Saint-Arnaud l'Africain
" S'il y avait un officier dans cette
armée d'Afrique qui fut plus que les autres le type de l'ardeur
et de bonne humeur militaire, c était lui... ".
Bugeaud (1841)
Saint-Arnaud, Algérie,
département de Sétif, chef-lieu d'arrondissement,
à 950 mètres d'altitude. Chemin defer d'Alger à Constantine.
12 166 habitants (agglomé- ration 11318) - vin, distilleries, minoteries
- fontaines romaines restaurées. L'arrondissement de Saint-Arnaud
a 4 621 km2, 28 communes et 139 015 habitants (Encyclopédie Quillet).
***
I1 ne sera de retour en Algérie qu'au
mois de février suivant. Ses enfants sont bien élevés
et travaillent correctement. Mais sa célébrité aidant,
car les journaux ont parlé de lui, les créanciers accourent.
Le frère Adolphe paye une fois de plus. Et puis ce frère
célibataire décide de se marier. Du coup, Achille prend
la même résolution. Il va, pense-t-il, traiter cette affaire
comme on traite un marché. C'est son intention. Patatras ! On le
rappelle à Alger et il s'embarque en février 1844.
Peu après son arrivée, en mai, on l'envoie faire le coup
de feu à Laghouat et Aïn-Mandi qu'occupe un marabout vénéré,
Si Mohamed Tedjani, ennemi juré d'Abd el-Kader, qu'il faut cependant
impressionner pour s'en faire un allié. Le colonel part de Médéa
le 1er mai sous les ordres du général Marey-Monge: 2 800
hommes dont 800 cavaliers indigènes, et 1 200 chameaux. L'itinéraire
: Boghar, Chabounia, Taghin, Tadjemout, Laghouat. Pas de végétation,
pas d'eau, une chaleur torride le jour et des nuits glaciales. On arrive
à Aïn-Mandi où Tedjani règne sur quelques centaines
de fusils. Il faut l'impressionner sans l'humilier. C'est Saint-Amaud
qui est choisi, avec dix officiers, douze chasseurs à cheval et
cent soldats indigènes, pour se présenter au chef arabe.
La rencontre avec Tedjani, lequel ne veut pas se trouver en face d'un
chrétien, ne va pas de soi. Mais tout s'arrange: la brouille Tedjani
- Abd el-Kader est consommée! Le but est atteint grâce au
talent de diplomate de Saint-Arnaud. La troupe regagne Laghouat et visite
quelques ksours, ce qui n'enchante pas Saint-Arnaud " Quant aux
habitants, ce sont des hideux démons qui ont des jardins du ciel
".
La colonne se dirige vers Tiaret pendant que Bugeaud gagne la bataille
d'Isly. On revient à Blida mais sans avoir le temps de se reposer
car les Kabyles de Dellys
s'agitent. On embarque la troupe à Alger pour aller mater les tribus
en révolte. Saint-Arnaud est alors nommé colonel et inaugure
ses galons par un combat de six heures avec 1 500 Français contre
8 000 Kabyles retranchés. Il faut réduire l'ennemi, groupe
après groupe. Le nouveau promu s'en tire avec une contusion au
côté gauche, son pantalon et sa capote ont été
troués par des balles. Son cheval a également été
blessé.
Un mois plus tard Bugeaud l'envoie commander la subdivision d'Orléansville,
poste qu'il rejoint à la fin de novembre 1844. Il y remplace le
colonel Cavaignac et fait une entrée remarquée dans les
misérables baraquements de son nouveau séjour. Il reçoit
les officiers, puis les chefs arabes qui donnent une fantasia en son honneur.
Ne nous y trompons pas. Le pays est mal pacifié. " Orléansville
est un désert dans un grand désert " écrit-il.
" Pas un arbre, pas de végétation... j'ai pour maison
un kiosque ressemblant à la loge du bouc au Jardin des Plantes
".
Orléansville est alors le poste le plus avancé à
l'ouest. Malgré les alertes quotidiennes, Saint-Arnaud va tout
organiser. Comme il ne veut pas rester bloqué, il fait ouvrir une
route vers le port de Ténès (car on ne peut aller à
Alger que par mer en attendant la création d'une route Orléansville
- Blida). " L'avenir de ce pays est immense mais l'or qu'il engloutira
est incalculable " écrit-il en prophète. En faisant
niveler les rues, on trouve des ruines romaines, des tombeaux, des pièces
de monnaie, une mosaïque de Saint-Réparatus. " Sa "
ville va donc s'élever sur l'emplacement de l'antique Castellum
Tingitanum que les Arabes conquérants avaient nommé El Esnam
(les idoles) à cause du grand nombre de statues qu'ils avaient
trouvées. Mais pour le colonel il faut penser aux vivants: il fait
construire des bâtiments pour abriter ses soldats et même
un théâtre pour les distraire. Comme il dispose de fonds
il aide et/ou indemnise des petits colons (
Ce qui lui vaudra de graves ennuis et les médisances du général
Changarnier. Le fait d'avoir utilisé des ruines romaines pour construire
une caserne lui vaudra d'être traité de vandale par C. A.
Julien.). Il achète des grains pour faire semer et il
fait planter des arbres; pourtant il est parisien de naissance ! Sa devise
est celle de Bugeaud " Ense et aratro " (par l'épée
et la charrue). Les soldats se muent en cultivateurs : 50 hectares labourés
et semés au départ, 40 000 pieds d'arbres, et beaucoup de
vignes mais aussi des jardins et des prairies. Sa ferme modèle
a plus de 600 hectares deux ans plus tard. Il donne aussi des fêtes
avec bals et musique. En novembre 1846, il reçoit des journalistes,
des politiciens, des notabilités conduits par Bugeaud et il traite
tout ce monde somptueusement. n'apprécie pas pour autant tous ces
invités. Par exemple, il tient Tocqueville (
Partisan de la guerre totale et de la terre brûlée.)
pour un poseur et un snob et il déteste les journalistes et les
députés qui parlent de ce qu'ils ne connaissent pas. "
Quels hommes, quels ridicules, quels vices " écrit-il.
Il s'endette pour les Charles Alexis CLÉRE recevoir fastueusement
et en retour on l'accuse de concussion et de malversations ! Il vitupère
: " Viens voir de près ceux que tu calomnies! Tu n'en regarderas
pas un en face! ".
On l'accuse d'avoir empoché le produit des razzias sur les tribus
insoumises et il se justifie. Mais le simple fait d'avoir à se
justifier est humiliant! Il parle en gentilhomme " Toujours faire
grand quand on est un chef dut-on en périr ". On croirait
entendre Cyrano de Bergerac !
La guerre se poursuit. Les ordres venus d'en haut sont terribles: tuer,
piller, incendier, dévaster, chez les insoumis.
Les tribus sont prises entre la cruauté des partisans d'Abd el-Kader
et les représailles des Français. Il écrit "
C'est un ouvrage de Pénélope. Nous faisons une guerre
sans gloire et qui nous coûte autant que la bataille d'Austerlitz
". Ceci dit, il considère les Kabyles comme de vrais soldats,
il les admire et les plaint à la fois. " L'impunité
amènerait pour nous de véritables désastres ! ".
Déjà au printemps 1845, il avait fallu sévir dans
les montagnes du Dahra. Pellissier et Saint- Arnaud avaient été
chargés de réprimer la révolte des tribus soulevées
par l'agitateur Bou-Maza ( Bou-Maza
" est un surnom qui signifie " le père de la chèvre
". En effet, le jeune homme traîne avec lui cet animal qui,
paraît-il, fait des miracles. En fait Bou-Maza s'appelle Mohamed
Ben Abdallah et appartient à la tribu de Ouled Sidi Ouadha. C'est
un fanatique exalté mais fort intelligent. Il se rendra à
Saint-Arnaud le 13 avril 1847 après nous avoir donné beaucoup
de mal.). Là se place la fameuse affaire des grottes
où la tribu des Ouled-Riah s'était réfugiée.
Pellissier avait fait enfumer les cavernes et tous les rebelles et leurs
familles avaient péri. Saint-Arnaud est heureux que cette triste
obligation ne lui soit pas échue.
Hélas ! pour lui, quelques semaines plus tard, il se voit placé
dans la même situation avec les cavernes des Sbéhas et après
les sommations, il fait enfumer les révoltés: " Personne
n'est descendu dans les cavernes... J'ai pris l'Afrique en dégoût
". Il est fatigué, cette vie de privations l'use. Et il approche
de la cinquantaine ! D'autant plus qu'il partage les risques de ses soldats
au combat et au bivouac. Et puis, il est malade: douleurs d'estomac, fièvre,
arthrite. Il est squelettique. On le nomme commandeur de la Légion
d'honneur et fin 1847 le télégraphe lui apprend à
Orléansville, sa nomination au grade de maréchal de camp
(général de brigade). Il jubile et en est tout ragaillardi
! Il part à Paris montrer ses étoiles à ses enfants.
Il s'arrête cependant à Alger où il est reçu
par le duc d'Aumale, gouverneur qui a remplacé Bugeaud démissionnaire.
Il quitte Alger le 5 janvier 1848 sur le " Mérovée
".
Il va recevoir à Paris un accueil auquel il ne s'attend pas, une
véritable tempête!
Quelques semaines après l'arrivée à Paris, la monarchie
de Louis-Philippe s'effondre et la République est proclamée.
Sur le plan du tempérament et du caractère, Saint-Arnaud
est un aristocrate. Il croit au commandement, à l'autorité,
aux élites. Sa famille maternelle a été ruinée
par la première Révolution. Saint- Arnaud a de l'aversion
pour la République qui, pour lui, est synonyme de pagaille. Il
compte sur Bugeaud pour s'opposer au nouveau régime. Il oublie
que depuis l'affaire de la rue Transnonain, Bugeaud est très impopulaire
à Paris. Néanmoins il y a une tentative de résistance.
Saint-Arnaud et ses hommes enlèvent les barricades de la rue de
Richelieu mais beaucoup de soldats mettent crosses en l'air, lui-même
subit une vive fusillade à l'Hôtel de Ville et, désarçonné,
il manque être tué.
Désormais, il a son compte à régler avec la République.
Il pense à se marier, bien que quinquagénaire. Il perçoit
15 000 francs par an. Il se croit libéré des accès
de passion. Finalement, il tombe amoureux de la soeur cadette de la femme
de son frère Adolphe, Mlle de Trazenies d'Ittre... qui n'a aucune
fortune. Elle est âgée de 27 ans; gracieuse, intelligente,
distinguée, très fine, elle n'a rien d'une beauté.
M'aime à la folie ! Le mariage religieux a lieu le 3 avril 1848
à Saint Thomas d'Aquin. Le témoin du marié est, à
la mairie, le général Bedeau ( Il y eut
à Alger une rue Bedeau qui allait du boulevard Carnot à
la rue Alfred Lelluch. Bedeau était un puritain qui n'admettait
aucun écart ni pour ses officiers, ni pour lui-même. Il était
estimé de ses soldats.).
Le 18 avril le " jeune " ménage part pour Alger où
Cavaignac est désormais gouverneur. Le choix est offert à
Saint- Arnaud entre Tlemcen, Mascara, et Mostaganem. Il choisit Mostaganem.
À Paris, les " républicains " africains ont le
vent en poupe: Lamoricière, Cavaignac, Bedeau, Changarnier.
Mais c'est aussi l'anarchie. " Ledru-Rollin et compagnie nous
mènent à 1793. Louis- Bonaparte ne vaut guère mieux
" écrit Saint-Arnaud " Jamais je n'ai tant désespéré
de la patrie! ".
Au bout de quelques mois, il rentre à Alger avec la vie de bureau
qui en découle, sauf au printemps 1849 où on l'envoie à
Bougie mater une insurrection. De son bivouac, il écrit des lettres
passionnées à sa femme. Cette dernière a l'obligation
mondaine de recevoir le duc d'Uzès. Du coup, Saint-Arnaud harcèle
son épouse de conseils, si bien qu'elle fait descendre le duc à
l'hôtel ! A vrai dire, Saint-Arnaud est devenu d'une jalousie féroce,
pourtant Agnès semble bien avoir été la plus vertueuse
des épouses d'autant plus qu'elle aime son mari.
Après l'expédition de Bougie où les combats ont été
durs, Saint-Arnaud reçoit le commandement de Constantine, ce qui
signifie à terme une troisième étoile. En attendant,
dans ses lettres, il riposte aux attaques de Victor Hugo et fulmine contre
Ledru-Rollin. Son anti-républicanisme va jusqu'à le faire
traiter Louis- Napoléon, devenu président de la République
et futur Napoléon III, de " soliveau ". Puis, petit à
petit, il apprend que le Président cherche à s'attacher
des " Africains " et qu'on a pensé à lui. Le ménage
Saint-Arnaud se rend d'Alger à Constantine... par mer. Mer démontée.
Madame la générale reste à Philippeville. À
5 heures du matin, on part à Constantine en voiture où on
arrive à 16 heures. En somme, douze heures pour franchir quatre-vingt-six
kilomètres.
Le ménage est reçu en grande pompe. Treize ans plus tôt,
Saint-Arnaud y entrait en combattant ! On s'installe au palais du bey
dont le luxe consiste en quelques belles cours intérieures. Le
" palais " est moderne, de facture italienne, en somme une construction
pour touristes.
Quinze jours après, le 3 mars, grand bal avec trois cents invités.
Même fête l'année suivante en mars 1851. Le ménage
a deux lions apprivoisés, Juba et Cirta, ainsi que toute une ménagerie.
Ce général qui n'a cessé de bouger semble aspirer
au repos et devenir casanier. Comme le dit Louis Bertrand, c'est Don Quichotte
et Cyrano de Bergerac qui aspirent à la retraite, qui deviennent
de vrais bourgeois. Sa passion pour sa femme ne cesse de s'accroître
et chaque départ est un déchirement. Un jour, il est en
tournée avec le colonel Bizot à 40 km de Constantine. "
Si nous allions surprendre nos femmes? ". Aussitôt dit, aussitôt
fait. Ils arrivent à la nuit et grimpent le long du mur. Chute.
Vacarme. A la garde ! Saint-Arnaud, le sous-lieutenant n'est pas mort!
! " Je t'aime trop, ma femme adorée, je t'aime comme un fou.
Je ne suis pas raisonnable! ".
Il a fort à faire cependant, ne seraient-ce que les tournées:
Guelma, HammamMeskoutine, Medjez el Ahmar, Millésimo, Héliopolis,
Mondovi. À Bône, il trouve les déportés de
1848 dont il écoute les doléances.
Il lui faut pacifier l'Aurès et faire une démonstration
en Petite Kabylie. Il prépare deux colonnes. L'une de 3 000 hommes
est sous ses ordres directs. L'autre de 1 500 hommes, commandée
par le colonel Eynard, part de Bône. Point de rencontre, Timgad.
L'expédition dure deux mois et le conduit jusqu'à Biskra.
Le latiniste qu'il a été s'émerveille des ruines
romaines de Lambèse. Il a reçu l'ordre d'y faire édifier
un pénitencier et sans le savoir il le fait construire sur l'emplacement
de l'ancien camp de la Ille Légion romaine. Même émerveillement
à Tébessa et dans la région des Nementchas. Il trouve
les traces de passage d'une légion, la Vie, dans les gorges de
l'Oued-el-Abiod.
Rentré à Constantine, il faut préparer une expédition
contre la Kabylie ( Toutes ces opérations
semblent avoir été télécommandées par
Louis-Napoléon qui avait besoin de Saint-Arnaud pour son coup d'État.).
Mais si le nouveau gouverneur, le général d'Hautpoul, veut
attaquer la Grande Kabylie, Saint-Arnaud veut attaquer la Petite et libérer
Djidjelli qui est bloqué depuis 12 ans. Le ministère se
rallie à ses vues mais le gouverneur en est fort mécontent!
Ce que certains ont nommé une " promenade militaire "
dure trois mois. La soumission est obtenue, après vingt-trois combats,
le 6 juillet ( Parti le 9 mai de Mile
avec 8 700 hommes, il débloque Djidjelli le 16. Cette expédition
permet de soumettre 40 tribus au prix de combats très durs.).
Les opérations cessent le 18.
Du coup, le prince président lui écrit pour le féliciter.
Dans la deuxième quinzaine de juillet, il est reçu à
Philippeville en triomphateur, puis à Constantine, et il est nommé
général de division le 10 juillet... mais à Paris.
Si on l'appelle dans la capitale, c'est qu'on ne peut pas compter, pour
le coup d'État, sur les Africains Lamoricière, Cavaignac,
Bedeau, Changarnier. Son vieil ami, le commandant Fleury, aide de camp
du Président, va le persuader d'aider Louis-Napoléon.
Alors Saint-Arnaud quitte l'Afrique pour toujours. Avec regret d'ailleurs
car le but qu'il visait c'était le poste de gouverneur général.
Il arrive à Paris le 15 août 1851 et essaie de se faire une
idée exacte de la situation politique. La majorité composée
d'orléanistes, de légitimistes, de bonapartistes est trop
disparate et ne peut pas gouverner. C'est donc la gauche extrême
qui en profite. Or c'est en mai 1852 que doivent avoir lieu les présidentielles
et des troubles sont prévisibles.
Pour le prince président Louis- Napoléon, la solution est
simple: gagner les parlementaires de vitesse, c'est-à-dire faire
un coup d'État avant eux.
Saint-Arnaud est reçu à l'Élysée immédiatement.
On lui dit que l'on compte sur lui. Louis-Napoléon, qui le connaît
par le commandant Fleury, lui fait un accueil flatteur et lui accorde
une permission de quinze jours. Le coup d'État est prévu
pour le 17 septembre. C'est une aventure périlleuse et la date
semble mal choisie. Aussi Saint-Arnaud se désiste par lettre, laquelle
plonge l'Élysée dans la perplexité.
Le commandant Fleury vient le voir et argumente. Saint-Arnaud expose ses
objections: le moment est mal choisi. Il faut que la Chambre soit réunie
pour pouvoir la fermer et arrêter les opposants. D'ailleurs, pour
septembre rien n'est prêt.
Il est invité à dîner à l'Élysée
pour le 10. Après ce dîner, on achève la soirée
au théâtre du Gymnase. Suivent des jours de conversations
sans que l'on précise au général quel sera son rôle.
En octobre, on en est toujours là. Quoi qu'il en soit, le 26 octobre,
Saint-Arnaud est nommé ministre de la Guerre, chef suprême
de l'armée, fonction à laquelle il n'est pas préparé,
d'autant plus qu'il a les politiciens en horreur. Il adresse une proclamation
à l'armée pleine de franchise et d'audace. Il travaille
dix-huit heures par
jour malgré ses douleurs violentes à l'estomac. Avec l'aide
du général Magnan, il fait jurer fidélité
au Prince par les officiers et on réunit 50 000 hommes dans les
casernes. En fait, je résume là une réalité
infiniment complexe.
Le 2 décembre, anniversaire d'Austerlitz, la Chambre est occupée
et les opposants arrêtés. Le 4, les choses se gâtent,
mais Saint-Arnaud et le duc de Morny (demi-frère de Louis-Napoléon)
prennent des mesures sévères. Il y a néanmoins des
morts (380 pour le journal Le Moniteur, 1 200 d'après le Times
de Londres). Mais faire un coup d'État, c'est accepter le fait
qu'il y aura des victimes! Avant la fin décembre 1851, un plébiscite
approuve le coup d'État par huit millions de suffrages positifs.
Le ler janvier 1852, un Te Deum est chanté à Notre-Dame
avec un faste extraordinaire. Dans la voiture présidentielle, le
Prince est seul avec le général de Saint- Arnaud. Quel chemin
parcouru par le pauvre officier sans fortune! Il songe à rentrer
dans le rang et à continuer sa politique africaine.
En fait, le 2 décembre 1851 n'a été qu'un commencement.
Louis-Napoléon songe à rétablir l'Empire! Il a donc
encore besoin de ses fidèles. Saint-Arnaud est contraint de rester
à son poste, encore qu'il y trouve un intérêt personnel.
Il a, de plus, commencé à aimer Louis- Napoléon qui,
disons-le, est plein de qualités (hélas! aussi bourré
de défauts, entre autres celui d'être obsédé
par les femmes !). Louis-Napoléon, fils de la reine Hortense (Il
y a peu de chance qu'il ait été le " vrai " neveu
de Napoléon ler, la reine Hortense ayant eu quelques aventures
Voir les ouvrages de Guy Breton et autres historiens. Le duc de Morny,
demi-frère de l'empereur Napoléon III était lu aussi
fils de la reine Hortense, mais fils du général Flahaut,
lui-même fils de Talleyrand.) - petit-fils donc de Joséphine
de Beauharnais - est un grand séducteur, et sa bonté est
réelle (ce qui ne l'empêchera pas d'aller faire massacrer
nos soldats dans des guerres stupides et inutiles).
Saint-Arnaud a son franc-parler avec le Prince et il va jusqu'à
lui faire des remontrances. Le 2 décembre 1852, c'est la proclamation
de l'Empire.
Saint-Arnaud, Magnan et Castellane sont élevés à
la dignité de maréchaux de France (dignité la plus
élevée dans la hiérarchie militaire). Au même
moment, Saint-Arnaud marie sa fille avec un capitaine de chasseurs à
cheval, le marquis de Puységur, et l'Empereur offre à la
mariée une dot de 300 000 francs. Est-il besoin de dire que le
mariage est somptueux?
Saint-Arnaud ne reste pas inactif. Il s'occupe plus particulièrement
- plus affectueusement - de l'armée d'Afrique qui devient permanente.
Le véritable essor de l'Algérie française date du
Second Empire. Il faut lui rendre cette justice.
Mais l'état de santé du maréchal ne cesse de se dégrader.
Il avait été obligé durant l'été 1852
d'aller " prendre les eaux " à Vichy qu'il appelait
" un gros village pluvieux ", et ceci en compagnie de sa femme,
de sa fille et de la fille du maréchal Bugeaud, Mme Feray d'Isly.
À SaintGermain-des- Fossés, il avait été hué
et lapidé alors qu'il se promenait à cheval avec le sous-préfet.
En tous cas, sa santé s'améliore un peu. Mais les voyages
qu'il entreprend avec celui qui n'était encore que Prince- Président
l'ont épuisé, d'autant qu'il faut assister aux réceptions
et bals.
Après les fêtes qui suivent le mariage de l'Empereur avec
Eugénie, il est à bout de forces et part dans le Midi au
printemps 1853. Le maréchal de Castellane, qui le rencontre à
Lyon, le pense dans un état désespéré.
A Marseille, il a une crise violente et manque mourir. Du coup, à
Hyères, il fait son examen de conscience. Il est à bout.
Son fils a échoué aux examens de Saint-Cyr, s'est engagé
au 5e Hussards à Limoges et est mort à 20 ans d'une pneumonie.
Saint-Arnaud est inconsolable de ce deuil. Il perd sa mère à
cette même époque.
Puis il retourne à Marseille et s'installe au Prado. Assez curieusement,
il semble se rétablir. " Je sens que ma tâche n'est
pas terminée et je veux être à la hauteur ".
Des bruits de guerre circulent. On prépare ce qui sera l'expédition
de Crimée : l'Angleterre se sent menacée par la Russie qui
semble vouloir s'emparer des Détroits. Cette affaire ne concerne
guère la France sauf pour des questions de prestige. La France
se dit protectrice des Lieux Saints et le Tsar nous dispute cette protection.
Le Second Empire tient aussi à faire entendre sa voix. Rien qui
ne puisse être réglé par la voie diplomatique. Néanmoins
la France et l'Angleterre déclarent la guerre en mars 1854 dans
une impréparation totale! Nous avions prévu 6 000 hommes.
Saint-Arnaud portera ce nombre à 30000. Bientôt il en faut
le double! Saint- Arnaud est à nouveau malade et sans cesse en
déplacement. Il sait que son mal ne pardonne pas. " J'aime
mieux finir au milieu de mes soldats que dans mon lit ", dit-
il. Le fautif de l'affaire est l'Empereur qui confie une armée
à un moribond ! Il tient compte du fait, sans doute, que Saint-
Arnaud parle l'anglais alors que le chef britannique, lord Raglan, ne
sait pas un mot de français. Bref, le maréchal reçoit
le commandement en chef de l'armée d'Orient. " Il est debout,
mais il est très maigre, il a les yeux vitreux, il est voûté
", écrit le maréchal de Castellane. En route vers
Marseille, il a deux crises d'angine de poitrine.
La France, bonne fille, envoie 50 000 hommes. L'Angleterre 28000, et pas
l'élite de son armée! Mais elle argue du fait qu'elle prête
sa flotte. En tous cas, elle est décidée à se battre
le moins possible et la besogne sera l'affaire des Français et
des Turcs. Bref, l'entente ne règne guère entre les alliés
: divergences dans les buts de guerre, divergences sur les différentes
stratégies à adopter.
Après maintes tergiversations, on se décide pour un futur
débarquement en Crimée. Saint-Arnaud fulmine: tout parvient
en vrac dans une pagaille indescriptible: des affûts sans canon,
des canons sans caisson, des chevaux désappariés et tout
à l'avenant. Dès l'arrivée à Gallipoli, première
étape, il se heurte aux Anglais " Ces gens-là ne savent
pas se remuer. Impossible de bien faire la guerre comme cela, et si je
la fais contre eux ils s'en apercevront! ". Il voit clair dans leur
jeu. " Je vois que les Anglais sont arrivés avec le parti
pris de ne pas prendre de parti... Quel sac à bière, quelle
buse stupide que ce Dundas (amiral qui commande la flotte anglaise)
".
Les Zouaves, enfants chéris de Saint-Arnaud. Saint-Arnaud propose
de débarquer à la Katcha, à 8 km de Sébastopol.
Les Anglais s'y opposent et le débarquement a lieu à Old-Fort,
beaucoup plus éloigné. Aussitôt à terre, les
Anglais ne bougent plus. Le maréchal parcourt le front britannique
au galop en criant: " En avant, braves Anglais, les Français
partent, suivez- nous ! ". Et les Anglais s'ébranlent
en poussant des hurrahs. Ils se font décimer héroïquement
par l'artillerie des Russes ! Les enfants chéris de Saint-Arnaud,
ce sont ses Zouaves. Il communique à tous son énergique
volonté. Il rabroue vertement le prince Jérôme-Napoléon
( C'est lui qui sera surnommé
Plon-Pion et deviendra ministre de l'Algérie. Intelligent mais
brouillon et dilettante, il jouera un rôle néfaste. Il était
le neveu de Napoléon ler, fils de Jérôme Bonaparte,
roi de Westphalie.) malgré son titre d'Altesse impériale
et son grade de général de division " S'il n'est
pas content, qu'il parte! " et au prince: " Vous vous
appelez Napoléon. Votre place est au poste périlleux. Voyez
ce pont sur l'Alma vers lequel converge le feu des batteries russes. C'est
là qu'est votre place, à la tête de votre division...
Ie viendrai vous y rejoindre pour vous donner l'accolade au milieu du
feu! ".
Seule la volonté anime le maréchal dont la vie n'est plus
qu'un long supplice. Mais à tous, il donne l'exemple du courage.
Il veut bien accepter de mourir mais après une grande victoire
qui justifierait sa dignité de maréchal.
Les deux armées fondent petit à petit à cause d'une
épidémie de choléra et autres maux.
Saint-Arnaud recommande au docteur Cabrol qui le soigne: " Cachez
bien à la maréchale ce que je souffre et le danger que je
cours. Qu'elle ignore tout, excepté mon amour ". Le 25
août, il envoie à sa femme, pour sa fête, un bouquet
de fleurs et des vers. Il se sait condamné mais il fait son devoir
jusqu'au bout.
Les Russes organisent leur défense à 8 km de Sébastopol
sur les hauteurs de l'Alma où le général Menschikoff
a disposé ses troupes et une nombreuse artillerie.
Le jour de la bataille, Saint-Arnaud soigne sa tenue, monte - péniblement
- à cheval. Il n'en descendra qu'à 16 heures, après
la déroute de l'ennemi. Quand tout est terminé, il caracole
sur le front des troupes qui l'acclament " Vive le maréchal,
vive l'Empereur! ". Et les drapeaux s'inclinent. Pour les fils
des vaincus de Waterloo, c'est un beau jour.
Mais la guerre est loin d'être terminée. Il faut aller camper
à Balaklava ( C'est à
Balaklava que nos Chasseurs d'Afrique recueillent les survivants de la
célèbre Brigade légère britannique qui a chargé
héroïquement. " C'est magnifique, mais ce n'est pas la
guerre " dira le général Bosquet.).
Pour le maréchal, l'agonie commence. Le 25 septembre, il remet
son commandement au général Canrobert et rédige une
proclamation à l'armée.
Au moment où on lit le texte aux soldats, Saint-Arnaud est presque
un cadavre.
On le charge dans une voiture escortée de spahis et on le conduit
à Balaklava. Pendant une halte, il aperçoit les Zouaves.
Ses yeux s'illuminent un instant. II leur tend la main...
On va l'embarquer sur le navire le " Berthollet ". Il passe
à terre une nuit affreuse et on le calme avec une potion. Le lendemain
on le dépose dans sa cabine et le navire glisse sur l'eau calme.
Les derniers mots qu'il prononce sont: " L'Empereur! Louise, ma
pauvre Louise... ! ".
Le grand soldat est mort.
Quinze jours plus tard, le corps arrive à Paris. Il est venu rejoindre
son vieux chef d'Afrique, Bugeaud, duc d'Isly.
o
Bibliographie:
- Louis BERTRAND, Le maréchal de Saint-Arnaud, 1941.
- Le maréchal de Saint-Arnaud, Quatrelles, L'épine, 1929.
- Bois Jean-Pierre, Bugeaud, 1997.
- JULIEN Ch. André, Histoire de l'Algérie contemporaine,
1964.
- MARTIN Claude, Histoire de l'Algérie française, 1963.
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