" L'expérience de Constantine
"
Place et rôle de l'USEP dans l'Education physique en Algérie
(1950-1962)
Johann Rage, Jean-Michel Delaplace
" Il est certain que lorsqu'on
voit une oeuvre comme celle de l'USEP qui demande autant d'effort, de
dévouement, de flamme, d'idéal, et que j'ai vue à
!'oeuvre en Algérie par exemple où le Constantinois arrive
à enregistrer des résultats vraiment spectaculaires, je
dirai même étonnants, nous n'avons pas le droit de douter
de la mission d'éducation qui est la nôtre dans ce domaine
".
Maurice Herzog
Première partie
Notre communication se propose d'étudier
un des aspects de l'éducation physique algérienne, celle
qui concerne la place et le rôle de l'Union du Sport de l'Enseignement
Primaire (USEP) dans l'évolution de cette matière d'enseignement.
En effet, cette organisation, émanant de l'UFOLEP et officialisée
en 1939 (Circulaire du 1" février
1939.) par Jean Zay, était chargée d'apporter
son soutien à l'organisation et à la pratique de l'éducation
physique et du sport scolaire dans l'enseignement du premier degré.
Disparaissant en 1942 avec la dissolution " exemplaire " de
la Ligue de l'Enseignement souhaitée par le colonel Pascot, elle
reprend ses activités en 1945, en se donnant pour objectif "
d'exploiter la compétition sportive à des fins éducatives
" (Esprit des épreuves USEP, in Mémento de l'USEP,
1958).
Si le rôle de l'USEP est originellement celui de complément
aux programmes et, horaires de l'éducation physique, en particulier
en ce qui concerne l'organisation de la pratique sportive, il semble
qu'elle ait débordé ce rôle pour pallier les difficultés
d'exécution de l'éducation physique à l'école
primaire. Le cas algérien, et plus particulièrement celui
du département de Constantine et celui des Territoires du Sud,
étant exemplaire sur ce point. En effet l'USEP en Algérie
devient, à partir de 1953 et sous l'impulsion d'André
Rouet, l'élément dynamogène de l'éducation
physique en opérant une synthèse particulière entre
les nouvelles directives officielles de la Libération et ses
propres conceptions. Des actions de formation à la diffusion
d'une documentation pédagogique, en passant par le développement
de la pratique physique et sportive chez les enseignants et les élèves,
l'USEP se présente comme le principal système de promotion
et d'organisation de l'éducation physique du premier degré
en Algérie.
La formation des
enseignants, première pierre du système " usépien
"
Pour P. Arnaud (1998), l'année 1945
marque l'apparition officielle de deux " éducation physique
" avec, pour la première fois, la publication parallèle
mais différenciée, d'Instructions Officielles pour les
deux ordres d'enseignement que sont le primaire et le secondaire. En
effet, la note du 18 octobre 1945, donnant les grandes lignes des contenus
à enseigner, renforcée par la publication, le 1"
octobre 1946, des Instructions Officielles relatives aux programmes
d'éducation physique dans les écoles primaires élémentaires,
donne la réplique aux Instructions Officielles du 1" octobre
1945 réservées à l'usage des professeurs et maîtres
d'EPS qui officient dans le secondaire.
À propos de ce nouveau cadre axiologique pour l'éducation
physique primaire, Terret (1999) titre " Dorénavant,
ce sera comme d'habitude ". Le texte reste en effet profondément
inscrit dans la tradition sanitaire et éclectique de l'éducation
physique française. Seule concession à la modernité,
les applications et l'initiation sportive sont directement intégrées
à la leçon. En fait, il y a lieu de relativiser cette
formulation générale puisqu'il s'agit seulement, à
partir de 10 ans, d'un début d'initiation par des jeux pré-sportifs
suivi dans les classes de fin d'étude par une initiation aux
techniques sportives (essentiellement l'athlétisme). Enfin, conscient
des difficultés matérielles de l'éducation physique,
le législateur invite les instituteurs à compenser par
" l'ingéniosité et la bonne volonté ".
Encouragement ou aveu d'impuissance déguisé, cet appel
nous montre la précarité de l'enseignement de l'éducation
physique dans le primaire au lendemain de la Seconde Guerre.
La situation n'est pas différente en Algérie. L'enseignement
de l'éducation physique du primaire au niveau pratique reste
discret voire déconsidéré si l'on considère
les propos de Verel, ancien inspecteur d'académie à Bône:
" Parmi les matières du programme officiel d'enseignement
dans les écoles primaires, l'éducation physique est certainement
la plus négligée. Certes cette discipline est toujours
mentionnée dans les emplois du temps et les horaires sont apparemment
respectés mais toutes les occasions semblent bonnes pour en frustrer
les élèves. Et nul n'ignore qu'il est même des classes
primaires où l'éducation physique est pratiquement inexistante,
sinon supprimée, purement et simplement " (Cahier
de Pédagogie Expérimentale et de Psychologie de l'Enfant
cité in De l'école au stade. Bilan d'une année
scolaire (1958-1959) dans l'Est algérien et le Sud constantinois.
Supplément à la revue Instruire et Construire. Inspection
Académique de Constantine et du Sud constantinois (1959).).
Pour justifier cette situation, le manque de temps, d'installations
et surtout le défaut de formation sont classiquement évoqués
par les enseignants. Concernant ce dernier point, une circulaire du
30 octobre 1946 vient pourtant préciser le régime de l'enseignement
de l'éducation physique dans les Écoles normales primaires.
A côté des trois heures hebdomadaires, les élèves
ont un réveil musculaire journalier d'un quart d'heure, et une
plage de deux heures doit être libérée le jeudi
après-midi pour les activités sportives sur le stade.
Corrélativement à cette pratique personnelle, une formation
pédagogique doit leur permettre de s'initier à leur future
activité professionnelle. Dans cette perspective, la circulaire
mentionne également l'affectation d'un professeur d'éducation
physique à chaque École normale. La place institutionnelle
ainsi faite à l'éducation physique dans les Écoles
normales primaires, contraste avec la faiblesse de l'enseignement réel
dans le premier degré.
Dans les années cinquante, la situation va considérablement
évoluer avec la nomination d'André Rouet comme directeur
des sports et de l'éducation physique de l'Académie de
Constantine et des Territoires du Sud. Rouet est un ancien directeur
de l'UFOLEP-USEP et c'est tout naturellement qu'il entend développer
l'éducation physique, en s'appuyant sur son expérience
usépienne. Rouet et ses collaborateurs peuvent alors s'appuyer
sur les nombreux travaux de la Commission nationale technique (CNT)
de l'USEP, mais comme ils l'écriront " pour pouvoir enseigner,
il fallait d'abord apprendre et c'est là l'utilité de
nos stages ". L'action du bureau USEP algérien s'oriente
donc premièrement vers la formation des enseignants en organisant
progressivement des stages à destination des instituteurs.
Des premiers stages d'éducation physique et d'initiation sportive
avaient été organisés dès 1948 à
Alger et s'adressaient aux instituteurs des trois départements
algériens. Très vite, il apparut que trop peu d'enseignants
constantinois ou oranais pouvaient suivre ces stages, en raison de la
lourdeur des déplacements (3Avec
une superficie supérieure à 2 250 000 km', l'Algérie
est quatre fois plus grande que la France métropolitaine. À
l'étendue du pays, il faut ajouter les difficultés de
circulation.). Conséquence de ces difficultés
matérielles, un premier stage départemental fut organisé
dans le Constantinois en 1953. Ce premier stage, dirigé par B.
Toulet de la CNT USEP, rassembla donc 41 participants à Biskra.
L'année suivante, deux nouveaux stages dirigés par R Barets,
secrétaire de la CNT, groupaient 55 garçons et 36 filles.
Mais comme les premiers stages algérois, les stages constantinois
s'exposaient toujours à la longueur des distances que les stagiaires
devaient parcourir (4 L'Inspection
académique qui, outre le département de Constantine, regroupe
également les Territoires du Sud, représente près
de deux fois la superficie de la France. Constantine et Tamanrasset
sont distants de près de 1 700 km.). Pour pallier
ce défaut pour l'année 1956, " il fut décidé
de la création d'une équipe itinérante qui irait
de secteurs en secteurs pour diffuser la bonne parole et la doctrine
USEP ". Auparavant cette équipe se perfectionnerait
dans les stages nationaux USEP et UFOLEP.
C'est ainsi qu'au terme d'un périple de plus de 5 000 km, vingt-deux
stages furent organisés pour 1 839 stagiaires représentant
362 écoles lors de l'année 1958-1959.
Outre l'ambiance studieuse et conviviale qui y régnait, ces stages
étaient honorés par le parrainage et la présence
de nombreux notables scolaires, civils ou militaires, tels que l'inspecteur
d'académie, des inspecteurs primaires, des maires, des officiers,
etc., formant un large " faisceau de sympathie ".
À la lumière de ce qui vient d'être dit, on peut
penser que les stages USEP constituent l'une des premières traces
historiques de formation continue pour les enseignants d'EP (5cf.
Terret T. (2000). La réelle institutionnalisation d'une formation
continue pour les enseignants (entendue comme une structure gérée
par l'État et non plus par des groupements associatifs ou plus
privés) est à situer dans une loi du 16 juillet 1971.).
Ainsi, à partir de 1953 et au moins jusqu'en 1959, l'USEP constitue,
en Algérie, la seule (6 Si
l'on excepte la formation initiale dispensée dans les écoles
normales d'instituteurs qui était très variable selon
les lieux de formation.) structure de formation en éducation
physique pour les enseignants du premier degré. Cette hypothèse
semble devoir être confirmée par les fonctionnaires des
services de l'EPS en Algérie. Ainsi, L. Sigala, chef du service
académique EPS, synthétisant l'action de son service dans
un article (7 Éducation Physique
et Sport, Bulletin de l'Académie d'Alger, n° 1, 1957.),
écrit au très court chapitre traitant de l'éducation
physique au primaire: " de nombreux stages, en particulier dans
le département de Constantine, ont été organisés
avec l'appui de la Commission technique de l'USEP ".
Deux ans plus tard, E. Solal, inspecteur du département d'Alger,
admet implicitement, par le truchement des statistiques (
Dans un rapport sur les activités du service de l'EPS d'Alger,
daté de mars 1961, Solal constate que l'enseignement de l'EPS
a été trop longtemps négligé et il écrit:
" À effet, le chef de service, aidé d'un maître
d'EPS spécialisé, a dirigé à nouveau, dans
les centres de l'intérieur et à Alger, des stages de formation
d'une durée de deux ou quatre demi-journées (...). Ainsi,
en 1960, 858 instituteurs et institutrices ont reçu les moyens
de donner à leurs élèves, des activités
physiques (contre 391 participants en 1959, début de ce genre
de stages) ". C'est nous qui soulignons.), que
rien n'avait été organisé par ses services avant
1959.
La formation des enseignants constitue donc un premier témoin
de l'action menée par l'USEP en Algérie. Par ce biais,
on peut penser que cette organisation semi-publique a largement influencé
l'évolution de l'éducation physique en Algérie,
en particulier en ce qui concerne la propagation d'un enseignement physique
à l'école primaire. Mais, au-delà' de la diffusion
de l'idée même de la pratique, il fallait construire et
proposer un enseignement rationnel pour convaincre les enseignants.
À cet endroit, l'USEP semble avoir fait preuve d'originalité
dans le contexte d'après-guerre, en proposant un éclectisme
pro-sportif avant l'heure.
Des stages aux contenus
enseignés
D'une durée d'un jour et demi, les
stages traitent le programme défini initialement par la commission
technique interdépartementale de l'USEP en Algérie.
Nourri par " de nombreux déplacements et études
de l'éducation physique et de l'initiation sportive dans les
départements métropolitains ", ce programme ne
faisait que reprendre les travaux nationaux en concédant quelques
adaptations locales, en particulier en ce qui concerne le calendrier
annuel. En effet, comme l'écrit Solal en 1999, " à
côté des outils pédagogiques qu'elle élabore
dès 1945 (fiches pédagogiques, mémento, précis
d'initiation sportive), l'USEP et sa commission nationale technique
conservent pour objectif essentiel, la mise au point d'un programme
minimum d'EPS à l'école élémentaire
". Selon P. Barets, " il s'agissait de présenter,
dans un nombre réduit de pages, un nombre réduit d'exercices
et de jeux, réalisables par tous les élèves et
pouvant être enseignés par tous les maîtres (...)
avec des installations réduites au strict minimum "
( Témoignage recueilli par
E. Solal,). Si l'on perçoit aisément une franche
volonté de coller à la réalité du terrain,
il nous semble que les propos de Barets ne montrent pas la réelle
originalité du programme USEP: celle de laisser une large place
aux activités sportives. Ainsi, malgré quelques variations
suivant les années, on retrouvait les cinq minutes de maintien
en salle de classe, la leçon d'éducation physique quotidienne,
l'initiation à l'athlétisme et aux sports collectifs,
l'éducation rythmique et le folklore pour les élèves
féminins et la natation.
Un programme éclectique
Outre cette tendance sportive, le programme USEP débute par les
éléments classiques que sont les cinq minutes de maintien
en classe et la leçon d'éducation physique quotidienne.
Les cinq minutes de maintien s'inscrivent dans les travaux d'Y. Léger,
professeur d'EPS au CREPS de Dinard. A l'occasion de l'enseignement
des exercices de maintien aux élèves-maîtres, Léger
constate " qu'il leur est impossible d'exécuter correctement,
sans apprentissage méthodique, les mouvements construits et,
à plus forte raison, de les enseigner " (1952). Il a
donc l'idée d'inventer une méthode progressive d'apprentissage
et d'enseignement basée sur des petites séquences. Le
succès de cette méthode est phénoménal et
va largement dépasser son cadre d'application. D'une simple partie
de la leçon, les cinq minutes vont progressivement remplacer
celle-ci. De plus, pensée pour s'adapter aux aléas météorologiques,
cette méthode initialement inscrite dans la classe d'octobre
à Pâques, pour retrouver " l'extérieur à
la belle saison ", va souvent rester toute l'année dans
la classe. Sans doute l'aspect rationnel (progression, leçons
type) et confortable (l'instituteur se sentant à l'aise dans
la classe), a-il séduit les instituteurs.
En Algérie, l'engouement est similaire et ce d'autant plus que,
selon Rouet (19591960), les inspecteurs primaires demandent presque
toujours une séquence de ce genre en début de leçon.
Toutefois, la tendance qui consistait à remplacer la leçon
d'éducation physique par ces seules cinq minutes, semble être
moins prononcée (10 Témoignage
d'E. Solal, op. cit.). Signalons également que la
méthode de Léger a été adaptée par
Cordouan et qu'une brochure spéciale a été éditée
par l'USEP. Une nouvelle fois on perçoit le rôle de diffusion
de propagation joué par l'USEP dans l'implantation et l'organisation
de l'éducation physique.
Les cinq minutes journalières de maintien doivent être
complétées par des leçons d'éducation physique
( L'horaire théorique de l'éducation
physique qui est alors de 2h30 par semaine, peut alors se découper
de la manière suivante: 5 minutes de maintien par jour, soit
30 minutes par semaine et deux leçons d'éducation physique
de 40 à 45 minutes.). Cette partie du programme est
sans doute la plus proche des textes officiels de l'éducation
physique. Elle reprend une division classique de la leçon: mise
en train, assouplissement et développement musculaire, adresse,
cran, applications fonctionnelles au nombre desquelles on trouve des
procédés éducatifs et des formes jouées,
propédeutique aux sports individuels et collectifs. Bien que
moins originale en matière de contenus, l'action de l'USEP se
veut toujours plus didactique et pédagogique auprès des
enseignants en proposant notamment des leçons modèles
d'EP hiérarchisées dans le calendrier scolaire ou en donnant
les moyens de surmonter les obstacles à l'enseignement de ces
activités (comment répartir les élèves?
Comment faire face au manque d'installations? etc...). Ces deux premières
parties montrent une dominante orthopédique et rééducative,
mais il semble que les enseignants algériens seront plus sensibles
à la suite du programme USEP pour l'éducation physique
du primaire où l'on retrouve les lendits et l'initiation sportive.
D'ailleurs, le bureau USEP algérien reconnaît que la préparation
du mouvement des lendits, précédée d'une mise en
train, équivaut à une leçon d'éducation
physique. La présence des lendits dans les contenus de l'éducation
physique est plus originale puisqu'elle ne s'inscrit ni dans les perspectives
officielles, ni dans les partisans d'une éducation physique plus
sportive. Elle est directement héritée de Faction du docteur
Tissié qui avait milité en 1895 auprès de la Ligue
de l'Enseignement et, par la suite, avait collaboré avec la section
USEP des Basses- Pyrénées pour généraliser
cette pratique. Elle s'inscrit aussi et plus récemment dans l'action
de L. Haure-Placé, délégué UFOLEP-USEP,
qui sera l'un des principaux collaborateurs de P. Serin et qui deviendra
inspecteur général d'éducation physique. Ce dernier,
avec G. Forgues, avait relancé les lendits primaires dans les
Basses-Pyrénées à partir de 1945.
Les lendits s'organisent alors autour d'un enchaînement de mouvements
gymniques à base de maintien. Cet enchaînement type, enseigné
aux élèves pendant l'année, est ensuite présenté
en musique, sous la conduite d'un ou d'une jeune capitaine, face à
un jury itinérant. Mais l'USEP ne se contente pas d'une simple
copie de l'action de Tissié et de ses disciples. Elle va progressivement
rationaliser cette pratique. Ainsi, à partir de 1958, deux leçons
type seront proposées. L'une pour les petites classes "
lendits des petits " (CP, CI, CE1), composée d'exercices
faciles et d'une durée de quatre à cinq minutes; l'autre,
" lendits des grands ", plus complexe et plus longue
(huit à dix minutes) pour les grandes classes. De plus, l'USEP
édite et distribue, via l'inspecteur, des 33 tours, support musical
des lendits.
Les lendits en Algérie vont rapidement remporter un vif succès.
Dans l'esprit de l'équipe USEP du département de Constantine,
" les lendits devaient au départ " accrocher "
le personnel instituteurs et institutrices ", mais vont largement
dépasser ce cadre pour devenir le " couronnement de l'éducation
physique " qui séduisait " les élèves
comme les parents ". Si les lendits sont enseignés et évalués
jusqu'au fond du Sahara ( Traditionnellement,
l'inspection du Jury Lendits commençait par les Territoires du
Sud où dix classes furent évaluées par le jury
itinérant. Certes, ce chiffre est faible au regard des 237 qui
le furent dans la circonscription de Constantine, mais il montre bien
la diffusion de l'USEP et de l'éducation physique jusque dans
les zones géographiques isolées. Au total, 4 772 km auront
été effectués par le jury pour l'évaluation
des lendits en 1959.), c'est surtout dans les grandes villes
qu'ils prennent toute leur ampleur pour devenir de véritables
fêtes de jeunesse (En 1959,
3 000 enfants de Constantine le 31 mai, 2 000 à Philippeville,
2 000 à Sétif le 21 juin.). Dans ce
cadre, le rassemblement des lendits dans un grand stade de la ville,
est aussi l'occasion de s'adonner aux pratiques plus sportives, comme
l'athlétisme par exemple.
Les lendits que l'on retrouve ainsi quelque soixante ans après
leur création, trouvent en Algérie une nouvelle vitalité
et leur caractère ostentatoire en fera même le symbole
de l'éducation physique algérienne, et au-delà,
de l'école républicaine, si l'on considère les
propos de H. Carbuccia : " C'étaient des fêtes
partout, à l'école, autour de l'école, faisant
de l'école le point de rassemblement unique de tous les gens
de toutes races, de tous bords, de toutes religions, des fêtes
de laïcité, de la compréhension, de la fraternité...
Elles étaient agrémentées de danses et d'évolutions
des élèves des lycées, collèges, Écoles
normales, avec des concours de dessin, de chant, de diction (... ).
Spectacle de grande qualité, communion ardente de milliers de
gens autour de la Grande École Française d'Algérie,
hommage unanime!... " (1830-1962,
des enseignants d'Algérie se souviennent... de ce qu'y fut l'enseignement
primaire, Privat, Toulouse.
).
L'activité " reine de l'USEP " et l'éducation
physique vont ainsi fédérer les énergies ( Il
est certain que l'USEP ne pouvait, seule, prétendre à
l'organisation de telles manifestations. Elle a donc bénéficié
du soutien de l'UFOLEP, de l'UFOLEIS, de l'UFOVAL, du CLLP réunis
autour de la Ligue de l'enseignement. Il n'en reste pas moins qu'elle
demeure à l'origine de ce mouvement, ce qui démontre sa
place dans l'éducation physique et dans l'école.)
pour s'incarner dans des grands rassemblements scolaires et populaires
qui permettent d'afficher l'unité et la fraternité franco-algérienne.
Quelques témoignages recueillis auprès de personnes ayant
enfant participé à ces grandes fêtes, corroborent
l'enthousiasme de Carbuccia ( Le panel
des témoins n'est malheureusement pas représentatif dans
la mesure où les personnes algériennes interrogées
peuvent être qualifiées de pro française.).
Toutefois, derrière l'idéalisme républicain, il
semble que l'on retrouve les mécanismes de la fin du xixe siècle,
où l'école et l'éducation physique sont des outils
au service de l'unité nationale, au service d'une acculturation.
Les lendits montrent une autre particularité de l'activité
de l'USEP, celle de l'effort en faveur des pratiques sportives. En cela,
elle se situe à l'intersection d'une conception hygiénico-rééducative
de l'éducation physique et d'une conception moderne et sportive
qui s'opposent dans l'éducation physique de l'après- guerre.
À cet endroit, l'action de l'USEP est particulièrement
orientée vers l'athlétisme avec le cross des écoliers
et les triathlons. Le cross des écoliers est une épreuve
de masse dont le règlement et l'esprit montrent bien que développée,
la pratique sportive reste ancrée dans une perspective pédagogique.
Ainsi " il [le cross] n'a une valeur éducative que s'il
constitue la sanction d'un entraînement progressif et méthodique
et s'il n'oblige pas l'enfant à courir un effort dépassant
la limite de ses possibilités " (Éducation
Physique à l'École Primaire, Instruire et Construire,
numéro spécial consacré à l'éducation
physique à l'école primaire Académie de Constantine,
1960.
). A cet effet, l'épreuve est subdivisée en
deux ou trois échelons.
Pour le premier, aussi appelé échelon local, il s'agit
d'effectuer un parcours de 600 (filles) à 800 (garçons)
mètres derrière un moniteur dans un temps de quatre minutes.
Tous les enfants qui ne sont pas parvenus à effectuer le parcours
en quatre minutes et dix secondes sont éliminés. Par la
suite, un classement départemental est effectué à
partir d'un coefficient correspondant au rapport nombre de concurrents
ayant effectué le parcours dans le temps, sur nombre d'enfants
scolarisés et aptes à la pratique. Plus le coefficient
se rapproche de 1, plus l'école est sportive. En résumé,
le premier échelon est bien une épreuve de masse, une
sorte de brevet de cross qui se court au train.
Ce premier niveau constitue un test pour la composition des équipes
participantes au second échelon dans lequel il s'agit, par équipes
de six respectant des catégories d'âges, d'effectuer un
parcours de 800 m sans moniteurs. Chaque équipe est classée
en fonction du temps du quatrième. On perçoit ici que
l'aspect homéostatique diminue au profit de l'aspect compétitif,
mais celui-ci est vassalisé à une perspective éducative:
" il ne s'agit en rien d'imiter les champions de cross des clubs
civils. Pas de classement individuel, on risquerait des accidents et
on développerait chez l'enfant l'orgueil du soi-disant champion
". À l'excès de l'individualisme, on préfère
l'esprit d'équipe et la solidarité. L'aspect pédagogique
est renforcé par la production de conseils pédagogiques
pour la préparation au cross des écoliers diffusé
dans la littérature usépienne dont nous parlerons plus
loin.
Outre ce cross, l'USEP milite également en faveur des triathlons
athlétiques qui combinent course de vitesse, saut et lancer.
Sans rentrer dans le détail, notons que, là encore, l'USEP
fait preuve d'un véritable engagement pédagogique en adaptant
progressivement le règlement pour se différencier du Brevet
Sportif Scolaire ou du Brevet Sportif Populaire, pour construire un
challenge en amont de ces deux épreuves officielles.
Si l'athlétisme représente donc l'activité phare
dans l'initiation sportive développée par l'USEP, il n'en
constitue pas le seul élément. La natation, les sports
collectifs font également partie du programme usépien.
Le mécanisme est toujours le même, initiation progressive
avec des jeux pré-sportifs ou des procédés éducatifs
pour le sport, puis organisation de rencontres intra et inter écoles.
À chaque fois, il est bien rappelé que le but poursuivi
n'est pas de faire des champions, mais de concourir à la formation
physique complète des enfants.
S'agissant du développement des pratiques sportives, l'USEP en
Algérie vers 1960 (Il semble
que ce que nous avons appelé un éclectisme pro-sportif
soit davantage développé en Algérie qu'en France
métropolitaine.), occupe donc une place particulière
dans le monde de l'éducation physique. Sans renier l'héritage
médical de l'éducation physique, elle ne dédaigne
pas pour autant les pratiques sportives dont elle favorise le développement
dans les écoles primaires, voire au-delà. Précurseur
en la matière, elle développe même ce que Fernandez
(1999) appelle une " pédagogisation du sport ", c'est-à-
dire une réflexion éducative sur l'enseignement du sport
(progressivité, finalités sociales, procédés
éducatifs), comme en témoignent des analyses précédentes
et plus encore, cet extrait d'un article intitulé " Le
sport après l'éducation ", où l'auteur
anonyme écrit: " L'équipe qui reçoit attend
des camarades et se doit de rendre agréables les heures passées
en leur compagnie. On mange ensemble si possible, on visite la ville
ou le village au cours des promenades, l'histoire, la géographie,
les sciences ont pu trouver leur compte. Indépendamment des qualités
physiques et morales propres à la pratique des sports, l'altruisme,
l'entraide, la camaraderie ont eu l'occasion de s'épanouir
".
Finalement, l'USEP en Algérie a participé à une
accélération de la pratique de l'éducation physique
alors que les textes officiels restaient encore prudents à cet
égard.
(À suivre)
Les auteurs de l'article recherchent des témoins, documents,
photographies, pour poursuivre leur étude sur l'Éducation
physique et le sport en Algérie.
Contact au: 04 68 30 01 51 ou par e-mail: rage@univ-perp.fr