L'auteur
Médecin général inspecteur, ancien professeur
titulaire de la chaire d'hygiène du Val-de-Grâce, Paul
Doury s'est orienté vers l'histoire et l'histoire de la médecine,
après avoir, au début de sa carrière, servi au
Hoggar, dans l'extrême Sud saharien, puis au Maroc à
l'hôpital militaire d'instruction Mohammed V des Forces Armées
Royales marocaines et à la faculté de médecine
de Rabat. Président d'honneur de " La Rahla " Amicale
des Sahariens, il est membre correspondant de l'Académie nationale
de médecine et membre titulaire de la Société
française d'histoire de la médecine et de l'Association
des écrivains combattants. |
La création du musée de l'Armée
d'Afrique
En 1928, mon grand-père, le lieutenant-colonel
Paul Doury a l'idée de créer un musée de l'Armée
d'Afrique à Alger.
Saint-cyrien de la promotion Tombouctou (1887-1889), Doury fut un Saharien
de l'époque héroïque. Admis au service des Affaires
Indigènes dès janvier 1895, d'abord en Algérie à
Djelfa, puis El Aricha, au poste des Ouled Djellal dans l'annexe de Biskra,
enfin à la " frontière algéro-marocaine ",
dans ce que l'on appelait, alors, les confins algéro-marocains.
Il est commandant supérieur de Mécheria dans le sud-oranais,
dans le territoire d'Aïn Sefra lorsque la Première Guerre
mondiale éclate en août 1914. C'est là que le général
Lyautey, résident général de France au Maroc depuis
1912, qui le connaissait et l'avait apprécié dès
1903, l'appelle au Maroc pour lui confier le commandement pratiquement
autonome des forces françaises du Haut-Guir et du territoire de
Bou Denib dans le sud marocain.
Après avoir pacifié le Tafilalet en 1917 (Paul
DOURY , Lyautey
et le Tafilalet, thèse
d'histoire (sous la direction du Pr Jacques Frémeaux) Université
Paris IV Sorbonne, juin 2006, 349 pages.) il
quitte l'armée prématurément en 1920, mais lui reste
profondémént attaché et tout spécialement
à l'Armée d'Afrique. C'est ainsi qu'il songe à créer
un musée consacré à cette Armée afin de rassembler
les souvenirs de cette épopée que fut la conquête
de l'Algérie à partir de 1830.
Le 13 avril 1930, le musée qui porte désormais le nom de
" musée Maréchal Franchet d'Esperey " est inauguré
dans la Casbah d'Alger, lors des fêtes du Centenaire de l'Algérie.
C'est grâce aux libéralités du ministre de la Guerre
et de la caisse du commissariat du Centenaire que cette oeuvre a pu voir
le jour. Le lieutenant-colonel Doury créateur et organisateur de
ce musée de l'Armée d'Afrique, en fut le conservateur depuis
sa création jusqu'en 1940; il eut comme successeur le commandant
Martin.
Pendant douze ans, Doury cherche à rassembler un à un tous
les documents, les objets, les uniformes, les souvenirs qu'il peut dénicher,
en utilisant ses relations, ses connaissances, ses amis... C'est ainsi
que le 15 novembre 1930, Doury écrit à son ami Dunoyer de
Segonzac, ancien officier et célèbre explorateur au Maroc:
" Mon cher ami... peut-être avez-vous vu à Paris,
les troupes d'Afrique reconstituées; je puis vous dire que c'est
mon oeuvre; mon excellent ami le colonel François le sait bien,
il aurait voulu que j'aille avec lui à Paris le 14 juillet, mais
j'ai plus de plaisir à rester anonyme, je n'ai aucun goût
pour les ovations. Peut-être lirez- vous sans trop de peine les
quelques copies que je vous envoie, ce sont des exposés qui résument
à peu près tout ce qui fut fait et qui ne contiennent rien
qui ne m'appartienne. C'est maintenant à l'organisation convenable
du musée que je m'applique; je voudrais en faire une belle chose
et je songe que peut-être, vous pourriez nous venir en aide. J'ai
le désir que tout " Africain " de marque, et Dieu sait
s'il y en a, puisse avoir au musée son petit sanctuaire: photos,
bustes, médaillons, armes, bibelots, autographes, gravures, pièces
officielles (pour beaucoup, il est évidemment trop tard: les divers
musées, les salles d'honneur ont accaparé le meilleur),
mais on peut encore glaner, à la condition qu'on sache où
trouver et comment atteindre les derniers représentants de la famille.
Il n'est pas nécessaire non plus d'attendre que les vivants aient
disparu pour songer à leur faire leur place et pour obtenir leur
propre concours. Si vous pensez que des albums de " l'Armée
d'Afrique " ou des copies du travail sur la création du musée
puissent nous valoir quelques sympathies ou quelques marques d'intérêt
autour de vous, je pourrais vous en adresser ou si vous préférez,
vous pourriez me communiquer les adresses... ".
Le 2 janvier 1935, il écrit encore à son ami Segonzac :
" Mon cher Segonzac, savez- vous quelles sont mes préoccupations
depuis quelques années. Je suis plus maître du musée
Franchet d'Esperey que je n'étais maître du Groupe Mobile
de Bou Denib. A vrai dire, je ne sens aucune tutelle, et cela est très
agréable. J'ai demandé à Pierre Lyautey de faire
tout ce qui est en son pouvoir pour que le musée recueille quelques
souvenirs du passage du maréchal Lyautey à Aïn Sefra
et à Oran; il me l'a promis; j'en serai sincèrement content.
Je me préoccupe maintenant autant du présent que du passé.
Le Sahara est devenu de plus en plus une liaison entre notre Afrique du
Nord et nos Afriques Occidentale et Equatoriale: je veux lui faire une
large place: explorations, occupation, projets de transsahariens, Croisière
noire, etc. Alger est destinée à devenir la capitale de
tout cet Empire africain. Je me prépare à faire évoluer
le musée dans ce sens... ".
Le colonel entretient aussi avec le maréchal Franchet d'Esperey
des relations très étroites et très amicales dont
témoigne l'importante correspondance échangée entre
eux, comme la lettre du 17 décembre 1921: " Mon Cher Doury...
je trouve votre aimable lettre du 10 novembre et la jolie collection de
cartes postales... je vous fais expédier: une tunique de lieutenant
du 2e Tirailleurs, le pantalon à plis collants avec, ce qui est
plus rare, la ceinture de soie qui a été supprimée
en 1882 et que nous, officiers de tirailleurs, portions en remplacement
du hausse-col comme insigne de service: ces trois objets font un tout:
je regrette de ne pas avoir trouvé un képy (sic) du temps
de la visière carrée. Bonne chance au musée et à
son conservateur. Esperey ".
Le 27 mars 1927, il écrit de Colomb-Béchar : "
Mon cher colonel, j'espère que quand je repasserai à Alger
vous voudrez bien venir déjeuner avec moi. Je suis si pris que
c'est le seul moment où je puisse causer avec les gens intéressants
et vous êtes du nombre. J'ai lu avec intérêt vos articles
parus dans L'Armée d'Afrique. La question du Tafilalet est à
l'ordre du jour car on ne pourra laisser indéfiniment exister ce
levain d'insoumission : vous êtes un des hommes connaissant le mieux
la question et je serai heureux d'en causer avec vous. A bientôt
donc et croyez en attendant à mes meilleurs sentiments. F. d'Esperey
".
Louis
Félix Marie François Franchet d'Esperey.
Portrait de Louis Franchet
d'Esperey.
Source : L'Illustration - l'album de la guerre 1914-1919
|
Fils d'un officier de cavalerie
des chasseurs d'Afrique, Louis, Félix, Marie, François
Franchet d'Esperey est né à Mostaganem le 25 mai 1856.
Sorti de Saint Cyr en 1876,
il sert en Afrique du Nord dans le premier régiment de tirailleurs
algériens.
Il est admis à suivre
les cours de l'École supérieure de guerre en 1881,
mais il n'y entrera qu'avec la promotion suivante, afin de participer
à l'expédition de Tunisie contre les Kroumirs.
À sa sortie de l'école,
il rejoint le Tonkin pour deux ans et participe aux combats de Lang-Son
et de Lao-Qay.
À son retour en France,
en 1886, il est à l'état-major de l'armée puis
au Cabinet de Freycinet, ministre de la guerre, avant de commander
un bataillon à Toul puis le 18e bataillon de chasseurs à
pied de Nancy. En 1900, commandant de la zone française de
Pékin, il participe à l'expédition de Chine
contre les Boxers.
Revenu en France, il commande
successivement le 69e régiment d'infanterie à Nancy
puis la 77e brigade d'infanterie à Toul. Promu colonel en
1903, il commande le 60e régiment d'infanterie à Besançon.
En 1912, le général de division Franchet d'Esperey
sert près de Lyautey, comme commandant des troupes d'occupation
du Maroc occidental et participe à diverses opérations
de pacification dans les secteurs de Tadla, de la Chaouïa,
du Grand Atlas.
À la déclaration
de guerre, il commande le 1er corps d'armée à Lille.
Durant la bataille des frontières, il est à Charleroi,
en Belgique, puis mène, à Guise, sur l'Oise, une contre-attaque
victorieuse contre les troupes allemandes. Le 3 septembre, Joffre
lui confie la 5e armée qui constitue un élément
déterminant dans la victoire de la Marne. Il commande les
groupes d'armées de l'Est en 1916, puis du Nord en 1917.
En juin 1918, il remplace le général Guillaumat à
la tête des armées alliées d'Orient qu'il mène
à la victoire finale. Son offensive victorieuse de la Moglena,
dans les Balkans, marquée par la prise de Dobro Polje, contraint
les Bulgares à signer l'armistice en septembre 1918. C'est
ensuite, en quelques semaines, l'effondrement de la Turquie et de
l'Autriche-Hongrie puis la demande d'armistice allemande.
A l'issue du conflit, commandant les troupes d'occupation à
Constantinople jusqu'en 1920, il dirige les opérations d'Ukraine,
de Bessarabie.
En 1921, le général
Franchet d'Esperey est élevé à la dignité
de maréchal de France.
Devenu inspecteur général
des troupes d'Afrique du Nord, il consacre son temps et son talent
à l'Armée d'Afrique. Il entreprend également
la réalisation des voies transsahariennes et est gravement
blessé à Gabès, le 19 mars 1933, dans un accident
d'automobile alors qu'il allait étudier une liaison Tunisie-Maroc
par le Sud. Durant cette période, représentant de
la France lors de cérémonies officielles ou chargé
de missions en Europe centrale et en Afrique, il entame la rédaction
de ses Mémoires et publie diverses études.
Élu à l'académie
française en 1934, il fonde "les Amitiés africaines",
uvre sociale à l'origine des "Dar el Askri"
(maisons du combattant) qui regroupe les anciens combattants musulmans
et leur vient en aide.
En 1940, il se retire dans le
Tarn, à Saint-Amancet, où il décède
le 8 juillet 1942. Il est inhumé le 24 octobre 1947 dans
la crypte de l'église Saint-Louis-des-Invalides, à
Paris.
Il était Grand-Croix
de la Légion d'honneur et titulaire de la Médaille
militaire et de la Croix de guerre 1914-1918.
Source : MINDEF/SGA/DMPA
http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/
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Dans une autre lettre du 25 janvier 1929, il écrit
notamment: " Très bien le coup de pioche donné à
cette légende qui favorise la paresse, du " Maroc utile "
! "... (Ici, le maréchal Franchet
d'Esperey fait allusion à la conception du " Maroc utile "
si chère à Lyautey et qui a contribué à la
calamiteuse évacuation du Tafilalet en 1918.) Le 10
février 1934, Franchet d'Esperey écrit à Doury:
" Mon cher Doury. Voici Canrobert au musée: avez-vous des
souvenirs de Mac-Mahon, de Clauzel, de Chanzy, de Trézel ; je connais
leurs descendants et si rien d'eux ou peu de choses sont au musée,
dites-le moi, je leur demanderai un souvenir. Ma cousine de Navacelle
est la fille du maréchal Canrobert... Avez-vous quelque chose de
Pélissier. Vous savez que sa fille habite Mostaganem. Vous pourriez
lui écrire en lui donnant son titre de duchesse de Malakoff. Meilleurs
souvenirs. Esperey ".
Le 12 août 1934, le maréchal écrit encore à
Doury : " Mon cher colonel, j'admire votre activité. Ce
que vous avez fait pour les aquarelles est typique. Qu'avez-vous sur les
princes d'Orléans? Les ducs d'Orléans, de Nemours, d'Aumale,
de Montpensier ont contribué plus ou moins à la conquête.
Le duc de Chartres, chef d'escadron au 3e Chasseurs d'Afrique a contribué
à l'occupation d'El Goléa. Je pourrais si vous le croyez
opportun faire tâter les descendants par le général
Gondrecourt qui a été d'abord sous mes ordres, puis précepteur
du Comte de Paris: nous obtiendrons peut-être quelques pièces:
quand je verrai Pétain, je lui demanderai si Chantilly dont il
est l'un des conservateurs ne pourrait pas vous céder quelque chose...
croyez, mon cher colonel à mes meilleurs sentiments. F. Esperey
".
Beaucoup d'autres personnalités ont prêté leur concours,
souvent enthousiaste, à la création de ce musée,
tel que le colonel, puis général François, qui écrit
à Doury le 13 septembre 1931 (François
est alors colonel-adjoint de la région de Marrakech.):
" Mon cher Doury, Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez
de nos affaires du Musée. Je vois qu'elles sont en bon chemin.
Je vous assure que c'est pour moi un cuisant regret auquel je ne trouve
aucune compensation que d'être si loin de vous et du Musée.
Mais je suis cependant toujours avec vous par la pensée... Je me
suis déjà occupé des canons. Je pense que je trouverai
tout ce qu'il faudra; il y en a même ici; mais l'affaire ne sera
réglée que lorsque j'aurai pu me rendre à Mogador
(Actuellement Essaouira.). . Catroux
est en toutes choses un camarade et un ami parfait, il vous envoie son
bon souvenir... Affectueusement toujours: François ".
Le 12 janvier 1932, de Zagora, François écrit à Doury
: " En passant à Mogador, j'ai amorcé la question
des canons. Il y en a 28, magnifiques. Je crois que nous pourrions en
avoir 6; ce sera lourd à transporter! ". Le 22 janvier
1932, François écrit à Doury: " Mon cher
ami, je viens de rentrer de Marrakech... et j'y trouve des documents qu'il
est urgent de vous envoyer: 1) Envoi du colonel Besnard des troupes coloniales...
papiers relatifs au renvoi à Alger de ce que nous avions prêté
à l'Exposition coloniale... j'espère que tout va bien à
notre Musée et que votre santé est bonne. Bien affectueusement
à vous. François ".
Le général de Loustal qui commande le territoire autonome
du Tadla, écrit à Doury le 22 septembre 1931: "
Mon cher ami, vous n'avez pas à m'appeler mon général.
Je suis toujours le lieutenant du capitaine Doury de la compagnie saharienne
de Béchar et j'ai été bien content de voir qu'il
ne m'avait pas oublié... aussitôt que je pourrai souffler
à mon retour à Tadla, je vous enverrai tous les documents
et cartes qui pourront vous servir à faire le point actuel et avec
plaisir, car dans le sud on marche encore sur vos traces. Il est bien
dommage que vous ayez quitté l'armée prématurément.
Le patron ( Le maréchal Lyautey.
des unités qui avaient formé, depuis 1830, cette Armée
d'Afrique.) a été trompé par votre entourage
qui vous jalousait et ne vous aimait pas. Dans l'armée, il y a
toute une clique " d'avancitards " qui ne pensent qu'à
débiner les camarades et qui racontent des bobards. Vous en avez
été victime comme je le suis moi- même. Vous connaissez
l'histoire de l'anglais qui venait tous les jours à la ménagerie
pour voir manger le dompteur. Vous recevrez mon paquet dans un mois environ.
Bien affectueusement: Loustal ".
Ainsi, avec le concours de nombre de personnalités, le colonel
Doury qui avait une vaste culture et la passion d'un véritable
collectionneur méticuleux, a rassemblé progressivement un
à un, un nombre impressionnant d'objets, d'uniformes, d'armes de
tous types et de toutes les époques, notamment deux vieux canons
authentiques, le " Bautzen " et le " Louvois "; les
bureaux de Bugeaud et de Mac-Mahon; des aquarelles de Gobaut; les maquettes
de tous les monuments élevés par la Légion dans les
Territoires du Sud (entre autres celui du général Clavery,
victime du guet-apens d'Arlal, dans le sud-oranais en 1928); le fanion
que le général Laperrine devait apporter à l'Aménokal
du Hoggar, Moussag Amastane, et qu'on a retrouvé dans son avion
qui s'est écrasé au sol dans le sud du Hoggar, en 1920;
les peintures, les souvenirs divers provenant des unités qui avaient
formé, depuis 1830, cette Armée d'Afrique.
Parmi ces objets, il faut faire une place particulière à
la magnifique reconstitution des uniformes du corps de débarquement,
et aussi à la hampe du fanion d'Abd el-Kader, la casquette du "
père Bugeaud ", son képi de maréchal à
douze galons, la croix du fameux capitaine du génie Boutin, celle
de Beunon, l'illustre soldat qui a planté, le premier, le drapeau
de la France à Sidi Ferruch; l'uniforme de Franchet d'Esperey quand
il était lieutenant de Tirailleurs à Blida... des autographes
de Bugeaud, la timbale de campagne du duc d'Aumale...
Ce musée avait d'abord été installé dans la
vieille Casbah d'Alger, avec deux larges pièces, la première
(l'ancienne poudrière), consacrée aux chefs indigènes,
à l'Armée d'Afrique et à la colonisation, la seconde
(qui a pris la place d'une ancienne mosquée), dévolue à
tous les souvenirs du corps de débarquement de 1830...
En avril 1946, le " musée Maréchal Franchet d'Esperey
", de l'ancienne poudrière, est transféré dans
le palais du Dey; les collections sont réparties dans le patio
et le premier étage. Le patio comprend les salles des Tirailleurs
algériens, des Zouaves, de la Légion étrangère,
des Chasseurs d'Afrique, de l'artillerie. Le premier étage comporte
les salles de l'Armée d'Afrique, de l'aviation, des Territoires
du Sud, du Service de Santé, de la Marine, des Spahis et des chefs
indigènes. La rotonde abrite les tableaux représentant les
anciennes villes d'Algérie, des stands de la colonisation et celui
réservé au sergent Blandan. Enfin, dans l'ancienne mosquée,
figurent les collections du corps de débarquement de 1830, les
reliques du maréchal Bugeaud et les maquettes d'Alger, du Fort
l'Empereur et de la Casbah de 1830.
J'ai eu le bonheur de visiter ce musée, pour la première
fois en 1951. Quelle n'a pas été ma surprise, à mon
arrivée de découvrir une vitrine consacrée au créateur
de ce musée, le colonel Doury, avec l'inscription suivante : "
Un héros saharien: le lieutenant-colonel Doury ". Cette
vitrine contenait quelques objets, documents et souvenirs du colonel Doury,
notamment son sabre, ses épaulettes de commandant, une série
de photographies, dont une le représentant à cheval aux
côtés des généraux Lyautey et Poeymirau, prise
lors de la fameuse jonction sur la Moulouya le 12 octobre 1917 entre les
troupes du Maroc occidental (le Groupe Mobile de Meknès de Poeymirau)
et celles du sud du Maroc oriental (le Groupe Mobile de Bou Denib de Doury),
après avoir coupé en deux le bloc berbère à
travers l'Atlas. Ce musée était, jusqu'en 1962, un véritable
reliquaire dont le trésor s'accroissait chaque jour par des dons
gracieux ou par des achats du meilleur goût ( Fonds
Archives Doury.).
La fin du musée
Maréchal Franchet d'Esperey
En 1962, au moment de l'indépendance de l'Algérie,
je me suis inquiété de savoir ce qu'il advenait de ce musée
auquel m'attachaient des liens affectifs si particulièrement forts.
C'est ainsi que je fus servi par le hasard. Un historien militaire, le
général Regnault était alors hospitalisé au
Val de Grâce dans le service de médecine interne où
j'étais médecin capitaine, assistant du chef de service.
Lorsque l'état du malade fut meilleur et qu'il était hors
de danger, apprenant qu'il était historien militaire, je pensai
qu'il devait être intéressé par le devenir de ce musée
de l'Armée d'Afrique. Je lui demande donc ce que ce musée
est devenu après l'indépendance qui vient d'être accordée
à l'Algérie, et ce que sont devenus, notamment les objets
et souvenirs de mon grand-père. Le 6 août 1962, il m'écrit
de Saint-Malo où il était parti en convalescence : "
Mon cher Docteur, mais assez parlé de moi. C'est seulement à
l'instant que me parvient une lettre de M. Brunon ( Jean
Brunon était conservateur du musée de l'Empéri (annexe
du musée de l'Armée aux Invalides). 8 - Le général
Henry Blanc était alors directeur du musée de l'Armée
des Invalides.)Voici ce qu'il m'écrit sur le Musée
Franchet d'Esperey. Il n'a pu obtenir du général Blanc (Le
général Henry Blanc était alors directeur du musée
de l'Armée des Invalides.) jusqu'ici, l'inventaire des neuf
caisses arrivées. Un général a dit en juillet que
le buste de Bugeaud et quinze drapeaux étaient dedans. L'officier
en charge de l'évacuation, a reçu au début du mois
dernier l'ordre d'évacuer tout ce qui restait dans le Musée,
avant le 13 juillet, le quartier d'Orléans devant être livré
à l'ALN ( ALN: Armée de Libération
Nationale du FLN.) à cette date. D'où déménagement
hâtif sur Maison
Carrée, impossible de tout emporter, d'où destruction,
brûlement et immersion. Cet officier assure qu'il a fait un triage
sérieux et entendu et qu'il n'a rien détruit d'important.
Sa bonne volonté était, me dit-on, aussi grande que son
incompétence. Tout est donc à craindre. Si les décorations
et souvenirs de votre père (Il s'agit
en fait de mon grand-père) étaient rassemblés
à part, ce que je pense, cela a dû le frapper et il a dû
les prendre. Mais que sera-t-il advenu des papiers d'archives; historiquement
les plus précieux. Un nouveau désastre parmi tant d'autres.
Brunon a recueilli un tract fellagha rempli d'injures contre la France
et nous promettant de revenir à Poitiers et d'y être vainqueurs
cette fois ! Si l'on a sauvé la statue du duc d'Orléans
et de Bugeaud, voici celle de Jeanne d'Arc renversée et décapitée...
Mais le bourgeois Figaro ne le mentionne pas ! Les Français, d'ailleurs
s'en fichent et la télévision leur suffit. Il me faut quitter
ce sujet; je risque de piquer des crises cardiaques si je discute de ce
sujet. Cela m'est arrivé depuis ma sortie du Val ( Val
: pour " l'hôpital d'instruction des Armées du Val de
Grâce "), en constatant l'ignorance de mon interlocuteur
qui estime que les accords d'Evian nous ont donné toutes les garanties
voulues ! De dégoût pour l'Histoire contemporaine, je me
suis rejeté sur l'Histoire ancienne... Je vous exprime mon cher
Docteur, mes sentiments reconnaissants et amicaux: Jean Regnault ".
Le 9 octobre 1962, le général Henry Blanc m'écrit
la lettre suivante : " Mon cher capitaine, parmi les objets que
nous venons de recevoir du musée Maréchal Franchet d'Esperey,
il y a un sabre ayant appartenu au colonel Doury, votre grand-père.
Il est dans le bureau de Mlle Vaginay qui se fera un plaisir de vous le
montrer. Je serai très heureux, à cette occasion, de vous
faire visiter quelques-unes de nos salles et de vous montrer ce musée
qui est un des plus beaux des musées militaires du monde. Je vous
assure, mon cher capitaine, de mes sentiments les meilleurs et très
fidèles: général Henry Blanc, directeur du musée
".
De 1969 à 1987, un certain nombre d'objets, de tableaux, ayant
appartenu au musée Franchet d'Esperey d'Alger ont été
confiés, en dépôt au Musée saharien installé
à l'abbaye de Sénanque, dans le Vaucluse que ses moines
cisterciens avaient dû quitter. Mais, en 1987, les moines ont voulu
réintégrer leur magnifique abbaye remarquablement restaurée
grâce à la générosité de Paul Berliet.
En 1987, le musée saharien a dû être évacué,
notamment la salle saharienne de " La Rahla, Amicale des Sahariens
" qui contenait des objets et tableaux provenant du musée
Maréchal Franchet d'Esperey d'Alger et confiés par le musée
de l'Armée des Invalides. Ces objets furent entreposés,
avec ceux appartenant à " La Rahla, Amicale des Sahariens
", grâce à la générosité de Raoul
Brunon, au château de l'Empéri à Salon-de-Provence
où les collections du fameux musée d'art et d'histoire militaire
" Raoul et Jean Brunon ", le plus grand musée privé
de France étaient exposées depuis 1967 ( Les
magnifiques " Collections Raoul et Jean Brunon " exposées
à Marseille de 1900 à 1967, ont été acquises,
avec l'aide de l'Etat en 1967, par le musée de l'Armée aux
Invalides, et la ville de Salon-de- Provence, grâce à son
sénateur-maire, qui s'engagea à les prendre en charge, et
à créer un musée dans le château forteresse
de l'Empéri qui domine la cité.).
En 1999, les collections de " La Rahla-Amicale des Sahariens "
ont pu être de nouveau exposées dans une salle de 150 m2,
au musée de l'Infanterie de Montpellier.
Depuis leur rapatriement, les collections du musée Maréchal
Franchet d'Esperey d'Alger ont ainsi été ventilées,
dans les établissements suivants: musée de l'Armée,
musée de la Marine, musée de l'Air, École Polytechnique,
École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, École
de l'arme blindée cavalerie de Saumur, École du matériel
de Fontainebleau, École de l'artillerie de Châlons-sur-Marne,
École des sous-officiers de Saint-Maixent, École du train
de Tours, École du génie d'Angers, École de gendarmerie
de Melun, École du service de santé du Val-de-Grâce,
École de l'infanterie de Montpellier, École des transmissions
de Montargis, Service historique de la Défense à Vincennes,
Association " La Rahla, Amicale des Sahariens ", Légion
étrangère à Aubagne (Nous
devons ces renseignements sur la destination finale des collections du
musée Franchet d'Esperey d'Alger, grâce à l'amabilité
de M" Chard Hutchinson, du musée de l'Armée aux Invalides,
à qui nous exprimons notre très vive reconnaissance pour
le chaleureux accueil qu'elle nous a réservé.)
Ainsi finit l'histoire glorieuse, puis tragique de ce " musée
Maréchal Franchet d'Esperey " de l'Armée d'Afrique,
dont les restes sont entreposés dans les réserves du musée
de l'Armée aux Invalides et dans de multiples institutions et organismes,
en attendant qu'un jour, peut-être, lorsque la France aura fini
d'avoir honte de son passé et notamment d'un épisode pourtant
parmi les plus glorieux de son histoire et de passer son temps à
demander pardon pour une oeuvre humaine dont certains voudraient nous
faire croire qu'elle a été entièrement négative,
ce musée renaisse comme " Phoenix " de ses cendres et
que ses collections soient de nouveau visibles pour un public qui redécouvrira
cette part glorieuse de l'histoire de France injustement décriée
et oubliée. Rappelons ce que déclarait le maréchal
Lyautey aux Journées médicales de Bruxelles en 1926: "
Si l'expansion coloniale n'est ni sans reproches ni sans tares, c'est
l'action du médecin comprise comme une mission et un apostolat
qui l'ennoblie et la justifie ". Or cette action du médecin
ne peut être efficace que si le " territoire " en cause
a d'abord été pacifié et organisé par l'action
politique, économique et éventuellement militaire si nécessaire.
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