L'Église catholique
en Algérie de 1830 à 1866
par Geneviève Maval
Un Prix algérianiste universitaire
a couronné en 2006 le mémoire de Geneviève Maval
: " La question de la pluralité des religions en Algérie,
examinée dans quelques-unes des oeuvres de Mgr Louis-Antoine Pavy...
évêque d'Alger (1846-1866) ".
Nous en présentons ci-dessous un extrait décrivant l'état
de l'Église catholique en Algérie de 1830 à 1866.
EN 1830, le Saint-Siège avait salué avec satisfaction la
conquête de l'Algérie par Charles X, roi catholique ( On
suit ici le chapitre iv de J.-P. Martin, La nonciature de Paris et les
affaires ecclésiastiques de France sous le règne de Louis-Philippe
(1830-1848), Beauchesne, Paris, 1984, p. 231-268.). Celui-ci
est renversé peu de temps après par la monarchie de Juillet,
peu cléricale. La Chambre des députés menace alors
de réduire les crédits alloués au culte. Le moment
paraît donc mal venu pour Louis-Philippe de solliciter des fonds
en vue de la reconnaissance du culte catholique à Alger. Les aumôniers
de régiment qui ont accompagné en Algérie le corps
expéditionnaire français sont peu nombreux; ils se déplacent
avec le mouvement des troupes et ne peuvent pas desservir la population
de manière stable et durable. La question de l'assistance religieuse
est posée. Le gouvernement de Louis-Philippe temporise, au motif
qu'il souhaite " procéder simultanément quand le moment
serait venu à l'organisation temporelle et spirituelle de la colonie
". En 1833, le nonce à Paris élabore un plan consistant
à confier la mission d'Alger à un vicaire apostolique appartenant
à la congrégation des lazaristes. Ces derniers sont installés
en Afrique du Nord depuis deux siècles et ils connaissent bien
la langue et le pays. Ils sont en outre bien vus du gouvernement français
pour les services rendus dans les pays du Levant. Grégoire XVI,
qui avait été préfet de la Propagande de la foi avant
d'être élu pape, ainsi que le supérieur général
des Lazaristes expriment leur accord. Cependant, l'affaire traîne
en longueur. En 1835, dans une lettre du ministre des Affaires étrangères
le duc de Broglie, la France déclare entendre maintenir ses prérogatives
sur la colonie : " Appelés à fonder et à doter
l'établissement en question, et surtout appelés à
le fonder dans un pays
Victor de Broglie. devenu français, nous ne saurions admettre que
la Propagande, avec son esprit de chicane et d'empiétement, avec
ses habitudes routinières et son asservissement aux formes d'une
autre époque, vînt nous imposer des conditions et se substituer
à nos droits. Il ne s'agit point ici d'une mission en Chine ou
au Japon, mais d'un établissement sacerdotal, régulier,
conforme, à quelques exceptions près, à ce qui existe
en France, et devant être créé dans un pays qui nous
appartient, qui n'est qu'à quatre jours de distance de nos côtes.
C'est assez dire, en général, que nous voulons être
libres d'en régler la fondation comme nous le jugeons convenable
".
Les négociations reprennent et sont sur le point d'aboutir lorsque
l'on s'avise que le roi n'a pas été informé de l'arrangement
passé entre le ministre français et le Saint-Siège.
Ce qui fut fait. Or, Louis-Philippe refuse de laisser nommer le vicaire
apostolique d'Alger par le Saint-Siège conformément aux
normes " Il nomme les évêques du royaume, il nomme les
préfets apostoliques des colonies françaises, et il n'aurait
pas le droit de nommer le vicaire apostolique d'Alger ? Il y aurait là,
juge-t-il, une anomalie singulière ". Ni le roi ni le pape
ne cèdent sur la nomination du vicaire apostolique d'Alger. Le
ministre français des Affaires étrangères suggère
alors au nonce la possibilité de créer un évêché
au lieu d'un vicariat apostolique. Le nonce hésite. Mais, en lui
décrivant " l'anarchie dans laquelle se trouve notre Église
d'Afrique ", le gouverneur général de l'Algérie,
le comte Valée, catholique, le persuade du bien-fondé de
cette solution. Plusieurs raisons en décideront: l'intervention
de la reine Marie-Amélie à qui avaient été
rapportés les propos d'Abd el-Kader: " Ah les Français
ont une religion ! Je ne m'en étais pas rendu compte ", et
la réputation douteuse des aumôniers militaires. Un clergé
honnête sous l'autorité d'un évêque est vivement
souhaité en particulier par les Espagnols et parmi eux les Mahonnais,
fervents et pieux catholiques, alors que nombre des premiers colons se
distinguaient par leur irreligion. En définitive, Louis- Philippe
intervient en faveur de la création d'un diocèse français
concordataire (Concordat de Napoléon ler en 1802) qui émarge
au budget de l'État. Le clergé est fonctionnaire. Le culte
est rémunéré par l'État. Si la solution du
vicariat apostolique avait été retenue, l'Algérie
aurait été considérée comme un pays de mission
" sur les régions des infidèles ". La France pose
d'ultimes exigences: " Le nouvel évêché devrait
avoir pour extension tout le territoire de l'ancienne régence;
la ville épiscopale serait Alger; la cathédrale serait dédiée
à saint Philippe; suffragant d'Aix, le diocèse d'Alger serait
en tout assimilé à ceux du royaume ". La bulle d'érection
est promulguée par le Saint-Siège le 12 août 1838.
Le premier évêque d'Alger, salué par le pape comme
le successeur de saint Augustin, est Mgr Antoine-Adolphe Dupuch, originaire
du diocèse de Bordeaux. En 1845, il sera contraint à la
démission, en raison des dettes accumulées : la faillite
financière est prononcée, la personne même de l'évêque
est sous le coup d'une saisie de corps. Mgr Pavy succède alors
à Mgr Dupuch, en 1846.
L'épiscopat de
Mgr Pavy (1846 -1866)
Louis-Antoine Pavy est né à Roanne le 18
mars 1805. Sous-diacre en 1826, diacre en 1828, professeur de rhétorique
au petit séminaire Saint-Jean de Lyon, il est ordonné prêtre
le 13 juin 1829 et nommé vicaire à la paroisse Saint-Bonaventure,
en 1830. Il est nommé professeur d'histoire ecclésiastique
à la faculté de théologie de Lyon, poste qu'il occupe
de 1838 à 1842. Doyen de cette même faculté de 1842
à 1846, il est préconisé évêque d'Alger
le 26 février 1846 et sacré le 24 mai 1846 dans la primatiale
Saint- Jean de Lyon. Mgr Pavy débarque à Alger le 9 juillet
1846. Au mois d'août, il se rend à Bône et Hippone
à l'occasion de la fête de saint Augustin. À la fin
de l'année, il annonce l'ouverture d'un petit séminaire
à Saint-Eugène. En janvier 1847, il part en tournée
pastorale à Oran et dans les colonies allemandes de Sainte-Léonie
et de la Stidia. Quelques mois plus tard, de passage à Marseille
où il rencontre Mgr Eugène de Mazenod, il va à Paris
et obtient du gouvernement des crédits supplémentaires affectés
au séminaire. En décembre, il visite la province d'Alger
jusqu'à Médéa. En 1848, après la proclamation
de la République, il exhorte les Algériens à se rendre
aux urnes afin de désigner les quatre députés qui
représenteront le territoire à la Chambre à Paris.
En mai, le grand séminaire est transféré à
Kouba, dans un camp militaire désaffecté que l'armée
a cédé à l'évêché. Les baraquements
étant inconfortables, des travaux seront nécessaires et
seront exécutés de 1854 jusqu'à 1866. Mgr Pavy est
proposé par Cavaignac à l'archevêché de Paris
après la mort de Mgr Affre sur les barricades des journées
de juin 1848. Mgr Sibour est finalement choisi. De 1848 à 1850,
quarante-trois paroisses sont créées en Algérie.
En 1849, année où sévit le choléra, Mgr Pavy
se dévoue, ainsi que le clergé et les religieuses, auprès
de la population européenne et indigène. En août,
l'évêque promulgue le catéchisme du diocèse
d'Alger. En avril 1850, alors qu'il entreprend une visite de la province
d'Oran, son bateau manque de faire naufrage au large de Mostaganem. En
mai, il consacre la chapelle Notre-Dame-duSalut de Santa-Cruz à
Oran, édifice érigé par les fidèles en reconnaissance
à la Vierge Marie après l'interruption d'une épidémie
de choléra. Mgr Pavy participe au concile d'Aix et, de là,
part pour Rome où il a une entrevue avec le pape Pie IX. En 1852,
en Algérie, il nomme trois vicaires généraux: son
frère, l'abbé Léon-Claude Pavy à Constantine,
l'abbé Comte- Calixte à Oran et l'abbé Suchet à
Alger. Il prend la direction du petit séminaire.
Grâce à une intervention de Napoléon III, qui fait
inscrire une ligne dans le budget à cet effet, il liquide les dettes
contractées par Mgr Dupuch. En 1853, il institue la retraite ecclésiastique,
le synode diocésain, la caisse de retraite du clergé, les
conférences ecclésiastiques et l'association de prières
pour les prêtres défunts. En 1854, il appelle en Algérie
les Frères des écoles chrétiennes et, en 1855, les
Soeurs du Bon-Secours. Cette même année, il visite la province
de l'Est, Constantine, Philippeville... De 1850 à 1858, soixante-dix-huit
paroisses sont créées. En 1859, il bénit l'inauguration
de la première ligne de chemin de fer reliant Alger à Blida.
Au moment des troubles autour de l'unité italienne et de la contestation
des États pontificaux, il rédige une Esquisse sur la
souveraineté temporelle du pape. En 1860, il accueille la première
visite à Alger de Napoléon III et de l'Impératrice.
En 1861, il se rend en visite pastorale à Laghouat, malgré
le danger signalé par le général de Sonis, commandant
la région. Le 16 avril 1862, il écrit une longue lettre
décrivant ses réalisations pastorales au président
du conseil de la Propagation de la foi à Lyon. Le 8 juin, à
Rome, il assiste à la canonisation des martyrs du Japon et le lendemain
au consistoire réunissant autour de Pie IX tous les évêques
venus à Rome à cette occasion. En réponse à
sa lettre de 1860 adressée en guise d'éloge à Abd
el-Kader pour sa conduite auprès des chrétiens de Syrie,
l'émir lui fait parvenir un courrier daté du 10 juillet
1862 dont l'original en arabe est conservé dans les archives de
l'archevêché d'Alger. En 1863, Mgr Pavy prend position dans
le débat sur le projet de " royaume arabe " de
Napoléon III, exposé dans la lettre impériale du
6 février au maréchal Pélissier, gouverneur général
de l'Algérie; l'évêque envoie le 13 février
une lettre circulaire à tous les curés de l'Algérie.
À la perspective du gel des terres, il estime, au nom de sa charge
pastorale, que ce serait ruiner la création des paroisses dans
les villages agricoles et, à long terme, l'évangélisation.
Il écrit: " Après tout, Dieu, ne faisant pas les
choses à demi, n'a pas ressuscité d'une tombe douze fois
séculaire la foi de Cyprien, d'Augustin et de Fulgence, pour la
replonger, après trente-deux années de gloire, de dévouement,
de sacrifices et d'efforts de tous genres dans la nuit de la barbarie,
et enfin, la France voudra faire comme Dieu et ne pas avoir versé
sur le sol algérien le sang de ses braves par torrents, son or
par milliards, la sueur de ses colons, l'influence de ses capitaux et
les premiers feux de sa civilisation, pour les délaisser, un jour,
entre les mains de ceux qui, pendant douze siècles, avaient été
la terreur et le fléau de la Chrétienté "
(Lettres aux curés à l'occasion
de la Constitution donnée à la colonie (quatre pages) sans
table ni pagination continue dans le tome iv des OEuvres de Mgr Pavy.).
Le 18 juillet 1864, il écrit sur le spiritisme pour dénoncer
son influence en Algérie. Le 28 août, il rédige une
réfutation de La Vie de Jésus d'Ernest Renan. Le 31 mai
1865, Napoléon III arrive en voyage d'études en Algérie
: il est reçu par Mg' Pavy qui l'accompagne visiter la Trappe de
Staouéli. Il parle à l'Empereur de la création des
évêchés d'Oran et de Constantine. Ce dernier se déclare
favorable. De 1859 à 1866, quarante-cinq paroisses sont créées,
dont celle de Birmandreïs, près d'Alger, en 1864. En 1866,
la santé de Mgr Pavy se dégrade. Malgré tout, en
janvier il entreprend une tournée pastorale dans la province d'Alger.
Le 25 juillet, il reçoit trois bulles d'érection : l'une
érigeant l'évêché d'Alger au rang d'archevêché,
les deux autres créant des évêchés à
Oran et à Constantine. Le 13 novembre, les derniers sacrements
sont administrés à Mgr Pavy dans son logement de Saint-Eugène,
en présence de son clergé à qui il adresse sa dernière
allocution : " Prêtres de l'Algérie, aimez-vous les
uns les autres ". Il meurt le 16 novembre 1866.
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