La pêche et les pêcheurs en Algérie
mémoire , Edgar Scotti- Joseph Palomba
LE CHEMIN DE L' EXODE

........Monsieur Joseph Palomba m'a fait parvenir un second livret, avec photos, dessins et glossaire. Il l'a écrit en collaboration avec monsieur Edgar Scotti. "Vous pouvez en disposer à votre convenance", écrivait-il. Eh bien, voilà. Je vous en fais profiter...
........A noter que mr.Joseph Palomba est l'auteur de "Hommage aux scaphandriers", voir sur le site.
........Merci à tous deux....

sur site le 14-05-2005...+ le 27-9-2007

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----------Dans son petit livre bien documenté . BOU-HAROUN D'AUTREFOIS ", notre ami Edgar Scotti, relate ce que fut le départ des petits chalutiers de ce port en 1962.

----------" BOU-HAROUN " mai, juin 1962. Depuis quelques jours les bateaux ne sortent plus. Serrés les uns contre les autres sur la plage, ils sont l'objet de toutes les attentions de leur équipage désoeuvrée. Fruit des efforts persévérants de plusieurs générations de pécheurs, ces chalutiers aujourd'hui ne servent plus à rien.

----------Le poisson ne se vend pas, les routes sont peu sûres et dans les villes et même les villages, c'est le départ massif de ceux qu'un ministre de la république appelle les . vacanciers

----------Epargné jusqu'au lundi de Pâques 1962, le village a ensuite connu le terrorisme, avec une grenade lancée dans le café Piris et une bombe à la villa Borja. Le 19 mai, Raphaél de Crescenzo est enlevé. Le 6 juin c'est au tour d'Emile Ampart, raflé dans son usine. Détenus tous les deux à Mouzaiville, ils y seront fusillés avec beaucoup d'autres, malgré les rançons désespérement offertes par Mme Ampart aux dirigeants de l'armée algérienne de Koléa. Un vent de terreur souffle sur Bou-Haroun et sur l'Algérie. L'avenir est bien sombre.

----------Assis sur le plat bord d'un chalutier, les pécheurs s'interrogent. Comment peut-il se faire que l'on devienne étranger sur cette terre où l'on est né, qui fut celle de nos parents ? Ne serait-il pas temps de profiter de nos bateaux pour faire passer quelques meubles de l'autre côté de la Méditerranée ?. Cependant, les cales si difficiles à remplir en poisson se révèlent bien vite insuffisantes. Enfin arrivés là-bas, il faudra bien pécher. Le matériel devient dès lors prioritaire.

----------Il convient aussi d'emporter de l'eau, du fuel, des pièces de rechange. Progressivement l'idée du départ germe et fait son chemin. Il faut un équipage, la traversée sera longue, les escales obligatoires aux Baléares et en Espagne, la Méditerranée menaçante, la vie à bord difficile. Promptement exclus, les meubles laisseront la place au matériel. Des valises pourront ètre plus facilement casées entre les filets, les funes, les ralingues plombées, les panneaux.
----------A Alger comme à Cherchell et Tipasa, de nombreux patrons de chalutiers, dont ceux du "Racial II" et du "Joseph Moncassi" envisagent leur appareillage pour le Grau d'Agde ou Sète. La traversée de la Méditerranée malgré les risques de gros temps, ne parait pas une aventure insensée.

----------Encore convient-il de se souvenir que la majeure partie des quatorze chalutiers basés à Bou-Haroun ne sont équipés que pour des sorties sur un littoral dont tous les patrons ou maîtres de pèche connaissent parfaitement tous les amers, criques, sommets, caps et ne disposent à bord d'aucun instrument de navigation.
----------D'autre part, leurs bateaux n'ont pas l'autonomie nécessaire à une aussi longue traversée.

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---------Cinq patrons décident de partir avec leur équipage :

- Giordano sur le "Saint Antoine "
- Pierre Pilato et Charley Font sur le " Saint Vincent "
- Les frères Jean-Baptiste et Vincent Pilato sur le " Saint Joseph "
- Jérôme Ferrer sur le " Saint Jérôme "
- André Striano sur " Amiral Guépratte ".

----------Le 5 juin 1962, le " Saint Antoine " et le " Saint Joseph" décident de partir ensemble avec leur équipage habituel. Ils n'ont pas de compas, pas de cartes marines. Les familles de ces deux équipages sont déjà parties d'Alger après une harassante attente sur les quais et ensuite dans les bâtiments des compagnies de navigation. Après la sortie de la petite anse, les deux chalutiers exécutent deux tours d'honneur. La sirène du " Saint Joseph" fait les signaux d'adieux au village dont tous les habitants les regardent partir du haut de la falaise. Le moment est émouvant, les larmes coulent, des enfants pleurent.

----------Un dernier regard sur le cimetière commun aux trois villages de Tefeschoun, Chiffalo et Bou-Haroun. Ceux qui dorment de leur dernier sommeil sont toujours présents dans le coeur et la mémoire de ceux qui partent. Puis c'est cap au Nord.

----------Alors que le village se fond dans l'horizon, le Chenoua encore visible disparait de leurs regards. Grâce aux souvenirs de Jean-Baptiste Pilato, nous savons qu'ils ont embarqué dans la cale et sur le pont des filets et tout le matériel de pèche, ainsi que quelques valises de linge et de souvenirs familiaux. De bien pauvres choses en somme, tout le reste et notamment les meubles sont abandonnés.
----------Dans la journée, il se repèrent sur le soleil et la nuit sur les étoiles. Ils dorment peu, toujours en alerte, leur vitesse est réduite à neuf noeuds. Sous l'effet des courants, il dérivent vers l'ouest. Croyant arriver à Palma de Majorque, ils sont très surpris de se trouver à Ibiza. L'équipage d'un remorqueur qui tirait des chalands remplis de sel, leur indique un chenal qui leur permet d'éviter les hauts fonds entre les îles de Majorque et de Minorque.

----------A Barcelone où ils arrivent pour se ravitailler, il sont reçus armes aux poings par la police catalane qui les prend pour des terroristes. Un navire de guerre français est en escale à Barcelone. Son commandant compréhensif, les ravitaille généreusement en eau, mazout et vivres. Merci la Royale ! Appareillage pour la France en longeant la côte.

 

-----------Au large du Cap Creus, la tempête se lève avec des vents d'Est de 30 à 40 noeuds. La mer est blanche, aux abords de la côte des lames déferlantes menacent les chalutiers. Comme beaucoup d'autres, ils tournent en rond, se croient perdus et après une harassante navigation dans les embruns humides, abordent à Arenys de Mar à 30 kilomètres au nord de Barcelone. Le calme revenu, ils reprennent la mer arrivent à Port la Nouvelle. Puis gagnent La Ciotat. Enfin se souvenant d'un certain 15 août 1944, ils arrivent vers la mi juin à Sanary pour s'y Fixer (1).

----------Le récit de ce départ peut s'appliquer aussi aux grands chalutiers des armements Laurora, Salem, Esposito, Stella du port de Bône, de ceux des ports de Philippeville, Bougie, Cataldo, Fortuno et bien d'autres, de ceux des ports de Ténés, Cherchell, Alger, déjà précédé du chalutier " l'Aiglon ", des frères Giordano de Cherchell et du "Sainte Marie" d'Alger. Suivent bientôt pèle mêle les bateaux des armements Damerdji, Riveccio, Loffredo, Di Pizzo, Pilato, Patania, Mercatello, Cuciniello d'Alger, de Liguori, Di Maio, Moncassi, de Cherchell, sans oublier ceux de la grande flotte de l'Oranie, de Nemours à Mostaganem en passant par Oran. Oui, exode de courage mais de danger, mais exode qui marquera à jamais le coeur de ces hommes.

----------Un livre entier ne suffirait pas à retracer l'arrivée de ces bateaux dans les divers ports français de la Méditerranée. Sans oublier, sauf à de très rares exceptions, l'accueil moins que fraternel de la part des pécheurs locaux. Signalons aussi que les impératifs de la réglementation de la pêche au chalut, feront que ces chalutiers se retrouveront principalement vers les ports de la côte ouest, entre Marseille et Port Vendres.
(1) Edgar Scotti Bou-Haroun d'autrefois