Géographie de l'Afrique du nord
Le Titteri des Français
1830-1962
DEUXIEME PARTIE : LES LOCALITES
B/ LES CHEFS-LIEUX D'ARRONDISSEMENTS DE LA RN 8
TABLAT
Documents et textes : Georges Bouchet
mise sur site le 14-3-2009...copié ici : oct. 2014

184 Ko
retour
 

TABLAT

  C'est un village de colonisation en montagne qui a végété
  C'est une route d'embuscades après 1954
  C'est une improbable sous-préfecture en 1956
  En 1954 il y vivait 700 personnes, dont 122 Européens

L'origine du nom est berbère

Tablat est un mot qui, en kabyle, peut désigner une quelconque caillasse, pierre ou caillou. Ce n'est pas une garantie de sol riche. Mais, à vrai dire, il n'y a pas plus de cailloux ici qu'ailleurs dans l'Atlas tellien. Quand on arrive à Tablat au printemps, en descendant l'oued el Had qui rejoint l'oued Isser un peu plus bas, ce qui se remarque c'est la verdure due à un climat pluvieux et frais l'hiver.

Après 1830 les tribus de ces montagnes étaient, par nous, qualifiées de Kabyles. Ce sont elles qui harcelaient nos postes proches de la Mitidja dès 1835 et qui nous obligèrent même, en 1839, à tous les évacuer, sauf Fondouk.

L'origine du centre est française

C'est une création française ex nihilo dans un site difficile d'accès et peu susceptible d'assurer la prospérité des colons attirés là par la IIIè république.

En 1876 Fondation d'un centre de peuplement européen. Ce Tablat est une sorte d'exception, d'abord par son nom indigène conservé. En effet alors que la monarchie, à la demande explicite du Directeur de la colonisation, le comte Guyot, avait pris le parti de garder les toponymes indigènes dans le Sahel et dans la Mitidja alors en cours de colonisation, la république choisit assez systématiquement d'honorer ses grands hommes, ses militaires et ses victoires. Mais pas ici. D'autre part Tablat est implanté au fond d'une vallée étroite où se rejoignent deux oueds.

Tablat avant les Français

Avant les Français Tablat n'existe pas en tant que centre de peuplement ; c'est un lieu-dit dans un fond de vallée inondable. Les mechtas étaient, comme aujourd'hui, situées sur les hauteurs déboisées ou à mi-versant, mais toujours à l'écart des lits d'oued, de leurs débordements et des mares à moustiques. Le colonel Niox, dans sa géographie militaire publiée en 1890 signalait cependant l'existence jadis d'un poste romain, sans donner son nom latin.

Tablat à l'époque française 1876- 1962

En 1876 Tablat est créé
En 1879 Tablat devient le chef-lieu d'une vaste Commune Mixte
En 1954 cette commune mixte avait 85 395 habitants dispersés sur un vaste territoire de plus de 1000km² sans grandes ressources.
Entre 1879 et 1956 l'histoire de la commune n'a laissé aucune trace précise dans les ouvrages et les articles que j'ai pu consulter à l'exception du séisme de 1910 qui fit quelques dégâts. Elle a néanmoins laissé le souvenir d'une zone montagneuse pauvre qui ne pouvait nourrir tous ses habitants. Ces montagnards ont très tôt quitté leur mechta, au moment des gros travaux agricoles, pour aller s'embaucher comme travailleurs saisonniers dans les fermes des colons de la Mitidja ou du Sahel. Des habitudes, sinon des liens, s'étaient créées entre des familles de la région de Tablat et des exploitants européens. Ce sont les mêmes ouvriers, ou leurs frères, ou leurs fils, qui revenaient chaque année pour les vendanges ou pour les moissons dans la même exploitation. Après 1930 certains sont venus avec leur femme et ne sont plus repartis, modifiant alors fondamentalement la population des villages français proches d'Alger.

Le 24 février 1956 la route de Tablat devient maudite
J'ai pris le parti, dans ce travail de mémoire d'ignorer les combats et les massacres du temps des " événements " après 1954. Mais toute règle tolère des exceptions : le cas de la route qui mène à Tablat par le hameau de Sakamody et le col des deux-bassins, en sera une, et majeure. Je me permets cette exception car le massacre des innocents du 24 février 1956 a, plus que d'autres, marqué les esprits des gens de mon âge. Je ne mettrai qu'une image ; et pour les faits je recopie les pages qu'André Rossfelder lui consacre dans son " onzième commandement ".

Extrait du livre " Le onzième commandement " page 402

Le matin du 24 février sur la route de Sakamody, au col des deux-bassins, un car qui desservait journellement Bou-Saada, une Aronde, une Peugeot 403 et un camion sont successivement tombés sur un barrage de rebelles en tenue militaire.

Un sous-officier musulman se trouvait parmi les quelques passagers du car. Les fellaghas l'ont tué et ont forcé le chauffeur et les passagers, tous arabes, à basculer le véhicule dans le ravin avant de les laisser partir.

L'Aronde est arrivée ensuite avec 5 touristes, la famille Salle, des gens de Bretagne, qu'accompagnait un ami parisien. Ils revenaient eux aussi de Bou-Saada. Les détails de la tuerie n'ont pas été publiés, mais ils ont été vite connus. Le mari garrotté a pu voir sa femme, sa belle-mère et sa petite fille de 7 ans violées et tuées avant d'être égorgé à son tour comme son ami. Viol et égorgement, toujours ce rituel de possession et de sacrifice.

La Peugeot 403 est alors apparue et les deux passagers, un architecte d'Alger, José Ritter et son assistant musulman, ont été également égorgés. Le chauffeur du camion, Georges Comte, est mort d'une balle dans la tête alors que ses 4 arabes demandaient aux tueurs de l'épargner, c'était leur patron, un bon patron. Les fellaghas leur avaient répondu : " Voilà pour les bons patrons ".

Les fellaghas sont ensuite allés massacrer les habitants d'une mechta voisine qui les avaient mal reçus, massacre dont les voix du FLN accusèrent l'armée selon l'usage : les villages voisins qui savent apprennent la leçon, l'étranger qui ne sait pas condamne la France.


Cliquer sur l'image pour l'agrandir
La route unique desservant Tablat.
La route unique desservant Tablat.
J'ai surligné en bleu les oueds et en rouge la limite orientale de l'arrondissement.
Le col est à 916 m.
La petite Françoise Salle, 7 ans
La petite Françoise Salle, 7 ans

A partir de cette date funeste, seuls les convois militaires ont pu se rendre à Tablat par Sakamody. En effet l'intérêt mineur de cette route explique qu'elle n'ait pas bénéficié du même traitement sécuritaire que la RN 1 dans les gorges de la Chiffa équipées de postes d'observation placés dans des fortins gardés et sans porte au niveau du sol. Le trafic civil vers Aumale et Bou-Saâda fut détourné par Bouira ; les quelques rares véhicules qui montaient à Tablat également.

Le responsable de ce massacre, un dénommé Ali Khodja, sergent déserteur de l'arsenal d'Alger, fut plus tard abattu par les paras de Bigeard. Je ne sais pas s'il a eu des descendants ; mais je sais qu'il a eu des émules à partir des années 1990. Le 9 avril 2005, à ce même col des deux-bassins jamais débaptisé sur nos cartes, 14 personnes ont été égorgées à un faux barrage tenu par un commando du GIA. On peut noter que, d'une façon générale, tant en 1954-1962 qu'en 1991-2008 cette zone de l'Atlas tellien, entre Palestro et Médéa, avec Tablat au milieu, fut la région la plus concernée par les attentats, les embuscades et les tueries ; et aussi le point de départ et de retraite des commandos qui infestèrent la Mitidja. J'aurai l'occasion, avec l'affaire du monastère de Tibharine près de Lodi, de revenir sur cette triste spécialité régionale.

Le 22 juin 1956 Tablat devient chef-lieu d'arrondissement du département de Médéa. Je suppose que le sous-préfet a dû rejoindre son poste en hélicoptère. Peut-être avec le chef de la nouvelle SAS installée au même endroit.

Le 17 mars 1958 Tablat et son arrondissement sont rattachés au nouveau département d'Aumale qui est créé aux dépens de celui de Médéa.

Le 2 novembre 1959 Tablat et son arrondissement sont à nouveau rattachés à Médéa, le département d'Aumale ayant été supprimé sans avoir jamais eu de réalité à cause de la chute de la IVè république après les manifestations du 13 mai 1958 à Alger.


Le cadre naturel et ses aptitudes

juste avant d'arriver à Tablat , au printemps 1963

Tablat est au centre d'un ensemble de djebels en partie boisés, avec des pins d'Alep surtout, des frênes le long de la route, et quelques chênes verts. Ces montagnes, peu élevées, 1298m au maximum, ont été largement déboisées par les populations dont les mechtas sont nombreuses et proches les unes des autres. Elles évitent le fond des vallées où, en 1963 encore, on pouvait voir quelques tentes d'éleveurs semi nomades.

Les vallées sont profondément encaissées, mais ne sont pas des gorges étroites. Il y a de la place pour quelques champs de cailloux ou d'orge. Le village de Tablat est ainsi situé au fond d'une vallée où la place manque pour s'étaler, à 446m d'altitude, peu au-dessus de la vallée de l'Isser qui réunit les points les plus bas de la commune à un peu plus de 300m.

La photo ci-dessus a été prise juste avant d'arriver à Tablat , au printemps 1963. Elle peut donner une idée de la largeur de la vallée, de l'aspect très verdoyant du paysage et de l'abondance des cailloux déposés là par les crues de l'oued. Elle permet également de vérifier dans le lointain, combien les versants, et même les sommets parfois, ont été déboisés.

Tablat est au centre d'un terroir agricole incommode et médiocre
L'altitude du village est assez basse pour permettre la culture des amandiers, figuiers et oliviers ; mais la place manque pour de larges emblavures. Et les labours efficaces ne sont guère faciles avec toutes ces pierres enfouies à faible profondeur.

Les cultures sont donc de peu de rapport ; ce village de colonisation n'a pas totalement dépéri, mais il ne s'est pas développé du tout.

Et encore faut-il tenir compte de l'extrémité sud de la commune qui déborde très légèrement sur la riche plaine des Aribs. On y trouve le hameau des Frênes et les exploitations les plus riches.

Tablat est parfois signalé pour la qualité de ses aulx et de son petit élevage de volailles. Ces deux " spécialités " étaient favorisées par la proximité d'Alger (à 69km) qui offrait un débouché assuré et rémunérateur pour l'ail et pour les œufs ; du moins lorsque la route de Sakamody était encore sûre.

Tablat ne devint jamais un vrai un gîte d'étape

le modeste hôtel des oasis qui ressemblait à une villa landaise à colombages.

Le village était situé sur la route la plus courte entre la côte et la première oasis du Sahara : Bou-Saâda. La RN 8 est la seule à traverser toute la commune du nord au sud et elle était parcourue par les touristes se rendant d'Alger à Bou-Saâda ; mais aucun d'entre eux n'aurait eu l'idée de passer la nuit dans ce patelin. D'abord Tablat était trop près d'Alger, et ensuite il n'y avait rien à visiter. Seuls les automobilistes en panne ou très en retard pouvaient se résoudre à dormir dans le modeste hôtel des oasis qui ressemblait à une villa landaise à colombages.

Le village n'a donc pas profité du passage des touristes attirés par le sud.

la RN 8 avait été améliorée et n'avait plus en 1962 l'allure qu'elle avait eue en 1900 au temps des diligences.

De surcroît bien que le col des deux-bassins pût être obstrué par la neige, il n'y a jamais eu sur le djebel Tamesguida le moindre équipement qui aurait attiré près de Tablat des skieurs comme à Chréa. Quant à la randonnée, ce n'était pas à la mode de ces temps-là.

Bien sûr la RN 8 avait été améliorée et n'avait plus en 1962 l'allure qu'elle avait eue en 1900 au temps des diligences. Mais elle n'est jamais devenue une route de grande circulation et le tronçon de Sakamody à Tablat est toujours resté à l'écart du trafic des véhicules lourds et encombrants.

Tablat serait demeuré un village peu connu s'il n'avait été mis à la une des journaux à cause des embuscades après 1954, et grâce à son étonnante promotion au rang de sous-préfecture en 1956.


Tablat fut un centre administratif de second rang

Cliquer sur l'image pour l'agrandir (144 ko)
centre administratif

Il fut chef-lieu de commune mixte trois ans après sa naissance.

Il devint chef-lieu d'arrondissement 6 ans avant l'exode final de 1962.

En fait cette promotion étonnante s'accommoda d'une grande stabilité :elle n'a sans doute changé que le nom, le salaire et l'uniforme du principal responsable. La moyenne commune mixte est devenue un petit arrondissement, car elle a gardé sa taille (1278km²) ses limites et ses insuffisances. Un arrondissement étrange dont le sous-préfet ne pouvait visiter les mechtas, par la route, qu'en passant par l'arrondissement voisin d'Aumale.

Le relief de cet arrondissement s'ordonne en trois bandes parallèles. Le tiers septentrional est occupé par un ensemble montagneux compact où s'encaisse l'oued Isser. Dans cette zone il n'y a ni route autre que la RN 8, ni village de colonisation autre que Tablat. Tablat se trouve dans une position très marginale par rapport à sa circonscription.

Plus au sud la gouttière synclinale de Berrouaghia à Bouira prend l'arrondissement en écharpe. Elle est parcourue par la RN 18 qui relie la riche plaine des Aribs, et ses vignobles, au bassin de Berrouaghia. Mais tous les villages de colonisation de cette plaine sont à l'est, hors de l'arrondissement de Tablat.

Plus au sud la zone basse où a dépéri le village de Stephane Gsell, l'un des derniers créés, est coincée entre deux alignements de collines ou de djebels

Quoi qu'il en soit les trois routes qui traversent la circonscription ont été conçues en fonction d'impératifs étrangers à l'arrondissement et ne relient que très indirectement le chef-lieu à ses villages, rares, et à ses douars, innombrables.

L'aspect du village

Je n'ai malheureusement que très peu de souvenirs de ce village que j'ai traversé sans jamais m'y arrêter. Mon souvenir est celui d'une rue unique confondue avec la RN 8 et bordée de maisons basses et pas même jointives. Elle était en légère pente montante vers le nord. Il est possible qu'il y ait eu, dans cette vallée étroite, la place pour une ou deux rues parallèles ; il n'y avait pas de place centrale avec le kiosque à musique habituel.


 

 

La desserte de Tablat était assurée par des autocars seulement.

Ces services d'autocars étaient directs pour Alger au nord, par L'Arba et Maison-Carrée, et pour Bou-Saâda au sud, par Aumale et Sidi-Aïssa. Les cars de deux sociétés parcouraient cet itinéraire dans les années 1950-1960 : l'entreprise Rezig Mohamed, la SATAC (Société Algérienne des Transports Automobiles en Commun), plus tard appelée Auto-Traction de l'Afrique du Nord. Seuls les cars de cette dernière société poursuivaient, au-delà de Bou-Saâda, jusqu'à Biskra.

La loi du 18 juillet 1879 avait inscrit dans la liste des voies ferrées à construire au titre du réseau d'intérêt général, une ligne reliant Bouira à Berrouaghia. Cette voie, qui aurait traversé l'arrondissement par Souk-el-Arba, n'a jamais été posée. La gare de bifurcation avec la voie Bouira-Aumale, qui, elle, fut réalisée, était prévue au hameau des Trembles.