Mercier- Lacombe
par Edgar Scotti
(†)
extraits du numéro 124 , décembre 2008 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 21-05-2003...refait le 21-3-2011 car disparu !

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Cette commune de plein exercice de l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès et son hameau de Mouley-AbdelKader devenu Boulet, fut créée en 1874 sur l'emplacement de Sfisef avec un territoire de 2 130 ha, agrandi par la suite sur 2 332 ha en plaines et montagnes.

Avec une altitude de 550 m, le village est situé dans une cuvette à l'est du djebel Oulad-Sliman et au sud du djebel Guétarnia sur la route de Relizane au Maroc en passant par Mascara et Sidi-Bel-Abbès. Des sources abondantes donnaient une eau d'excellente qualité. Températures de 10 °C au-dessus de zéro en hiver avec, en été, une chaleur étouffante atteignant 38 °C.

En 1887, quelques années après sa création, Mercier-Lacombe était déjà une grosse bourgade de la commune mixte de la Mekerra, qui s'étendait jusqu'à Ténira et réunissait une population de 14 325 habitants des douars environnants.

Le village prit le nom d'un ancien administrateur civil de l'Algérie.

Plusieurs voitures assuraient le service des messageries entre Mascara et SidiBel-Abbès, avec un service spécial de jour entre le village et la ville de la Légion étrangère, distante de 38 km. En 1900, Mercier-Lacombe était encore éclairé au pétrole. C'était un village agricole, offrant diverses potentialités en matière de céréaliculture, de viticulture et plus tard en 1947, de culture de la betterave
sucrière.

Il ne fallut pas plus de trente ans après sa création pour que Mercier-Lacombe devienne un village organisé où les fellahs descendus des douars trouvaient du travail, des soins médicaux avec des possibilités d'ouvrir des échoppes et surtout d'échanger leurs produits au marché du lundi.
Ce chef-lieu de commune connut immédiatement après sa création, un important développement démographique avec 2 089 habitants en 1887, et 2 801 en 1900 dont 1 041 Européens, tandis qu'il y en avait 3 750 dont 1 381 venus de France et des pays méditerranéens quelques années plus tard, en 1908.

Établis dans une zone de passage, les habitants de cette petite ville se cherchaient déjà un avenir dans la céréaliculture et surtout, par la suite, dans la viticulture. Les rendements des céréales étant jugés trop aléatoires, les agriculteurs de Mercier-Lacombe s'orientèrent vers la viticulture qui servait déjà, en 1900, de support à toute une gamme d'activités commerciales et industrielles, s'ajoutant à une activité de meunerie basée sur l'excellente qualité des farines de blés tendres de Tuzelle.
Au début du siècle, Mercier-Lacombe avait déjà un vignoble de 700 ha donnant 12 000 hectolitres d'un vin rouge très apprécié pour sa forte coloration et une teneur alcoolique voisine de 13° à 14° apportées par des cépages comme le carignan, le mourvèdre, le morastel et l'alicante-bouschet.

Du fait de leur évolution vers la viticulture, ces agriculteurs employaient une nombreuse main-d'oeuvre autochtone venue des douars environnants.
Un demi-siècle plus tard, sur les collines entourant Mercier-Lacombe, les rangées de ceps s'alignaient sur 3 800 ha. L'Algérie n'exploitait pas encore son pétrole, son économie était celle d'un pays accompagné et les 18 millions de quintaux de blé récoltés en aimée favorable ne permettaient pas de nourrir ses 10 millions d'habitants.

Avec le morcellement, après partage des biens fonciers des agriculteurs fixés depuis 1900, les rendements des céréales cultivées en assolement biennal, soumis aux caprices du climat et notamment de la pluviométrie, ne permettaient plus de faire vivre une famille.


mercier-lacombe,Quartier du centre
Quartier du centre



Ce nouveau vignoble de 3 800 ha était alors partagé entre 64 viticulteurs parmi lesquels de nombreux descendants de ceux qui étaient déjà à Mercier-Lacombe à la fin du xixe siècle. Cultivant en moyenne, selon leurs traditions et leurs conceptions, une soixantaine d'hectares, chacun de ces agriculteurs vivaient et faisaient vivre de la vigne une nombreuse population locale à laquelle ils distribuaient des salaires, certes toujours insuffisants.

Comme en témoignent les noms de ces viticulteurs, la vigne joua un rôle déterminant dans le maintien à Mercier-Lacombe de ces familles.
Ainsi que Pierre Berthault l'écrivait : " La vigne attache l'homme au sol, développe le peuplement. Il suffit pour s'en convaincre de considérer la situation réciproque des villages du Sahel, de la Mitidja et des régions céréalières des Hauts Plateaux; alors que les premiers respirent l'aisance, les seconds se dépeuplent et voient leurs maisons tomber en ruines ".

En 1956, sur ses 3 800 ha de vignes, Mercier-Lacombe produisait 170 554 hectolitres de vin dont 8 856 de vin blanc, soit en moyenne 44 hectolitres par
hectare.

La sucrerie-distillerie de Mercier-Lacombe

En 1946, 10 ha de betteraves sucrières étaient cultivés à titre expérimental. En 1953, l'unique sucrerie d'Afrique du Nord était construite à Mercier-Lacombe. Sa réalisation était entièrement due à l'esprit d'initiative et au courage d'un industriel et de quelques agriculteurs, fils et petits-fils des premiers habitants de cette petite ville de 10 000 personnes, parmi lesquels 1 000 Européens.

Ce projet répondait à divers besoins mis en évidence par le souvenir de la grande pénurie de sucre qui affecta l'Algérie durant la Seconde Guerre mondiale : - Importance du sucre dans l'alimentation des populations musulmanes et accroissement constant de la consommation; 57000 tonnes en 1948, 142 000 tonnes en 1953.
- Nécessaire augmentation de la productivité des sols.
- Diversification de la production agricole par ajout d'une culture industrielle.
- Industrialisation de l'Algérie par le biais d'une culture non irriguée introduite dans la rotation des cultures avec la suppression des frais d'entretien de la jachère.
- Intéressement des agriculteurs musulmans à la production de betteraves.

Le bilan économique de trois campagnes se soldait par la culture de 8500 hectares de betteraves avec la production de 7000 tonnes de sucre et le versement de salaires agricoles et industriels. La sucrerie Bruguier et Cie, comme toutes les autres activités agricoles avait sa place à Mercier-Lacombe. Dans un pays où aujourd'hui la seule ressource pétrolière procure 95 % du revenu national, la vigne, support d'une économie diversifiée, fut arrachée en 1962. Avec elle, disparaissaient: betteraves, oliviers, sorgho, maïs et autres cultures vivrières. A Mercier-Lacombe, durant la campagne 1955-1956, il y eut 78 agriculteurs dont 50 propriétaires musulmans qui investirent dans la betterave à sucre cultivée sans recourir à l'irrigation. La betterave offrait alors des perspectives de diversification et d'industrialisation tout en répondant à une importante demande en sucre de la population. La succession des événements d'Algérie ne permit pas la poursuite d'une initiative qui, par le rôle qu'elle pouvait jouer dans la fixation de la main-d'oeuvre, le désherbage et la productivité des sols, répondait pourtant à l'urgente nécessité de combler des besoins alimentaires. Avec la suppression de ces productions auxquelles les Algériens sont très attachés, le pays se privait d'une industrie sucrière qui lui fait toujours défaut. Une trentaine d'années après le dramatique exode de 1962, les coteaux du Dahra se couvraient de nouveaux ceps de vigne. Cependant en 1993, il n'y avait plus le même accompagnement scientifique, technologique, les laboratoires d'analyse, les infrastructures de conservation et de transport. Le marché international s'était ouvert à d'autres producteurs.



Organisation municipale en 1900

Le hameau de Mouley-AbdelKader (Boulet) faisait partie de la commune dont la municipalité était présidée par un maire : M. Pierre Chabbert; adjoint: M. Paul Lafforgue; secrétaire : M. Armand Lénéstic; garde champêtre - crieur public : M. Marc-Antoine Chebille; médecins de colonisation: les Drs Augé et Laventure; curé: l'abbé Robin; instituteur: M. Lods à l'école des garçons; institutrice: Mme Grêl à l'école des filles; école enfantine: Mlle Barbier; postes et télégraphe : Mme Dubrez; juge de paix : M. Guyot avec, comme suppléant, M. Chabert; greffier : M. Fleury; interprète : M. Joseph Cabessa; eaux et forêts : M. Siméon.

Commerçants et artisans en 1900
Quelques noms peuvent encore être mis sur ces auxiliaires de l'activité économique locale : agent d'affaires : M. Grêl; boucher : M. Éléazar Raymond; boulangers : MM. Gomez, Sans, Mme veuve Rouger; cafetier : M. Vallat au café des Messageries; hôteliers : M. Vallat à l'hôtel des Messageries, M. Horz; tabac et papiers timbrés : Mme veuve Durand; transports terrestres: messageries de Mascara à Sidi-Bel-Abbès.

Agriculteurs et viticulteurs en 1900
Ils s'appelaient : Mme veuve Aillaud, Mlle Blanchet, Mme veuve Durand, MM. Chabert, André et Paul Lafforgue, Laval, Mme veuve Marsan, MM. Payri, Perret, Picard, Pottier, Quercy, Reliaud, Ribier, Rosan, Sallèles, Tournier, Viry, Jean-Baptiste Vuillemein. Il en était de même à Boulet où, sur le territoire de 2600 ha de ce hameau, 60 ha étaient déjà plantés en vigne par MM. Amédé, de Lacretelle, Mlle Blanchet et Mme veuve Boulet.

Des générations de viticulteurs
C'est ainsi que, parmi les noms des viticulteurs de 1956, nous retrouvons ceux des fils ou des petits-fils de quelques-uns des agriculteurs de la fin du xixe siècle: MM. Mohamed Bentekhici, Jacques et Joseph Cervera, André Celle, Aimé Gailing, Marcel Houdou, Henri et Marcel Lafforgue, Lakri Lahssen, Henri et Roger Laval, Vincent Lopez, M. Mandeville et Mme veuve Mandeville, MM. Aimé, André, Augustin, Maurice et Paul Marsan, Amédée, Henri et Marcel Mauris, Mékika Abdel-Khader, Hubert Nouzille, Mohamed Oussouas, Pedro Parra, Albert, Roger et André Payri, Mme Roger Payri née Rosan, Eugène Pérez, Eugène et Georges Perret, Roger Perrin, Michel Gonon, Marcel Louet, Mme Anne-Marie Picard, Charles et Lucien Picard, Odile Picard, Mme veuve Edmond Reliaud, MM. Reliaud, Auguste Rigaud, Mme Rigaud, André et Georges Rozan, Fernand et François Rouger, Hubert, Marcel, Charles et Sylvestre Ruiz, Germain, Lucien et Paul Sallèles, Mme Serbera, Mme Jean Germain Schlepp, la Société des Agaves.

L'aventure humaine des viticulteurs audois

Attirés dans la région de Sidi-Bel-Abbès par les perspectives offertes par la viticulture, des vignerons de l'Aude, du Gard, de l'Hérault et de la Haute- Garonne, s'y établirent très tôt et bien avant la crise phylloxérique de 1878.

Des viticulteurs du Minervois arrivè- rent à Mercier- Lacombe avec leurs cépages régionaux. Pour les familles Lafforgue, Reliaud, Rigaud, Rosan, Rouger, de Caunes- Minervois, de 26 Sallèles d'Aude, la vigne faisait partie de leur patrimoine culturel, de leurs traditions. Ces hommes, ces femmes conduisaient leurs ceps en cordons doubles, de Royat ou en gobelet, ils soignaient leur vigne, suivaient tous les stades de sa végétation, du débourrement jusqu'à la véraison et la maturation. Ils veillaient sur le déroulement des fermentations et s'entendaient sur la finesse du bouquet de leurs vins, sur le grenat de la robe de l'alicante-bouschet, et sur l'incomparable velouté de la " longueur en bouche " des grenaches. La vigne constituait pour eux le seul moyen de tirer des ressources de sols légers et peu profonds.

Ce n'est pas mésestimer le peuple algérien que de respecter l'histoire et la mémoire de ces paysans arrivés du Languedoc avec leurs boutures de carignan, cinsault, mourvèdre et morastel. Après les difficultés de l'installation dans des abris sommaires, il y eut la participation des enfants du village aux deux grands conflits mondiaux, leurs hécatombes et leurs cortèges de privations. Mais qui se souvient aujourd'hui des épidémies et notamment de celle de typhus qui affecta en 1941 une grande partie de la population de MercierLacombe. Durant cette funeste période de l'armistice, le village, déjà affaibli par les rigueurs du ravitaillement en produits de première nécessité : semoule, sucre, viande, pommes de terre, dut faire face à ce fléau. Une lugubre atmosphère de deuil s'imposait à tous ceux qui traversaient ce centre où toutes les familles avaient un ou plusieurs de leurs membres en soins à la maison ou dans les hôpitaux. C'était cela aussi l'Algérie.

Puis à partir de 1954, ce fut l'enchaînement des violences, des attentats, des enlèvements et des mutilations. S'il n'est hélas ! pas possible de remettre en mémoire les noms de toutes les victimes, évoquons au moins la disparition en mars 1958 à Aïn-Fékan, village proche de Mercier-Lacombe, de M. Augustin Martinez, de Mme Conception Martinez son épouse et de leurs deux filles Marie-Jeanne et Marguerite, respectivement âgées de 8 et 4 ans.

Rappelons aussi l'enlèvement, le 18 avril 1962, dans le douar de Bou-Djebaa proche de Mercier-Lacombe, de MM. Thomas Jean et Joseph, ainsi que de Mme Pilar Sévilla, sans oublier Kheira, une enfant de 12 ans qui faisait partie de la famille.

Le 7 juillet 1962, M. Émile Montbertrand était enlevé et torturé sur la ferme de M. Hubert Nouzille située à 5 km du village. S'il est encore aujourd'hui très douloureux d'évoquer, d'ailleurs avec beaucoup de difficultés, de tels drames, c'est qu'ils eurent pour conséquences de jeter sur les routes menant à Oran, à travers d'humiliants barrages, des milliers d'êtres humains, le dos au mur, démoralisés, désespérés. C'est dans un marasme physique et moral que ces familles, avec de pauvres valises, gravissaient la passerelle d'un cargo équipé en transport de troupes.

* *

Malgré le chagrin provoqué par les deuils et les souffrances endurées, les hommes pensaient déjà à se reconstruire pour bâtir ailleurs un autre avenir. Ils songeaient déjà aux sillons à ouvrir en France ou à l'étranger, aux écoles où il faudra faire inscrire leurs enfants. Ces hommes, ces femmes ont beaucoup donné à l'Algérie et ne lui ont rien pris. Selon une expression familière, ils sont partis, comme leurs aïeux étaient arrivés, les mains vides mais largement tendues vers d'autres activités. Ils laissaient un vignoble en pleine production, des variétés indigènes de céréales adaptées aux particularités du climat algérien, une culture de la betterave sucrière qui avait fait ses preuves et qui méritait d'être étendue et développée. L'histoire de Mercier-Lacombe, de même que celle des villages d'Algérie, est faite des efforts et des sacrifices de tous ceux qui, comme ces vignerons du Minervois considéraient que planter de la vigne n'était pas une erreur et que les oliviers ou les betteraves pouvaient apporter des ressources à un pays qui en manquait. Ils partagèrent leurs connaissances, leur savoir-faire et leur matériel avec les fellahs voisins tout en respectant leur culture et en s'en imprégnant, notamment lors des fêtes: baptêmes, mariages, sans oublier les cortèges funèbres qui se déroulaient dans un profond recueillement. La mémoire collective de Mercier-Lacombe, c'est celle de tous ces hommes et femmes tentant d'orienter leurs activités vers des cultures plus productives et plus utiles au pays que le blé.

Riche de ses puits de pétrole, l'Algérie n'a pas jugé utile de conserver les variétés indigènes de blé comme le " Mohamed ben Bachir 8037 ", " l'Adjini9 ", " l'Adjini19 ", améliorées par L. Ducellier à l'Institut agricole de Maison-Carrée et dans les stations de sélection. Les allées d'oliviers qui séparaient les parcelles de vigne, la sucrerie de Mercier-Lacombe implantées avec beaucoup de difficultés, font partie de l'histoire de ce village. Cette histoire apaisée appartient désormais aux lointains descendants de tous ces agriculteurs armés d'une inébranlable confiance en l'avenir de leur vignoble, de leurs champs de betteraves et de leur sucrerie, fleuron aujourd'hui oublié, de cette petite ville blottie au fond d'une cuvette torride en été.

" La mémoire est le plus beau matériau de l'histoire " (Jacques Le Goff).

Documentation bibliographique :
- REUTT (Georges), ingénieur agronome, La plaine de Sidi-Bel-Abbès.
- LAFFOND (Jean), responsable de coopérative, La betterave sucrière en Oranie, in L'oeuvre agricole française en Algérie 1830-1962. Ouvrage collectif édité par l'Association Amicale des Anciens Élèves des Écoles d'Agriculture d'Algérie.
- ERROUX (Jean), ingénieur agronome, Amélioration de la céréaliculture algérienne, in L'oeuvre agricole française en Algérie 1830-1962. Ouvrage collectif édité par l'Association Amicale des Anciens Élèves des Écoles d'Agriculture d'Algérie.
- GRASSET (André), ingénieur agronome, La culture de la vigne, in L'oeuvre agricole française en Algérie 1830-1962. Ouvrage collectif édité par l'Association Amicale des Anciens Élèves des Écoles d'Agriculture d'Algérie.
- Français d'Algérie disparus (1954-1963). Des familles témoignent, ouvrage édité par la Fédération des Cercles algérianistes, BP 213, 11 102 Narbonne cedex.
- Annuaire général de l'Algérie et de la Tunisie, 1901, guides d'époque, L. Piesse et Joanne.

J'exprime mes sentiments de bien vive gratitude à tous ceux qui m'ont aidé à marcher dans les pas de ces agriculteurs de toutes origines, convaincus que planter un olivier, un pied de vigne ou semer des betteraves sucrières, c'était maintenir la vie. Mes remerciements s'adressent particulièrement au D' Georges Duboucher et à MM. Louis Dulac et Jacques Piolenc.