Le sol de marbre sur lequel s'étalaient aux soirs de gala les
traînes gracieuses et froufroutantes des robes de nos élégantes,
est déjà souillé de gravats et, de décombres.
Quant à la salle, elle présente l'aspect désolant
d'une bâtisse où aurait éclaté une bombe.
Plus un fauteuil d'orchestre sur le plancher, plus une stalle, plus
une chaise dans les loges. La fosse d'orchestre a disparu, le plateau,
que les entrechats des danseuses battirent si souvent non sans
en faire sortir des nuages de poussière n'est plus. Un
grand trou, entouré de barrières provisoires, s'ouvre
là où se déroulèrent, avec des fortunes
diverses, tous les opéras, toutes les opérettes du répertoire.
Le rideau somptueusement grenat et doré a disparu.
Par un fond de scène. qu'attaquent déjà le pic
des démolisseurs, on aperçoit la grande salle mauresque,
ou foyer de la danse. Les garnitures en stuc des balcons ont été
« éprouvées » par les martelettes des maçons.
Elles n'ont pas résisté... et elles ont bien fait.
Tout là-haut, à l'endroit où s'étalaient
les splendeurs du grand lustre de cristal, qui a rejoint déjà
dans quelque triste débarras les autres accessoires du luminaire
théâtral, par un lanterneau d'où filtre une lumière
grise, passe une tête de manoeuvre qui crie, en laissant glisser
un sceau :
Oh! Pèpète, tu le remplis de mortier et vite, hein
? que ça passe ici.
Dehors, devant la façade tarabiscotée, des échafaudages
dressent leurs géométriques silhouettes.
Tout cela prouve qu'on est entré activement dans la période
d'exécution.
Bien entendu, après les pics des démolisseurs entreront
en jeu les truelles des constructeurs.
Souhaitons que tout comme le Phénix renaissait de ses cendres,
notre opéra renaisse bien vite de ses décombres pour la
plus grande joie des amateurs, toujours nombreux, du "bel canto
» et de ceux qui se laissent émouvoir par les gracieux
ébats des fraîches ballerines...
A.-L. B.