L'art moderne au Musée d'Alger.
Il est curieux de constater
que c'est en Algérie que la France a donné la première
manifestation de sa nouvelle conception de l'organisation et de l'installation
des musées. Le nouveau Musée national des Beaux-Arts à
Alger est, en effet, le type achevé du musée moderne tel
qu'il doit être.
Situé au bout de la ville, à l'extrémité
de la grande allée du " Jardin d'Essai ", encadré
d'arbres éternellement verts, parmi des, jardins andalous aux
fleurs étranges et merveilleuses, où les jets d'eau chantent
sans fin, où les plantes grimpantes, retombent sur les balustres
d'un blanc éclatant, il apparaît comme un des chefs-d'uvre
de l'architecture moderne. Une large montée mène - au
long des terrasses - à deux grandes galeries superposées,
longues de 70 mètres, réservées l'une aux moulages,
l'autre aux sculptures. Au-dessus, à l'étage supérieur,
se trouvent les salles de peinture qu'entoure une pergola d'où
l'on a de superbes échappées sur la mer et sur la ville
entière, coupées çà et la par les silhouettes
effilées de cyprès qui se profilent sur l'azur du ciel.
Son aménagement est digne des plus grands éloges. Les
problèmes les plus nouveaux de la construction des musées
y ont été résolus. L'installation a été
faite à un point de vue purement utilitaire, sans que l'élégance
en souffre le moins du monde. Partout, la plus grande sobriété
: des murs et des plafonds clairs, des planchers brillants, et un éclairage
par en haut - pour la peinture - qui inonde de lumière les salles
trop souvent obscures dans les musées de province et même
dans les plus grands musées de Paris.
Dans les galeries de sculpture presque toute la partie supérieure
de la muraille est en fenêtres, de sorte que les uvres exposées
sont baignées d'une clarté inaccoutumée. Des socles
simples, uniformes de teinte et de coupe, servent de base aux sculptures
et donnent une impression de parfaite harmonie.
Les uvres sont placées selon l'ordre chronologique, de
sorte que les chefs-d'uvre de la sculpture en ronde-bosse se trouvent
au milieu de la salle, et peuvent être contemplés de tous
les côtés. Le long des murs sont alignées les uvres
dont seule la face antérieure est à voir ou qui ne sont
que la résultante d'influences diverses.
Dans la grande salle d'entrée, en bas, sont des moulages teintés
allant des sculptures du moyen-âge jusqu'à celles, du XVIII°
siècle, en passant par la Renaissance et le baroque. Grâce
au goût excellent qui a présidé à leur choix,
on peut dire que ce musée est un moyen vivant d'éducation
artistique. La salle supérieure renferme des sculptures originales
du XIX° et du XX° siècle et nous trouvons là assurément,
dès à présent, une des plus riches collections
de sculpture moderne de France. Un bronze admirablement patiné
de Bourdelle, le fameux " Héraclès ", domine
tout le hall de la fermeté de sa composition et de la force de
sa tension intérieure. Formant un violent contraste avec sa force
virile, la " Vénus " de Maillol, par ses formes, pleines
et rondes nous offre l'idéal du type féminin. Des groupes
d'animaux de Barye, Pompon et Poupelet montrent la valeur de la sculpture
des animaliers. Rodin est représenté par " l'Age
d'Airain ", " la Méditation ", et différents
bustes d'une profondeur intense. Sept sculptures de Despiau, créations
d'une grâce sublime et d'une puissante pureté de forme
constituent un ensemble qu'aucun musée ne peut se vanter de posséder.
Il y a bien assurément, à côté de tels chefs-d'uvre,
qui sont tous d'une qualité artistique supérieure et qui
montrent les différentes, tendances de l'art contemporain, beaucoup
de sculptures faibles, simples produits d'école, sans qualités
marquantes, uvres des pensionnaires de la " Villa Abd-el-Tif
", où se reflète le vide de l'esprit académique
et où la perfection du métier ne compense pas le manque
d'âme.
L'ambiance de simplicité des salles réservée à
la peinture, situées, comme je l'ai dit, à l'étage
supérieur, éclairées par le plafond et l'absence
de tout ornement architectural, permettent aux uvres de mieux
ressortir. Elles sont réparties, par le moyen de cloisons, dans
des cabinets de dimensions réduites, de façon que les
petits tableaux gardent tout leur charme intime.
Le fonds principal de la collection est formé par les orientalistes,
dont l'influence tient une si grande place dans l'histoire de la peinture
française au XIX° siècle et qui, pour la première
fois, peuvent être étudiés dans leur ensemble. Le
conservateur du musée, M. Alazard, a eu l'excellente idée
de faire, pour ainsi dire, de celui-ci un monument à la gloire
des peintres de l'Orient. Il a réuni des chefs-d'uvre de
tous les. artistes qu'a inspirés l'Afrique du Nord et qui, par
leurs idées, nouvelles, ont précipité l'évolution
de la peinture moderne.
C'est ainsi qu'on trouve en premier lieu Eugène Delacroix, qui
a été tellement influencé par son voyage en Afrique
en 1832, qu'il a tiré ses chefs-d'uvre, durant toute sa
vie, de l'emprise de cette atmosphère orientale. A côté
de lui, sont des tableaux maniéristes de Decamps et de Marilhat
qui ont un caractère plus anecdotique que réaliste, puis
toute une série d'artistes médiocres qui, dans leur enthousiasme
pour le romantisme, peignaient des tableaux fantastiques croyant rendre
ainsi l'étrangeté de ces paysages qui les déconcertaient.
Ce sont ensuite Chassériau et Fromentin qui occupent une place
à part parmi les orientalistes. Le premier étudie profondément
les types populaires arabes, et de toutes les toiles et de toutes les
esquisses de ce créole - peut-être à cause de son
origine - se dégage une nostalgie qui leur donne une note tout
à fait personnelle. Mais il était encore entièrement
romantique, au lieu que Fromentin, arrivé à Alger la même
année que lui (1846) fait preuve déjà d'un certain
naturalisme. Il est le premier paysagiste qui ait essayé de peindre
le sol africain tel qu'il est ; tout l'intéressait dans ce monde
nouveau, aussi bien les vastes plaines que l'atmosphère générale,
les costumes typiques et les armes étincelantes. Il connaissait
déjà les uvres de Corot et des peintres de l'école
de Barbizon et supprimait par suite les harmonies de couleurs fortes
que Delacroix avait reprises en digne héritier de Rubens et des
Vénitiens.
Il a été avec Guillaumet la transition entre les peintres
de l'Orient, encore tout imbus de romantisme, et leurs successeurs dont
les uvres nous donnent une idée toute différente
de cette contrée.
Parmi les impressionnistes, il n'y a que Lebourg et Renoir qui se soient
attaqués à l'Orient. Lebourg a peint, de 1872 à
1874, toute une série de beaux paysages où il appliquait
la nouvelle conception artistique à l'atmosphère étrange
et ensoleillée du continent africain.
Les toiles que Renoir a rapportées d'Alger en 1879 nous, montrent
un orientalisme complètement original, débarrassé
de toute tradition. C'est la couleur qui tient la première place
dans les contrastes pittoresques et la richesse inouïe de sa palette
étincelante.
Avec le triomphe du naturalisme, l'Orient avait été rejeté
au second plan. Ce n'est qu'au commencement du XX° siècle
que le voyage en Afrique est redevenue à la mode pour les artistes,
surtout après la fondation de la " Villa Abd-el-Tif ",
sorte de villa Médicis, où les meilleurs d'entre les jeunes
peintres et les jeunes sculpteurs viennent passer deux ans pour se perfectionner
et trouver de nouvelles directives sous un ciel nouveau.
En 1911, le voyage en Afrique d'Henri Matisse, a exercé une grande
influence sur la peinture moderne ; il a eu pour conséquence
un enrichissement et un éclaircissement fondamental de la palette.
Et en 1926, Jean Lurçat, un des artistes de la génération
actuelle qui promet le plus, a trouvé, dans la solitude du désert,
la force de jeter par dessus bord tout ce qui était encore métier
et tradition, pour ouvrir de nouvelles voies à la peinture.
Nulle part, jusqu'ici, on n'a pu étudier les orientalistes dans
leur ensemble comme dans ce musée. Si le choix des toiles, y
est parfois un peu hasardeux, la grande ligne de l'évolution
y est clairement tracée.
A côté des Orientalistes, la direction du Musée
a porté toute son attention sur l'art français au XIX°
siècle. Ce qui constitue, dès maintenant, le fonds du
Musée montre l'universalité de la création artistique
à cette époque.
Georges Michel marque avec ses " bûcherons " le début
de la peinture française moderne. Il réunit, pour la dernière
fois, l'esprit du XVIII° siècle et celui du XIX° ; il
rappelle les grands paysagistes, hollandais et lutte déjà
pour un naturalisme pénétrant, que faisait pressentir
un Constable et les Anglais du Salon de 1824.
Les paysages de Th. Rousseau et de Corot montrent le sentiment de la
nature poussé au plus haut point des peintres de l'école
de Barbizon et le " pont " de Courbet mène directement
au nouveau réalisme du milieu du XIX° siècle. Les
uvres de Lépine, Guys et Fantin-Latour et celles de Monticelli
forment la transition vers l'impressionnisme, qui, lui-même, trouve
des débuts dignes de lui chez ses précurseurs Jongkind
et Boudin.
Suit toute une salle avec des uvres de Monet, Sisley, Berthe Morizot,
Pissarro, Guillaumin, Renoir, qui constituent avec les toiles néo-impressionnistes
d'un Cross et d'un Luce, un véritable ensemble de chef-d'uvre
de l'art français.
Un choix moins complet, mais tout aussi judicieux est fait parmi les
uvres de la peinture contemporaine qui est représentée
par des noms comme Bonnard, Matisse, Vlaminck, Utrillo, Laprade, Waroquier,
Flandrin, Derain, Suzanne Valadon, Céria et Marquet.
Rien que la citation de ces noms suffit pour juger du niveau de ce nouveau
musée. Il est d'autant plus nécessaire de parler en France
de ce Musée que bien peu de gens pourront s'en faire une impression
personnelle. Il faut que personne n'ignore son existence, car on peut
dire qu'il nous offre un véritable chapitre de l'histoire de
l'art moderne et qu'il est à l'avant-garde de la culture artistique
française et européenne. Qu'on nous permette seulement
de regretter que le Gouvernement n'ait pas encore eu l'idée de
faire à Paris, la grande métropole de la vie artistique
mondiale, un musée aussi digne de l'art contemporain, égal
par son architecture et par son aménagement aux célèbres
musées de Boston et de Détroit, qui sont les modèles
dans le genre et de souhaiter qu'il ne soit que la première étape
de la conception nouvelle de la construction et de la disposition des
musées.