même raison que Juba 1er, se donna la mort.
De même se la donna la grande Cléopâtre VII, son épouse,
dont il eut une fille Cléopâtre Séléné,
fillette, comme le petit Juba, de même exposée au triomphe,
mais finalement recueillie à Rome pour y être, de même,
élevée et éduquée.
-----Par ce concours de circonstances, Juba
et Cléopâtre Séléné, en l'an 20 av.
J.C. s'épousèrent et devinrent les souverains du royaume
de Maurétanie.
-----Stéphane GSELL, alors membre
de l'Institut. professeur au Collège de France, Inspecteur général
des Antiquités et des Musées de l'Algérie, dans sa
plaquette : Cherchell antique Cgarea, dit de Juba 2: " qu'à
Rome il s'était pris de goût pour les lettres, les arts et
les sciences, qu'il voulut se faire un grand nom littéraire. Que
parmi les rois, dit Plutarque, nul ne fut meilleur historien. Qu'il fut
aussi géographe, naturaliste, grammairien, critique d'art, et même
quelquefois poète. Etc. "Cela dit, on imagine le trésor
véritable d'une bibliothèque de ce temps-là que pourrait
contenir l'hypogée, si, d'aventure, il était un jour découvert.
-----Mais le tombeau de la Chrétienne
nous fait toujours rêver.
il nous remet en mémoire ces lieux perdus, merveilleux et leur
environnement, que Berbrugger évoquait en ses lettres écrites
à sa fille Eugénie qui demeurait alors à Alger.
-----Berbrugger, lui, campait près
de la Ferme Beau Séjour, au bordj Ksob-el-Halou. De là,
il grimpait, une fois par jour au Tombeau, dont il dirigeait les travaux
d'exploration.
-----Du bordj il écrit à sa
fille : (en vers comme en prose)... Par exemple:
" D'ici, le genre humain était alors absent; Et mon bordj
dans les bois s'élevait solitaire. Près du désert
de l'eau, sur un désert de terre... D'avoir trop travaillé,
mon esprit aux abois S'est déjà rafraîchi dans le
calme des bois. Pour l'amuser, d'ailleurs, j'ai d'agréables livres
Son ami l'estomac n'est pas à court de vivres. Tout va donc pour
le mieux; si tu n'y manquais pas, Beau séjour pour me plaire aurait
tous les appâts, Si les puces manquaient! à la hâte
j'ajoute, Et n'envahissaient tout, jusqu'à la grande route; Si
bien qu'on peut ici, craindre le triste sort De l'âne qu'à
Dellys elles ont mis à mort.
-----Depuis peu de jours; et là matin
et soir, M'appelle un appétit qui fait plaisir à voir. Comment
n 'avoir pas faim, lorsque dans les broussailles, On a marché longtemps
en quête d'antiquailles; Qu'après avoir gravi des monts accidentés,
Du rivage on parcourt les rocs déchiquetés? "Puis en
prose:... entre autres: " Le temps est admirable au-delà de
toute expression; Tu ne peux te figurer la splendeur du ciel, la fraîcheur
de la verdure, l'éclat des fleurs printanières. J'en suis
vraiment enivré, et, chaque jour, changeant de route, je me lance,
par monts et par vaux, à travers les broussailles, au grand détriment
de ma garde-robe, mais au plaisir de mes sens et de mon cur. Je
tourne décidément au bucolique. "En sa lettre à
sa fille du 23 avril 1866...
-----" Il nous est arrivé, hier,
du désert, d'innombrables nuées de voyageuses de ma fenêtre,
je les vois planer dans l'air comme des nuages jaunâtres dorés
par les rayons du soleil; les broussailles en sont couvertes le soir;
tu comprendras que je veux parler d'une des grandes plaies de l'Égypte,
les sauterelles.
-----Le nuage de sauterelles après
avoir plané sur Aïn-el-Halouf (source du porc) depuis hier,
descend en ce moment sur le bord de la mer et se répand à
l'Est et à l'Ouest. Je crois qu'il y eut des troupes de renfort.
C'est aussi fort qu'il y a 21 ans, lorsque nous avons eu la première
visite de ces animaux destructeurs. C'est une triste chose pour les récoltes.
-----Pendant que j'écris ici, leur
nombre augmente encore. Je suis obligé de fermer portes et fenêtres
pour ne pas avoir leur visite; elles couvrent la terre et le gazon devant
la maison. On ne voit plus qu'elles. Le pauvre champ de coton qui est
derrière nous est fortement compromis chaque pied a une grappe
de sauterelles tout autour.
-----Je me suis décidé à
sortir malgré le fléau à chaque pas, j'en faisais
lever des milliers qui me sautaient aux yeux, au nez, qui entraient par
le bas du pantalon. Celles qui étaient en l'air se conduisaient
encore plus mal; elles me couvraient de vilaines petites crottes qui prouvaient
que leur dernier repas avait été bon. En rentrant, elles
me suivaient dans ma chambre. Je pense avec dégoût que pour
aller déjeuner il me faudra passer par les mêmes épreuves
et pire, car le nombre de ces animaux augmente à vue d'il
et de minute en minute.
-----Je pars d'ici dimanche 29 avril et serai
le soir même à Alger ; prends-en note. "Et puis : du
Tombeau de la Chrétienne, le 15 mai 1866:
" Très chère enfant, Je t'écris ceci au pied
de la sépulture royale des antiques
souverains de Maurétanie, à quelques mètres de la
galerie qui a été découverte dimanche dernier dans
le flanc sud du vieil édifice. M. Mac Carthy et moi, nous sommes
venus camper ici, hier, afin d'être à la porter de tout ce
qui peut surgir au moment suprême.
-----Car le dénouement définitif
approche et quelques centimètres seulement nous séparent
du caveau de galerie dont la sonde artésienne nous a donné
connaissance. Le cur me bat fort, je l'avoue, à ce moment
suprême, et une multitude de questions se présentent en foule.
Par exemple - et d'abord - trouvera-t-on quelque chose dans le monument
et n 'aurons-nous qu'à faire le plan dc salles et galeries vides
que d'autres, venus là avant noli', auraient complètement
dévalisées? Nous le saurons quelques heures, mais plus le
dénouement approche, pli l'impatience s'accroît.
-----C'est au point que moi, l'ami de la
nature, j'ai eu peine sensible, hier soir, par une soirée splendide,
ombre gigantesque qui, avec les deux chênes encore en place, et
qui font assez l'effet d'une paire de cornes ressemblant pas mal à
une colossale tête de diable -nous faisait une grimace menaçante
pour nous détourner de nos travaux sacrilèges.
-----Insensible presque à une magnifique
aurore boréale qu'éclairait le côté Ouest du
Kober Roumia d'autant mieux ressortir l'obscurité des autres faces.
Insensible enfin à un magnifique lever de soleil qui m'a salué
ce matin au sortir de la tente et éclairait richement les crêtes
de l'Atlas et la belle plaine qui s'étend sous ses pieds.Ingrat
et anti poétique, je n 'ai eu d'yeux que pour ce trou béant
devant nous et au bout duquel est une grande réussite ou une quasi
déception.Car le public ne tient compte que des réussites.
Certes, s'il n'y a rien dans le Tombeau, cela ne diminue rien, au fond,
le mérite de nos efforts, de notre persistance, etc., mais bien
peu nous en tiendront compte.En tout cas, ma chère enfant, j'entrevois
au bout de tout cela, une bonne compensation c'est que nous serons enfin
réunis.Nous ne sommes donc plus séparés du résultat
final que par l'épaisseur d'une pierre.
-----Mais on avance lentement, car on avance
par la poudre, moyen énergique, mais qui oblige à de grandes
précautions. "
-----Puis en lettre du mai 1866: "...
La galerie aboutit de chaque côté à deux caveaux mortuaires,
fermant par de grandes dalles qui étaient brisées. Cela,
joint à d'autres signes non moins éloquents, signifie que
d'autres nous avaient précédés là; par où?
Comment? C'est ce que nous ignorons encore.
-----Pour moi, hier, j'étais si heureux,
si étourdi de voir enfin obtenu ce dernier et grand résultat
des travaux que je dirigeais, que je ne savais plus où j'en étais.
"
-----Et le texte de conclure:C'est ce même
jour, 4 heures du soir que, après 7 mois d'efforts, Berburgger
allait pénétrer dans l'hypogée et parvenir aux salles
centrales. Mais tout était vide.
Le tombeau de la Chrétienne (Suite
et fin du n°14)
-----Quand ce mausolée
a-t-il été construit ?
-----Cette sépulture royale est antérieure
à la réduction de la Maurétanie en province romaine,
c'est-à-dire à l'année 40 après J.-C. C'est
vers le même temps qu'écrivait Pomponius Méla. Toutefois
dans sa description du littoral africain, cet auteur a reproduit avec fort
peu d'addition un ouvrage plus ancien qu'il y a quelques raisons d'attribuer
à Varron mort en 27 avant notre ère.
-----D'autre part, le Tombeau de la Chrétienne
est postérieur au Médracen (autre monument antique de l'Algérie
qui s'élève non loin de Batna au milieu d'un vieux cimetière)
puisqu'il en est certainement une copie. Mais il faudrait savoir de quand
date le Médracen. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la forme
de ses chapiteaux doriques l'apparente au mausolée de khroub construit
vers 1.50 avant notre ère. D'où l'on conclura, sans vouloir
trop préciser, que le Tombeau de la Chrétienne est tout au
plus du second siècle.
-----Que cette ruine grandiose soit celle d'un
tombeau, cela n'est pas douteux. Il faut évidemment l'identifier
avec le monumentum commune regiae gentis (le tombeau commun de la famille
royale) qu'un géographe latin Pomponius Méla mentionne sur
la côte Méditerranéenne entre Caesarea (Cherchell) et
Icosium (Alger). Le Tombeau de la Chrétienne est un tumulus funéraire,
semblable à des sépultures indigènes, d'ailleurs bien
plus petites, qu'on rencontre par milliers dans toute la Berbérie
et dans le Sahara.
-----Le tombeau de la Chrétienne est,
au point de vue artistique, une oeuvre assez médiocre, mais ce mausolée
est intéressant par les contradictions qu'il représente. Elevé,
comme' dans les sépultures primitives des Africains, dans une solitude
sauvage, il se montre cependant de très loin, comme un de ces sanctuaires
que tant de religions ont dressés et dressent encore sur les hauts
lieux. Construction de type indigène, il est couvert d'une chemise
grecque.
-----A l'intérieur il est pourvu de
voûtes appareillées, d'origine étrangère, de
dalles-portes qui ressemblent aux herses en granit des pyramides d'Egypte
et en dérivent peut-être par des intermédiaires inconnus.
Tas de pierres destiné à emprisonner des êtres redoutables,
il s'orne de portes purement décoratives il est vrai, mais rappelant
celles par lesquelles les demeures des défunts s'ouvrent chez les
Romains et chez les Grecs.
-----Le caveau central, qui n'est qu'un agrandissement
de la caisse de pierre dans laquelle le mort était enfoui, est précédé
de vestibules et d'une longue galerie, donnant accès à ceux
qui viennent visiter ses hôtes et leur rendre hommage. La pratique
nationale de l'inhumation a probablement été remplacée
par l'incinération. Le tombeau de la Chrétienne est le symbole
d'un peuple barbare qui, sans renoncer tout à fait à ses vieilles
coutumes, ne repousse par les leçons d'une civilisation supérieure. |