-----En novembre
1904, les trois frères Jules, Charles et Lucien Borgeaud acquirent
le domaine. A la suite d'accords conclus entre eux en 1908, M. Lucien
Borgeaud resta seul propriétaire. C'est à lui que désormais
incombe le fardeau de la. rénovation et de l'exploitation, de l'équipement
moderne de la ferme et du rajeunissement du plan des cultures, en liaison
avec les progrès considérables dont l'agriculture algérienne
s'était enrichie au cours d'un demi-siècle.
-----On se fera une idée de l'importance
du rôle et de l'utilité d'une tâche de cet ordre de
grandeur, en retenant ce fait que les exportations des produits agricoles
de la colonie, d'une somme inférieure à une centaine de
millions il y a une cinquantaine d'années, atteignaient 200 millions
en 1900, 400 millions en 1913, pour s'élever à plus de 3
milliards en 1929.
-----La progression est énorme. Elle
témoigne de la puissance et du perfectionnement de l'industrie
agricole de l'Algérie. Dans cet accroissement de la prospérité
générale, le domaine de la Trappe de Staouëli ne pouvait
manquer de s'adjuger une place de premier rang. Guidé par une volonté
experte et éprise d'amélioration et de nouveauté
du génie rural, le domaine voyait naître des temps nouveaux.
-----On se doute aussi que l'Algérie
tout entière avait subi une métamorphose prodigieuse.
-----Quelques notes d'abord sur les traits
distinctifs du domaine distant de 17 kilomètres seulement de la
capitale.
-----Deux grandes voies en assurent l'accès
et la desservent : une route nationale dite du littoral d'Alger à
Mostaganem et un chemin de grande communication doublé d'une ligne
de chemin de fer en bordure de la mer.
-----La propriété, d'une superficie
globale de 1 303 hectares, emprunte toute sa valeur à la qualité
particulière de son sol et à la spécialisation de
ses cultures fortunées excellemment adaptées aux dispositions
favorables du climat marin et terrestre. Elle part du rivage de la Méditerranée
et épouse les ondulations du Sahel, colline protectrice et fertile
en dons remarquables.
-----La répartition des terres comprend
512 hectares de vigne, 130 hectares de raisin chasselas, 30 hectares de
vergers, 142 hectares de primeurs, 130 hectares de céréales
et fourrage, 5 hectares de potager, et 4 de pépinières d'arboriculture.
Les constructions couvrent 12 hectares. Le boisement est représenté
par 210 hectares de forêts d'eucalyptus et de pins maritimes mélangés
d'ormeaux, de frênes et mimosas. Ces peuplements sylvestres ont
pris possession des parties rocheuses et des glacis de la défense
des terres légères contre l'action des eaux. 130 hectares
sont occupés par les dunes et les parcours.
-----Charme rustique de la propriété,
l'oeuvre forestière est habitée par une population giboyeuse
auprès de laquelle l'art cynégétique est à
même de se procurer des satisfactions appréciables. De magnifiques
allées d'arbres ajoutent leur parure à la majesté
de l'ensemble du domaine. La clause de l'acte de concession qui obligeait
le bénéficiaire à planter des arbres a été
remplie avec bonheur.
-----Ce qui frappe le visiteur, c'est l'aspect
des anciens bâtiments religieusement respectés. Ils rappellent
tout un passé que l'on ne peut évoquer sans émotion.
-----Les deux grands champs d'action de la
culture sont affectés à la vigne et aux primeurs. Les meilleurs
connaisseurs s'inclinent devant les qualités exceptionnelles d'un
pareil ouvrage repris sur le travail des pères et porté
à un tel point de perfection qu'il semble qu'on ne soit plus désormais
en mesure de le dépasser. Mais l'agriculture est une science de
progrès.Elle ne connaît pas de barrières avec des
hommes comme M. Lucien Borgeaud, que les nouveautés culturales
séduisent lorsqu'elles se présentent sous la forme d'un
enrichissement et d'un embellissement du patrimoine exploité.
-----Le vignoble basé sur ce principe,
que l'avenir et le prestige de la viticulture dépendent de la qualité
des produits, a été entièrement orienté suivant
ce mode de faire valoir.
-----Toute la lyre des cépages a été
mise à contribution :
Le carignan, le cinsault, l'alicante grenaché, le grand noir, le
cot de Chéragas, le cabernet sauvignon, le gros cabernet, le malbec,
le verdot, le merlot et le seyrat pour la vin rouge ; le sauvignon, le
sémillon, l'ugni blanc, le carignan blanc, le terret blanc, le
grenache blanc, la clairette musquée et le merseguera, pour le
vin blanc ; le muscat d'Alexandrie, le muscat de Frontignan et le Tokay
Furmint pour les vins de liqueur ; la madeleine oberlin et le chasselas
pour le précoce raisin de table.
-----Le vignoble de la Trappe de Staouëli
répond aux exigences d'une parfaite tenue. La division et l'exécution
du travail n'a rien laissé à l'imprévu. Comment de
cette plantation encépagée avec un rare discernement et
enveloppée de soins consciencieusement appliqués et vigilants,
ne sortirait-il pas des produits fournissant une riche matière
première à la fabrication du vin qui doit illustrer le domaine
et en exalter la renommée ?
-----La cave actuelle en comprend deux ;
l'une est celle des Trappistes avec sa vaisselle vinaire ancienne et ses
foudres en excellent bois, encore en usage dans de nombreuses exploitations
vinicoles du Midi de la France ; l'autre est l'oeuvre de M. Lucien Borgeaud
qui l'a dotée de l'outillage le plus moderne et scientifiquement
le mieux approprié. La première, c'est la vision du passé,
dont il faut bien se garder de médire, ce qui serait une injustice
doublée d'ingratitude, la seconde est représentative des
progrès les plus accomplis.
-----En démonstration de puissance,
actionnée par des forces électriques, cette cave immense
aux aménagements divers offre le tableau de l'intelligence au service
de la meilleure des productions.
Le logement de la conservation des vins peut recevoir aisément
82 000 hectolitres. Les marcs et les lies ont leurs locaux spéciaux
et distincts.
-----De sa naissance à nos jours,
le vin de la Trappe de Staouëli a conquis, par ses acquits successifs
de bonification, une faveur exceptionnelle, grandement méritée
à tous égards. Le vin, monopole de la Trappe, qu'il soit
blanc, qu'il soit rouge, les vins de liqueur dont elle est également
la source privilégiée, ont donc légitimement conquis
leur flatteuse réputation universelle.
La mise en bouteilles coiffées d'or ou de rubis et leur présentation
élégante, ornée d'un blason emprunté à
l'histoire, achèvent de leur donner ce cachet qui leur assure une
place enviable dans la royauté des vins.
LE PAYS DES PRIMEURS
-----La région
de Staouëli, par les qualités de son sol et les influences
de son climat, justifie le nom qu'on lui a donné de "pays
des primeurs". Le prieur François-Régis,
on s'en souvient, avait mis à profit les avantages indiscutables
de certaines terres pour la culture précoce des légumes.
Ces légumes, consommés sur place ou vendus sur les marchés
des environs n'étaient pas encore entrés dans le commerce,
assez faible, d'ailleurs, à cette époque, des expéditions
au dehors de l'Algérie.
-----Un mouvement d'exportation plus développé
en fonction des besoins grandissants de la métropole, était
appelé à fournir au domaine de la Trappe de fructueuses
possibilités de revenus, chargés de promesses.
-----Que les visiteurs de la Trappe aient
été impressionnés par la splendide ordonnance du
vignoble et de la cave, cela est une certitude, mais leur émerveillement
n'a pas été moins vif devant les milliers de carrés
où naissent, croissent et parviennent rapidement à la maturité,
la pomme de terre, la tomate et le haricot vert. Ces carrés sont
protégés contre le vent et les sables qu'il soulève
par des palissades en roseaux et des haies de cyprès. Le primeur
demeure une plante fragile et le préserver des altérations
est une fonction en quelque sorte primordiale.
---Il n'est pas
de culture plus délicate. Ce qu'elle demande de soins et d'attention
est inimaginable, il ne suffit pas de rendre hâtive cette production,
il importe encore de mettre en oeuvre les meilleures variétés
et d'expérimenter celle dont la nouveauté a des chances
de séduire. Il ne s'agit pas seulement de recherches les moyens
de flatter le goût du consommateur et d'obtenir une réelle
avance sur les produits similaires de la France et de l'étranger.
-----D'autres règles conditionnent
encore cette branche de la production. La centralisation des produits
récoltés dans les locaux aménagés, le lavage,
le triage, le calibrage, le classement, l'emballage par un personnel féminin
et enfin leur acheminement sur les Halles de Paris ou les marchés
de la Suisse et de l'Allemagne, sont autant d'opérations minutieuses
qu'on se hâte d'accomplir, car le temps favorable aux ventes rémunératrices
a des restrictions inexorables.
A côté de ces primeurs et en association avec eux, figure
tout en beauté, le chasselas doré de Fontainebleau, gloire
du palmarès des primeuristes ; 130 ha lui sont affectés.
Cette exploitation spéciale représente le douzième
de la superficie totale du chasselas au pays des primeurs. Elle n'a été
égalée nulle part.
-----Le domaine de la Trappe est aussi, si
l'on peut employer cette expression, une succursale des jardins des Hespérides
; une remarquable plantation d'orangers et de mandariniers parvient à
donner annuellement environ trois millions de beaux fruits.
-----Le rucher comporte un effectif de 150
ruches réparties entre quatre groupes sur des points favorisés
par les fleurs. Le miel des abeilles de Staouëli se recommande aussi
bien pour la consommation de bouche que pour la pharmacopée des
affections de la gorge et des bronches.
-----La culture d'un domaine aux proportions
imposantes implique un cheptel considérable en chevaux, mulets
et boeufs ; un matériel mécanique de tracteurs suppléant
ou venant en aide à la traction animale.
-----Les écuries, les étables,
les hangars et les ateliers de réparation de la Trappe, attestent
combien cette fraction de l'organisation du travail est l'objet de l'entière
sollicitude de la direction de la propriété.
-----L'eau ne saurait être mesurée
à une exploitation d'une telle envergure. Le domaine de la Trappe
en connaît trop le prix pour ne pas avoir attaché une importance
capitale à sa politique d'hydraulique agricole.
-----En 1903, les ressources en eau se traduisaient
par 1 750 mètres cubes d'eau en vingt-quatre heures. Des travaux
de forage depuis cette date ont porté le volume d'eau disponible
à plus de 5 000 mètres cubes par jour. Accroître davantage
le débit est l'objectif des recherches qui se poursuivent méthodiquement.
L'OEUVRE SOCIALE
-----C'est un sujet
d'orgueil, de fierté, d'hommage et de reconnaissance au travail,
de voir surgir d'un sol jadis rebelle et inhospitalier des moissons dont
Virgile eût chanté les louanges.
C'est aussi une pure satisfaction de hauteur morale qu'apporte la vision
de l'oeuvre sociale si vivante qui honore et embellit de fraternelles
considérations humaines, W domaine de la Trappe de Staouëli.
L'amour et le respect du prochain, l'attachement à l'ordre et au
labeur, le souci des tâches commandées par les contingences
d'un établissement d'agriculture moderne, tel est le Credo de cette
cité familiale.
-----Plus de cent familles européennes
y sont logées dans des appartements qu'égaie un confort
de bon aloi et qu'entourent des jardins à leur usage personnel.
-----Une école pour les enfants, un
cinéma pour les distractions, un service médical pour les
affections, font partie intégrante de la communauté.
-----Les indigènes, éloignés
des taudis, disposent de maisons en maçonnerie qui leur font estimer
les conditions qui lés attachent à la propriété.
-----Dans la répartition des bénéfices,
les chefs de culture ont leur part assurée.
-----Les vieux serviteurs sont entourés
de respect et de gratitude affectueuse.
-----Dans la conduite du travail, l'autorité
et la douceur conjuguées sont les facteurs déterminants
de l'ouvrage bien fait.
-----Dans les ateliers de la manutention
des primeurs, aucun spectacle n'est aussi réconfortant que celui
d'un peuple de femmes, de jeunes filles et de fillettes s'acquittant avec
un zèle méritoire de la part d'action qui lui est confiée.
-----Secondé par son fils Henri Borgeaud,
ingénieur agronome, Lucien Borgeaud, fidèle à la
tradition des fondateurs, religieux de la Trappe de Staouëli, a voulu
que cette création exemplaire eût la majesté d'un
temple.
Madiana DELAYE Adh. N° 184
Maurice BEL Adh. N° 38
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