LA PLAINE DE LA MITIDJA AVANT 1962
RAPIDE SURVOL DES COMMUNES DE LA MITIDJA

BLIDA ou BLIDAH ou EL BOULAIDA
Chréa, Bou Arfa, Joinville (aujourd'hui Zabana), Montpensier (aujourd'hui Ben Boulaïd), Dalmatie (aujourd'hui Ouled Yaïch)
Georges Bouchet

mise sur site le 10-5-2011

278 Ko
retour
 
Il existe le PDF ( 327 kb) de la page ci-dessous, cliquer sur l'image blida

BLIDA ou BLIDAH ou EL BOULAIDA

Blida n'est pas un village ; c'est une ville dès le temps de sa création au XVIè siècle.

blia

Origine du nom : arabe. Blida et Boulaida sont deux façons correctes de prononcer la racine trilitère à trois consonnes : BLD. On sait que l'écriture arabe classique n'indique que rarement les voyelles. BLD peut ainsi se comprendre blad (ville) ou bled (pays d'une tribu) ; ou se lire autrement. Le comte Guyot, Directeur de la colonisation en 1842, écrivait Belida. Pour le guide bleu de 1950 Blida serait un diminutif de blad : possible.

Depuis 1981 le nom officiel de la ville est El Boulaida, mais le nom connu de tous et réellement utilisé reste Blida.
Au temps de la conquête les Français avaient pris l'habitude, je ne sais pourquoi, de rajouter un H à la fin des noms de Blida, Médéa et Miliana.

Origine de la ville : turque. En 1533 Khayr al-Dîn, dit Barberousse, est le bey d'Alger reconnu par le sultan d'Istanbul Sélim 1er. Il accepte d'accueillir à Alger des Maures d'Andalousie chassés d'Espagne par l'achèvement de la Reconquista. Un saint homme, Sid Ahmed el-Kebir, trouve des terres où les installer, sur le site du futur Blida. En 1535 Khayr al-Dîn leur accorde sa protection et finance la construction d'une mosquée. 1535 est dès lors la date officielle de la création de la nouvelle petite ville. Khayr al-Dïn meurt en 1546, mais Blida demeure et s'entoure de murailles pour résister aux Berbères de l'Atlas.

Les troupes françaises sont passées près de Blida dès 1830 et se sont rendu compte du mauvais état des murailles, mais l'occupation définitive de la ville a attendu 1839.

Le territoire communal est vaste, et jusqu'en 1956 il était composite : moitié en montagne, moitié en plaine. Depuis que Bou Arfa et Chréa sont devenus des chef-lieux de communes entre 1956 et 1958, il ne reste que la plaine de la Mitidja, dans sa partie la plus élevée car la commune est située sur le cône de déjections dû aux apports de plusieurs oueds de montagne, et tout particulièrement de l'oued el-Kebir qui coule un peu à l'ouest de la ville. Les altitudes vont de plus de 220m au sud à moins de 130m au nord.

Ses limites sont fournies par des lits d'oueds, celui de l'oued Chiffa à l'ouest, et celui de l'oued el Khemis à l'est.

La commune ne manque pas d'eau et a un paysage largement bocager avec des haies et de nombreux vergers ; pas seulement d'agrumes.

Elle est traversée par trois routes principales : la RN1 d'Alger au Sahara, les RN 2 et 29 qui longent le pied de l'Atlas, et la départementale 10 qui coupe au plus court vers la mer et ses plages, par Oued el-Alleug et Koléa. Les véhicules venus d'Alger ou du sud peuvent poursuivre leur route, sans traverser la ville, grâce au contournement assuré par la D 143 qui dessert au passage les villages de Montpensier et de Joinville.

Seuls les autobus rouges de la société des cars blidéens desservaient, fort bien, la commune vers Alger, Djelfa et Tiaret. L'entretien des véhicules était assuré par un très grand garage situé sur la route d'Alger, à gauche en descendant.

On peut aussi arriver en train avec deux lignes, à voie large vers Oran ou Alger et à voie étroite vers Djelfa par Médéa, Berrouaghia et Boghari.

L'aérodrome de Blida-Joinville était modeste ; avec un rôle plus militaire que civil. Il avait donné cependant naissance à un quartier à proximité.

La commune de Blida est " polynucléaire " : il s'y trouvait 5 villages, avant 1956, en plus de la ville elle-même. Quatre sont dans la plaine de la Mitidja, et un en montagne. Je commence par cette exception dont je justifie la présence ici parce que Chréa appartenait bien à la commune de Blida, dont elle constituait, disait-on, un balcon sur la ville et sur la Mitidja.

      o Chréa
Origine du nom : arabe ou berbère. C'est le nom d'un col qui, à 1492m, permet de franchir la crête du djebel Guerroumene pour redescendre vers la vallée de l'oued Guergour.

chrea
Origine de la station : française. Française à coup sûr pour ce qui concerne la station " climatique " de repos estival créé en 1911 avec un " aérium " pour quelques familles de la Mitidja (ou d'Alger) ; mais les cadis Turcs y montaient déjà pour rendre la justice.

En 1913 est créé un parc national pour préserver une forêt de cèdres.

En 1917 est bâti le premier refuge pour skieurs émérites, car il n'y avait qu'un sentier de 7km et pas de route, pour grimper de 200m à 1500m. Il neige tous les ans, en général pas avant le 15 décembre. Et la neige reste jusqu'à la fin février.

En 1920 est ouvert le premier hôtel.

En 1924 enfin la route à lacets serrés, est achevée. Les voitures montent et les chalets sont construits : plus de 450 au total.

A Chréa les chalets étaient dispersés sur les pentes de la montagne, y compris sur le versant sud sans vue sur la Mitidja. Il y avait cependant un large rond-point d'arrivée de la route de Blida, avec cèdre au milieu , hôtel et restaurant en bordure.

Les activités sont donc toutes de repos, de sport ou de loisirs : repos l'été, ski l'hiver et promenades en forêt toute l'année ; avec des pointes en juillet-août et en janvier-février.

En 1956 Chréa, dont le site avait été officiellement rattaché à Blida en 1873 par la municipalité De Tonnac, devient chef-lieu de commune. Date fâcheuse, car c'est aussi celle de la montée de l'insécurité qui éloigne promeneurs et skieurs.

La population permanente de la commune (pas de la station) était en 1954 de 5 981 personnes, dont 4 européens (soit 0,067% !). A Chréa l'Européen est un visiteur ou un vacancier, pas un résident.

      o Bou Arfa
Origine du nom : arabe. C'est le nom de l'oued près duquel s'est installé ce village indigène sans voirie apparente sur la carte.

Origine du centre : indigène. Ce n'est pas une création française ; mais j'ignore si Bou Arfa existait déjà à l'époque turque. Il est situé en face de Blida, mais de l'autre côté de l'oued el- Kebir.

Le territoire associé est presque entièrement montagneux. Je ne sais rien sur les activités de ses habitants : que des hypothèses ; élevage de chèvres sur les basses pentes, embauche sur les chantiers de reboisement (à partir de 1910), ou de DRS (à partir de 1942), Défense et restauration des sols abîmés par la surexploitation de la forêt de 1939 à la fin 1942, ou encore embauche pour les travaux agricoles dans les fermes de la plaine.

En 1956, quand Bou Arfa devient chef-lieu de commune, il a 8 509 habitants dont 76 non musulmans (soit 0,89%).

      o Joinville (aujourd'hui Zabana)
Origine du nom : française. Prince de Joinville est le titre accordé au troisième fils de Louis-Philippe. Le prince François Ferdinand était vice-amiral. Je doute qu'il ait jamais combattu en Algérie. Mais il y a fait escale en 1831 en tant qu'élève de l'école navale de Brest.

Origine du village : française. Le Comte Sylvain Valée, Gouverneur, crée un camp militaire près de Blida, en 1838, pour préparer la conquête de Blida et protéger la région contre les incursions hadjoutes. Ce camp est alors appelé camp supérieur. Après l'élimination de la menace hadjoute en 1842, un modeste de village de colonisation est créé en juillet 1843 pour 49 feux, dans le cadre de ce que l'on appelait alors la " ceinture de Blida ".

Particularités : l'existence à Joinville du principal hôpital psychiatrique d'Algérie. Et la proximité de l'aérodrome de Blida. Joinville est situé sur la voie de contournement de Blida. La voie ferrée est proche ; la gare de Blida aussi.

      o Montpensier (aujourd'hui Ben Boulaïd)

Montpensier est un autre Joinville situé sur la même route D143 et créé en même temps pour la même raison, au nord de Blida.

Origine du nom : française. Duc de Montpensier est le titre donné au sixième fils, Antoine, de Louis-Philippe, roi des Français (et non plus de France !)

Origine du village : française. Montpensier, comme Joinville, fut d'abord, en 1838, un camp militaire, le camp inférieur. Et en juillet 1843 un village de colonisation très modeste, de 20 feux, est créé.

J'ignore si le duc a joué le moindre rôle en Algérie.

      o Dalmatie (aujourd'hui Ouled Yaïch)
Ce troisième et dernier village de la " ceinture de Blida " est créé un an après les deux autres. Il est dans la plaine, mais tout près des monts de l'Atlas ; et les circonstances de sa création sont bien différentes.

Origine du nom : française et croate.
Croate car la Dalmatie est le nom de la région côtière de la Croatie. Française car le duc de Dalmatie est un titre donné par Napoléon Ier en 1808 à un officier français, Nicolas Soult, Maréchal depuis 4 ans déjà. A cette date la Croatie est française depuis 3 ans, et sera intégrée aux Provinces Illyriennes créées en 1809 avec Ljubljana pour capitale.

Origine du village : française. Sa création est évoquée dès 1842 par le comte Guyot Directeur de la colonisation, mais sous le nom d'Ouled Yaïch. Le dossier subit un léger retard, en partie dû au souci de Bugeaud de ne pas heurter inutilement la tribu des Ouled Yaïch en les expropriant. La solution est trouvée par le Maréchal Soult qui est alors Ministre de la Guerre et est, à ce titre, le supérieur du Gouverneur Général en poste à Alger. Soult conseille à Bugeaud de créer deux villages : un pour les indigènes et un pour les colons. Bugeaud accepte et la décision est rendue officielle le 12 septembre 1844 avec la fondation d'Ouled Yaïch (en fait simple reconnaissance du village préexistant) et celle de Dalmatie, 500m plus au sud, avec un plan à damier traditionnel et pour 50 feux.

Ses activités sont purement agricoles, avec moins de vignes et davantage de cultures irriguées, fruits et légumes, qu'ailleurs. Cette remarque est valable pour toute la commune de Blida. Cette particularité agricole de la région de Blida remonterait à la période turque.

En 1954 Dalmatie est traversé par la RN 29 (de Blida à Palestro) et desservi par les autocars blidéens. Comme ce n'était pas un chef-lieu de commune, le recensement de 1958 ne distingue pas sa population qui est incorporée, ainsi que celles de Joinville et Montpensier, à la population de Blida.


LA VILLE DE BLIDA

blida ville

Pour le prix d'une, comme vous le voyez, je vous ai offert deux cartes : une carte générale de Blida valable pour la période 1948-1951 (c'est la voie ferrée qui remonte de la gare jusqu'à la place Clemenceau qui permet la datation), et sur laquelle j'ai rajouté l'emplacement des murailles achevées en 1869 ( 4 ans de travaux) et démolies à partir de 1927. La direction du nord va vers le " haut " de la carte. Les six portes sont d'origine. Ce rempart reprend, en élargissant un peu l'espace clos, celui hérité des Turcs et consolidé dans les années 1840. Les portes étaient fermées à la tombée de la nuit, sauf la porte d'Alger qui restait ouverte 1 ou 2 heures de plus, car son trafic était, de loin, le plus important.

   ·      

Un plan triangulaire avec sa pointe sud-est tournée vers l'Atlas, et des avenues divergentes vers le nord et le nord-ouest. L'axe central relie la gare, située à 2km de la porte Rabah, à la place centrale de la ville française (appelée place d'armes, puis Clemenceau). Au temps des murailles, il y avait déjà deux grands boulevards, le boulevard du nord (au nord) et le boulevard du sud (à l'est !). Il n'y a jamais eu de boulevard semblable au sud, du côté de l'oued el-Kebir ; juste une rue promue avenue.

Le centre de la vieille ville est l'espace où sont situées les deux mosquées et la synagogue ; bâtiments anciens tout comme la présence de musulmans et de juifs. Les chrétiens sont arrivés bien plus tard ; leurs lieux de prière, pour catholiques et protestants, sont postérieurs à la conquête de 1839.

   
   ·       
Une expansion contrariée, vers le sud, par la présence de vastes emprises militaires qui s'explique peut-être par la crainte des débordements de l'oued el-Kebir distant de 150 à 300m des murailles. Quand les murailles eurent disparu, les casernes sont restées et ont même grandi, remplaçant, à l'est du jardin Bizot (de 1850), une ancienne pépinière. Le bois sacré où des oliviers séculaires font de l'ombre à la koubba de Sidi Yacoub Chérif, depuis le XVIè siècle, devait également être préservé.
   
   ·        Des rôles qui en font une petite capitale régionale.
   ·      

Ville de garnison, avec des casernes de tirailleurs, d'artillerie, du génie et de cavalerie. Et le centre de remonte qui va avec pour les chevaux et qui a survécu à l'arrivée des blindés motorisés. Et l'hôpital militaire, normal avec toutes ces troupes. Et enfin le centre d'incorporation des conscrits, valable pour tout l'Algérois, et où je passai 3 ou 4 jours, comme tant d'autres, avant l'envoi dans un centre d'instruction militaire.

   
   ·       
Ville d'industries légères grâce à l'eau et aux moulins de l'oued el-Kebir (farines, semoules, pâtes) et grâce aux orangeraies de la région (confitures).
   
   ·        Ville commerçante et de services pour Européens et pour indigènes. On y trouvait deux marchés, toutes sortes de magasins, y compris les " galeries de France ". Et un collège (puis lycée) dès 1884. Et un palais de justice ; et des banques, et des agents d'assurances etc. etc.
   
   ·    Ville carrefour : tant routier que ferroviaire. Il y a à Blida une grande gare et le siège central d'une des plus grandes sociétés d'autobus : la société des autocars blidéens dont les autobus rouges desservaient les villes que voici
Alger par Boufarik
Djelfa par Médéa, Berrouaghia, Boghari et Hassi-Babah
El Affroun  par La Chiffa
Castiglione par Koléa
Rovigo par Bouinan
Tiaret par Affreville et Teniet-el-Haâd
On peut aussi y monter dans des trains directs pour Alger, Oran et Djelfa.
Mais plus pour Cherchell dont la ligne a été fermée en 1925.
   

Le rôle de capitale régionale est reconnu officiellement en 1944 par la promotion de Blida au rang de chef-lieu d'arrondissement. De la sous-préfecture de Blida dépendent 28 communes de la Mitidja occidentale, du Sahel et de la côte, peuplées, en 1954 de 238 976 habitants, dont 39 237 non musulmans ( soit 16%). Appartenait à l'arrondissement de Blida tout le littoral entre Tipasa et Douaouda. Vers l'Atlas seules les communes de Chréa et de Bou Arfa en faisaient partie ; vers l'ouest la limite incorporait Marengo et Meurad ; et vers l'ouest Bouinan et Chébli.

En 1954 la commune de Blida avait 47 318hab. dont 15 107 non Musulmans (soit 31,9%).

La ville elle-même
devait approcher les 30 000 habitants, loin derrière Alger, à égalité avec Maison-Carrée Ma prudence est due aux contradictions des résultats officiels des recensements de 1948 et 1958 ; mais les ordres de grandeur sont corrects, qui font de Blida la seconde ville du département d'Alger. Maison-Carrée faisant partie du Grand Alger.

Une curiosité sans importance : Blida a hébergé de 1894 à 1906 le roi du Dahomey, Kondo dit Behanzin après que la France eut achevé la conquête de son royaume. Après sa reddition il avait été envoyé en résidence surveillée à Blida. J'ignore où il était logé : il n'y a pas semble-t-il, à Blida, de palais susceptible d'accueillir un tel personnage et sa suite. En 1975 le Dahomey est devenu le Bénin.

Grain de sel de B.Venis : sur ce site, quelques cartes postales de Blida : clic et de Chréa : clic