Vous avez dit Paul Robert?
" l'inventeur du Petit Robert..."-
Pieds-Noirs d'hier et d'aujoud'hui février 2000 n°109
Auyeur : Luc Tricou.(
sur site le 24/04/2002
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Paul Robert
Les racines d'un dictionnaire
Auteur : Christian Lapeyre

extraits du numéro 107 , septembre 2004 , de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
le 29-8-2010

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Vous avez dit Paul Robert?


-------Les Robert d'Orléansville, il en existait aussi ailleurs*, descendaient de leur ancêtre Martial, originaire des Hautes Alpes, aux environs de Gap. "Descendu" à Marseille, il fut successivement employé puis propriétaire de la maison Pouzadoux "Epicerie & denrées coloniales", renommée dans toute l'Armée d'Afrique.

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En 1849, muni d'un petit capital, il vint s'installer à Orléansville qui avait tout juste six ans d'existence. A cette époque la ville était moins peuplée, moins florissante que son port naturel Ténés*". Il s'associe avec un soldat libéré disposant de sa prime d'installation, 800 francs, un petit capitaliste et un ouvrier charpentier*". Celui-ci sera très utile pour la construction d'un moulin hydraulique en bois, sur les berges du Chéliff, aux abords de la ville. Par prudence, il ne fallait pas trop s'éloigner de la protection de la garnison. Pourquoi un moulin? Il n'était pas du métier, mais Martial savait que l'armée disposait de grains, soit cultivés par elle-même*, soit "réquisitionnés" lors des expéditions punitives contre des révoltés. Mais elle ne disposait d'aucun moyen de les transformer en matières consommables pour la troupe ou ses chevaux et mulets.

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Mais les débuts furent très durs, en été l'oued ne débitait pas assez et il fallait détourner le flux par des fascines. Par contre, les crues hivernales emportaient quelquefois les installations, et, faute de moyens financiers les premiers magasins de stockage furent des cavernes creusées dans les berges du Chéliff.

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Les associés se lassèrent vite de ces aléas, Martial réussit à leur racheter leurs parts et resta seul propriétaire. Il avait vu juste. Bientôt des nouveaux villages virent le jour et les céréales affluèrent. Il créa un second moulin à Montenotte, à l'entrée des gorges de Ténés.

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Il eut deux fils, Paul l'aîné et Joseph. Après de solides études au lycée d'Alger, ils regagnèrent le giron familial et se marièrent avec les deux filles du Sous-Préfet Gouin.

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Paul s'occupa, entre autres, du moulin de Montenotte. Attiré par la politique, qui lui permit de conforter la position sociale de la famille, il devint Maire d'Orléansville. Puis il brigua d'autres mandats, Conseiller général et Délégué financier. Bientôt décoré de la légion d'honneur, il se présenta comme candidat à l'élection législative de 1910 dans la 2e circonscription du département d'Alger.

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" Il eut avec son concurrent, Monsieur A. Houbé journaliste, directeur du "Cri d'Alger ", conseiller général, au début de la campagne des relations courtoises. Celles-ci s'envenimèrent par la presse interposée. Cela finit selon l'usage de l'époque par un duel. C'était assez fréquent. Peu de temps auparavant MM. Lacanaud et Mallebay s'étaient déjà rencontrés.

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Le 7 avril, les deux antagonistes se retrouvèrent, assistés de leurs témoins, MM.Gobel, conseiller général et Tedeschi, avocat a la Cour, pour M. Houbé et MM. Grégori et Lebailly pour M. Robert. Au signal donné*les deux combattants baissèrent leurs armes, une détonation se fit entendre et Paul Robert s'écroula, une balle dans l'abdomen.

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Immédiatement examiné par le docteur, le blessé dont l'état semblait désespéré, fut transporté en automobile dans la clinique du Dr Stumpf. Il expira durant le trajet.

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La levée du corps eut lieu le lendemain, rue Tirman, au domicile de M. Marel, beau-frère du défunt. Toutes les personnalités du département suivirent le cercueil jusqu'à la gare d'où il fut acheminé à Orléansville ".

Les obsèques furent suivies par toute la population de la cité et des villages environnants.

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En sa mémoire, la ville lui éleva un monument qui orna la principale place, qui prit son nom. Un nouveau centre de colonisation venant d'être créé à Taougrit, dans le Dahra, entre Rabelais et le Guelta, à proximité de l'ancienne et très importante ville romaine de Kalaa, il fut décidé de lui donner le nom de Paul-Robert. Le village devint un important centre viticole avec son voisin Rabelais, et les deux autres centres, moins renommés du massif, Renault et Fromentin.

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Son frère Joseph, recueillit ses six enfants. Un dernier garçon, portant à cinq sa progéniture, lui naquit, en 1912, il le prénomma Paul.

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Celui-ci suivit le circuit habituel, Lycée Bugeaud à Alger puis, après un bref séjour à l'institut agricole de Maison-Carrée, il s'inscrivit à la faculté de droit. Passionné, comme le dit lui même* d'action corporative il devient bientôt secrétaire général de l'A.G. des étudiants en 1931 .La même année, le président sortant lui demande de prendre sa succession. Créateur de la célébre maison des Étudiants, avec bibliothèque, salles de travail et, innovation, restaurant universitaire, il sut faire aboutir ce vieux projet, et léguer aux générations suivantes d'étudiants Nord africains.

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En 1932. un double malheur frappe la famille. Sa mère Marguerite est emportée par une grippe infectieuse et 11 jours plus tard sa soeur Alice succombe à une embolie.
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Pour tenter de lui faire oublier ses malheurs, le Gouverneur Général, envoie Joseph en mission en Amérique, pour y étudier l'hydraulique agricole issue des grands barrages réservoirs. Paul, accepte à la demande paternelle de l'accompagner, comme interprète bénévole dans leur circuit au Canada et aux Etats-Unis, surtout en Californie.

A son retour il quitte Alger, s'installe à Paris, où il s'inscrit aux facultés de droit et de sciences politiques. Cinq années de labeur acharné, coupées par son service militaire, lui permettent de décrocher ses diplômes. Il entame la rédaction de sa thèse, quand la guerre éclate. Il devient chiffreur. Ses supérieurs appréciant ses qualités, le chargent d'élaborer un dictionnaire du chiffre.

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Après l'armistice, il s'empresse de terminer sa thèse, à Alger, qui porte sur l'arboriculture fruitière, surtout agrumicole. Celle-ci terminée, il va la soutenir devant le jury, présidé par le Doyen de la Faculté de droit, lorsque, le 8 novembre 1942, remet tout en question

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Remobilisé, il se retrouve dans sa spécialité, le chiffre et fait de fréquents voyages entre Londres et Alger. En 1945 rendu à la vie civile, il passe enfin sa thèse, avec félicitations. Mais, comme lui fait remarquer son président du jury le professeur Pirou, c'est plus une thèse de politique économique que d'économie politique.

Comme de nombreux jeunes confrontés aux dures réalités pratiques de la vie, il cherche un moment sa voie. Son père sollicité, refuse son offre de gérer une propriété agrumicole et le décide à s'occuper d'un placement familial, une librairie parisienne.

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C'est au cours de vacances familiales, dans leur maison des Hautes-Alpes, qu'il a, plongé dans des lectures, une illumination. Il va créer un dictionnaire analogique et alphabétique de la langue française, ouvrage qui n'existe pas. Il veut parachever l'œuvre de Littré.

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Il se rend vite compte de l'immensité de la tâche qu'il entreprend et comprend qu'il ne pourra mener son projet à terme tout seul. Peu à peu, il intéresse des professeurs, des linguistes, à son oeuvre et trouve des collaborateurs, constitue une équipe, disséminée dans toute la France, ce qui constitue un handicap pour les relations. Après des années de tâtonnements, de labeur acharné, parfois de remise en question, il est encouragé par des sommités littéraires, Georges Duhamel, André Maurois, etc. Sur les conseils d'André Billy il prépare des fascicules, Emile Henriot lui ayant promis de les présenter à la commission des prix de l'Académie Française.
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Le 15juin 1950 il est couronné du prix Saintour. La presse Algérienne l'encense. Edmond Brua écrit dans le " Journal d'Alger" un article intitulé "la semence " faisant un parallèle sur la proximité de sa ville natale, Orléansville, du village de Littré à une cinquantaine de kilomètres à l'est et celui de Paul-Robert, environ à la même distance au nord ouest. Un journal parisien 'Samedi soir " proclamait : " C'est d'Algérie que nous viendra le nouveau Littré Dictionnaire le Robert ". Il décide de trouver des souscripteurs. Grâce au renom familial, il rencontre, d'abord dans sa région du Chéliff, puis dans toute l'Afrique du Nord* un écho très favorable, mais cela ne suffit pas. Il réalise son bien, l'héritage de sa mère, le complément est apporté par les siens et leurs relations.

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Il s'installe tout d'abord au Maroc, à Casablanca où ses collaborateurs le rejoignent. Le premier tome sort en 1953, le second deux ans après. Dix mille souscripteurs ont soutenu le projet ! Mais les événements du Maroc l'obligent à transférer sa société à Paris, ce qui cause d'énormes problèmes (tous ses collaborateurs ne le suivant pas) et retarde la sortie du troisième tome qui ne voit le jour qu'en 1957. Il lui faudra encore de longues années d'efforts pour parachever son oeuvre en 1964. Nommé chevalier de la légion d'honneur en novembre 1959, il sera promu officier quelques années plus tard.

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La société du nouveau Littré, dictionnaire le Robert, éditera par la suite en quatre tomes, un dictionnaire universel des noms propres, puis le petit Robert, devenu l'outil de travail incontournable de tout enfant scolarisé. Telle est la vie ! ainsi s'écrit l'histoire. La célébrité de l'oncle est oubliée, perdue dans les souvenirs de ces " énergumènes " que sont les Pieds-Noirs. Mais grâce au neveu le nom est devenu courant, indissociable du langage journalier et de la langue française.

(1) Fromentin Ben Tadjena, page 96
(2) en 1848 Orléansville 752 européens, Ténés 1800!
(3) cela prouve déjà le génie familial, savoir s'adjoindre le bon collaborateur dévoué, cela se perpétuera...(4) La ferme sur l'autre rive, un exploitation agricole fut créé
(6)Aventures et mésaventures d'un dictionnaire (Paul Robert)
(7) ainsi qu'à Madagascar et en lndochine

Luc Tricou,


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Paul Robert
Les racines d'un dictionnaire
Christian Lapeyre

Parmi les œuvres dont les Français d'Algérie peuvent à juste titre s'enorgueillir, figure le " Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française " de Paul Robert, autrement dit le " Robert " et son rejeton le " Petit Robert ", ouvrages familiers à la majorité d'entre nous. On dit le " Robert " comme on dit le " Larousse ". Ainsi le nom d'un de nos compatriotes est-il devenu un nom commun et ceci dans le monde de la Culture, ce qui n'est pas sans signification.

En effet, par une de ces ironies dont l'Histoire n'est pas avare c'est un " pied- noir " qui, pionnier comme ses ancêtres, édifia ce monument de la lexicographie
française. Les membres d'une certaine intelligentsia, si condescendants à l'égard de notre communauté qu'ils jugent plus apte à fournir des mangeurs de merguez ou des tchatcheurs inconséquents, savent-ils que c'est un fils de colon, né à Orléansville en 1910, qui mena à bien cette tâche colossale de près de vingt ans, leur fournissant ainsi l'outil de travail irremplaçable que chacun a sur son bureau ou dans sa bibliothèque? Aussi, le destin de Paul Robert mérite-t- il d'être tiré de l'ombre dans laquelle il est plongé, et convient-il de mettre en lumière ce que nombre de nos compatriotes ignorent probablement sur cette oeuvre remarquable menée par cet authentique défricheur. Dans son excellent ouvrage Aventures et mésaventures d'un dictionnaire, publié par la société du Nouveau Littré - le Robert en 1978, l'auteur lui-même souligne ce que son dictionnaire doit à l'Algérie, aux Français d'Algérie, en un mot à l'esprit qui anima ceux qui contribuèrent à son succès.

L'histoire de la famille Robert est exemplaire. Martial Robert, le grand-père du futur lexicographe, établi en Algérie depuis 1849, avait fondé un petit moulin non loin d'Orléansville. Ses deux fils, Joseph et Paul, en assurèrent ensuite le développement. C'est au sein de cette famille où " s'unissait le sang de marins bretons, de nobles magistrats d'Anjou et de Lorraine au sang de paysans montagnards des Alpes et d'Auvergne " que naquit, le 19 octobre 1910, Paul Robert, ainsi prénommé en mémoire de son oncle, maire d'Orléansville et président du Conseil général d'Alger, mort six mois avant la naissance du futur maître du grand dictionnaire. En 1912, un village de la région du Chélif fut d'ailleurs baptisé Paul Robert et certains doivent encore se souvenir du capiteux vin rouge portant la même appellation.

Le jeune Paul Robert, fit ses études secondaires à Alger où il passa son baccalauréat. Après avoir suivi pendant deux mois les cours de l'Institut agricole de Maison-Carrée, il s'inscrivit finalement à la faculté de droit d'Alger. Élu président de l'Association Générale des Étudiants d'Algérie en 1931, poste qu'il occupa jusqu'en 1934, il mena à bien la construction de la Maison des Étudiants, boulevard Baudin à Alger. " J'eus la fierté, écrit-il, de laisser à mon successeur un bâtiment de cinq étages tout flambant neuf avec ses bibliothèques, ses salles de travail, son restaurant universitaire... ". On notera chez lui cette vocation de bâtisseur qui ne se démentira jamais et on pourra se demander en passant si beaucoup de villes universitaires métropolitaines disposaient à l'époque de tels équipements.

En 1932, son père est désigné par le gouverneur général de l'Algérie à la présidence d'une mission aux Etats-Unis et au Canada pour étudier les problèmes d'hydraulique agricole. Paul l'accompagne en qualité d'interprète bénévole. Ses compétences en anglais, déjà avérées, lui seront d'ailleurs fort utiles plus tard dans son approche de la linguistique.

De 1934 à 1939, il est à Paris pour achever ses études et décrocher ses titres de docteur et d'agrégé en droit puisque c'est désormais la carrière de professeur de droit qui l'attire.

Mobilisé en 1939 comme chiffreur, il sera chargé, " curieux présage " comme il l'écrit lui-même, d'élaborer un dictionnaire du chiffre et d'en surveiller la composition. Ce n'est d'ailleurs pas le seul présage de sa future carrière, comme le faisait remarquer Edmond Brua dans un article du Journal d'Alger du 20 mai 1950, puisqu'à une vingtaine de kilomètres de Miliana, il y avait un village nommé Littré où Brua voyait " comme une semence " de Paul Robert situé à une centaine de kilomètres plus à l'ouest.

Démobilisé en juin 1940 (" une mise en liberté provisoire ", écrit-il), il se lance dans la rédaction de sa thèse sur " Les agrumes dans le monde " qu'il soutiendra seulement en 1945; le débarquement allié à Alger le 8 novembre 1942 ne permettant pas au jury de se réunir. Dès le 20 novembre il est appelé à l'état-major du général Giraud, puis il passe à la nouvelle direction des Services Spéciaux sous les ordres du général Cochet et du colonel Jousse. Il évoque lui-même le contenu de sa tâche: " Je suis chargé de dépouiller et de classer d'innombrables documents sur la situation industrielle et agricole de la France occupée, puis d'en tirer quelques rapports succincts [... [. On me confie le rôle de conseiller juridique dans un petit comité qui va s'efforcer de préparer un code du ravitaillement pour la France prochainement libérée ".

Cette France libérée il va la retrouver en octobre 1944, et c'est en 1945 après avoir soutenu sa thèse que Paul Robert eut ce qu'il appelle " une sorte d'illumination en même temps que la conviction d'une découverte importante ". Il vient de se rendre compte en effet que " la clef des mots se trouve dans leur définition. Exemple: troglodyte évoque caverne. Il suffisait d'y penser et je m'étonne qu'on n'y ait pas pensé avant moi ou, pour mieux dire, qu'après y avoir songé on n'ait rien entrepris ". Cet esprit d'entreprise il l'a, on peut même penser qu'il en a hérité de ses aïeux. Quoi qu'il en soit l'idée du dictionnaire analogique vient de naître et Paul Robert va y consacrer vingt ans de son existence.

Cette idée avait cheminé en lui à son insu depuis l'époque où il écrivait: " Écrire même quand il s'agit de s'exprimer simplement, clairement, correctement m'a toujours semblé un art des plus difficiles bien que des plus précieux à acquérir [... [. La rédaction, elle-même, m'imposait de fréquentes recherches dans des dictionnaires toujours placés à portée de ma main. Ils m'étaient trop souvent d'un piètre secours. Ils m'aidaient bien à lever quelques hésitations sur l'emploi correct d'un mot ou d'une locution, mais quant à me fournir le terme précis qui échappait à ma mémoire ou à ma connaissance, il ne me fallait guère y compter quelle que fut ma patience à le découvrir ". Faisant sienne l'opinion de La Bruyère " Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne " il en déduit: " Encore faut-il disposer de toutes ces différentes expressions pour découvrir la plus adéquate " et constate qu'aucun ouvrage ne répond réellement à ce besoin " faute de méthode rationnelle pour photographier et représenter les faits de langage c'est-à-dire l'enchaînement des expressions dans l'association logique des idées ".

Au départ il n'envisage qu'un petit lexique à usage personnel auquel il est tout de même prêt à consacrer ses loisirs pendant 10 ou 20 ans ! Mais l'enthousiasme de l'auteur, les progrès et les découvertes qu'il fait sans cesse, les encouragements d'académiciens comme Georges Duhamel, François Mauriac, André Siegfried et André Maurois confèrent à son travail une ampleur toute nouvelle. Désormais il ambitionne de continuer l'ceuvre de Littré et publie en 1950 un premier fascicule de 70 pages qui sera distingué par l'Académie française qui lui décerne le prix Saintour.

Mais à une telle entreprise il faut des moyens. Il faut des actionnaires qui acceptent le risque d'investir dans un projet de longue haleine dont le succès est loin d'être assuré. Le premier actionnaire sera en 1950 un vieil Algérois de 79 ans, ami du père de Paul Robert,

Alexandre Blanc qui lui donne un chèque de 100000 F (anciens). Le second fut un camarade de guerre, Henri Vinson. " Je ne suis pas riche en ce moment, lui dit-il, mais je suis heureux de participer à votre affaire. Même modestement, j'aurai la fierté d'avoir contribué à son succès ! ". Puis ce sont les Averseng d'El-Affroun qui apportent leur contribution. André Solari, un ami d'enfance de l'auteur à Orléansville, s'inscrit pour un million de francs (toujours anciens). Au début de l'année 1951, plus de 200 souscripteurs, tous d'Afrique du Nord, se sont engagés. Pour le mois d'octobre 1951, un millier de souscripteurs se manifestent à travers le seul département d'Alger. A. H. Flassch avait bien raison d'écrire dans le journal Samedi Soir en 1950: " C'est d'Algérie que nous viendra le nouveau Littré ". Et Paul Robert de constater " tout me poussait vers l'Algérie ". Pour être complet et objectif, ajoutons qu'en 1953, un millier de souscriptions viennent d'Indochine et en 1956 un autre millier de Madagascar. Paul Robert signale à cette époque que la plus grande part des souscripteurs sont des Français d'Outre-mer et en particulier d'Afrique du Nord malgré les difficultés dues aux évène- ments d'alors. Cette partici- pation prend ainsi toute sa valeur symbolique démen- tant l'image réductrice si complaisamment répandue par nos détracteurs.

Lorsque son père meurt en octobre 1958, Paul Robert se rend à Orléansville où il peut mesurer, sur un tout autre plan, son lien charnel avec l'Algérie: " Malgré la guerre d'Algérie des milliers de musul- mans se joignent à nous pour rendre hommage à mon père ". Manifestation qui se passe de commentaire.

Le travail colossal de Paul Robert suscite intérêt et admiration. Le 28 décembre 1959 il est fait chevalier de la Légion d'honneur, décoré par Jules Romains en présence du maréchal Juin qui a tenu à assister à la cérémonie. À cette occasion il souligne sa " joie enfantine à se faire coudre un bout de ruban rouge à la boutonnière ". Cette absence de fausse modestie met encore davantage en lumière la sim- plicité et l'authenticité du personnage. Et lorsqu'en septembre 1964 sortira des presses le dernier des six volumes de cette oeuvre monumentale saluée par le célèbre linguiste W. Wartburg (" Vous avez donné à la langue française le dictionnaire dont elle avait besoin depuis si longtemps ") et par les instances internationales de la traduction à Bruxelles (" Il n'existe au monde aucun ouvrage semblable et cette méthode de dictionnaire analogique et alphabétique est une découverte de portée universelle "), Paul Robert pourra savourer le bonheur du devoir accompli.

Paul Robert
... aujourd'hui, 25 juin 1964, j'ai terminé mon dictionnaire ", écrit Paul Robert (colt-part.).

Il continuera à être présent comme conseiller de l'équipe de rédaction dirigée par Alain Rey, qui crée le " Petit Robert " dont le succès est immense. Et c'est tout naturellement qu'il affirmera: " La foi profonde dans l'accomplissement d'une longue tâche, donne à celui qu'elle anime la force de surmonter tous les obstacles ". On le voit, la vie de Paul Robert, décédé en 1980 est exemplaire et honore notre communauté. On saluera son talent, son opiniâtreté, sa réussite. On n'oubliera pas qu'il est issu de cette université d'Alger qui donna tant de serviteurs à la culture et à la science française. Et on lui saura gré, grâce à son oeuvre, d'avoir, comme l'écrivait en d'autres circonstances Saint-Exupéry " dressé au moins des pierres que n'ensevelirait pas le désert... ".