La tragédie de
Mers el-Kébir :
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La tragédie
de Mers el-Kébir : Pouvait-on éviter Mers el-Kébir? Poser la question revient souvent à instruire le procès de l'amiral Gensoul, commandant l'escadre française, ou à réécrire l'histoire, rarement à tenter de démonter l'engrenage qui a conduit à l'inévitable ('L'ouvrage d'Hervé Coutau-Bégarie et Claude Huan et intitulé Mers el-Kébir (1940) ou la rupture franco-britannique (Paris, Economica, 1994), revient toutefois, assez longuement sur les causes de l'agression britannique.). Or, elle mérite d'être posée. En effet, outre qu'il scelle le destin de 1297 marins, le drame de Mers el-Kébir (3 et 6 juillet 1940) a des répercussions considérables aussi bien sur les relations franco-françaises, franco-britanniques que franco-allemandes. De plus, il détermine en grande partie, l'attitude de la Marine à l'égard de la Grande-Bretagne, de la France libre, du gouvernement de Vichy, voire de l'occupant allemand. Pour répondre à la question, nous avons décidé de revenir sur les deux principaux protagonistes du drame: Winston Churchill et l'amiral Gensoul, (de loin le moins connu des deux), afin de mesurer le rôle joué par chacun d'eux, et plus particulièrement par l'amiral Gensoul (LASTERLE (Philippe), Marcel Gensoul (1880-1973), un amiral dans la tourmente, Revue Historique des Armées, n° 2, 2000, p. 71-91.). Churchill contre ses
amiraux Depuis que la France,
en contradiction avec l'engagement pris le 28 mars 1940, a signé
l'armistice, l'Angleterre est seule face à l'Axe. Quant à
la marine française, principal atout de Vichy dans les négociations
de Wiesbaden, elle est une épée de Damoclès au- dessus
d'Albion. Qu'importe que les dirigeants français réitèrent
leurs assurances que la flotte ne sera pas livrée à Londres,
on doute des capacités des marins à résister à
un coup de force allemand. La fronde des amiraux Pour Londres, l'équation de la marine
française se pose en termes simples. La récupérer,
c'est continuer la guerre avec des chances de survie. La voir passer aux
mains ennemies, c'est un arrêt de mort. Si le constat est unanime,
les points de vue divergent sur la manière de la " neutraliser
". L'opération " catapult
" va donc être imposée par Churchill à ses ministres
et amiraux. Les réticences du cabinet sont le premier obstacle
que Churchill doit surmonter. Prime Minister depuis peu, sa position est
fragile au sein de la coalition gouvernementale, où il n'est qu'un
primus inter pares, ainsi qu'aux communes. Le clan des appeasers,
derrière Halifax et Chamberlain, favorable à une paix de
compromis avec le Reich, reste influent. Le 26 juin, en son absence, le
cabinet admet, à défaut de ralliement, un désarmement
de la flotte française dans les ports coloniaux. Mais le Premier
ministre y est opposé. Le 27, il reprend l'initiative et impose
au War Cabinet sa solution: ralliement ou destruction. La date de l'opération
" catapult " est fixée au 3 juillet. Gensoul et l'impossible
négociation La Force de Raid, composée des cuirassés
Dunkerque, Strasbourg, Provence et Bretagne, du transport d'hydravions
Commandant Teste et de six contre-torpilleurs, est stationnée
dans la base de Mers el-Kébir depuis le 28 avril. À sa tête,
se trouve le vice-amiral d'escadre Gensoul. De religion protestante, il
est l'un des plus brillants officiers de sa génération et
surtout le plus anglophile des marins français. Il a en particulier,
durant la drôle de guerre, participé à des opérations
franco- britanniques dans l'Atlantique Nord, au cours desquelles il a
même commandé des bâtiments de la Royal Navy, il n'a
par conséquent, aucun a priori défavorable à l'encontre
des marins de Sa Majesté. Bien au contraire. Cependant, Gensoul
rappelle à North qu'il n'obéit qu'au gouvernement de la
République, celui légalement constitué du maréchal
Pétain, et l'assure qu'il ne livrera pas son escadre aux Allemands.
Il a, en effet, reçu de Darlan des instructions claires de sabordage
en cas de coup de force de la Kriegsmarine. Les pourparlers de la dernière chance Vers 10 heures, Gensoul renvoie Dufay informer Holland de son rejet de l'ultimatum et fait réarmer les batteries de côte et de DCA. Puis, il réunit ses contre-amiraux et leur fait part de sa résolution à ne rien négocier sous la menace. Enfin, à 11 heures, il envoie une dernière fois Dufay, accompagné du capitaine de vaisseau Danbé, son chef d'état- major, redire à Holland la détermination française à se défendre. Soucieux de ne pas provoquer le premier coup de canon, il essaie, dans l'attente des instructions de l'Amirauté, de gagner du temps. Mais à 12 heures, Somerville l'informe qu'à Alexandrie le vice-amiral Godfroy a accepté un désarmement avec équipages réduits et qu'il ne permettra pas à l'escadre d'appareiller. La tension monte. À 13 h 30, Gensoul adresse un deuxième message à Nérac pour informer Darlan de la situation. La réponse, rédigée par le vice-amiral Le Luc (directeur de cabinet de Darlan), ne lui parviendra qu'à 17h18. Le Luc approuve sa réaction et l'avertit, malheureusement en clair, de l'arrivée de renforts. À 14 heures, alors que des mines obstruent la passe, Gensoul ordonne le branle-bas de combat. L'affrontement est imminent. À 45 minutes de l'expiration de l'ultimatum, conscient de la détermination de Somerville, il abat sa dernière carte et accepte de recevoir Holland, qu'une vedette dépose à bord du Dunkerque à 16 heures. À la recherche d'une porte de sortie acceptable par les deux parties, le Français propose un gentleman's agreement: désarmer sa flotte sur place ( Déposition de l'amiral Gensoul devant la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur les événements survenus en France de 1933 à 1945, 28 juin 1949, in Assemblée nationale, rapport n° 2344, tome vi, Paris, p. 1897-1916, p. 1905. En 1949, l'amiral Gensoul est auditionné par une commission parlementaire dans laquelle siègent, entre autres personnalités, Lucie Aubrac, Louis Marin, Michel Clémenceau (fils de Georges), Émile Khan, Charles Serre et Jean Albert Sorel. C'est au cours de cette audition qu'il va, près de dix ans après les faits, enfin pouvoir s'expliquer. L'intégralité de sa déposition, d'une durée d'un heure trente, est consignée dans le tome vi du rapport parlementaire n° 2344 de l'Assemblée nationale, qui est librement consultable.). Holland considère l'offre comme la base d'un accord mais doit en référer à Somerville La canonnade fratricide Hélas ! Les discussions sont brutalement
rompues à 17h20, alors que les négociateurs sont sur le
point d'aboutir à un compromis in extremis. Churchill, sachant
que des renforts rallient Oran, exige d'en finir. Somerville s'exécute
la mort dans l'âme. Gensoul doit se résoudre au combat dans
la plus mauvaise position: au mouillage, dans un piège. Il s'y
est mal préparé, misant trop sur la négociation et
le sens de l'honneur britannique. Ce sera un carnage. À 17h56,
les premières salves atteignant la jetée, il donne le signal
d'appareillage général et d'ouverture du feu. À 18
h 15, il fait suspendre le feu. Seul le Strasbourg a réussi à
sortir du guet-apens, escorté de cinq contre-torpilleurs. La nuit
tombe. On compte les morts. |