TABLAT
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C'est un village de colonisation en montagne
qui a végété |
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C'est une route d'embuscades après
1954 |
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C'est une improbable sous-préfecture
en 1956 |
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En 1954 il y vivait 700 personnes, dont
122 Européens |
L'origine du nom est berbère
Tablat est un mot qui, en kabyle, peut désigner
une quelconque caillasse, pierre ou caillou. Ce n'est pas une garantie
de sol riche. Mais, à vrai dire, il n'y a pas plus de cailloux
ici qu'ailleurs dans l'Atlas tellien. Quand on arrive à Tablat
au printemps, en descendant l'oued el Had qui rejoint l'oued Isser un
peu plus bas, ce qui se remarque c'est la verdure due à un climat
pluvieux et frais l'hiver.
Après 1830 les tribus de ces montagnes étaient,
par nous, qualifiées de Kabyles. Ce sont elles qui harcelaient
nos postes proches de la Mitidja dès 1835 et qui nous obligèrent
même, en 1839, à tous les évacuer, sauf Fondouk.
L'origine du centre est française
C'est une création française ex nihilo dans
un site difficile d'accès et peu susceptible d'assurer la prospérité
des colons attirés là par la IIIè république.
En 1876 Fondation d'un centre de peuplement européen.
Ce Tablat est une sorte d'exception, d'abord par son nom indigène
conservé. En effet alors que la monarchie, à la demande
explicite du Directeur de la colonisation, le comte Guyot, avait pris
le parti de garder les toponymes indigènes dans le Sahel et dans
la Mitidja alors en cours de colonisation, la république choisit
assez systématiquement d'honorer ses grands hommes, ses militaires
et ses victoires. Mais pas ici. D'autre part Tablat est implanté
au fond d'une vallée étroite où se rejoignent deux
oueds.
Tablat avant les Français
Avant les Français Tablat n'existe pas en tant
que centre de peuplement ; c'est un lieu-dit dans un fond de vallée
inondable. Les mechtas étaient, comme aujourd'hui, situées
sur les hauteurs déboisées ou à mi-versant, mais
toujours à l'écart des lits d'oued, de leurs débordements
et des mares à moustiques. Le colonel Niox, dans sa géographie
militaire publiée en 1890 signalait cependant l'existence jadis
d'un poste romain, sans donner son nom latin.
Tablat à l'époque française
1876- 1962
En 1876 Tablat est
créé
En 1879 Tablat devient le chef-lieu
d'une vaste Commune Mixte
En 1954 cette commune mixte avait
85 395 habitants dispersés sur un vaste territoire de plus de 1000km²
sans grandes ressources.
Entre 1879 et 1956 l'histoire de la
commune n'a laissé aucune trace précise dans les ouvrages
et les articles que j'ai pu consulter à l'exception du séisme
de 1910 qui fit quelques dégâts.
Elle a néanmoins laissé le souvenir d'une zone montagneuse
pauvre qui ne pouvait nourrir tous ses habitants. Ces montagnards ont
très tôt quitté leur mechta, au moment des gros travaux
agricoles, pour aller s'embaucher comme travailleurs saisonniers dans
les fermes des colons de la Mitidja ou du Sahel. Des habitudes, sinon
des liens, s'étaient créées entre des familles de
la région de Tablat et des exploitants européens. Ce sont
les mêmes ouvriers, ou leurs frères, ou leurs fils, qui revenaient
chaque année pour les vendanges ou pour les moissons dans la même
exploitation. Après 1930 certains sont venus avec leur femme et
ne sont plus repartis, modifiant alors fondamentalement la population
des villages français proches d'Alger.
Le 24 février 1956 la
route de Tablat devient maudite
J'ai pris le parti, dans ce travail de mémoire d'ignorer les combats
et les massacres du temps des " événements "
après 1954. Mais toute règle tolère des exceptions
: le cas de la route qui mène à Tablat par le hameau de
Sakamody et le col des deux-bassins, en sera une, et majeure. Je me permets
cette exception car le massacre des innocents du 24 février 1956
a, plus que d'autres, marqué les esprits des gens de mon âge.
Je ne mettrai qu'une image ; et pour les faits je recopie les pages qu'André
Rossfelder lui consacre dans son " onzième commandement
".
Extrait du
livre " Le onzième commandement " page 402
Le matin du
24 février sur la route de Sakamody, au col des deux-bassins,
un car qui desservait journellement Bou-Saada, une Aronde, une
Peugeot 403 et un camion sont successivement tombés sur
un barrage de rebelles en tenue militaire.
Un sous-officier musulman se trouvait parmi les quelques passagers
du car. Les fellaghas l'ont tué et ont forcé le
chauffeur et les passagers, tous arabes, à basculer le
véhicule dans le ravin avant de les laisser partir.
L'Aronde est arrivée ensuite avec 5 touristes, la famille
Salle, des gens de Bretagne, qu'accompagnait un ami parisien.
Ils revenaient eux aussi de Bou-Saada. Les détails de la
tuerie n'ont pas été publiés, mais ils ont
été vite connus. Le mari garrotté a pu voir
sa femme, sa belle-mère et sa petite fille de 7 ans violées
et tuées avant d'être égorgé à
son tour comme son ami. Viol et égorgement, toujours ce
rituel de possession et de sacrifice.
La Peugeot 403
est alors apparue et les deux passagers, un architecte d'Alger,
José Ritter et son assistant musulman, ont été
également égorgés. Le chauffeur du camion,
Georges Comte, est mort d'une balle dans la tête alors que
ses 4 arabes demandaient aux tueurs de l'épargner, c'était
leur patron, un bon patron. Les fellaghas leur avaient répondu
: " Voilà pour les bons patrons ".
Les fellaghas
sont ensuite allés massacrer les habitants d'une mechta
voisine qui les avaient mal reçus, massacre dont les voix
du FLN accusèrent l'armée selon l'usage : les villages
voisins qui savent apprennent la leçon, l'étranger
qui ne sait pas condamne la France.
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l'image pour l'agrandir
La
route unique desservant Tablat.
J'ai surligné en bleu les oueds et en rouge la limite orientale
de l'arrondissement.
Le col est à 916 m.
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La petite Françoise Salle,
7 ans
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A partir de cette date funeste, seuls les convois militaires
ont pu se rendre à Tablat par Sakamody. En effet l'intérêt
mineur de cette route explique qu'elle n'ait pas bénéficié
du même traitement sécuritaire que la RN 1 dans les gorges
de la Chiffa équipées de postes d'observation placés
dans des fortins gardés et sans porte au niveau du sol. Le trafic
civil vers Aumale et Bou-Saâda fut détourné par Bouira
; les quelques rares véhicules qui montaient à Tablat également.
Le responsable de ce massacre, un dénommé
Ali Khodja, sergent déserteur de l'arsenal d'Alger, fut plus tard
abattu par les paras de Bigeard. Je ne sais pas s'il a eu des descendants
; mais je sais qu'il a eu des émules à partir des années
1990. Le 9 avril 2005, à ce même col des deux-bassins jamais
débaptisé sur nos cartes, 14 personnes ont été
égorgées à un faux barrage tenu par un commando du
GIA. On peut noter que, d'une façon générale, tant
en 1954-1962 qu'en 1991-2008 cette zone de l'Atlas tellien, entre Palestro
et Médéa, avec Tablat au milieu, fut la région la
plus concernée par les attentats, les embuscades et les tueries
; et aussi le point de départ et de retraite des commandos qui
infestèrent la Mitidja. J'aurai l'occasion, avec l'affaire du monastère
de Tibharine près de Lodi, de revenir sur cette triste spécialité
régionale.
Le 22 juin 1956 Tablat
devient chef-lieu d'arrondissement du département de Médéa.
Je suppose que le sous-préfet a dû rejoindre son poste en
hélicoptère. Peut-être avec le chef de la nouvelle
SAS installée au même endroit.
Le 17 mars 1958 Tablat
et son arrondissement sont rattachés au nouveau département
d'Aumale qui est créé aux dépens de celui de Médéa.
Le 2 novembre 1959
Tablat et son arrondissement sont à nouveau rattachés à
Médéa, le département d'Aumale ayant été
supprimé sans avoir jamais eu de réalité à
cause de la chute de la IVè république après les
manifestations du 13 mai 1958 à Alger.
Le cadre naturel et ses aptitudes
Tablat est au centre d'un ensemble de djebels en partie
boisés, avec des pins d'Alep surtout, des frênes le long
de la route, et quelques chênes verts. Ces montagnes, peu élevées,
1298m au maximum, ont été largement déboisées
par les populations dont les mechtas sont nombreuses et proches les unes
des autres. Elles évitent le fond des vallées où,
en 1963 encore, on pouvait voir quelques tentes d'éleveurs semi
nomades.
Les vallées sont profondément encaissées, mais ne
sont pas des gorges étroites. Il y a de la place pour quelques
champs de cailloux ou d'orge. Le village de Tablat est ainsi situé
au fond d'une vallée où la place manque pour s'étaler,
à 446m d'altitude, peu au-dessus de la vallée de l'Isser
qui réunit les points les plus bas de la commune à un peu
plus de 300m.
La photo ci-dessus a été prise juste avant
d'arriver à Tablat , au printemps 1963. Elle peut donner une idée
de la largeur de la vallée, de l'aspect très verdoyant du
paysage et de l'abondance des cailloux déposés là
par les crues de l'oued. Elle permet également de vérifier
dans le lointain, combien les versants, et même les sommets parfois,
ont été déboisés.
Tablat est au centre d'un terroir
agricole incommode et médiocre
L'altitude du village est assez basse pour permettre la culture des amandiers,
figuiers et oliviers ; mais la place manque pour de larges emblavures.
Et les labours efficaces ne sont guère faciles avec toutes ces
pierres enfouies à faible profondeur.
Les cultures sont donc de peu de rapport ; ce village de colonisation
n'a pas totalement dépéri, mais il ne s'est pas développé
du tout.
Et encore faut-il tenir compte de l'extrémité sud de la
commune qui déborde très légèrement sur la
riche plaine des Aribs. On y trouve le hameau
des Frênes et les exploitations les plus riches.
Tablat est parfois signalé pour la qualité
de ses aulx et de son petit élevage de volailles. Ces deux "
spécialités " étaient favorisées par
la proximité d'Alger (à 69km) qui offrait un débouché
assuré et rémunérateur pour l'ail et pour les ufs
; du moins lorsque la route de Sakamody était encore sûre.
Tablat ne devint jamais un vrai un
gîte d'étape
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Le village était situé sur la route
la plus courte entre la côte et la première oasis du
Sahara : Bou-Saâda. La RN 8 est la seule à traverser
toute la commune du nord au sud et elle était parcourue par
les touristes se rendant d'Alger à Bou-Saâda ; mais
aucun d'entre eux n'aurait eu l'idée de passer la nuit dans
ce patelin. D'abord Tablat était trop près d'Alger,
et ensuite il n'y avait rien à visiter. Seuls les automobilistes
en panne ou très en retard pouvaient se résoudre à
dormir dans le modeste hôtel des oasis qui ressemblait à
une villa landaise à colombages.
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Le village n'a donc pas profité du passage des
touristes attirés par le sud.
De surcroît bien que le col des deux-bassins pût
être obstrué par la neige, il n'y a jamais eu sur le djebel
Tamesguida le moindre équipement qui aurait attiré près
de Tablat des skieurs comme à Chréa. Quant à la randonnée,
ce n'était pas à la mode de ces temps-là.
Bien sûr la RN 8 avait été améliorée
et n'avait plus en 1962 l'allure qu'elle avait eue en 1900 au temps des
diligences. Mais elle n'est jamais devenue une route de grande circulation
et le tronçon de Sakamody à Tablat est toujours resté
à l'écart du trafic des véhicules lourds et encombrants.
Tablat serait demeuré un village peu connu s'il
n'avait été mis à la une des journaux à cause
des embuscades après 1954, et grâce à son étonnante
promotion au rang de sous-préfecture en 1956.
Tablat fut un centre administratif de second
rang
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Il fut chef-lieu de commune mixte trois ans après
sa naissance.
Il devint chef-lieu d'arrondissement 6 ans avant l'exode final de 1962.
En fait cette promotion étonnante s'accommoda d'une
grande stabilité :elle n'a sans doute changé que le nom,
le salaire et l'uniforme du principal responsable. La moyenne commune
mixte est devenue un petit arrondissement, car elle a gardé sa
taille (1278km²) ses limites et ses insuffisances. Un arrondissement
étrange dont le sous-préfet ne pouvait visiter les mechtas,
par la route, qu'en passant par l'arrondissement voisin d'Aumale.
Le relief de cet arrondissement s'ordonne en trois bandes
parallèles. Le tiers septentrional est occupé par un ensemble
montagneux compact où s'encaisse l'oued Isser. Dans cette zone
il n'y a ni route autre que la RN 8, ni village de colonisation autre
que Tablat. Tablat se trouve dans une position très marginale par
rapport à sa circonscription.
Plus au sud la gouttière synclinale de Berrouaghia
à Bouira prend l'arrondissement en écharpe. Elle est parcourue
par la RN 18 qui relie la riche plaine des Aribs, et ses vignobles, au
bassin de Berrouaghia. Mais tous les villages de colonisation de cette
plaine sont à l'est, hors de l'arrondissement de Tablat.
Plus au sud la zone basse où a dépéri
le village de Stephane Gsell, l'un des derniers créés, est
coincée entre deux alignements de collines ou de djebels
Quoi qu'il en soit les trois routes qui traversent la
circonscription ont été conçues en fonction d'impératifs
étrangers à l'arrondissement et ne relient que très
indirectement le chef-lieu à ses villages, rares, et à ses
douars, innombrables.
L'aspect du village
Je n'ai malheureusement que très peu de souvenirs
de ce village que j'ai traversé sans jamais m'y arrêter.
Mon souvenir est celui d'une rue unique confondue avec la RN 8 et bordée
de maisons basses et pas même jointives. Elle était en légère
pente montante vers le nord. Il est possible qu'il y ait eu, dans cette
vallée étroite, la place pour une ou deux rues parallèles
; il n'y avait pas de place centrale avec le kiosque à musique
habituel.
La desserte de Tablat était
assurée par des autocars seulement.
Ces services d'autocars étaient directs pour Alger
au nord, par L'Arba et Maison-Carrée, et pour Bou-Saâda au
sud, par Aumale et Sidi-Aïssa. Les cars de deux sociétés
parcouraient cet itinéraire dans les années 1950-1960 :
l'entreprise Rezig Mohamed, la SATAC (Société Algérienne
des Transports Automobiles en Commun), plus tard appelée Auto-Traction
de l'Afrique du Nord. Seuls les cars de cette dernière société
poursuivaient, au-delà de Bou-Saâda, jusqu'à Biskra.
La loi du 18 juillet 1879 avait
inscrit dans la liste des voies ferrées à construire au
titre du réseau d'intérêt général, une
ligne reliant Bouira à Berrouaghia. Cette voie, qui aurait traversé
l'arrondissement par Souk-el-Arba, n'a jamais été posée.
La gare de bifurcation avec la voie Bouira-Aumale, qui, elle, fut réalisée,
était prévue au hameau des Trembles.
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