-Lisant avec
plaisir la monographie sur " Médrissa 1928-1962 ", nous
pensons que ces quelques pages intéresseront nos lecteurs et, par
la même occasion, prouveront que notre pays demandait beaucoup de
travail et de sueur pour être ce qu'il était en 1962.
(Avec l'aimable autorisation de l'Amicale de Médrissa)
Médrissa, 1928-1935
les années difficiles
Serge Carles et l'Amicale des Médressiens
Médrissa rejoint la liste des villages déshérités
du Sersou.
Les colons de la région demandent l'aide des pouvoirs publics,
ils s'organisent, s'unissent, manifestent dans le département.
Le jeune village dépérit
L'euphorie des premiers mois passée, la récolte de la première
année rentrée, les colons de Médrissa se trouvent
tout à coup confrontés à la dure réalité.
La terre ne leur a pas rendu ce qu'ils en attendaient!
Ce ne sont pas des nantis les petits colons de Médrissa, beaucoup
se sont endettés pour tenter cette nouvelle expérience.
Après le paiement obligatoire du quart de la concession, ils ont
mis presque tout leur argent dans l'achat du matériel, du cheptel
et la construction de leur maison. Leurs économies ont fondu. À
la fin de l'été 1929, la plupart constatent qu'ils ont joué
et perdu leur va-tout. Que leur reste-t-il, si ce n'est leur courage,
leur ardeur au travail, un petit capital de matériel et de cheptel
à conserver coûte que coûte ?
Ils vont, malgré tout, préparer leur terre aux semailles
de l'automne, se disant que la récolte prochaine sera meilleure
et les renflouera.
Hélas ! les craintes des administrateurs Lacave-Laplagne et Croizier
se révélèrent justes. Malgré des situations
de peuplement semestrielles qui se veulent rassurantes, Médrissa
va rapidement se trouver, avec AïnKermès et d'autres villages
du Sersou, dans la même situation " dépérissante
" que connaissent les villages à peine plus vieux, d'AinDzarit
et d'El-Ousseukh. Il suffit de lire les observations générales
faites par l'administrateur concernant ElOusseukh en janvier 1929 et celles
concernant Médrissa de juin 1929 à juillet 1935, pour constater
que la situation de Médrissa évolue dans le mauvais sens.
À propos d'El-Ousseukh, créé six ans plus tôt,
on lit:
----- Le développement du village est en régression constante
par suite d'un climat décevant...
Pour Médrissa, qui se trouve à quelques kilomètres
seulement, des observations alarmistes n'apparaîtront qu'en juillet
1933, cinq ans après la création :
----- Les exploitations n'ont pas atteint le degré de prospérité
que l'on pouvait escompter...
----- Des acquéreurs ont délaissé leurs propriétés...
On cache pudiquement les déchéances de certains colons.
Celles de M. Aceval, de M. Boujon, de M. Dumas qui est déchu par
arrêté du gouvernement le ler juin 1932.
Quel crime a donc commis ce pauvre homme qui a investi tout son argent
dans une concession, du matériel, des animaux..., qui a peut- être
emprunté et qui a tout perdu?
J'ignore si quelqu'un peut se rappeler aujourd'hui les raisons de cette
déchéance. Peut-être a-t-il failli à son devoir
de résidence, ou bien n'a-t-il pas remboursé assez rapidement
quelque créancier? Mais ce que j'ai souvent entendu dire par mon
père, est que ce malheureux, ruiné et désespéré,
s'est suicidé en se jetant à la mer du pont du bateau qui
le ramenait en métropole.
Plusieurs colons de Médrissa se verront sanctionnés ou critiqués
pour avoir fait de mauvaises récoltes. L'un d'eux sera déclaré
sur les situations de peuplement, " colon peu sérieux
" parce qu'il exploite, pour subsister, un commerce en parallèle;
de la situation d'un autre, on constatera qu'il n'a plus son cheptel ou
son matériel qu'il a dû vendre pour payer ses dettes; un
troisième passe pour être " dans l'incapacité
de réussir puisqu'il est sans ressources "; un autre enfin
est considéré comme " colon très méritant
et travailleur mais éprouvé par une mauvaise récolte
".
Les prêts de consolidation, La bataille
pour les agrandissements
Fin 1932, trente-cinq colons de Médrissa sur quarante ont sollicité
un prêt de consolidation, mais jusqu'en 1933 rien n'est vraiment
fait pour ces colons " à bout de souffle " ou
" criblés de dettes ". Le Gouvernement général
a pourtant reconnu ses erreurs dès juin 1932; il a déclaré
ne pas vouloir laisser végéter les agriculteurs qu'il vient
d'installer sur les Hauts Plateaux. L'administrateur lui-même, écrit
en juillet que les " exploitations n'ont pas atteint le degré
de prospérité que l'on pouvait escompter ". Les
créanciers, les huissiers se ruent chez les mauvais payeurs et
leur enlèvent ce qui leur reste de matériel, de cheptel
ou même de blé conservé en emblavure. Il est courant
de lire dans la Situation de Peuplement que certains colons n'ont plus
de matériel agricole, plus de cheptel. L'administrateur rapporte,
selon l'autorité locale, que tel colon est dans une très
mauvaise situation, tel autre dans une situation médiocre, etc...
Dans le pire des cas, et si le colon a commis l'erreur d'exercer, contrairement
à ses engagements, une profession secondaire, il n'hésite
pas à proposer la déchéance.
Ce n'est qu'à la fin de l'année 1933 que les colons de Médrissa
et d'AïnKermès, les plus en difficulté, sont "
consolidés ". Une caisse de secours a enfin été
mise en place pour leur venir en aide. En contrepartie, leurs biens sont
sous séquestre. Mais les aides promises ne sont toujours pas versées
fin janvier 1934.
Déçus, les colons d'Aïn-Kermès envoient un télégramme
le 31 janvier 1934 à l'administrateur du Djebel Nador à
Trézel, lui signalant qu'ils ont télégraphié
au Gouverneur général pour demander " d'activer
l'application séquestre étant sans ressources "
et le " priant de venir en aide immédiatement ".
À leur instar, le 8 février 1934, certains colons de Médrissa
signent une pétition adressée au préfet d'Oran et
rédigée par M. Henri Huc, pour solliciter leur recasement
dans un autre centre. Les signataires sont: MM. Henri Huc, Maurice Tournois,
Albert Gimat et Antoine Casalta. Ce même jour, Médrissiens
et Kermessiens envoient une délégation auprès du
directeur du syndicat agricole à Tiaret " pour protester
contre le non-paiement des mensualités qui leur sont dues depuis
plusieurs mois ". Craignant des exactions, le commissaire de
police les fait surveiller et se prépare à intervenir.
Le 23 février paraît daris La Tribune de l'Écho d'Oran
une lettre ouverte adressée par vingt-huit colons d'Aïn-Kermès
au président de la République. Ils réclament une
aide immédiate en attendant la consolidation dont ils disent qu'elle
" ne sera efficace qu'autant qu'on leur attribuera des lots d'agrandissement
et même de recasement pour certains ".
Toute cette agitation n'empêche pas certains créanciers de
poursuivre ceux qui leur doivent encore de l'argent. Par exemple, on lit
que toute la récolte de M. Cardis a été saisie par
la " Maison Citroën " en juillet 1934. En fait, ce colon
étant considéré comme ne cultivant pas personnellement
ses terres, ne reçoit pas d'aide de la Caisse de Consolidation.
Il ne peut donc pas rembourser ses dettes.
Cette même année, apparaît le problème de la
mévente des céréales. Encore une calamité
de plus pour nos malheureux colons contre qui le sort s'acharne.
L'année 1934 s'achève sans qu'aucune mesure concrète
n'ait vu le jour.
En janvier 1935, une liste est dressée pour Médrissa, par
le préfet d'Oran, des demandeurs d'agrandissements (22 colons)
et de ceux qui souhaitent être recasés (15 colons).
Au Gouvernement général, on commence à repérer
les terres devant servir aux agrandissements des concessions de Médrissa
et d'Ain- Kermès. Elles se trouvent sur les territoires de Tousnina,
de Médroussa, des douars Djerad, Djedid, Bourenane et Ouled-Sidi-Khaled.
On constitue également des propriétés de recasement
pour sept colons : Alphonse Chadès, Albert Gimat, Henri Huc, Lucien
Teppet, Maurice Tournois, Louis Scheid et Antoine Casalta. Trois autres
se sont retirés : Eugène Scheid, Léonard Coursac
et René Gourdon.
Nous savons que, pour finir, aucun colon de Médrissa ne sera recasé,
mais que tous obtiendront leurs agrandissements en 1938.
La grand'pitié de la colonisation
UNE LETTRE D'UN COLON DE MÉDRISSA
La lettre suivante a été adressée
par un lecteur à Eugène Cruck, rédacteur à
l'Écho d'Oran.
Médrissa, le 30 décembre 1932
C'est avec un grand intérêt que je viens de lire votre
article du 28 décembre, intitulé: " Où
est je médecin de colonisation du village de Médrissa?
"
Je tiens personnellement à vous remercier pour l'intérêt
que vous portez à notre pauvre et cher village.
Permettez-moi de me présenter: je suis d'une famille de Bourgogne
et suis né à quelques kilomètres de Dijon,
en 1898. Je suis venu m'installer ici, à Médrissa,
à 29 ans, dans l'espoir, comme tous les autres colons, de
pouvoir y vivre en travaillant honnêtement. Dans l'espace
de cinq ans, j'ai englouti 67000 F d'argent liquide et contracté
des dettes qui ont fait boule de neige et atteignent aujourd'hui,
un chiffre énorme. Et à l'heure actuelle, impossible
de travailler, pas de rations pour les animaux, pas d'argent.
Nous n'avons jamais vu le médecin de colonisation, comme
huissier nous avons été saisis! Protêt, jugement,
commandement tendant à saisie-brandon, saisie-brandon, reconnaissance
du jugement, es souvent, pour 1500 F, avoir autant de frais. Et,
quand même, travailler avec acharnement pour récolter
150 quintaux sur 50 hectares. Et maintenant comment manger ? Impossible
d'avoir un peu d'argent; ma famille m'a envoyé 1000 F ces
jours-ci pour que je puisse vivre; j'ai sept chevaux à vendre
on m'a offert 70 F l'un! Quand il n'y aura plus de paille, ils seront
condamnés à crever de faim! Au village, nous n'avons
pas de légumes, pas même quelqu'un qui en vende, pas
de boucher; et le plus triste, pas de boulanger Il faut aller chercher
le pain à Frenda, faire 56 km, aller et retour; le kilo de
pain nous revient à 9,30 F Et comment aller chercher nos
comestibles ? Avec quoi ?
Nous n'avons pas de courrier; beaucoup de colons, pour des affaires
urgentes, ont fait le trais Frenda-Médrissa à pied,
même la nuit. Mais, me direz-vous, comment recevez-vous lettres
et journato Eh bien, c'est un brave colon qui, malgré qu'il
ait dépassé la quarantaine, avec un courage incroyable
par tous les temps, fait tous les matins depuis bientôt cinq
ans, 32 km à pied pour aller chercher le e postal. Il est
obligé, souvent, d'attendre pendant des heures que le courrier
d'Aïn-Kermès passe et lui remette. Et si le courrier
est passé ? Attendre le soir que le courrier revienne...
Et pendant ce tee journellement, jeunes ou vieux colons cherchent
à droite, à gauche, une occasion pour descendre Frenda;
s'il n'y en a pas, on part d'ici en carriole, à 2 heures
du matin; comme les moyens ne per mettent pas de coucher à
Frenda, l'on revient à la nuit, l'homme et la bête
fourbus.
Eh bien, cher défenseur de notre pauvre centre, ne trouvez-vous
pas que cet état de chose doit finir Si nous sommes dans
un centre déshérité, nous sommes aussi des
hommes, des contribuables, de, Français; pour ma part, sauf
pendant la guerre, je n'ai jamais tant souffert moralement. Après
avoir pendant quatre ans, servi dans un régiment de ligne
qui a l'honneur de porter la fourragère rouge (152e, Gérardmer),
être sentinelle à Médrissa et ne pas avoir le
droit, bientôt, de manger du pain, c'est triste!
Que la voix de votre grand journal se fasse entendre pour nous;
nous avons confiance en vous Médecin, courrier; eau pour
les jardins, renflouement, agrandissement, pouvoir travailler et
se repose tranquille; quel rêve!
Veuillez agréer; cher Monsieur; mes salutations empressées.
Maurice Tournois, Médrissa (Oran)
M. Ulysse Sauze, correspondant d'Oran-Matin, fait connaître
par voie de presse, la situation désespérée
du village. L'adjoint spécial, M. Léon Sauze et son
conseiller municipal Louis Douzon, se battent pour obtenir des terres
d'agrandissement.
La question des agrandissements (Oran-Matin du 24 juillet
1935)
Une pétition revêtue de 43 signatures vient d'être
adressée à M. Saurin, député, pour activer
cette question d'agrandissement vital pour le centre et nos colons,
pionniers des Hauts Plateaux.
Leurs concessions de trop faible superficie ne peuvent pas leur
assurer leur vie et la continuation de cette entreprise de colonisation,
puisqu'ils ont dépensé leurs économies et fait
des dettes (...)
Le Gouvernement général de l'Algérie l'a reconnu
et leur est venu en aide par des moyens financiers tels que la consolidation,
etc... Cela leur permet d'attendre, mais ne les guérit pas,
au contraire.
Résultat: la colonie dépense de l'argent sans espoir
de retour et les malheureux colons perdent tout espoir de relèvement
et tout envahis par le découragement et le dégoût,
ne voyant au bout de leurs peines, que le déshonneur de ne
pas avoir pu tenir leurs engagements, et la misère définitive...
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