Relizane...
par Louis Abadie
La Berbérie était une terre de luttes entre
factions diverses lorsque l'Empire romain est venu s'implanter en Afrique
par ses conquêtes et une colonisation. Si Rome a pu occuper le nord
des provinces de Berbérie, ce n'est que grâce à la
création de deux limes, sorte de frontières pour se protéger
d'invasions possibles. Un réseau routier constituait un des éléments
de ces limes. Sur celui que la colonisation romaine avait établi
en Maurétanie césarienne couvrant notre Oranie d'Aïn-Témouchent
(Albulae) à Saint-Aimé (Gadaum), nous trouvons le Praesidium
Castellum de Mina. Celui-ci est mentionné dans l'Itinéraire
d'Antonin à seize milles de Ballene (sans doute
siège d'un évêché et à vingt-cinq milles
de Gadaum (Saint-Aimé). Le commandant Demaeght, historien et archéologue
d'Oranie, a écrit en 1887 : " Les ruines de l'antique Mina,
qui empruntait son nom à la rivière sur la rive droite de
laquelle elle était située, occupent la pente occidentale
d'une colline qui domine les plaines fertiles de la basse Mina. On n'y
trouve plus, aujourd'hui, d'autres vestiges de l'occupation romaine que
les boursouflures du sol produites par l'amoncellement des décombres
et une multitude defragments de poterie fine qui ne laissent aucun doute
sur leur origine ". Et le même auteur signale ailleurs deux
inscriptions qu'il a trouvées dans ces ruines, encastrées
dans le mur de la maison Bonhomme, à Relizane, appartenant à
cette époque à M. Sauve, maire de la
ville. Mina figure dans l'Africana christiana de Morcelli. C'était
un des 133 évêchés de la Maurétanie Césarienne.
La mémoire de deux de ses évêques nous est parvenue
: Cecilius, qui est le 49e parmi les évêques de la Césarienne
qui se rendirent en 484 au concile de Carthage, sur l'ordre du roi Hunéric.
Fidèle à la loi catholique, il fut exilé, s'opposant
courageusement à l'hérésie arienne. Secondin, lui,
assista au concile de Carthage réuni en 525 par Boniface,sous le
règne d'Hildéric. Il y fut le seul représentant de
la Maurétanie Césarienne " car les autres furent retenus
par la dure nécessité de la guerre" et signa "
Secondin, évêque du peuple de Mina, de la province de Maurétanie
". Mais d'où vient ce nom Mina? Le savant Arthur Pellegrin
qui a étudié les noms pense que ce nom de la rivière
a été latinisé à partir d'une racine berbère
" aman " qui signifie l'eau.
Avant l'arrivée
desFrançais... Ighil Izan
C'est encore Arthur Pellegrin qui nous donne l'origine
du mot Ighil Izan. Dans la plupart des dialectes libyco-berbères,
le mot ighil, que l'on trouve souvent associé à un autre
mot, aussi bien en Tunisie qu'en Kabylie, désigne une colline,
ou bien une crête, ou une chaîne de montagnes. C'est ainsi
que Ighil Izan veut dire " La Crête des mouches ".
D'après les recherches, toujours pointues de G. Bensadou, c'est
la tribu berbère des Hawwara qui a toujours occupé la région
de Relizane et que les Romains ont désignée sous le nom
des Bavares, tribu importante qui domine, avant l'invasion arabe, les
hautes plaines de l'Aurès à la Moulouya et en particulier
la région qui nous intéresse, celle allant de Relizane à
Mascara. Les Arabes baptisent l'Oued Hawwara, l'Oued Mina et le Djebel
Hawwara, l'Ouarsenis.« Les Hawwara, selon Ibn Khaldoun, étaient
des Branes, c'est-à-dire des tribus sédentaires. Et le centre
le plus important était probablement El Bat ha qui; d'après
le baron de Slane, traducteur du grand historien, se serait situé
sur la rive droite de la Mina, probablement dans le voisinage de la ville
de Relizane. Un autre centre important de cette tribu était le
village de Kalaa, célèbre par ses tapis ". Ces tribus
sont-elles païennes, chrétiennes, juives? Nous ne le savons
pas. Par contre, elles sont islamisées à partir de l'invasion
arabe et vont connaître les différents occupants de ces régions
: le Royaume Ibadite d'Ibn Rostem, les Idrissides, l'Empire Fatimide et
d'après Ibn Khaldoun, cette tribu des Hawwara est décimée
à la fin du xe siècle. Ensuite viennent les périodes
hillaliennes, puis la région de Relizane est soumise aux Almoravides,
puis aux Almohades. Les luttes incessantes où s'affrontent les
différents royaumes d'Afrique du Nord font passer cette région
sous leur domination et particulièrement sous celles des Abdelouadites
du Royaume de Tlemcen et des Mérinides de Fez.
À l'époque des Espagnols, des tribus arabes s'y implantent,
en particulier celle des Zoghbas, une branche des Béni Hillal.
Enfin, sous la Régence turque, elle fera partie du beylick de l'ouest
dont les chefs-lieux successifs sont Mazouna, Mascara et Oran. Si beaucoup
d'incertitudes pèsent sur ces siècles, on sait très
bien à partir de l'occupation française que la tribu des
Flitta gère le triangle L'Hillil, Inkerman, Zemmora au centre duquel
se trouve Relizane. Ch.-André Julien parle " d'un territoire
dangereux ". Quand Abd el-Kader est traqué par les Français,
il se réfugie un temps chez eux et Mustapha Ben Ismail, le chef
des Kouloughlis de Tlemcen tombe dans une embuscade chez les Flitta et
y trouve la mort. En 1864, c'est un de leurs marabouts, Bou Hamama, qui
attaque Relizane après avoir pillé Zemmora et brûlé
Ammi Moussa. Le commandant d'Armagnac et le lieutenant Cordier le poursuivent
et il sera tué le 3 juin 1864. Bou Hamama était aussi appelé
Si Lazreg et le marabout avait sa koubba près de Kenenda. Les Relizanais
se souviendront aussi du colonel Lapasset qui les délivra avec
ses Chasseurs d'Afrique de cet envahissement de 1864.
Projet du village de Relizane
sur la route de Tiaret
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Français, Espagnols,
Piémontais... tous Relizanais!
En juin 1853, La Désirade est le bateau
qui relie Marseille à Oran et sur lequel se trouvent les premiers
pionniers, arrivant du Gard et spécialement de l'arrondissement
du Vigan. Par voie d'affiche on les a encouragés au départ
pour faire fructifier des terres et pour apporter à un pays une
civilisation après l'effondrement de la Régence turque.
Ils débarquent à Oran avec bagages, outils, chariots et
même mulets. Bien vite, ils se dirigent vers ce Centre de colonisation
nouvellement créé et occupé seulement, par les soldats.
Le lieutenant Boniface les accueille, les installe sommairement. Pour
eux, on a pu dire comme Pierre Dumas: " Je ne sais quel écrivain
a dit, avec raison, qu'entre la France et l'Algérk, la Méditerranée
n'est pas une barrière, mais une route ". Mais une route...
vers l'inconnu, le désert, les fièvres, en somme vers ce
pays qu'on appelle déjà " la Petite Cayenne ".
L'émigration espagnole, elle, est importante durant la période
18701880. Ces natifs d'Ibérie sont attirés par ce pays,
qui ressemble beaucoup au leur et ceux-ci savent tailler la vigne; ce
sont des défricheurs, arracheurs de bois, charbonniers.
Jordi a écrit que " le peuplement de la plaine de Relizane
s'est fait au moins autant par suite de la poussée des colons d'Oran
que les voies de communication (route et chemin de fer d'Oran à
Alger) mettent à quelques heures que par le déplacement
des colons de Mostaganem ".
En 1886, les Espagnols de Relizane sont plus nombreux que les Français
: 1 952 contre 1004.
Des Piémontais aussi sont arrivés à Relizane, certes
en moins grand nombre que les Espagnols. Comme à d'autres Européens,
on leur a fait miroiter l'Eldorado brésilien, puis on leur propose
le départ vers l'Algérie, toute proche et certains, nommés
Mazzia, originaires de Biella, dans la région de Turin, se mettent
au service d'entrepreneurs italiens comme les Bellia, déjà
installés à Relizane. Comme on le sait, ils sont des champions
dans le bâtiment et les travaux publics. Ils créeront des
entreprises de constructions, des fabriques de carrelage, qui deviendront
très vite florissantes.
Ces premières années sont dures, à Relizane, tant
pour l'élément européen que pour les autochtones.
Cette ville est touchée par la famine en 1866, et le choléra,
en 1867 a aggravé la mortalité qui représente six
fois plus de décès que de naissances. En plus des familles
qui vont cultiver leur concession, la colonisation capitaliste s'installe,
sur la rive droite de la Mina, comme le souhaitait Napoléon III,
par le truchement de la Société Générale Algérienne,
au désespoir des colons de Relizane. Ceux-ci se livrent à
la culture du blé, de l'orge, du tabac et bientôt du coton,
ces deux dernières cultures seront abandonnées au début
du xxe siècle.
La vigne avec des périodes fastes et également difficiles
fait son apparition, tandis que les agrumes feront la richesse de la région
grâce à l'irrigation, bien ordonnée. Et Relizane a
bientôt sa banque locale, exemple rare en Algérie, le Comptoir
d'Escompte qui, en accordant des crédits, contribue à la
prospérité de la ville et de la région. Francine
Dessaigne, qui nous a laissés de bons livres sur notre Algérie,
a écrit dans Journal d'une mère de famille pied-noir,
ce qu'elle a vu à Relizane en 1950 : " Relizane avait à
cette époque un maire conscient de ses devoirs, dont la sollicitude
municipale se manifestait dans les moindres circonstances de la vie de
ses administrés. C'est ainsi qu'il avait songé à
adoucir les rigueurs de l'été les plus dures qui soient,
en mettant des jets d'eau et créant de beaux jardins publics qu'il
arrivait à entretenir verts au plus fort de la chaleur. Lorsqu'il
fait 45° à l'ombre, voir et entendre l'eau qui coule est presque
aussi rafraîchissant que de la boire. II pensait à leur santé.
Il avait fait construire un marché couvert en béton où
les étalages de légumes rivalisaient de propreté
avec ceux des bouchers. Les petites boutiques pourvues de réfrigérateurs,
de vitres et de carreaux de faïence blanche, recevaient tous les
Européens et tous les indigènes. D'autres, fidèles
à l'habitude, préféraient le marché à
la viande qui se tenait près de la mosquée ".
Relizane et son climat
de toujours
Un fortin... sur une colline amie entre deux
plaines, celle du Chélif et celle de la Mina... une région
montagneuse à proximité de l'Ouarsenis et d'Ami Moussa,
tel apparaissait aux premiers arrivants ce pays. Un environnement varié
entoure la ville de Relizane où l'on trouve fleuve et rivières.
Dominique Rivière la décrivait ainsi:
Une plaine aride, parsemée de marais pestilentiels, quelques
touffes de tamaris et de lauriers roses aux abords de la Mina: des jujubiers
touffus sur l'emplacement actuel de la ville, tel était le décor
général et particulier de ce que l'on avait choisi pour
l'installation d'un Centre ".
Les premiers arrivants à Relizane ont été frappés
immédiatement par " ce climat épouvantable " d'où
le surnom de " Petite Cayenne ". Dans un rapport scientifique,
tel celui établi en 1961 par J.-M. Boutin, on est surpris d'apprendre
que la température, à Relizane, se situait en moyenne annuelle
à 18°4 alors que celle d'Oran atteignait 18°3. Mais les
moyennes relèvent de la théorie et ce qui rendait insupportable
le climat étaient les écarts de température en cours
de journée.
Ce climat provoquait sécheresse, aggravée par des vents
du Nord en hiver, pas trop redoutables, mais en été il fallait
subir le sirocco, sec et très chaud.
Quand on lit les cahiers journaliers de quelques agriculteurs, on s'aperçoit
que la pluie était chez eux une obsession: ils notaient tantôt
qu'elle était tombée, tantôt ils souhaitaient qu'elle
tombe. Cruelle angoisse, en pensant à leurs cultures qu'ils surveillaient
attentivement. Certains, toujours fidèles aux traditions de leur
pays d'origine, étaient des inconditionnels du Zaragosano, l'almanach
des prévisions météorologiques, indiquant les phases
de la lune et les dates favorables à la plantation des cultures.
Mais... Car cette pluviométrie était en moyenne de l'ordre
de 300 à 360 millimètres avec des pointes de 460 et même
de 533 millimètres dans les années 1950. Les précipitations
étaient variables: pluie fine et continue ou bien orages de courte
durée mais destructeurs du sol. En été, presque nulles
étaient ces précipitations. Heureusement, les services de
l'Hydraulique corrigeront ces carences et grâce au barrage sur l'Oued
Mina, construit en 1859, on pouvait, en attendant les autres solutions,
irriguer environ 7000 ha de plantation d'arbres fruitiers, mais en période
sèche, seulement 200 ha. Géographiquement la situation de
Relizane va s'avérer d'une importance stratégique en tant
que carrefour de grandes voies de communication partant de la N4 Alger-Oran,
l'une, la N23 vers Mostaganem, puis la N7 allant à Mascara-Sidi-Bel-Abbès,
et la N23 allant vers Tiaret,
sans compter la D13 desservant Uzès-le-Duc et Aïn Tédélès
au nord-est. Sans oublier les nombreux chemins vicinaux et les pistes
à mulets. Noeud ferroviaire aussi pour la grande ligne de chemin
de fer Alger-Oran et Mostaganem- Tiaret. Centre de ravitaillement, de
soins des nombreux villages des routes de
Mostaganem, Inkermann, Perrégaux
et Montgolfier.
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