LE TELL
LE DOYEN DES HEBDOMADAIRES D'ALGERIE
par Georges-Pierre Hourant
Le numéro 8806 du Tell, paru à Blida le samedi 30 juin 1962,
devait être aussi le dernier numéro de ce journal quasi centenaire,
sous-titré " Le doyen des hebdomadaires d'Algérie ".
Il avait été fondé en 1864 par l'imprimeur Alexandre
Mauguin, dont la famille s'était installée dès 1835
en Algérie, et qui devint maire de Blida pendant vingt ans, de
1881 à 1901. Le journal fut d'abord quotidien à une époque
où la presse politique algérienne était nombreuse
et diverse, et où beaucoup de petites cités mettaient un
point d'honneur à faire vivre un quotidien, voire plusieurs (Voir
Ch. R. Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, PUF, 1979,
p. 376 à 378.).
Par nécessité, certains de ces journaux devinrent bihebdomadaires.
Ainsi, en 1889, paraissaient à Blida, outre Le Tell, Le Courrier
de Blida et Le Réveil de Blida, d'une durée plus éphémère.
En 1899, il y avait encore en Algérie 144 journaux quotidiens,
dont cinq à Alger, cinq à Oran, trois à Constantine,
deux à Tlemcen; tandis qu'on retrouve à Blida deux bihebdomadaires:
L'Indépendant et Le Tell. Ce dernier paraissait alors le
mercredi et le samedi, et se déclarait " journal politique
et des intérêts coloniaux "; il comportait quatre pages
avec, le mercredi, un supplément illustré, évoquant
l'actualité locale, mais aussi nationale et internationale.
Outil indispensable pour qui cherche une image objective du passé
de Blida et de la Mitidja, Le Tell nous montre la grande richesse culturelle
de la petite ville, avec ses très nombreuses associations, ses
théâtres, ses cinémas, ses expositions, ses conférences
(Voir " La vie quotidienne à
Blida en 1930 ", article de Georges-Pierre Hourant, l'algérianiste
n° 57 (mars 1992).).
Nous y trouvons aussi l'écho du travail acharné de nos ancêtres,
par exemple de Gaston Averseng, maire d'El-Affroun,
président des associations agricoles de la région, qui avait
créé tant d'institutions humanitaires et sociales dont bénéficiaient
aussi bien les musulmans que les Européens. Nous y voyons se développer
le tourisme, au Ruisseau
des Singes, ou à la station de montagne et de ski de
Chréa.
Nous y sentons la douceur de vivre qui se manifeste au printemps avec
la Fête des Fleurs, ou à la Pentecôte avec les fêtes
de la ville...
Plus tard, Le Tell devint hebdomaire et c'est avec cette périodicité
qu'il parut pendant les événements, son directeur étant
alors l'imprimeur A. Bullinger.
À sa lecture, nous revivons encore des joies comme celles de mai
1958, avec les foules acclamant l'Algérie française sur
la place d'Armes; mais aussi les épreuves, la rébellion
implantée dans l'Atlas blidéen, les attentats, l'émeute
sanglante du ter juillet 1961, pour finir par les enlèvements et
l'exode. Du 1er au 18 juin 1962, cent avions décollent du petit
aéroport civil de Blida, emportant 9 000 " passagers "
qui ne reviendront pas.
La première page du numéro du 23 juin était consacrée
à un dernier coup de théâtre: l'annonce des accords
entre le FLN et l'OAS, et reproduisait intégralement les discours
de Mostefaï et de Susini, tandis que le 30 juin encore, les gros
titres étaient consacrés aux lettres du général
Salan et de Louis Marquaire, député de Blida, approuvant
cet accord, et à deux nouveaux discours de Susini invitant les
Français à rester en Algérie.
Pourtant, " suite à la pénurie de personnel affectant
son imprimerie ", ce même numéro annonçait à
ses lecteurs sa suspension prévue pour une période de trois
semaines... mais qui devait s'avérer définitive.
Ainsi s'achevait l'existence d'un des plus anciens journaux d'Algérie.
En 1994, l'arrière-petite-fille d'Alexandre Mauguin, revenue en
Algérie, a racheté l'imprimerie de son aïeul et créé
à Blida, une maison d'édition portant le nom de Tell***.
Mais ce n'est plus le même drapeau qui flotte sur le kiosque de
la place d'Armes, et les fêtes d'antan, les belles fêtes du
printemps, ont à jamais disparu...
*** Note du site: c'est ici que j'ai
acheté les deux volumes de "Feuillets d'El Djezair".
Mais j'ai aussi l'édition originale ( toujours à vendre!)
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