Un sculpteur algérien : Belmondo
Belmondo boit son thé
à petites gorgées et évoque de vieux souvenirs. Cet
artiste, aussi aimé et apprécié à Paris qu'il
l'est en Algérie est si bien l'homme de son art qu'il n'y a point
de place en lui pour la vanité et la suffisance qui rendent souvent
insupportables les gens arrivés. Il a des sourires d'enfant, une
cordialité dans la parole et le geste, un charme qui de prime abord
attirent la sympathie.
Né à Mustapha, le 8 août 1898, il suivit pendant trois
ans, à l'école des Beaux-Arts d'Alger, les cours d'architecture
de M. Darbéda. Le soir il fréquentait avec assiduité
l'atelier de modelage que dirigeait le professeur Georges Béguet,
élève de Cortier, tout imprégné des principes
de Rude. Mon interlocuteur estime qu'il a tiré grand profit de
ses leçons d'architecture ; elles lui permirent en effet d'établir
l'accord nécessaire de la sculpture à la construction qu'elle
doit orner. Pendant la guerre, le hasard d'une mutation en Italie, où
il était envoyé comme dessinateur du génie, lui fit
découvrir le Musée de Naples, ce qui lui fut une joie. Démobilisé,
il s'en retourna à Alger. Une existence toute de travail et d'effort
s'inaugurait pour lui.
Reçu le premier, en 1921, à la Bourse de l'Algérie,
puis à l'École des arts décoratifs où il ne
demeura guère, et à l'École des Beaux-Arts de Paris,
il devint l'élève du maître Jean Boucher, qui lui
apprit d'abord son métier et à copier avant tout la nature
; le matin il dessinait aux Antiques, puis d'après le modèle
vivant ; l'après-midi il faisait de la taille de pierre ou travaillait
chez les patrons ; le soir, il dessinait dans les académies et
fréquentait la riche bibliothèque de l'École. Il
ne perdait ainsi heure du jour.
A cette époque il fit la connaissance de Courteline qui fut très
gentil pour lui et lui confia l'illustration de " Boubouroche ".
Il eut aussi la chance que son atelier fut voisin de celui de Charles
Despiau. Ce maître s'était déjà intéressé
à un buste qu'il faisait chez un ami, et lui trouvait des qualités
; Belmondo fréquenta chez lui, reçut ses conseils de chaque
jour, et écouta avec dévotion ses causeries sur Rodin et
les gothiques. Vers 1926, il exposa aux Artistes Français une Eve
qui obtint une médaille de bronze. Plus tard son bas-relief "
Le retour des athlètes " fut honoré de la médaille
d'argent. Il n'avait pas encore quitté l'école. La même
année il se présente au concours de la bourse américaine
Blumenthal pour " La pensée et l'art français ".
Il l'obtint d'emblée ; les 20.000 francs qu'elle lui procura lui
permirent de continuer ses études. Au Concours international Bolivar
(il s'agissait d'élever un monument à l'illustre général
de ce nom), un prix de 10.000 francs fut attribué au jeune algérien
à qui fut décerné l'année suivante un deuxième
prix pour son projet de monument du Centenaire, à Boufarik (le
premier prix, rappelons-le, fut accordé à MM. Bouchard et
Bégonnet).
Belmondo expose avec régularité aux Tuileries, où
son Buste de jeune homme, son Apollon, le buste de l'architecte Soreil,
reçurent l'accueil le plus chaleureux de la critique. Vauxalles,
du Colombier, Camille Mauclair, Thiébault, Sisson parlèrent
de ces uvres dans les termes les plus cordiaux. Il y a trois ans,
le Luxembourg lui acheta un marbre : Buste d'enfant, et une sanguine.
Il y a deux ans, la ville de Paris lui commanda un buste de la République.
En 1932, il obtint le Grand prix artistique de l'Algérie : il avait
présenté la statue de femme qui décore le hall de
la salle Pierre Bordes, le buste de son père, et un buste d'homme
qui est au Musée d'Alger.
Plusieurs fois il figura dans les expositions d'art français à
l'étranger, où ses envois furent accueillis avec faveur.
Il fit deux voyages à Rome, s'attarda à Florence, à
Assise et visita la Grèce. C'est en Grèce, dit-il, qu'il
eut vraiment l'idée de la proportion. A Delphes, où est,
dans un paysage admirable, un musée qui ne peut être comparée
à nul autre, il put étudier toute l'école des bronziers.
A Olympie, le temple et l'Hermès de Praxitèle le frappèrent
vivement. Il éprouva en profondeur, à Athènes, l'impression
de calme grandeur que laisse toujours l'Acropole aux pèlerins de
l'art. Cette harmonie était accrue par la mise en place, grâce
aux soins du conservateur, d'un moulage de la statue de Thésée,
dont l'original est à Londres. Il goûta fort la sculpture
archaïque, au musée de l'Acropole.
Le paysage qui l'émut le plus, en Grèce, fut celui du cap
Sumnium. Il y fut conduit, en compagnie de plusieurs artistes, par M.
Dimitriadis, directeur de l'École des Beaux Arts d'Athènes
qui crée en ce moment, à Delphes et à Athènes,
des ateliers où les artistes français pourront s'installer
et travailler pendant six mois de l'année, parmi les chefs d'uvre
de l'art grec.
A son retour, il exécuta, à la demande de l'architecte Pacon,
deux bas-reliefs, un aiguilleur et un ripeur de rails, qui seront placés
sur la façade des bâtiments de Nanterre construits pour les
cheminots de l'État.
Puis Belmondo me dit avec émotion la reconnaissance qu'il a à
M. Brunel, maire d'Alger et à la Municipalité de notre capitale
africaine pour la commande, qu'il a reçue, d'un bas-relief destiné
au Foyer Civique de Mustapha. Ils ont fait confiance à l'architecte
Léon Claro, qui désirait que cette sculpture fût exécutée
par lui, et sont revenus ainsi à la manière d'autrefois
qui laissait le maître d'uvre choisir ses collaborateurs.
Pour exécuter en toute liberté ce travail, l'artiste algérien
refusa la commande d'une statue de la Normandie qui doit être placée
devant la gare de Caen. Dans quelques jours, Belmondo enverra à
Alger les moulages qui serviront à exécuter la taille de
la pierre ; il dirigera sur place cette taille avec des metteurs au point
qu'il emmènera de Paris.
Belmondo me dit aussi sa gratitude pour M. Alazard, créateur du
Musée d'Alger qui est, de l'avis de tous les artistes de France,
l'un des plus beaux musées modernes du vieux monde, et qui le réconforta
beaucoup à une époque où il doutait de son avenir
et se sentait découragé. Il oublie les déboires,
les chagrins, la fatigue, en travaillant de toute son âme, avec
énergie, sans repos. Il ne cesse d'observer de près la réalité.
" En copiant sincèrement la nature, me dit-il, on en exalte,
à son insu, certains aspects ; on n'a rien trouvé, on a
retrouvé ; le beau est toujours à notre portée, et
toujours nouveau. On commence par travailler d'intuition, et on revient
ensuite à !a réalité. Un sculpteur doit dessiner
assidûment. Je me rappelle souvent le conseil de Donatello : je
peux vous enseigner d'un seul mot tout l'art de la sculpture : dessiner
! ". La sculpture est du dessin dans tous les sens.
L'Algérie a le droit d'être fière de cet artiste.
Je m'associe avec le poète Boggio dans le mouvement d'admiration
qui l'a porté à consacrer à un beau marbre de Belmondo,
le quatrain suivant :
J'exhume de la nuit ta grâce au clair dessein Et tu me rends si
belle une morte divine, O marbre ! que mes doigts caressent ta poitrine
Pour encore y sentir le chaud frisson d'un sein.
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