L'Église catholique en Algérie de 1830 à 1866
par Geneviève Maval

extraits du numéro 118 , juin 2007, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"-

sur site le 14-2-2012

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L'Église catholique en Algérie de 1830 à 1866
par Geneviève Maval

Un Prix algérianiste universitaire a couronné en 2006 le mémoire de Geneviève Maval : " La question de la pluralité des religions en Algérie, examinée dans quelques-unes des oeuvres de Mgr Louis-Antoine Pavy... évêque d'Alger (1846-1866) ".
Nous en présentons ci-dessous un extrait décrivant l'état de l'Église catholique en Algérie de 1830 à 1866.


EN 1830, le Saint-Siège avait salué avec satisfaction la conquête de l'Algérie par Charles X, roi catholique ( On suit ici le chapitre iv de J.-P. Martin, La nonciature de Paris et les affaires ecclésiastiques de France sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848), Beauchesne, Paris, 1984, p. 231-268.). Celui-ci est renversé peu de temps après par la monarchie de Juillet, peu cléricale. La Chambre des députés menace alors de réduire les crédits alloués au culte. Le moment paraît donc mal venu pour Louis-Philippe de solliciter des fonds en vue de la reconnaissance du culte catholique à Alger. Les aumôniers de régiment qui ont accompagné en Algérie le corps expéditionnaire français sont peu nombreux; ils se déplacent avec le mouvement des troupes et ne peuvent pas desservir la population de manière stable et durable. La question de l'assistance religieuse est posée. Le gouvernement de Louis-Philippe temporise, au motif qu'il souhaite " procéder simultanément quand le moment serait venu à l'organisation temporelle et spirituelle de la colonie ". En 1833, le nonce à Paris élabore un plan consistant à confier la mission d'Alger à un vicaire apostolique appartenant à la congrégation des lazaristes. Ces derniers sont installés en Afrique du Nord depuis deux siècles et ils connaissent bien la langue et le pays. Ils sont en outre bien vus du gouvernement français pour les services rendus dans les pays du Levant. Grégoire XVI, qui avait été préfet de la Propagande de la foi avant d'être élu pape, ainsi que le supérieur général des Lazaristes expriment leur accord. Cependant, l'affaire traîne en longueur. En 1835, dans une lettre du ministre des Affaires étrangères le duc de Broglie, la France déclare entendre maintenir ses prérogatives sur la colonie : " Appelés à fonder et à doter l'établissement en question, et surtout appelés à le fonder dans un pays

Victor de Broglie. devenu français, nous ne saurions admettre que la Propagande, avec son esprit de chicane et d'empiétement, avec ses habitudes routinières et son asservissement aux formes d'une autre époque, vînt nous imposer des conditions et se substituer à nos droits. Il ne s'agit point ici d'une mission en Chine ou au Japon, mais d'un établissement sacerdotal, régulier, conforme, à quelques exceptions près, à ce qui existe en France, et devant être créé dans un pays qui nous appartient, qui n'est qu'à quatre jours de distance de nos côtes. C'est assez dire, en général, que nous voulons être libres d'en régler la fondation comme nous le jugeons convenable ".

Les négociations reprennent et sont sur le point d'aboutir lorsque l'on s'avise que le roi n'a pas été informé de l'arrangement passé entre le ministre français et le Saint-Siège. Ce qui fut fait. Or, Louis-Philippe refuse de laisser nommer le vicaire apostolique d'Alger par le Saint-Siège conformément aux normes " Il nomme les évêques du royaume, il nomme les préfets apostoliques des colonies françaises, et il n'aurait pas le droit de nommer le vicaire apostolique d'Alger ? Il y aurait là, juge-t-il, une anomalie singulière ". Ni le roi ni le pape ne cèdent sur la nomination du vicaire apostolique d'Alger. Le ministre français des Affaires étrangères suggère alors au nonce la possibilité de créer un évêché au lieu d'un vicariat apostolique. Le nonce hésite. Mais, en lui décrivant " l'anarchie dans laquelle se trouve notre Église d'Afrique ", le gouverneur général de l'Algérie, le comte Valée, catholique, le persuade du bien-fondé de cette solution. Plusieurs raisons en décideront: l'intervention de la reine Marie-Amélie à qui avaient été rapportés les propos d'Abd el-Kader: " Ah les Français ont une religion ! Je ne m'en étais pas rendu compte ", et la réputation douteuse des aumôniers militaires. Un clergé honnête sous l'autorité d'un évêque est vivement souhaité en particulier par les Espagnols et parmi eux les Mahonnais, fervents et pieux catholiques, alors que nombre des premiers colons se distinguaient par leur irreligion. En définitive, Louis- Philippe intervient en faveur de la création d'un diocèse français concordataire (Concordat de Napoléon ler en 1802) qui émarge au budget de l'État. Le clergé est fonctionnaire. Le culte est rémunéré par l'État. Si la solution du vicariat apostolique avait été retenue, l'Algérie aurait été considérée comme un pays de mission " sur les régions des infidèles ". La France pose d'ultimes exigences: " Le nouvel évêché devrait avoir pour extension tout le territoire de l'ancienne régence; la ville épiscopale serait Alger; la cathédrale serait dédiée à saint Philippe; suffragant d'Aix, le diocèse d'Alger serait en tout assimilé à ceux du royaume ". La bulle d'érection est promulguée par le Saint-Siège le 12 août 1838. Le premier évêque d'Alger, salué par le pape comme le successeur de saint Augustin, est Mgr Antoine-Adolphe Dupuch, originaire du diocèse de Bordeaux. En 1845, il sera contraint à la démission, en raison des dettes accumulées : la faillite financière est prononcée, la personne même de l'évêque est sous le coup d'une saisie de corps. Mgr Pavy succède alors à Mgr Dupuch, en 1846.

L'épiscopat de Mgr Pavy (1846 -1866)

Louis-Antoine Pavy est né à Roanne le 18 mars 1805. Sous-diacre en 1826, diacre en 1828, professeur de rhétorique au petit séminaire Saint-Jean de Lyon, il est ordonné prêtre le 13 juin 1829 et nommé vicaire à la paroisse Saint-Bonaventure, en 1830. Il est nommé professeur d'histoire ecclésiastique à la faculté de théologie de Lyon, poste qu'il occupe de 1838 à 1842. Doyen de cette même faculté de 1842 à 1846, il est préconisé évêque d'Alger le 26 février 1846 et sacré le 24 mai 1846 dans la primatiale Saint- Jean de Lyon. Mgr Pavy débarque à Alger le 9 juillet 1846. Au mois d'août, il se rend à Bône et Hippone à l'occasion de la fête de saint Augustin. À la fin de l'année, il annonce l'ouverture d'un petit séminaire à Saint-Eugène. En janvier 1847, il part en tournée pastorale à Oran et dans les colonies allemandes de Sainte-Léonie et de la Stidia. Quelques mois plus tard, de passage à Marseille où il rencontre Mgr Eugène de Mazenod, il va à Paris et obtient du gouvernement des crédits supplémentaires affectés au séminaire. En décembre, il visite la province d'Alger jusqu'à Médéa. En 1848, après la proclamation de la République, il exhorte les Algériens à se rendre aux urnes afin de désigner les quatre députés qui représenteront le territoire à la Chambre à Paris. En mai, le grand séminaire est transféré à Kouba, dans un camp militaire désaffecté que l'armée a cédé à l'évêché. Les baraquements étant inconfortables, des travaux seront nécessaires et seront exécutés de 1854 jusqu'à 1866. Mgr Pavy est proposé par Cavaignac à l'archevêché de Paris après la mort de Mgr Affre sur les barricades des journées de juin 1848. Mgr Sibour est finalement choisi. De 1848 à 1850, quarante-trois paroisses sont créées en Algérie. En 1849, année où sévit le choléra, Mgr Pavy se dévoue, ainsi que le clergé et les religieuses, auprès de la population européenne et indigène. En août, l'évêque promulgue le catéchisme du diocèse d'Alger. En avril 1850, alors qu'il entreprend une visite de la province d'Oran, son bateau manque de faire naufrage au large de Mostaganem. En mai, il consacre la chapelle Notre-Dame-duSalut de Santa-Cruz à Oran, édifice érigé par les fidèles en reconnaissance à la Vierge Marie après l'interruption d'une épidémie de choléra. Mgr Pavy participe au concile d'Aix et, de là, part pour Rome où il a une entrevue avec le pape Pie IX. En 1852, en Algérie, il nomme trois vicaires généraux: son frère, l'abbé Léon-Claude Pavy à Constantine, l'abbé Comte- Calixte à Oran et l'abbé Suchet à Alger. Il prend la direction du petit séminaire.

Grâce à une intervention de Napoléon III, qui fait inscrire une ligne dans le budget à cet effet, il liquide les dettes contractées par Mgr Dupuch. En 1853, il institue la retraite ecclésiastique, le synode diocésain, la caisse de retraite du clergé, les conférences ecclésiastiques et l'association de prières pour les prêtres défunts. En 1854, il appelle en Algérie les Frères des écoles chrétiennes et, en 1855, les Soeurs du Bon-Secours. Cette même année, il visite la province de l'Est, Constantine, Philippeville... De 1850 à 1858, soixante-dix-huit paroisses sont créées. En 1859, il bénit l'inauguration de la première ligne de chemin de fer reliant Alger à Blida. Au moment des troubles autour de l'unité italienne et de la contestation des États pontificaux, il rédige une Esquisse sur la souveraineté temporelle du pape. En 1860, il accueille la première visite à Alger de Napoléon III et de l'Impératrice. En 1861, il se rend en visite pastorale à Laghouat, malgré le danger signalé par le général de Sonis, commandant la région. Le 16 avril 1862, il écrit une longue lettre décrivant ses réalisations pastorales au président du conseil de la Propagation de la foi à Lyon. Le 8 juin, à Rome, il assiste à la canonisation des martyrs du Japon et le lendemain au consistoire réunissant autour de Pie IX tous les évêques venus à Rome à cette occasion. En réponse à sa lettre de 1860 adressée en guise d'éloge à Abd el-Kader pour sa conduite auprès des chrétiens de Syrie, l'émir lui fait parvenir un courrier daté du 10 juillet 1862 dont l'original en arabe est conservé dans les archives de l'archevêché d'Alger. En 1863, Mgr Pavy prend position dans le débat sur le projet de " royaume arabe " de Napoléon III, exposé dans la lettre impériale du 6 février au maréchal Pélissier, gouverneur général de l'Algérie; l'évêque envoie le 13 février une lettre circulaire à tous les curés de l'Algérie. À la perspective du gel des terres, il estime, au nom de sa charge pastorale, que ce serait ruiner la création des paroisses dans les villages agricoles et, à long terme, l'évangélisation. Il écrit: " Après tout, Dieu, ne faisant pas les choses à demi, n'a pas ressuscité d'une tombe douze fois séculaire la foi de Cyprien, d'Augustin et de Fulgence, pour la replonger, après trente-deux années de gloire, de dévouement, de sacrifices et d'efforts de tous genres dans la nuit de la barbarie, et enfin, la France voudra faire comme Dieu et ne pas avoir versé sur le sol algérien le sang de ses braves par torrents, son or par milliards, la sueur de ses colons, l'influence de ses capitaux et les premiers feux de sa civilisation, pour les délaisser, un jour, entre les mains de ceux qui, pendant douze siècles, avaient été la terreur et le fléau de la Chrétienté " (Lettres aux curés à l'occasion de la Constitution donnée à la colonie (quatre pages) sans table ni pagination continue dans le tome iv des OEuvres de Mgr Pavy.). Le 18 juillet 1864, il écrit sur le spiritisme pour dénoncer son influence en Algérie. Le 28 août, il rédige une réfutation de La Vie de Jésus d'Ernest Renan. Le 31 mai 1865, Napoléon III arrive en voyage d'études en Algérie : il est reçu par Mg' Pavy qui l'accompagne visiter la Trappe de Staouéli. Il parle à l'Empereur de la création des évêchés d'Oran et de Constantine. Ce dernier se déclare favorable. De 1859 à 1866, quarante-cinq paroisses sont créées, dont celle de Birmandreïs, près d'Alger, en 1864. En 1866, la santé de Mgr Pavy se dégrade. Malgré tout, en janvier il entreprend une tournée pastorale dans la province d'Alger. Le 25 juillet, il reçoit trois bulles d'érection : l'une érigeant l'évêché d'Alger au rang d'archevêché, les deux autres créant des évêchés à Oran et à Constantine. Le 13 novembre, les derniers sacrements sont administrés à Mgr Pavy dans son logement de Saint-Eugène, en présence de son clergé à qui il adresse sa dernière allocution : " Prêtres de l'Algérie, aimez-vous les uns les autres ". Il meurt le 16 novembre 1866.