Vous avez dit Paul Robert?
-------Les Robert d'Orléansville,
il en existait aussi ailleurs*, descendaient de leur ancêtre Martial,
originaire des Hautes Alpes, aux environs de Gap. "Descendu"
à Marseille, il fut successivement employé puis propriétaire
de la maison Pouzadoux "Epicerie & denrées coloniales",
renommée dans toute l'Armée d'Afrique.
-------En 1849, muni d'un petit capital, il vint s'installer à
Orléansville
qui avait tout juste six ans d'existence. A cette époque la ville
était moins peuplée, moins florissante que son port naturel
Ténés*". Il s'associe avec un soldat libéré
disposant de sa prime d'installation, 800 francs, un petit capitaliste
et un ouvrier charpentier*". Celui-ci sera très utile pour
la construction d'un moulin hydraulique en bois, sur les berges du Chéliff,
aux abords de la ville. Par prudence, il ne fallait pas trop s'éloigner
de la protection de la garnison. Pourquoi un moulin? Il n'était
pas du métier, mais Martial savait que l'armée disposait
de grains, soit cultivés par elle-même*, soit "réquisitionnés"
lors des expéditions punitives contre des révoltés.
Mais elle ne disposait d'aucun moyen de les transformer en matières
consommables pour la troupe ou ses chevaux et mulets.
-------Mais les débuts furent très durs, en été
l'oued ne débitait pas assez et il fallait détourner le
flux par des fascines. Par contre, les crues hivernales emportaient quelquefois
les installations, et, faute de moyens financiers les premiers magasins
de stockage furent des cavernes creusées dans les berges du Chéliff.
-------Les associés se lassèrent vite de ces aléas,
Martial réussit à leur racheter leurs parts et resta seul
propriétaire. Il avait vu juste. Bientôt des nouveaux villages
virent le jour et les céréales affluèrent. Il créa
un second moulin à Montenotte,
à l'entrée des gorges de Ténés.
-------Il eut deux fils, Paul l'aîné et Joseph. Après
de solides études au lycée d'Alger, ils regagnèrent
le giron familial et se marièrent avec les deux filles du Sous-Préfet
Gouin.
-------Paul s'occupa, entre autres, du moulin de Montenotte. Attiré
par la politique, qui lui permit de conforter la position sociale de la
famille, il devint Maire d'Orléansville. Puis il brigua d'autres
mandats, Conseiller général et Délégué
financier. Bientôt décoré de la légion d'honneur,
il se présenta comme candidat à l'élection législative
de 1910 dans la 2e circonscription du département d'Alger.
-------" Il eut avec son concurrent, Monsieur A. Houbé
journaliste, directeur du "Cri d'Alger ", conseiller général,
au début de la campagne des relations courtoises. Celles-ci s'envenimèrent
par la presse interposée. Cela finit selon l'usage de l'époque
par un duel. C'était assez fréquent. Peu de temps auparavant
MM. Lacanaud et Mallebay s'étaient déjà rencontrés.
-------Le 7 avril, les deux antagonistes se retrouvèrent,
assistés de leurs témoins, MM.Gobel, conseiller général
et Tedeschi, avocat a la Cour, pour M. Houbé et MM. Grégori
et Lebailly pour M. Robert. Au signal donné*les deux combattants
baissèrent leurs armes, une détonation se fit entendre et
Paul Robert s'écroula, une balle dans l'abdomen.
-------Immédiatement examiné par le docteur, le blessé
dont l'état semblait désespéré, fut transporté
en automobile dans la clinique du Dr Stumpf. Il expira durant le trajet.
-------La levée du corps eut lieu le lendemain, rue Tirman,
au domicile de M. Marel, beau-frère du défunt. Toutes les
personnalités du département suivirent le cercueil jusqu'à
la gare d'où il fut acheminé à Orléansville
".
Les obsèques furent suivies par toute la population de la cité
et des villages environnants.
-------En sa mémoire, la ville lui éleva un monument
qui orna la principale place, qui prit son nom. Un nouveau centre de colonisation
venant d'être créé à Taougrit, dans le Dahra,
entre Rabelais et le Guelta,
à proximité de l'ancienne et très importante ville
romaine de Kalaa, il fut décidé de lui donner le nom de
Paul-Robert. Le village devint un important centre viticole avec son voisin
Rabelais, et les deux autres centres, moins renommés du massif,
Renault et Fromentin.
-------Son frère Joseph, recueillit ses six enfants. Un
dernier garçon, portant à cinq sa progéniture, lui
naquit, en 1912, il le prénomma Paul.
-------Celui-ci suivit le circuit habituel,
Lycée Bugeaud à Alger puis, après un bref
séjour à l'institut agricole de Maison-Carrée, il
s'inscrivit à la faculté de droit. Passionné, comme
le dit lui même* d'action corporative il devient bientôt secrétaire
général de l'A.G. des étudiants en 1931 .La même
année, le président sortant lui demande de prendre sa succession.
Créateur de la célébre maison des Étudiants,
avec bibliothèque, salles de travail et, innovation, restaurant
universitaire, il sut faire aboutir ce vieux projet, et léguer
aux générations suivantes d'étudiants Nord africains.
-------En 1932. un double malheur frappe la famille. Sa mère
Marguerite est emportée par une grippe infectieuse et 11 jours
plus tard sa soeur Alice succombe à une embolie.
-
------Pour tenter de lui faire oublier ses malheurs, le Gouverneur
Général, envoie Joseph en mission en Amérique, pour
y étudier l'hydraulique agricole issue des grands barrages réservoirs.
Paul, accepte à la demande paternelle de l'accompagner, comme interprète
bénévole dans leur circuit au Canada et aux Etats-Unis,
surtout en Californie.
A son retour il quitte Alger, s'installe à Paris, où il
s'inscrit aux facultés de droit et de sciences politiques. Cinq
années de labeur acharné, coupées par son service
militaire, lui permettent de décrocher ses diplômes. Il entame
la rédaction de sa thèse, quand la guerre éclate.
Il devient chiffreur. Ses supérieurs appréciant ses qualités,
le chargent d'élaborer un dictionnaire du chiffre.
-------Après l'armistice, il s'empresse de terminer sa thèse,
à Alger, qui porte sur l'arboriculture fruitière, surtout
agrumicole. Celle-ci terminée, il va la soutenir devant le jury,
présidé par le Doyen de la Faculté de droit, lorsque,
le 8 novembre 1942, remet tout en question
-------Remobilisé, il se retrouve dans sa spécialité,
le chiffre et fait de fréquents voyages entre Londres et Alger.
En 1945 rendu à la vie civile, il passe enfin sa thèse,
avec félicitations. Mais, comme lui fait remarquer son président
du jury le professeur Pirou, c'est plus une thèse de politique
économique que d'économie politique.
Comme de nombreux jeunes confrontés aux dures réalités
pratiques de la vie, il cherche un moment sa voie. Son père sollicité,
refuse son offre de gérer une propriété agrumicole
et le décide à s'occuper d'un placement familial, une librairie
parisienne.
-------C'est au cours de vacances familiales, dans leur maison
des Hautes-Alpes, qu'il a, plongé dans des lectures, une illumination.
Il va créer un dictionnaire analogique et alphabétique de
la langue française, ouvrage qui n'existe pas. Il veut parachever
l'uvre de Littré.
-------Il se rend vite compte de l'immensité de la tâche
qu'il entreprend et comprend qu'il ne pourra mener son projet à
terme tout seul. Peu à peu, il intéresse des professeurs,
des linguistes, à son oeuvre et trouve des collaborateurs, constitue
une équipe, disséminée dans toute la France, ce qui
constitue un handicap pour les relations. Après des années
de tâtonnements, de labeur acharné, parfois de remise en
question, il est encouragé par des sommités littéraires,
Georges Duhamel, André Maurois, etc. Sur les conseils d'André
Billy il prépare des fascicules, Emile Henriot lui ayant promis
de les présenter à la commission des prix de l'Académie
Française.
-
------Le 15juin 1950 il est couronné du prix Saintour. La
presse Algérienne l'encense. Edmond Brua écrit dans le "
Journal d'Alger" un article intitulé "la semence "
faisant un parallèle sur la proximité de sa ville natale,
Orléansville, du village de Littré à une cinquantaine
de kilomètres à l'est et celui de Paul-Robert, environ à
la même distance au nord ouest. Un journal parisien 'Samedi soir
" proclamait : " C'est d'Algérie
que nous viendra le nouveau Littré Dictionnaire le Robert ".
Il décide de trouver des souscripteurs. Grâce au renom familial,
il rencontre, d'abord dans sa région du Chéliff, puis dans
toute l'Afrique du Nord* un écho très favorable, mais cela
ne suffit pas. Il réalise son bien, l'héritage de sa mère,
le complément est apporté par les siens et leurs relations.
-------Il s'installe tout d'abord au Maroc, à Casablanca
où ses collaborateurs le rejoignent. Le premier tome sort en 1953,
le second deux ans après. Dix mille souscripteurs ont soutenu le
projet ! Mais les événements du Maroc l'obligent à
transférer sa société à Paris, ce qui cause
d'énormes problèmes (tous ses collaborateurs ne le suivant
pas) et retarde la sortie du troisième tome qui ne voit le jour
qu'en 1957. Il lui faudra encore de longues années d'efforts pour
parachever son oeuvre en 1964. Nommé chevalier de la légion
d'honneur en novembre 1959, il sera promu officier quelques années
plus tard.
-------La société du nouveau Littré, dictionnaire
le Robert, éditera par la suite en quatre tomes, un dictionnaire
universel des noms propres, puis le petit Robert, devenu l'outil de travail
incontournable de tout enfant scolarisé. Telle est la vie ! ainsi
s'écrit l'histoire. La célébrité de l'oncle
est oubliée, perdue dans les souvenirs de ces " énergumènes
" que sont les Pieds-Noirs. Mais grâce au neveu le nom est
devenu courant, indissociable du langage journalier et de la langue française.
(1) Fromentin Ben Tadjena, page 96
(2) en 1848 Orléansville 752 européens, Ténés
1800!
(3) cela prouve déjà le génie familial, savoir s'adjoindre
le bon collaborateur dévoué, cela se perpétuera...(4)
La ferme sur l'autre rive, un exploitation agricole fut créé
(6)Aventures et mésaventures d'un dictionnaire (Paul Robert)
(7) ainsi qu'à Madagascar et en lndochine
Luc Tricou,
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