" L'expérience de Constantine "
Place et rôle de l'USEP dans l'Education physique en Algérie

(1950-1962)
Johann Rage, Jean-Michel Delaplace

extraits du numéro 105 , mars 2004 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 22-6-2010

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" L'expérience de Constantine "
Place et rôle de l'USEP dans l'Education physique en Algérie
(1950-1962)
Johann Rage, Jean-Michel Delaplace

" Il est certain que lorsqu'on voit une oeuvre comme celle de l'USEP qui demande autant d'effort, de dévouement, de flamme, d'idéal, et que j'ai vue à !'oeuvre en Algérie par exemple où le Constantinois arrive à enregistrer des résultats vraiment spectaculaires, je dirai même étonnants, nous n'avons pas le droit de douter de la mission d'éducation qui est la nôtre dans ce domaine ".
Maurice Herzog

Première partie

Notre communication se propose d'étudier un des aspects de l'éducation physique algérienne, celle qui concerne la place et le rôle de l'Union du Sport de l'Enseignement Primaire (USEP) dans l'évolution de cette matière d'enseignement. En effet, cette organisation, émanant de l'UFOLEP et officialisée en 1939 (Circulaire du 1" février 1939.) par Jean Zay, était chargée d'apporter son soutien à l'organisation et à la pratique de l'éducation physique et du sport scolaire dans l'enseignement du premier degré. Disparaissant en 1942 avec la dissolution " exemplaire " de la Ligue de l'Enseignement souhaitée par le colonel Pascot, elle reprend ses activités en 1945, en se donnant pour objectif " d'exploiter la compétition sportive à des fins éducatives " (Esprit des épreuves USEP, in Mémento de l'USEP, 1958).

Si le rôle de l'USEP est originellement celui de complément aux programmes et, horaires de l'éducation physique, en particulier en ce qui concerne l'organisation de la pratique sportive, il semble qu'elle ait débordé ce rôle pour pallier les difficultés d'exécution de l'éducation physique à l'école primaire. Le cas algérien, et plus particulièrement celui du département de Constantine et celui des Territoires du Sud, étant exemplaire sur ce point. En effet l'USEP en Algérie devient, à partir de 1953 et sous l'impulsion d'André Rouet, l'élément dynamogène de l'éducation physique en opérant une synthèse particulière entre les nouvelles directives officielles de la Libération et ses propres conceptions. Des actions de formation à la diffusion d'une documentation pédagogique, en passant par le développement de la pratique physique et sportive chez les enseignants et les élèves, l'USEP se présente comme le principal système de promotion et d'organisation de l'éducation physique du premier degré en Algérie.

La formation des enseignants, première pierre du système " usépien "

Pour P. Arnaud (1998), l'année 1945 marque l'apparition officielle de deux " éducation physique " avec, pour la première fois, la publication parallèle mais différenciée, d'Instructions Officielles pour les deux ordres d'enseignement que sont le primaire et le secondaire. En effet, la note du 18 octobre 1945, donnant les grandes lignes des contenus à enseigner, renforcée par la publication, le 1" octobre 1946, des Instructions Officielles relatives aux programmes d'éducation physique dans les écoles primaires élémentaires, donne la réplique aux Instructions Officielles du 1" octobre 1945 réservées à l'usage des professeurs et maîtres d'EPS qui officient dans le secondaire.

À propos de ce nouveau cadre axiologique pour l'éducation physique primaire, Terret (1999) titre " Dorénavant, ce sera comme d'habitude ". Le texte reste en effet profondément inscrit dans la tradition sanitaire et éclectique de l'éducation physique française. Seule concession à la modernité, les applications et l'initiation sportive sont directement intégrées à la leçon. En fait, il y a lieu de relativiser cette formulation générale puisqu'il s'agit seulement, à partir de 10 ans, d'un début d'initiation par des jeux pré-sportifs suivi dans les classes de fin d'étude par une initiation aux techniques sportives (essentiellement l'athlétisme). Enfin, conscient des difficultés matérielles de l'éducation physique, le législateur invite les instituteurs à compenser par " l'ingéniosité et la bonne volonté ". Encouragement ou aveu d'impuissance déguisé, cet appel nous montre la précarité de l'enseignement de l'éducation physique dans le primaire au lendemain de la Seconde Guerre.

La situation n'est pas différente en Algérie. L'enseignement de l'éducation physique du primaire au niveau pratique reste discret voire déconsidéré si l'on considère les propos de Verel, ancien inspecteur d'académie à Bône: " Parmi les matières du programme officiel d'enseignement dans les écoles primaires, l'éducation physique est certainement la plus négligée. Certes cette discipline est toujours mentionnée dans les emplois du temps et les horaires sont apparemment respectés mais toutes les occasions semblent bonnes pour en frustrer les élèves. Et nul n'ignore qu'il est même des classes primaires où l'éducation physique est pratiquement inexistante, sinon supprimée, purement et simplement " (Cahier de Pédagogie Expérimentale et de Psychologie de l'Enfant cité in De l'école au stade. Bilan d'une année scolaire (1958-1959) dans l'Est algérien et le Sud constantinois. Supplément à la revue Instruire et Construire. Inspection Académique de Constantine et du Sud constantinois (1959).).

Pour justifier cette situation, le manque de temps, d'installations et surtout le défaut de formation sont classiquement évoqués par les enseignants. Concernant ce dernier point, une circulaire du 30 octobre 1946 vient pourtant préciser le régime de l'enseignement de l'éducation physique dans les Écoles normales primaires. A côté des trois heures hebdomadaires, les élèves ont un réveil musculaire journalier d'un quart d'heure, et une plage de deux heures doit être libérée le jeudi après-midi pour les activités sportives sur le stade. Corrélativement à cette pratique personnelle, une formation pédagogique doit leur permettre de s'initier à leur future activité professionnelle. Dans cette perspective, la circulaire mentionne également l'affectation d'un professeur d'éducation physique à chaque École normale. La place institutionnelle ainsi faite à l'éducation physique dans les Écoles normales primaires, contraste avec la faiblesse de l'enseignement réel dans le premier degré.

Dans les années cinquante, la situation va considérablement évoluer avec la nomination d'André Rouet comme directeur des sports et de l'éducation physique de l'Académie de Constantine et des Territoires du Sud. Rouet est un ancien directeur de l'UFOLEP-USEP et c'est tout naturellement qu'il entend développer l'éducation physique, en s'appuyant sur son expérience usépienne. Rouet et ses collaborateurs peuvent alors s'appuyer sur les nombreux travaux de la Commission nationale technique (CNT) de l'USEP, mais comme ils l'écriront " pour pouvoir enseigner, il fallait d'abord apprendre et c'est là l'utilité de nos stages ". L'action du bureau USEP algérien s'oriente donc premièrement vers la formation des enseignants en organisant progressivement des stages à destination des instituteurs.

Des premiers stages d'éducation physique et d'initiation sportive avaient été organisés dès 1948 à Alger et s'adressaient aux instituteurs des trois départements algériens. Très vite, il apparut que trop peu d'enseignants constantinois ou oranais pouvaient suivre ces stages, en raison de la lourdeur des déplacements (3Avec une superficie supérieure à 2 250 000 km', l'Algérie est quatre fois plus grande que la France métropolitaine. À l'étendue du pays, il faut ajouter les difficultés de circulation.). Conséquence de ces difficultés matérielles, un premier stage départemental fut organisé dans le Constantinois en 1953. Ce premier stage, dirigé par B. Toulet de la CNT USEP, rassembla donc 41 participants à Biskra. L'année suivante, deux nouveaux stages dirigés par R Barets, secrétaire de la CNT, groupaient 55 garçons et 36 filles. Mais comme les premiers stages algérois, les stages constantinois s'exposaient toujours à la longueur des distances que les stagiaires devaient parcourir (4 L'Inspection académique qui, outre le département de Constantine, regroupe également les Territoires du Sud, représente près de deux fois la superficie de la France. Constantine et Tamanrasset sont distants de près de 1 700 km.). Pour pallier ce défaut pour l'année 1956, " il fut décidé de la création d'une équipe itinérante qui irait de secteurs en secteurs pour diffuser la bonne parole et la doctrine USEP ". Auparavant cette équipe se perfectionnerait dans les stages nationaux USEP et UFOLEP.

C'est ainsi qu'au terme d'un périple de plus de 5 000 km, vingt-deux stages furent organisés pour 1 839 stagiaires représentant 362 écoles lors de l'année 1958-1959.

Outre l'ambiance studieuse et conviviale qui y régnait, ces stages étaient honorés par le parrainage et la présence de nombreux notables scolaires, civils ou militaires, tels que l'inspecteur d'académie, des inspecteurs primaires, des maires, des officiers, etc., formant un large " faisceau de sympathie ".

À la lumière de ce qui vient d'être dit, on peut penser que les stages USEP constituent l'une des premières traces historiques de formation continue pour les enseignants d'EP (5cf. Terret T. (2000). La réelle institutionnalisation d'une formation continue pour les enseignants (entendue comme une structure gérée par l'État et non plus par des groupements associatifs ou plus privés) est à situer dans une loi du 16 juillet 1971.). Ainsi, à partir de 1953 et au moins jusqu'en 1959, l'USEP constitue, en Algérie, la seule (6 Si l'on excepte la formation initiale dispensée dans les écoles normales d'instituteurs qui était très variable selon les lieux de formation.) structure de formation en éducation physique pour les enseignants du premier degré. Cette hypothèse semble devoir être confirmée par les fonctionnaires des services de l'EPS en Algérie. Ainsi, L. Sigala, chef du service académique EPS, synthétisant l'action de son service dans un article (7 Éducation Physique et Sport, Bulletin de l'Académie d'Alger, n° 1, 1957.), écrit au très court chapitre traitant de l'éducation physique au primaire: " de nombreux stages, en particulier dans le département de Constantine, ont été organisés avec l'appui de la Commission technique de l'USEP ".

Deux ans plus tard, E. Solal, inspecteur du département d'Alger, admet implicitement, par le truchement des statistiques ( Dans un rapport sur les activités du service de l'EPS d'Alger, daté de mars 1961, Solal constate que l'enseignement de l'EPS a été trop longtemps négligé et il écrit: " À effet, le chef de service, aidé d'un maître d'EPS spécialisé, a dirigé à nouveau, dans les centres de l'intérieur et à Alger, des stages de formation d'une durée de deux ou quatre demi-journées (...). Ainsi, en 1960, 858 instituteurs et institutrices ont reçu les moyens de donner à leurs élèves, des activités physiques (contre 391 participants en 1959, début de ce genre de stages) ". C'est nous qui soulignons.), que rien n'avait été organisé par ses services avant 1959.

La formation des enseignants constitue donc un premier témoin de l'action menée par l'USEP en Algérie. Par ce biais, on peut penser que cette organisation semi-publique a largement influencé l'évolution de l'éducation physique en Algérie, en particulier en ce qui concerne la propagation d'un enseignement physique à l'école primaire. Mais, au-delà' de la diffusion de l'idée même de la pratique, il fallait construire et proposer un enseignement rationnel pour convaincre les enseignants. À cet endroit, l'USEP semble avoir fait preuve d'originalité dans le contexte d'après-guerre, en proposant un éclectisme pro-sportif avant l'heure.

Des stages aux contenus enseignés

D'une durée d'un jour et demi, les stages traitent le programme défini initialement par la commission technique interdépartementale de l'USEP en Algérie.

Nourri par " de nombreux déplacements et études de l'éducation physique et de l'initiation sportive dans les départements métropolitains ", ce programme ne faisait que reprendre les travaux nationaux en concédant quelques adaptations locales, en particulier en ce qui concerne le calendrier annuel. En effet, comme l'écrit Solal en 1999, " à côté des outils pédagogiques qu'elle élabore dès 1945 (fiches pédagogiques, mémento, précis d'initiation sportive), l'USEP et sa commission nationale technique conservent pour objectif essentiel, la mise au point d'un programme minimum d'EPS à l'école élémentaire ". Selon P. Barets, " il s'agissait de présenter, dans un nombre réduit de pages, un nombre réduit d'exercices et de jeux, réalisables par tous les élèves et pouvant être enseignés par tous les maîtres (...) avec des installations réduites au strict minimum " ( Témoignage recueilli par E. Solal,). Si l'on perçoit aisément une franche volonté de coller à la réalité du terrain, il nous semble que les propos de Barets ne montrent pas la réelle originalité du programme USEP: celle de laisser une large place aux activités sportives. Ainsi, malgré quelques variations suivant les années, on retrouvait les cinq minutes de maintien en salle de classe, la leçon d'éducation physique quotidienne, l'initiation à l'athlétisme et aux sports collectifs, l'éducation rythmique et le folklore pour les élèves féminins et la natation.

Un programme éclectique

Outre cette tendance sportive, le programme USEP débute par les éléments classiques que sont les cinq minutes de maintien en classe et la leçon d'éducation physique quotidienne. Les cinq minutes de maintien s'inscrivent dans les travaux d'Y. Léger, professeur d'EPS au CREPS de Dinard. A l'occasion de l'enseignement des exercices de maintien aux élèves-maîtres, Léger constate " qu'il leur est impossible d'exécuter correctement, sans apprentissage méthodique, les mouvements construits et, à plus forte raison, de les enseigner " (1952). Il a donc l'idée d'inventer une méthode progressive d'apprentissage et d'enseignement basée sur des petites séquences. Le succès de cette méthode est phénoménal et va largement dépasser son cadre d'application. D'une simple partie de la leçon, les cinq minutes vont progressivement remplacer celle-ci. De plus, pensée pour s'adapter aux aléas météorologiques, cette méthode initialement inscrite dans la classe d'octobre à Pâques, pour retrouver " l'extérieur à la belle saison ", va souvent rester toute l'année dans la classe. Sans doute l'aspect rationnel (progression, leçons type) et confortable (l'instituteur se sentant à l'aise dans la classe), a-il séduit les instituteurs.

En Algérie, l'engouement est similaire et ce d'autant plus que, selon Rouet (19591960), les inspecteurs primaires demandent presque toujours une séquence de ce genre en début de leçon. Toutefois, la tendance qui consistait à remplacer la leçon d'éducation physique par ces seules cinq minutes, semble être moins prononcée (10 Témoignage d'E. Solal, op. cit.). Signalons également que la méthode de Léger a été adaptée par Cordouan et qu'une brochure spéciale a été éditée par l'USEP. Une nouvelle fois on perçoit le rôle de diffusion de propagation joué par l'USEP dans l'implantation et l'organisation de l'éducation physique.

Les cinq minutes journalières de maintien doivent être complétées par des leçons d'éducation physique ( L'horaire théorique de l'éducation physique qui est alors de 2h30 par semaine, peut alors se découper de la manière suivante: 5 minutes de maintien par jour, soit 30 minutes par semaine et deux leçons d'éducation physique de 40 à 45 minutes.). Cette partie du programme est sans doute la plus proche des textes officiels de l'éducation physique. Elle reprend une division classique de la leçon: mise en train, assouplissement et développement musculaire, adresse, cran, applications fonctionnelles au nombre desquelles on trouve des procédés éducatifs et des formes jouées, propédeutique aux sports individuels et collectifs. Bien que moins originale en matière de contenus, l'action de l'USEP se veut toujours plus didactique et pédagogique auprès des enseignants en proposant notamment des leçons modèles d'EP hiérarchisées dans le calendrier scolaire ou en donnant les moyens de surmonter les obstacles à l'enseignement de ces activités (comment répartir les élèves? Comment faire face au manque d'installations? etc...). Ces deux premières parties montrent une dominante orthopédique et rééducative, mais il semble que les enseignants algériens seront plus sensibles à la suite du programme USEP pour l'éducation physique du primaire où l'on retrouve les lendits et l'initiation sportive. D'ailleurs, le bureau USEP algérien reconnaît que la préparation du mouvement des lendits, précédée d'une mise en train, équivaut à une leçon d'éducation physique. La présence des lendits dans les contenus de l'éducation physique est plus originale puisqu'elle ne s'inscrit ni dans les perspectives officielles, ni dans les partisans d'une éducation physique plus sportive. Elle est directement héritée de Faction du docteur Tissié qui avait milité en 1895 auprès de la Ligue de l'Enseignement et, par la suite, avait collaboré avec la section USEP des Basses- Pyrénées pour généraliser cette pratique. Elle s'inscrit aussi et plus récemment dans l'action de L. Haure-Placé, délégué UFOLEP-USEP, qui sera l'un des principaux collaborateurs de P. Serin et qui deviendra inspecteur général d'éducation physique. Ce dernier, avec G. Forgues, avait relancé les lendits primaires dans les Basses-Pyrénées à partir de 1945.

Les lendits s'organisent alors autour d'un enchaînement de mouvements gymniques à base de maintien. Cet enchaînement type, enseigné aux élèves pendant l'année, est ensuite présenté en musique, sous la conduite d'un ou d'une jeune capitaine, face à un jury itinérant. Mais l'USEP ne se contente pas d'une simple copie de l'action de Tissié et de ses disciples. Elle va progressivement rationaliser cette pratique. Ainsi, à partir de 1958, deux leçons type seront proposées. L'une pour les petites classes " lendits des petits " (CP, CI, CE1), composée d'exercices faciles et d'une durée de quatre à cinq minutes; l'autre, " lendits des grands ", plus complexe et plus longue (huit à dix minutes) pour les grandes classes. De plus, l'USEP édite et distribue, via l'inspecteur, des 33 tours, support musical des lendits.

Les lendits en Algérie vont rapidement remporter un vif succès. Dans l'esprit de l'équipe USEP du département de Constantine, " les lendits devaient au départ " accrocher " le personnel instituteurs et institutrices ", mais vont largement dépasser ce cadre pour devenir le " couronnement de l'éducation physique " qui séduisait " les élèves comme les parents ". Si les lendits sont enseignés et évalués jusqu'au fond du Sahara ( Traditionnellement, l'inspection du Jury Lendits commençait par les Territoires du Sud où dix classes furent évaluées par le jury itinérant. Certes, ce chiffre est faible au regard des 237 qui le furent dans la circonscription de Constantine, mais il montre bien la diffusion de l'USEP et de l'éducation physique jusque dans les zones géographiques isolées. Au total, 4 772 km auront été effectués par le jury pour l'évaluation des lendits en 1959.), c'est surtout dans les grandes villes qu'ils prennent toute leur ampleur pour devenir de véritables fêtes de jeunesse (En 1959, 3 000 enfants de Constantine le 31 mai, 2 000 à Philippeville, 2 000 à Sétif le 21 juin.). Dans ce
cadre, le rassemblement des lendits dans un grand stade de la ville, est aussi l'occasion de s'adonner aux pratiques plus sportives, comme l'athlétisme par exemple.

Les lendits que l'on retrouve ainsi quelque soixante ans après leur création, trouvent en Algérie une nouvelle vitalité et leur caractère ostentatoire en fera même le symbole de l'éducation physique algérienne, et au-delà, de l'école républicaine, si l'on considère les propos de H. Carbuccia : " C'étaient des fêtes partout, à l'école, autour de l'école, faisant de l'école le point de rassemblement unique de tous les gens de toutes races, de tous bords, de toutes religions, des fêtes de laïcité, de la compréhension, de la fraternité... Elles étaient agrémentées de danses et d'évolutions des élèves des lycées, collèges, Écoles normales, avec des concours de dessin, de chant, de diction (... ). Spectacle de grande qualité, communion ardente de milliers de gens autour de la Grande École Française d'Algérie, hommage unanime!... " (1830-1962, des enseignants d'Algérie se souviennent... de ce qu'y fut l'enseignement primaire, Privat, Toulouse.
).

L'activité " reine de l'USEP " et l'éducation physique vont ainsi fédérer les énergies ( Il est certain que l'USEP ne pouvait, seule, prétendre à l'organisation de telles manifestations. Elle a donc bénéficié du soutien de l'UFOLEP, de l'UFOLEIS, de l'UFOVAL, du CLLP réunis autour de la Ligue de l'enseignement. Il n'en reste pas moins qu'elle demeure à l'origine de ce mouvement, ce qui démontre sa place dans l'éducation physique et dans l'école.) pour s'incarner dans des grands rassemblements scolaires et populaires qui permettent d'afficher l'unité et la fraternité franco-algérienne. Quelques témoignages recueillis auprès de personnes ayant enfant participé à ces grandes fêtes, corroborent l'enthousiasme de Carbuccia ( Le panel des témoins n'est malheureusement pas représentatif dans la mesure où les personnes algériennes interrogées peuvent être qualifiées de pro française.). Toutefois, derrière l'idéalisme républicain, il semble que l'on retrouve les mécanismes de la fin du xixe siècle, où l'école et l'éducation physique sont des outils au service de l'unité nationale, au service d'une acculturation.

Les lendits montrent une autre particularité de l'activité de l'USEP, celle de l'effort en faveur des pratiques sportives. En cela, elle se situe à l'intersection d'une conception hygiénico-rééducative de l'éducation physique et d'une conception moderne et sportive qui s'opposent dans l'éducation physique de l'après- guerre. À cet endroit, l'action de l'USEP est particulièrement orientée vers l'athlétisme avec le cross des écoliers et les triathlons. Le cross des écoliers est une épreuve de masse dont le règlement et l'esprit montrent bien que développée, la pratique sportive reste ancrée dans une perspective pédagogique. Ainsi " il [le cross] n'a une valeur éducative que s'il constitue la sanction d'un entraînement progressif et méthodique et s'il n'oblige pas l'enfant à courir un effort dépassant la limite de ses possibilités " (Éducation Physique à l'École Primaire, Instruire et Construire, numéro spécial consacré à l'éducation physique à l'école primaire Académie de Constantine, 1960.
). A cet effet, l'épreuve est subdivisée en deux ou trois échelons.

Pour le premier, aussi appelé échelon local, il s'agit d'effectuer un parcours de 600 (filles) à 800 (garçons) mètres derrière un moniteur dans un temps de quatre minutes. Tous les enfants qui ne sont pas parvenus à effectuer le parcours en quatre minutes et dix secondes sont éliminés. Par la suite, un classement départemental est effectué à partir d'un coefficient correspondant au rapport nombre de concurrents ayant effectué le parcours dans le temps, sur nombre d'enfants scolarisés et aptes à la pratique. Plus le coefficient se rapproche de 1, plus l'école est sportive. En résumé, le premier échelon est bien une épreuve de masse, une sorte de brevet de cross qui se court au train.

Ce premier niveau constitue un test pour la composition des équipes participantes au second échelon dans lequel il s'agit, par équipes de six respectant des catégories d'âges, d'effectuer un parcours de 800 m sans moniteurs. Chaque équipe est classée en fonction du temps du quatrième. On perçoit ici que l'aspect homéostatique diminue au profit de l'aspect compétitif, mais celui-ci est vassalisé à une perspective éducative: " il ne s'agit en rien d'imiter les champions de cross des clubs civils. Pas de classement individuel, on risquerait des accidents et on développerait chez l'enfant l'orgueil du soi-disant champion ". À l'excès de l'individualisme, on préfère l'esprit d'équipe et la solidarité. L'aspect pédagogique est renforcé par la production de conseils pédagogiques pour la préparation au cross des écoliers diffusé dans la littérature usépienne dont nous parlerons plus loin.
Outre ce cross, l'USEP milite également en faveur des triathlons athlétiques qui combinent course de vitesse, saut et lancer. Sans rentrer dans le détail, notons que, là encore, l'USEP fait preuve d'un véritable engagement pédagogique en adaptant progressivement le règlement pour se différencier du Brevet Sportif Scolaire ou du Brevet Sportif Populaire, pour construire un challenge en amont de ces deux épreuves officielles.

Si l'athlétisme représente donc l'activité phare dans l'initiation sportive développée par l'USEP, il n'en constitue pas le seul élément. La natation, les sports collectifs font également partie du programme usépien. Le mécanisme est toujours le même, initiation progressive avec des jeux pré-sportifs ou des procédés éducatifs pour le sport, puis organisation de rencontres intra et inter écoles. À chaque fois, il est bien rappelé que le but poursuivi n'est pas de faire des champions, mais de concourir à la formation physique complète des enfants.

S'agissant du développement des pratiques sportives, l'USEP en Algérie vers 1960 (Il semble que ce que nous avons appelé un éclectisme pro-sportif soit davantage développé en Algérie qu'en France métropolitaine.), occupe donc une place particulière dans le monde de l'éducation physique. Sans renier l'héritage médical de l'éducation physique, elle ne dédaigne pas pour autant les pratiques sportives dont elle favorise le développement dans les écoles primaires, voire au-delà. Précurseur en la matière, elle développe même ce que Fernandez (1999) appelle une " pédagogisation du sport ", c'est-à- dire une réflexion éducative sur l'enseignement du sport (progressivité, finalités sociales, procédés éducatifs), comme en témoignent des analyses précédentes et plus encore, cet extrait d'un article intitulé " Le sport après l'éducation ", où l'auteur anonyme écrit: " L'équipe qui reçoit attend des camarades et se doit de rendre agréables les heures passées en leur compagnie. On mange ensemble si possible, on visite la ville ou le village au cours des promenades, l'histoire, la géographie, les sciences ont pu trouver leur compte. Indépendamment des qualités physiques et morales propres à la pratique des sports, l'altruisme, l'entraide, la camaraderie ont eu l'occasion de s'épanouir ".

Finalement, l'USEP en Algérie a participé à une accélération de la pratique de l'éducation physique alors que les textes officiels restaient encore prudents à cet égard.

(À suivre)

Les auteurs de l'article recherchent des témoins, documents, photographies, pour poursuivre leur étude sur l'Éducation physique et le sport en Algérie.
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