le musée maréchal Franchet d'Espérey
Le Musée Maréchal Franchet d'Esperey
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La création du musée de l'Armée d'Afrique
- La fin du musée Maréchal Franchet d'Esperey
par Paul Doury
extraits du numéro 126, juin 2009, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 24-8-2009

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L'auteur
Médecin général inspecteur, ancien professeur titulaire de la chaire d'hygiène du Val-de-Grâce, Paul Doury s'est orienté vers l'histoire et l'histoire de la médecine, après avoir, au début de sa carrière, servi au Hoggar, dans l'extrême Sud saharien, puis au Maroc à l'hôpital militaire d'instruction Mohammed V des Forces Armées Royales marocaines et à la faculté de médecine de Rabat. Président d'honneur de " La Rahla " Amicale des Sahariens, il est membre correspondant de l'Académie nationale de médecine et membre titulaire de la Société française d'histoire de la médecine et de l'Association des écrivains combattants.


La création du musée de l'Armée d'Afrique

En 1928, mon grand-père, le lieutenant-colonel Paul Doury a l'idée de créer un musée de l'Armée d'Afrique à Alger.

Saint-cyrien de la promotion Tombouctou (1887-1889), Doury fut un Saharien de l'époque héroïque. Admis au service des Affaires Indigènes dès janvier 1895, d'abord en Algérie à Djelfa, puis El Aricha, au poste des Ouled Djellal dans l'annexe de Biskra, enfin à la " frontière algéro-marocaine ", dans ce que l'on appelait, alors, les confins algéro-marocains. Il est commandant supérieur de Mécheria dans le sud-oranais, dans le territoire d'Aïn Sefra lorsque la Première Guerre mondiale éclate en août 1914. C'est là que le général Lyautey, résident général de France au Maroc depuis 1912, qui le connaissait et l'avait apprécié dès 1903, l'appelle au Maroc pour lui confier le commandement pratiquement autonome des forces françaises du Haut-Guir et du territoire de Bou Denib dans le sud marocain.

Après avoir pacifié le Tafilalet en 1917 (Paul DOURY , Lyautey et le Tafilalet, thèse d'histoire (sous la direction du Pr Jacques Frémeaux) Université Paris IV Sorbonne, juin 2006, 349 pages.) il
quitte l'armée prématurément en 1920, mais lui reste profondémént attaché et tout spécialement à l'Armée d'Afrique. C'est ainsi qu'il songe à créer un musée consacré à cette Armée afin de rassembler les souvenirs de cette épopée que fut la conquête de l'Algérie à partir de 1830.

Le 13 avril 1930, le musée qui porte désormais le nom de " musée Maréchal Franchet d'Esperey " est inauguré dans la Casbah d'Alger, lors des fêtes du Centenaire de l'Algérie. C'est grâce aux libéralités du ministre de la Guerre et de la caisse du commissariat du Centenaire que cette oeuvre a pu voir le jour. Le lieutenant-colonel Doury créateur et organisateur de ce musée de l'Armée d'Afrique, en fut le conservateur depuis sa création jusqu'en 1940; il eut comme successeur le commandant Martin.

Pendant douze ans, Doury cherche à rassembler un à un tous les documents, les objets, les uniformes, les souvenirs qu'il peut dénicher, en utilisant ses relations, ses connaissances, ses amis... C'est ainsi que le 15 novembre 1930, Doury écrit à son ami Dunoyer de Segonzac, ancien officier et célèbre explorateur au Maroc: " Mon cher ami... peut-être avez-vous vu à Paris, les troupes d'Afrique reconstituées; je puis vous dire que c'est mon oeuvre; mon excellent ami le colonel François le sait bien, il aurait voulu que j'aille avec lui à Paris le 14 juillet, mais j'ai plus de plaisir à rester anonyme, je n'ai aucun goût pour les ovations. Peut-être lirez- vous sans trop de peine les quelques copies que je vous envoie, ce sont des exposés qui résument à peu près tout ce qui fut fait et qui ne contiennent rien qui ne m'appartienne. C'est maintenant à l'organisation convenable du musée que je m'applique; je voudrais en faire une belle chose et je songe que peut-être, vous pourriez nous venir en aide. J'ai le désir que tout " Africain " de marque, et Dieu sait s'il y en a, puisse avoir au musée son petit sanctuaire: photos, bustes, médaillons, armes, bibelots, autographes, gravures, pièces officielles (pour beaucoup, il est évidemment trop tard: les divers musées, les salles d'honneur ont accaparé le meilleur), mais on peut encore glaner, à la condition qu'on sache où trouver et comment atteindre les derniers représentants de la famille. Il n'est pas nécessaire non plus d'attendre que les vivants aient disparu pour songer à leur faire leur place et pour obtenir leur propre concours. Si vous pensez que des albums de " l'Armée d'Afrique " ou des copies du travail sur la création du musée puissent nous valoir quelques sympathies ou quelques marques d'intérêt autour de vous, je pourrais vous en adresser ou si vous préférez, vous pourriez me communiquer les adresses... ".

Le 2 janvier 1935, il écrit encore à son ami Segonzac : " Mon cher Segonzac, savez- vous quelles sont mes préoccupations depuis quelques années. Je suis plus maître du musée Franchet d'Esperey que je n'étais maître du Groupe Mobile de Bou Denib. A vrai dire, je ne sens aucune tutelle, et cela est très agréable. J'ai demandé à Pierre Lyautey de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que le musée recueille quelques souvenirs du passage du maréchal Lyautey à Aïn Sefra et à Oran; il me l'a promis; j'en serai sincèrement content. Je me préoccupe maintenant autant du présent que du passé. Le Sahara est devenu de plus en plus une liaison entre notre Afrique du Nord et nos Afriques Occidentale et Equatoriale: je veux lui faire une large place: explorations, occupation, projets de transsahariens, Croisière noire, etc. Alger est destinée à devenir la capitale de tout cet Empire africain. Je me prépare à faire évoluer le musée dans ce sens... ".

Le colonel entretient aussi avec le maréchal Franchet d'Esperey des relations très étroites et très amicales dont témoigne l'importante correspondance échangée entre eux, comme la lettre du 17 décembre 1921: " Mon Cher Doury... je trouve votre aimable lettre du 10 novembre et la jolie collection de cartes postales... je vous fais expédier: une tunique de lieutenant du 2e Tirailleurs, le pantalon à plis collants avec, ce qui est plus rare, la ceinture de soie qui a été supprimée en 1882 et que nous, officiers de tirailleurs, portions en remplacement du hausse-col comme insigne de service: ces trois objets font un tout: je regrette de ne pas avoir trouvé un képy (sic) du temps de la visière carrée. Bonne chance au musée et à son conservateur. Esperey ".

Le 27 mars 1927, il écrit de Colomb-Béchar : " Mon cher colonel, j'espère que quand je repasserai à Alger vous voudrez bien venir déjeuner avec moi. Je suis si pris que c'est le seul moment où je puisse causer avec les gens intéressants et vous êtes du nombre. J'ai lu avec intérêt vos articles parus dans L'Armée d'Afrique. La question du Tafilalet est à l'ordre du jour car on ne pourra laisser indéfiniment exister ce levain d'insoumission : vous êtes un des hommes connaissant le mieux la question et je serai heureux d'en causer avec vous. A bientôt donc et croyez en attendant à mes meilleurs sentiments. F. d'Esperey ".

Louis Félix Marie François Franchet d'Esperey.

Louis Félix Marie François Franchet d'Esperey.

Portrait de Louis Franchet d'Esperey.
Source : L'Illustration - l'album de la guerre 1914-1919

Fils d'un officier de cavalerie des chasseurs d'Afrique, Louis, Félix, Marie, François Franchet d'Esperey est né à Mostaganem le 25 mai 1856.

Sorti de Saint Cyr en 1876, il sert en Afrique du Nord dans le premier régiment de tirailleurs algériens.

Il est admis à suivre les cours de l'École supérieure de guerre en 1881, mais il n'y entrera qu'avec la promotion suivante, afin de participer à l'expédition de Tunisie contre les Kroumirs.

À sa sortie de l'école, il rejoint le Tonkin pour deux ans et participe aux combats de Lang-Son et de Lao-Qay.

À son retour en France, en 1886, il est à l'état-major de l'armée puis au Cabinet de Freycinet, ministre de la guerre, avant de commander un bataillon à Toul puis le 18e bataillon de chasseurs à pied de Nancy. En 1900, commandant de la zone française de Pékin, il participe à l'expédition de Chine contre les Boxers.

Revenu en France, il commande successivement le 69e régiment d'infanterie à Nancy puis la 77e brigade d'infanterie à Toul. Promu colonel en 1903, il commande le 60e régiment d'infanterie à Besançon.

En 1912, le général de division Franchet d'Esperey sert près de Lyautey, comme commandant des troupes d'occupation du Maroc occidental et participe à diverses opérations de pacification dans les secteurs de Tadla, de la Chaouïa, du Grand Atlas.

À la déclaration de guerre, il commande le 1er corps d'armée à Lille. Durant la bataille des frontières, il est à Charleroi, en Belgique, puis mène, à Guise, sur l'Oise, une contre-attaque victorieuse contre les troupes allemandes. Le 3 septembre, Joffre lui confie la 5e armée qui constitue un élément déterminant dans la victoire de la Marne. Il commande les groupes d'armées de l'Est en 1916, puis du Nord en 1917. En juin 1918, il remplace le général Guillaumat à la tête des armées alliées d'Orient qu'il mène à la victoire finale. Son offensive victorieuse de la Moglena, dans les Balkans, marquée par la prise de Dobro Polje, contraint les Bulgares à signer l'armistice en septembre 1918. C'est ensuite, en quelques semaines, l'effondrement de la Turquie et de l'Autriche-Hongrie puis la demande d'armistice allemande.

A l'issue du conflit, commandant les troupes d'occupation à Constantinople jusqu'en 1920, il dirige les opérations d'Ukraine, de Bessarabie.

En 1921, le général Franchet d'Esperey est élevé à la dignité de maréchal de France.

Devenu inspecteur général des troupes d'Afrique du Nord, il consacre son temps et son talent à l'Armée d'Afrique. Il entreprend également la réalisation des voies transsahariennes et est gravement blessé à Gabès, le 19 mars 1933, dans un accident d'automobile alors qu'il allait étudier une liaison Tunisie-Maroc par le Sud. Durant cette période, représentant de la France lors de cérémonies officielles ou chargé de missions en Europe centrale et en Afrique, il entame la rédaction de ses Mémoires et publie diverses études.

Élu à l'académie française en 1934, il fonde "les Amitiés africaines", œuvre sociale à l'origine des "Dar el Askri" (maisons du combattant) qui regroupe les anciens combattants musulmans et leur vient en aide.

En 1940, il se retire dans le Tarn, à Saint-Amancet, où il décède le 8 juillet 1942. Il est inhumé le 24 octobre 1947 dans la crypte de l'église Saint-Louis-des-Invalides, à Paris.

Il était Grand-Croix de la Légion d'honneur et titulaire de la Médaille militaire et de la Croix de guerre 1914-1918.

Source : MINDEF/SGA/DMPA

http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/

Dans une autre lettre du 25 janvier 1929, il écrit notamment: " Très bien le coup de pioche donné à cette légende qui favorise la paresse, du " Maroc utile " ! "... (Ici, le maréchal Franchet d'Esperey fait allusion à la conception du " Maroc utile " si chère à Lyautey et qui a contribué à la calamiteuse évacuation du Tafilalet en 1918.) Le 10 février 1934, Franchet d'Esperey écrit à Doury: " Mon cher Doury. Voici Canrobert au musée: avez-vous des souvenirs de Mac-Mahon, de Clauzel, de Chanzy, de Trézel ; je connais leurs descendants et si rien d'eux ou peu de choses sont au musée, dites-le moi, je leur demanderai un souvenir. Ma cousine de Navacelle est la fille du maréchal Canrobert... Avez-vous quelque chose de Pélissier. Vous savez que sa fille habite Mostaganem. Vous pourriez lui écrire en lui donnant son titre de duchesse de Malakoff. Meilleurs souvenirs. Esperey ".

Le 12 août 1934, le maréchal écrit encore à Doury : " Mon cher colonel, j'admire votre activité. Ce que vous avez fait pour les aquarelles est typique. Qu'avez-vous sur les princes d'Orléans? Les ducs d'Orléans, de Nemours, d'Aumale, de Montpensier ont contribué plus ou moins à la conquête. Le duc de Chartres, chef d'escadron au 3e Chasseurs d'Afrique a contribué à l'occupation d'El Goléa. Je pourrais si vous le croyez opportun faire tâter les descendants par le général Gondrecourt qui a été d'abord sous mes ordres, puis précepteur du Comte de Paris: nous obtiendrons peut-être quelques pièces: quand je verrai Pétain, je lui demanderai si Chantilly dont il est l'un des conservateurs ne pourrait pas vous céder quelque chose... croyez, mon cher colonel à mes meilleurs sentiments. F. Esperey ".

Beaucoup d'autres personnalités ont prêté leur concours, souvent enthousiaste, à la création de ce musée, tel que le colonel, puis général François, qui écrit à Doury le 13 septembre 1931 (François est alors colonel-adjoint de la région de Marrakech.): " Mon cher Doury, Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez de nos affaires du Musée. Je vois qu'elles sont en bon chemin. Je vous assure que c'est pour moi un cuisant regret auquel je ne trouve aucune compensation que d'être si loin de vous et du Musée. Mais je suis cependant toujours avec vous par la pensée... Je me suis déjà occupé des canons. Je pense que je trouverai tout ce qu'il faudra; il y en a même ici; mais l'affaire ne sera réglée que lorsque j'aurai pu me rendre à Mogador (Actuellement Essaouira.). . Catroux est en toutes choses un camarade et un ami parfait, il vous envoie son bon souvenir... Affectueusement toujours: François ".

Le 12 janvier 1932, de Zagora, François écrit à Doury : " En passant à Mogador, j'ai amorcé la question des canons. Il y en a 28, magnifiques. Je crois que nous pourrions en avoir 6; ce sera lourd à transporter! ". Le 22 janvier 1932, François écrit à Doury: " Mon cher ami, je viens de rentrer de Marrakech... et j'y trouve des documents qu'il est urgent de vous envoyer: 1) Envoi du colonel Besnard des troupes coloniales... papiers relatifs au renvoi à Alger de ce que nous avions prêté à l'Exposition coloniale... j'espère que tout va bien à notre Musée et que votre santé est bonne. Bien affectueusement à vous. François ".

Le général de Loustal qui commande le territoire autonome du Tadla, écrit à Doury le 22 septembre 1931: " Mon cher ami, vous n'avez pas à m'appeler mon général. Je suis toujours le lieutenant du capitaine Doury de la compagnie saharienne de Béchar et j'ai été bien content de voir qu'il ne m'avait pas oublié... aussitôt que je pourrai souffler à mon retour à Tadla, je vous enverrai tous les documents et cartes qui pourront vous servir à faire le point actuel et avec plaisir, car dans le sud on marche encore sur vos traces. Il est bien dommage que vous ayez quitté l'armée prématurément. Le patron ( Le maréchal Lyautey. des unités qui avaient formé, depuis 1830, cette Armée d'Afrique.) a été trompé par votre entourage qui vous jalousait et ne vous aimait pas. Dans l'armée, il y a toute une clique " d'avancitards " qui ne pensent qu'à débiner les camarades et qui racontent des bobards. Vous en avez été victime comme je le suis moi- même. Vous connaissez l'histoire de l'anglais qui venait tous les jours à la ménagerie pour voir manger le dompteur. Vous recevrez mon paquet dans un mois environ. Bien affectueusement: Loustal ".

Ainsi, avec le concours de nombre de personnalités, le colonel Doury qui avait une vaste culture et la passion d'un véritable collectionneur méticuleux, a rassemblé progressivement un à un, un nombre impressionnant d'objets, d'uniformes, d'armes de tous types et de toutes les époques, notamment deux vieux canons authentiques, le " Bautzen " et le " Louvois "; les bureaux de Bugeaud et de Mac-Mahon; des aquarelles de Gobaut; les maquettes de tous les monuments élevés par la Légion dans les Territoires du Sud (entre autres celui du général Clavery, victime du guet-apens d'Arlal, dans le sud-oranais en 1928); le fanion que le général Laperrine devait apporter à l'Aménokal du Hoggar, Moussag Amastane, et qu'on a retrouvé dans son avion qui s'est écrasé au sol dans le sud du Hoggar, en 1920; les peintures, les souvenirs divers provenant des unités qui avaient formé, depuis 1830, cette Armée d'Afrique.

Parmi ces objets, il faut faire une place particulière à la magnifique reconstitution des uniformes du corps de débarquement, et aussi à la hampe du fanion d'Abd el-Kader, la casquette du " père Bugeaud ", son képi de maréchal à douze galons, la croix du fameux capitaine du génie Boutin, celle de Beunon, l'illustre soldat qui a planté, le premier, le drapeau de la France à Sidi Ferruch; l'uniforme de Franchet d'Esperey quand il était lieutenant de Tirailleurs à Blida... des autographes de Bugeaud, la timbale de campagne du duc d'Aumale...

Ce musée avait d'abord été installé dans la vieille Casbah d'Alger, avec deux larges pièces, la première (l'ancienne poudrière), consacrée aux chefs indigènes, à l'Armée d'Afrique et à la colonisation, la seconde (qui a pris la place d'une ancienne mosquée), dévolue à tous les souvenirs du corps de débarquement de 1830...

En avril 1946, le " musée Maréchal Franchet d'Esperey ", de l'ancienne poudrière, est transféré dans le palais du Dey; les collections sont réparties dans le patio et le premier étage. Le patio comprend les salles des Tirailleurs algériens, des Zouaves, de la Légion étrangère, des Chasseurs d'Afrique, de l'artillerie. Le premier étage comporte les salles de l'Armée d'Afrique, de l'aviation, des Territoires du Sud, du Service de Santé, de la Marine, des Spahis et des chefs indigènes. La rotonde abrite les tableaux représentant les anciennes villes d'Algérie, des stands de la colonisation et celui réservé au sergent Blandan. Enfin, dans l'ancienne mosquée, figurent les collections du corps de débarquement de 1830, les reliques du maréchal Bugeaud et les maquettes d'Alger, du Fort l'Empereur et de la Casbah de 1830.

J'ai eu le bonheur de visiter ce musée, pour la première fois en 1951. Quelle n'a pas été ma surprise, à mon arrivée de découvrir une vitrine consacrée au créateur de ce musée, le colonel Doury, avec l'inscription suivante : " Un héros saharien: le lieutenant-colonel Doury ". Cette vitrine contenait quelques objets, documents et souvenirs du colonel Doury, notamment son sabre, ses épaulettes de commandant, une série de photographies, dont une le représentant à cheval aux côtés des généraux Lyautey et Poeymirau, prise lors de la fameuse jonction sur la Moulouya le 12 octobre 1917 entre les troupes du Maroc occidental (le Groupe Mobile de Meknès de Poeymirau) et celles du sud du Maroc oriental (le Groupe Mobile de Bou Denib de Doury), après avoir coupé en deux le bloc berbère à travers l'Atlas. Ce musée était, jusqu'en 1962, un véritable reliquaire dont le trésor s'accroissait chaque jour par des dons gracieux ou par des achats du meilleur goût ( Fonds Archives Doury.).

La fin du musée Maréchal Franchet d'Esperey

En 1962, au moment de l'indépendance de l'Algérie, je me suis inquiété de savoir ce qu'il advenait de ce musée auquel m'attachaient des liens affectifs si particulièrement forts.

C'est ainsi que je fus servi par le hasard. Un historien militaire, le général Regnault était alors hospitalisé au Val de Grâce dans le service de médecine interne où j'étais médecin capitaine, assistant du chef de service. Lorsque l'état du malade fut meilleur et qu'il était hors de danger, apprenant qu'il était historien militaire, je pensai qu'il devait être intéressé par le devenir de ce musée de l'Armée d'Afrique. Je lui demande donc ce que ce musée est devenu après l'indépendance qui vient d'être accordée à l'Algérie, et ce que sont devenus, notamment les objets et souvenirs de mon grand-père. Le 6 août 1962, il m'écrit de Saint-Malo où il était parti en convalescence : " Mon cher Docteur, mais assez parlé de moi. C'est seulement à l'instant que me parvient une lettre de M. Brunon ( Jean Brunon était conservateur du musée de l'Empéri (annexe du musée de l'Armée aux Invalides). 8 - Le général Henry Blanc était alors directeur du musée de l'Armée des Invalides.)Voici ce qu'il m'écrit sur le Musée Franchet d'Esperey. Il n'a pu obtenir du général Blanc (Le général Henry Blanc était alors directeur du musée de l'Armée des Invalides.) jusqu'ici, l'inventaire des neuf caisses arrivées. Un général a dit en juillet que le buste de Bugeaud et quinze drapeaux étaient dedans. L'officier en charge de l'évacuation, a reçu au début du mois dernier l'ordre d'évacuer tout ce qui restait dans le Musée, avant le 13 juillet, le quartier d'Orléans devant être livré à l'ALN ( ALN: Armée de Libération Nationale du FLN.) à cette date. D'où déménagement hâtif sur Maison Carrée, impossible de tout emporter, d'où destruction, brûlement et immersion. Cet officier assure qu'il a fait un triage sérieux et entendu et qu'il n'a rien détruit d'important. Sa bonne volonté était, me dit-on, aussi grande que son incompétence. Tout est donc à craindre. Si les décorations et souvenirs de votre père (Il s'agit en fait de mon grand-père) étaient rassemblés à part, ce que je pense, cela a dû le frapper et il a dû les prendre. Mais que sera-t-il advenu des papiers d'archives; historiquement les plus précieux. Un nouveau désastre parmi tant d'autres. Brunon a recueilli un tract fellagha rempli d'injures contre la France et nous promettant de revenir à Poitiers et d'y être vainqueurs cette fois ! Si l'on a sauvé la statue du duc d'Orléans et de Bugeaud, voici celle de Jeanne d'Arc renversée et décapitée... Mais le bourgeois Figaro ne le mentionne pas ! Les Français, d'ailleurs s'en fichent et la télévision leur suffit. Il me faut quitter ce sujet; je risque de piquer des crises cardiaques si je discute de ce sujet. Cela m'est arrivé depuis ma sortie du Val ( Val : pour " l'hôpital d'instruction des Armées du Val de Grâce "), en constatant l'ignorance de mon interlocuteur qui estime que les accords d'Evian nous ont donné toutes les garanties voulues ! De dégoût pour l'Histoire contemporaine, je me suis rejeté sur l'Histoire ancienne... Je vous exprime mon cher Docteur, mes sentiments reconnaissants et amicaux: Jean Regnault ".

Le 9 octobre 1962, le général Henry Blanc m'écrit la lettre suivante : " Mon cher capitaine, parmi les objets que nous venons de recevoir du musée Maréchal Franchet d'Esperey, il y a un sabre ayant appartenu au colonel Doury, votre grand-père. Il est dans le bureau de Mlle Vaginay qui se fera un plaisir de vous le montrer. Je serai très heureux, à cette occasion, de vous faire visiter quelques-unes de nos salles et de vous montrer ce musée qui est un des plus beaux des musées militaires du monde. Je vous assure, mon cher capitaine, de mes sentiments les meilleurs et très fidèles: général Henry Blanc, directeur du musée ".

De 1969 à 1987, un certain nombre d'objets, de tableaux, ayant appartenu au musée Franchet d'Esperey d'Alger ont été confiés, en dépôt au Musée saharien installé à l'abbaye de Sénanque, dans le Vaucluse que ses moines cisterciens avaient dû quitter. Mais, en 1987, les moines ont voulu réintégrer leur magnifique abbaye remarquablement restaurée grâce à la générosité de Paul Berliet. En 1987, le musée saharien a dû être évacué, notamment la salle saharienne de " La Rahla, Amicale des Sahariens " qui contenait des objets et tableaux provenant du musée Maréchal Franchet d'Esperey d'Alger et confiés par le musée de l'Armée des Invalides. Ces objets furent entreposés, avec ceux appartenant à " La Rahla, Amicale des Sahariens ", grâce à la générosité de Raoul Brunon, au château de l'Empéri à Salon-de-Provence où les collections du fameux musée d'art et d'histoire militaire " Raoul et Jean Brunon ", le plus grand musée privé de France étaient exposées depuis 1967 ( Les magnifiques " Collections Raoul et Jean Brunon " exposées à Marseille de 1900 à 1967, ont été acquises, avec l'aide de l'Etat en 1967, par le musée de l'Armée aux Invalides, et la ville de Salon-de- Provence, grâce à son sénateur-maire, qui s'engagea à les prendre en charge, et à créer un musée dans le château forteresse de l'Empéri qui domine la cité.).

En 1999, les collections de " La Rahla-Amicale des Sahariens " ont pu être de nouveau exposées dans une salle de 150 m2, au musée de l'Infanterie de Montpellier.

Depuis leur rapatriement, les collections du musée Maréchal Franchet d'Esperey d'Alger ont ainsi été ventilées, dans les établissements suivants: musée de l'Armée, musée de la Marine, musée de l'Air, École Polytechnique, École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, École de l'arme blindée cavalerie de Saumur, École du matériel de Fontainebleau, École de l'artillerie de Châlons-sur-Marne, École des sous-officiers de Saint-Maixent, École du train de Tours, École du génie d'Angers, École de gendarmerie de Melun, École du service de santé du Val-de-Grâce, École de l'infanterie de Montpellier, École des transmissions de Montargis, Service historique de la Défense à Vincennes, Association " La Rahla, Amicale des Sahariens ", Légion étrangère à Aubagne (Nous devons ces renseignements sur la destination finale des collections du musée Franchet d'Esperey d'Alger, grâce à l'amabilité de M" Chard Hutchinson, du musée de l'Armée aux Invalides, à qui nous exprimons notre très vive reconnaissance pour le chaleureux accueil qu'elle nous a réservé.)

Ainsi finit l'histoire glorieuse, puis tragique de ce " musée Maréchal Franchet d'Esperey " de l'Armée d'Afrique, dont les restes sont entreposés dans les réserves du musée de l'Armée aux Invalides et dans de multiples institutions et organismes, en attendant qu'un jour, peut-être, lorsque la France aura fini d'avoir honte de son passé et notamment d'un épisode pourtant parmi les plus glorieux de son histoire et de passer son temps à demander pardon pour une oeuvre humaine dont certains voudraient nous faire croire qu'elle a été entièrement négative, ce musée renaisse comme " Phoenix " de ses cendres et que ses collections soient de nouveau visibles pour un public qui redécouvrira cette part glorieuse de l'histoire de France injustement décriée et oubliée. Rappelons ce que déclarait le maréchal Lyautey aux Journées médicales de Bruxelles en 1926: " Si l'expansion coloniale n'est ni sans reproches ni sans tares, c'est l'action du médecin comprise comme une mission et un apostolat qui l'ennoblie et la justifie ". Or cette action du médecin ne peut être efficace que si le " territoire " en cause a d'abord été pacifié et organisé par l'action politique, économique et éventuellement militaire si nécessaire.