Portraits
Un sculpteur algérien : Belmondo

Afrique du nord illustrée du 29-7-1934 - Transmis par Francis Rambert

Un sculpteur algérien : Belmondo

Belmondo boit son thé à petites gorgées et évoque de vieux souvenirs. Cet artiste, aussi aimé et apprécié à Paris qu'il l'est en Algérie est si bien l'homme de son art qu'il n'y a point de place en lui pour la vanité et la suffisance qui rendent souvent insupportables les gens arrivés. Il a des sourires d'enfant, une cordialité dans la parole et le geste, un charme qui de prime abord attirent la sympathie.

Né à Mustapha, le 8 août 1898, il suivit pendant trois ans, à l'école des Beaux-Arts d'Alger, les cours d'architecture de M. Darbéda. Le soir il fréquentait avec assiduité l'atelier de modelage que dirigeait le professeur Georges Béguet, élève de Cortier, tout imprégné des principes de Rude. Mon interlocuteur estime qu'il a tiré grand profit de ses leçons d'architecture ; elles lui permirent en effet d'établir l'accord nécessaire de la sculpture à la construction qu'elle doit orner. Pendant la guerre, le hasard d'une mutation en Italie, où il était envoyé comme dessinateur du génie, lui fit découvrir le Musée de Naples, ce qui lui fut une joie. Démobilisé, il s'en retourna à Alger. Une existence toute de travail et d'effort s'inaugurait pour lui.

Reçu le premier, en 1921, à la Bourse de l'Algérie, puis à l'École des arts décoratifs où il ne demeura guère, et à l'École des Beaux-Arts de Paris, il devint l'élève du maître Jean Boucher, qui lui apprit d'abord son métier et à copier avant tout la nature ; le matin il dessinait aux Antiques, puis d'après le modèle vivant ; l'après-midi il faisait de la taille de pierre ou travaillait chez les patrons ; le soir, il dessinait dans les académies et fréquentait la riche bibliothèque de l'École. Il ne perdait ainsi heure du jour.

A cette époque il fit la connaissance de Courteline qui fut très gentil pour lui et lui confia l'illustration de " Boubouroche ". Il eut aussi la chance que son atelier fut voisin de celui de Charles Despiau. Ce maître s'était déjà intéressé à un buste qu'il faisait chez un ami, et lui trouvait des qualités ; Belmondo fréquenta chez lui, reçut ses conseils de chaque jour, et écouta avec dévotion ses causeries sur Rodin et les gothiques. Vers 1926, il exposa aux Artistes Français une Eve qui obtint une médaille de bronze. Plus tard son bas-relief " Le retour des athlètes " fut honoré de la médaille d'argent. Il n'avait pas encore quitté l'école. La même année il se présente au concours de la bourse américaine Blumenthal pour " La pensée et l'art français ". Il l'obtint d'emblée ; les 20.000 francs qu'elle lui procura lui permirent de continuer ses études. Au Concours international Bolivar (il s'agissait d'élever un monument à l'illustre général de ce nom), un prix de 10.000 francs fut attribué au jeune algérien à qui fut décerné l'année suivante un deuxième prix pour son projet de monument du Centenaire, à Boufarik (le premier prix, rappelons-le, fut accordé à MM. Bouchard et Bégonnet).

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Un sculpteur algérien : Belmondo

Un sculpteur algérien : Belmondo

Belmondo boit son thé à petites gorgées et évoque de vieux souvenirs. Cet artiste, aussi aimé et apprécié à Paris qu'il l'est en Algérie est si bien l'homme de son art qu'il n'y a point de place en lui pour la vanité et la suffisance qui rendent souvent insupportables les gens arrivés. Il a des sourires d'enfant, une cordialité dans la parole et le geste, un charme qui de prime abord attirent la sympathie.

Né à Mustapha, le 8 août 1898, il suivit pendant trois ans, à l'école des Beaux-Arts d'Alger, les cours d'architecture de M. Darbéda. Le soir il fréquentait avec assiduité l'atelier de modelage que dirigeait le professeur Georges Béguet, élève de Cortier, tout imprégné des principes de Rude. Mon interlocuteur estime qu'il a tiré grand profit de ses leçons d'architecture ; elles lui permirent en effet d'établir l'accord nécessaire de la sculpture à la construction qu'elle doit orner. Pendant la guerre, le hasard d'une mutation en Italie, où il était envoyé comme dessinateur du génie, lui fit découvrir le Musée de Naples, ce qui lui fut une joie. Démobilisé, il s'en retourna à Alger. Une existence toute de travail et d'effort s'inaugurait pour lui.

Reçu le premier, en 1921, à la Bourse de l'Algérie, puis à l'École des arts décoratifs où il ne demeura guère, et à l'École des Beaux-Arts de Paris, il devint l'élève du maître Jean Boucher, qui lui apprit d'abord son métier et à copier avant tout la nature ; le matin il dessinait aux Antiques, puis d'après le modèle vivant ; l'après-midi il faisait de la taille de pierre ou travaillait chez les patrons ; le soir, il dessinait dans les académies et fréquentait la riche bibliothèque de l'École. Il ne perdait ainsi heure du jour.

A cette époque il fit la connaissance de Courteline qui fut très gentil pour lui et lui confia l'illustration de " Boubouroche ". Il eut aussi la chance que son atelier fut voisin de celui de Charles Despiau. Ce maître s'était déjà intéressé à un buste qu'il faisait chez un ami, et lui trouvait des qualités ; Belmondo fréquenta chez lui, reçut ses conseils de chaque jour, et écouta avec dévotion ses causeries sur Rodin et les gothiques. Vers 1926, il exposa aux Artistes Français une Eve qui obtint une médaille de bronze. Plus tard son bas-relief " Le retour des athlètes " fut honoré de la médaille d'argent. Il n'avait pas encore quitté l'école. La même année il se présente au concours de la bourse américaine Blumenthal pour " La pensée et l'art français ". Il l'obtint d'emblée ; les 20.000 francs qu'elle lui procura lui permirent de continuer ses études. Au Concours international Bolivar (il s'agissait d'élever un monument à l'illustre général de ce nom), un prix de 10.000 francs fut attribué au jeune algérien à qui fut décerné l'année suivante un deuxième prix pour son projet de monument du Centenaire, à Boufarik (le premier prix, rappelons-le, fut accordé à MM. Bouchard et Bégonnet).

Belmondo expose avec régularité aux Tuileries, où son Buste de jeune homme, son Apollon, le buste de l'architecte Soreil, reçurent l'accueil le plus chaleureux de la critique. Vauxalles, du Colombier, Camille Mauclair, Thiébault, Sisson parlèrent de ces œuvres dans les termes les plus cordiaux. Il y a trois ans, le Luxembourg lui acheta un marbre : Buste d'enfant, et une sanguine. Il y a deux ans, la ville de Paris lui commanda un buste de la République. En 1932, il obtint le Grand prix artistique de l'Algérie : il avait présenté la statue de femme qui décore le hall de la salle Pierre Bordes, le buste de son père, et un buste d'homme qui est au Musée d'Alger.

Plusieurs fois il figura dans les expositions d'art français à l'étranger, où ses envois furent accueillis avec faveur.

Il fit deux voyages à Rome, s'attarda à Florence, à Assise et visita la Grèce. C'est en Grèce, dit-il, qu'il eut vraiment l'idée de la proportion. A Delphes, où est, dans un paysage admirable, un musée qui ne peut être comparée à nul autre, il put étudier toute l'école des bronziers. A Olympie, le temple et l'Hermès de Praxitèle le frappèrent vivement. Il éprouva en profondeur, à Athènes, l'impression de calme grandeur que laisse toujours l'Acropole aux pèlerins de l'art. Cette harmonie était accrue par la mise en place, grâce aux soins du conservateur, d'un moulage de la statue de Thésée, dont l'original est à Londres. Il goûta fort la sculpture archaïque, au musée de l'Acropole.

Le paysage qui l'émut le plus, en Grèce, fut celui du cap Sumnium. Il y fut conduit, en compagnie de plusieurs artistes, par M. Dimitriadis, directeur de l'École des Beaux Arts d'Athènes qui crée en ce moment, à Delphes et à Athènes, des ateliers où les artistes français pourront s'installer et travailler pendant six mois de l'année, parmi les chefs d'œuvre de l'art grec.

A son retour, il exécuta, à la demande de l'architecte Pacon, deux bas-reliefs, un aiguilleur et un ripeur de rails, qui seront placés sur la façade des bâtiments de Nanterre construits pour les cheminots de l'État.

Puis Belmondo me dit avec émotion la reconnaissance qu'il a à M. Brunel, maire d'Alger et à la Municipalité de notre capitale africaine pour la commande, qu'il a reçue, d'un bas-relief destiné au Foyer Civique de Mustapha. Ils ont fait confiance à l'architecte Léon Claro, qui désirait que cette sculpture fût exécutée par lui, et sont revenus ainsi à la manière d'autrefois qui laissait le maître d'œuvre choisir ses collaborateurs. Pour exécuter en toute liberté ce travail, l'artiste algérien refusa la commande d'une statue de la Normandie qui doit être placée devant la gare de Caen. Dans quelques jours, Belmondo enverra à Alger les moulages qui serviront à exécuter la taille de la pierre ; il dirigera sur place cette taille avec des metteurs au point qu'il emmènera de Paris.

Belmondo me dit aussi sa gratitude pour M. Alazard, créateur du Musée d'Alger qui est, de l'avis de tous les artistes de France, l'un des plus beaux musées modernes du vieux monde, et qui le réconforta beaucoup à une époque où il doutait de son avenir et se sentait découragé. Il oublie les déboires, les chagrins, la fatigue, en travaillant de toute son âme, avec énergie, sans repos. Il ne cesse d'observer de près la réalité.

" En copiant sincèrement la nature, me dit-il, on en exalte, à son insu, certains aspects ; on n'a rien trouvé, on a retrouvé ; le beau est toujours à notre portée, et toujours nouveau. On commence par travailler d'intuition, et on revient ensuite à !a réalité. Un sculpteur doit dessiner assidûment. Je me rappelle souvent le conseil de Donatello : je peux vous enseigner d'un seul mot tout l'art de la sculpture : dessiner ! ". La sculpture est du dessin dans tous les sens.
L'Algérie a le droit d'être fière de cet artiste. Je m'associe avec le poète Boggio dans le mouvement d'admiration qui l'a porté à consacrer à un beau marbre de Belmondo, le quatrain suivant :

J'exhume de la nuit ta grâce au clair dessein Et tu me rends si belle une morte divine, O marbre ! que mes doigts caressent ta poitrine Pour encore y sentir le chaud frisson d'un sein.