Le service de santé
des armées dans les Territoires du Sud algérien
(suite et fin)
par André Savelli
Lutte contre les épidémies et fléaux
sociaux
L'auteur
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PLUS ENCORE que la médecine individuelle
de soins, le service de santé a dû assurer ici, comme dans
tous les pays sous-développés où il a oeuvré
de par le monde, une médecine collective, à la fois préventive
et curative, de lutte contre les épidémies et fléaux
sociaux. Cette action est demeurée prépondérante
jusqu'en 1976. Car si les grands dangers permanents d'autrefois, variole,
typhus, typhoïde, fièvre récurrente, syphilis et paludisme
ont été vaincus, l'endémie perdure. Seule la variole
a été éradiquée grâce à la vaccination
généralisée.
L'emploi depuis 1945 des insecticides chlorés, dits de contact
et à pouvoir rémanent (DDT et HCH), bien qu'ils soient proscrits
actuellement pour diverses raisons, a constitué une révolution
dans la lutte contre les insectes et les ectoparasites : poux dans le
typhus et la fièvre récurrente, moustiques dans le paludisme,
phlébotomes dans les leishmanioses (bouton d'Orient), et mouches
dans les affections oculaires et fécales.
Le typhus exanthématique, endémique
dans toute l'Afrique du Nord, a eu des manifestations graves dans les
Territoires du Sud entre 1918 et 1924. Une explosion massive survient
pendant la guerre, entre 1941 et 1946, concomitante d'une pandémie
nord-africaine coïncidant avec la disette et les pénuries
de savon et de vêtements. Vivant au Maroc, à Oujda en 1944,
ma grand-mère a succombé au typhus comme beaucoup d'autres
personnes. Au Sahara il y eut près de 9 000 cas et 2 102 décès.
Plus un seul cas de typhus depuis 1951 en raison d'une désinsectisation
massive et des vaccinations antérieures. De 1942 à 1945,
325 000 vaccinations furent effectuées.
La fièvre récurrente à poux,
endémique, évolue entre 1944 et 1946 sous forme d'une pandémie
nord- africaine avec, au Sahara, plus de 20 000 cas et 720 décès.
A Oujda, après le deuxième bac, allant donner des cours
à Saïdia, petite station balnéaire, j'ai été
piqué par un pou que j'ai dû écraser, dans l'autocar
qui m'y conduisait et ai contracté, dans les délais, l'affection
dont le novarsénobenzol m'a guéri de justesse. Je rappellerai
la découverte par Henry Foley et Edmond Sergent à Beni Ounif,
en 1908, du rôle du pou dans la transmission de la maladie et, pour
la première fois au monde, du rôle du pou en pathologie humaine,
l'évoquant aussi dans le typhus. Le 28 janvier 1917 alors qu'Henri
Foley venait de passer sept mois sous la mitraille comme médecin
chef du 159e RI à la bataille de la Somme, il reçoit l'avis
officiel du prix " Monthoyon " de l'Académie des Sciences
décerné pour ses travaux sur la fièvre récurrente
et le typhus. Charles Nicolle obtiendra le prix Nobel en 1928 pour les
mêmes découvertes. Comme pour le typhus, même effet
de la désinsectisation, plus de fièvre récurrente
après 1951.
Charles Nicolle
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La variole a
provoqué d'importantes épidémies mortelles. Les dernières
remontent à 1914-1920-1926. Les bouffées des années
1942 à 1948 à Biskra, El Oued, Djelfa et Timimoun se manifestent
par 500 cas en 1945 et 200 en 1946. La courbe s'abaisse au voisinage de
0 en 1952, grâce aux vaccinations régulièrement pratiquées,
groupement par groupement, après établissement rigoureux
de listes d'individus par les officiers des Affaires sahariennes en liaison
avec les caïds, chefs de village. La prophylaxie demeure conditionnée
par la nécessité du renouvellement de cette vaccination
tous les cinq ans du fait de la durée assez courte de l'immunité
en pays chauds. En 1942, 236636 vaccinations sont effectuées simultanément
avec celles contre le typhus, et en 1955, 242291 vaccinations auxquelles
j'ai participé dans mon secteur du Tidikelt.
Les maladies vénériennes
étaient répandues, surtout la syphilis, en particulier chez
les Touaregs au matriarcat réputé pour ses cours d'amour
très libres. Le taux de morbidité a bien baissé,
grâce aux antibiotiques. Par contre, les gonococcies aiguës
ou chroniques étaient fréquentes chez les nomades où
persiste une plus grande liberté de moeurs mais ils restaient persuadés
d'avoir uriné contre le vent! Il existe 26 dispensaires antivénériens,
un par infirmerie, avec surveillance bihebdomadaire des prostituées.
À In Salah, j'étais assisté pour leurs soins par
Djemaa, personnage qui en imposait mais dont l'identité sexuelle
a toujours été un mystère. Souvent ces femmes se
mariaient après avoir constitué leur dot, comme les prostituées
des Ouled Naïl, plateau situé au nord de Djelfa. Elles me
demandaient alors : " Babak, les papiers ". J'établissais
une attestation de bonne santé pour le chef d'Annexe qui les mariait.
Le paludisme a toujours revêtu
un caractère endémique dans toutes les oasis, surtout celles
hyperirriguées comme Biskra, Touggourt et Ouargla. Dès 1918,
une impulsion est donnée à cette lutte, étayée
par les travaux du Dr Henry Foley à Beni Ounif de 1907 à
1914, mais aussi riche des enseignements tirés de l'ceuvre antérieure
de Maillot sur la quinine, puis de l'action des Drs Edmond et Etienne
Sergent, dans l'Algérie du Nord et à l'armée de Salonique
en 1917. Une aggravation survient pendant la guerre 19391945 par manque
de quinine, de personnel et l'abandon de la lutte antilarvaire.
De 1945 à 1953, de grandes réalisations sont reprises ou
poursuivies : lutte anti-anophélienne au moyen des insecticides;
lutte anti-larvaire, surtout, caractérisée par l'introduction
des gambusias (petits poissons se nourrissant de larves de moustique)
dans les oasis dès 1931 et par de grands travaux d'assèchement
et de drainage. Ces derniers débutent par les petites mesures journalières
d'évacuation de l'eau des jardins des palmeraies (les madjen) dans
des canaux (les khandeks), conduisant l'eau vers des lacs artificiels
(les sebkhas). Ces lacs, situés à plus de 5 km de l'oasis
empêchent ainsi le retour des anophèles les plus sportifs
et les plus téméraires; lutte enfin anti-plasmodiale à
l'aide des antipaludéens, quinine, puis nivaquine et flavoquine.
Grâce à toutes ces mesures, on assiste à l'extinction
du fléau. Rappelons la découverte de l'hématozoaire
du paludisme (le plasmodium) dans le sang des malades, à l'hôpital
militaire de Constantine en 1878, par Alphonse Laveran, professeur agrégé
du Val-de-Grâce, découverte qui lui valut le prix Nobel en
1907. Un autre médecin militaire, anglais, nobélisé
aussi, Sir Ronald Ross, apporta la preuve de la transmission du germe
par la piqûre de l'anophèle.
Le paludisme recule mais il n'est pas vaincu. Dès fléchissement
de la lutte, dès modification du régime hydraulique local,
un paludisme intense réapparaît, ainsi en 1944 à Beni
Ounif et en 1953 dans le Mzab.
À propos de la lutte antipaludéenne, permettez-moi de signaler
l'action de mon camarade de promotion le Dr Jean Cousseran. Il fut l'élève
du Pr Harant, quand il était " santard ", détaché
de l'École de santé de Lyon à Montpellier. Après
quatre séjours en Afrique où il oeuvrait au service des
grandes endémies, il a été placé hors cadre
à Montpellier comme directeur opérationnel de l'entente
interdépartementale pour la démoustication. Il en deviendra
le directeur général succédant entre autres à
mon éminent collègue, le Pr Jean-Antoine Rioux, lui-même
à l'origine du développement scientifique et technique de
cet organisme. Grâce à ces hommes et au travail permanent
de leurs équipes sur le terrain, Montpellier et sa région
vivent presque sans moustiques.
Souvenons-nous que l'on y mourrait encore de paludisme avant 1945. Le
CHU de Montpellier recense actuellement une centaine de cas.
La lutte contre les maladies oculaires
reste primordiale au Sahara. Le trachome, conjonctivite granuleuse contagieuse
des pays chauds due à un micro-organisme, demeure la plaie des
oasis. Là, comme dans le monde entier, il s'avère le grand
responsable des cécités. Il frappe la majorité des
populations sédentaires dès les premiers mois de la vie.
En 1957, le pourcentage des élèves trachomateux variait
de 50 % à Laghouat pour atteindre 100 % dans le Mzab. Les nomades,
autrefois épargnés, sont touchés comme les ksouriens,
avec souvent des complications plus graves.
Albert Calmette
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Les conjonctivites
bactériennes, en poussées épidémiques
au début et en fin de saison chaude, ajoutent leur méfait
au trachome. Il est fréquent de voir de jeunes enfants porteurs
de grappes de mouches aux coins des yeux sans faire un geste pour les
chasser. La lutte anti-ophtalmique revêt de ce fait une importance
majeure pour éviter les cécités. D'où l'intérêt
des 135 dispensaires avec un infirmier assurant l'instillation des collyres
et la mise en oeuvre précoce du traitement lors des consultations
des mères et nourrissons. Dans les écoles, tous les jours,
les enseignants avec les infirmières mettent du collyre dans les
yeux des enfants.
On relève un grand nombre d'interventions chirurgicales oculaires
sur les registres d'infirmerie depuis 1941, 32 624, le plus souvent pour
trichiasis. Il s'agit de la rétraction des paupières et
des cils vers l'intérieur de l'oeil par sclérose des conjonctives
sous l'effet des granulations trachomateuses. Les cils frottent la cornée
qu'ils opacifient, c'est la cécité. L'opération,
simple, consiste à redonner aux paupières leur position
initiale. J'avais formé un infirmier à cette technique,
comme le faisaient mes confrères des autres oasis et Madani réussissait
aussi bien que moi.
La mission ophtalmologique saharienne, dirigée par une célèbre
ophtalmologue des hôpitaux d'Alger, Mile Renée Antoine, élève
du Pr Cange, du Val-de-Grâce, dont elle continuait l'action, effectuait
deux à trois tournées annuelles de vingt jours. Elle contrôlait
ou conseillait les médecins des oasis, et Mile Antoine, la toubiba,
pratiquait les interventions dépassant leur compétence.
Depuis sa création en 1946, cette mission a 35000 consultations
et 3300 interventions à son actif. Je tiens à souligner
le dévouement de cette femme d'exception, décédée
il y a quelques années en Arles.
La tuberculose constituait le fléau
le plus important après le trachome en 1962 et risquait de le détrôner
du fait des bouleversements concernant l'immigration, le brassage des
populations et la sédentarisation des nomades.
La seule prophylaxie efficiente, en attendant l'élévation
du niveau de vie, résidait dans la vaccination collective au moyen
du BCG (bacille de Calmette et Guérin). Ce vaccin a été
mis au point par le médecin général Albert Calmette,
ancien médecin de la Marine, puis de la Coloniale, alors directeur
de l'institut Pasteur de Lille, et son collaborateur Camille Guérin,
vétérinaire et biologiste d'Alfort. Calmette, comme beaucoup
de médecins militaires bactériologistes, avait suivi à
l'Institut Pasteur de Paris le grand cours du P' Émile Roux, ancien
élève du Val-de-Grâce, puis adjoint de Pasteur. En
1890, Calmette montrait à ses camarades stupéfaits avec
quelle facilité on peut trouver l'hématozoaire de Laveran
dans le sang des paludéens. La méthode est simple actuellement.
Mais n'oublions pas que quelques années auparavant, en 1864, l'Académie
des Sciences donnait officiellement raison à Pasteur en substituant
la " théorie des germes " à celle de la "
génération spontanée ". Pasteur enverra Calmette
en 1890 créer l'institut de Saïgon. Calmette avait aussi mis
au point la sérothérapie antivenimeuse dont on se servait
au Sahara. C'est encore Albert Calmette qui fut chargé, en 1909,
par Émile Roux, alors directeur de l'Institut Pasteur de Paris,
de créer et diriger l'institut Pasteur d'Alger, aidé du
D' Edmond Sergent. Ce dernier lui succédera en 1912, jusqu'à
l'indépendance de l'Algérie.
Après cette parenthèse, revenons à la tuberculose.
De 1950 à 1956, la mission itinérante du Gouvernement général
de l'Algérie, avec la participation des 70 médecins militaires
des oasis, effectuera près de 450000 opérations de contrôle
par l'intradermo - réaction à la tuberculine et vaccinera
par le bacille de Calmette et Guérin, près de 120000 sujets
de moins de trente ans. En 1954, à In Salah, cette opération
terminée dans tous les ksours à majorité de Harratin,
il restait à vacciner par le BCG les femmes des commerçants
arabes qui ne sortaient jamais. Elles s'étaient regroupées
le soir chez l'une d'entre elles sur l'instigation du caïd. A cette
évocation, une image des mille et une nuits m'éblouit encore.
En contraste avec la pauvreté des lieux, des tentures, des tapis,
des coussins de toutes les couleurs, des robes chatoyantes, relevées
de fibules et chaînettes, et les visages fardés, souriants,
encadrés de pendentifs, étaient illuminés et mis
en valeur par l'éclairage des lampes à pétrole et
des bougeoirs au pied de cuivre... Un vrai Delacroix !
Protection materelle
et infantile
Aussi vieille que l'assistance médicale,
elle-même, la protection maternelle et infantile s'est développée,
dès 1927, avec la création de l'oeuvre dite "
des mères et nourrissons ". Toute mère présentant
son enfant à la consultation bénéficie de secours
en nature (lait, aliments, petits vêtements et savon). Les nourrissons
en général en bon état physique, passent un cap redoutable
lors du sevrage brutal, vers deux ans, avec alimentation d'adulte, mal
équilibrée, d'où troubles digestifs, retard de croissan2e
et carences. En 1960, on relevait 70000 consultations pour un chiffre
de 10 000 nourrissons inscrits, permettant lors d'un contrôle mensuel,
la vaccination antivariolique et le traitement du trachome. En matière
d'accouchement, il faut souligner la facilité avec laquelle les
musulmanes ont fini par accepter le secours d'une sage-femme ou d'une
infirmière et du médecin. Ainsi, entre 1950 et 1960, ont
été pratiqués près de 15 000 accouchements,
soit dans les maternités, soit à domicile. En deux ans à
In Salah avec les infirmières Aïcha et Mina, nous avons mis
au monde une quarantaine d'enfants, appelés en général
pour des cas difficiles. Selon la tradition, les femmes accouchaient dans
la maison paternelle, accroupies dans le sable et tirant sur une corde
accrochée au plafond. Cette position, peut-être confortable
pour la parturiente, l'était moins pour le médecin qui l'examinait
à genoux, à la lumière d'une lampe à pétrole...
Mais qu'importe, quand il s'agit de recevoir ce don de vie !
Hygiène
scolaire
Le service d'hygiène scolaire, assuré
par les médecins sahariens comporte les consultations et les soins
quotidiens, en particulier pour le trachome. Dès la rentrée
scolaire, une fiche médico-pédagogique est remplie, conjointement
avec l'enseignant, puis sont pratiqués les examens de contrôle
(cuti-réactions et radioscopies pulmonaires), la vaccination triple
et les visites trimestrielles. Les directeurs des deux écoles communales
d'In Salah, originaires du Lot, m'aidaient dans cette tâche. Après
chaque fête de circoncision le caïd nous envoyait en longues
processions les petits opérés tenant leur robe à
distance pour la désinfection et les pansements d'usage. L'effectif
des écoliers sous contrôle médical, de quelques centaines
en 1918, atteignait 10 000 en 1947 et dépassait 20 000 en 1958.
Hygiène
publique
Les médecins, membres de la commission
municipale d'hygiène publique dans chaque oasis, donnent leur avis
sur toutes les questions de salubrité : eau d'alimentation, évacuation
des matières usées, habitat, et surtout mesures prophylactiques
contre les épidémies, déjà envisagées,
qu'il faut en permanence surveiller. En l'absence de vétérinaire,
les médecins se chargent des visites sanitaires des viandes ainsi
que de la surveillance des abattoirs et des étals de vente car
des nuées de mouches s'y agglutinent, insensibles aux mouvements
nonchalants des éventails.
Exploration scientifique
du Sahara
Nuage de sauterelles au
Sahara.
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Les médecins militaires ont apporté
aussi une importante contribution à l'oeuvre d'exploration scientifique
du Sahara, et en particulier à celle entreprise par l'institut
Pasteur d'Alger. Sous la direction d'Henry Foley, les travaux se sont
multipliés pendant près de 60 ans. Ils embrassent les maladies
humaines et s'étendent à l'anthropologie, la pathologie
vétérinaire, la botanique et la zoologie. Chaque médecin,
à l'issue de son séjour, devait publier une étude
historique, géographique et médicale de son secteur. Le
Bulletin de Pathologie Exotique et les Archives de l'institut Pasteur
d'Alger reçoivent ainsi plus de 300 publications. J'ai pu puiser
tous les renseignements de cet exposé dans ma propre monographie
sur le Tidikelt, la synthèse faite par l'un des derniers directeurs
des Territoires du Sud, le Dr P. Passager, et la belle thèse du
médecin lieutenant Jean-Luc Verselin (Lyon, 1992), sur " Les
Toubibs sahariens ".
Et les maladies neuropsychiatriques,
me direz-vous? À l'époque, généraliste, j'ai
examiné, une seule fois, un malade agité et délirant.
Après interrogatoire de la famille, on apprenait qu'il s'était
gavé de sauterelles grillées, plat apprécié
lors des invasions de ces insectes orthoptères. À mon air
ahuri, il me fut remarqué : " Et toi toubib, tu manges bien
des crevettes! ". Or ces sauterelles avaient dévoré
une plante réputée nocive, dont j'adressais un exemplaire
au laboratoire saharien de l'Institut Pasteur. Celui-ci déterminait
une solanacée, Hyoscyamus muticus Linné. Il s'agissait bien
d'un état confusoonirique toxique atropinique par la jusquiame,
dont le diagnostic avait été fait avant moi, par l'infirmier
chef.
Quelques souvenirs...
maintenant
Le climat du grand désert restera
toujours éprouvant (52° à l'ombre pendant quatre mois
à In Salah et Aoulef, les oasis les plus chaudes). Il imposait
la séparation des jeunes ménages cinq longs mois, de mai
à octobre : les femmes auraient trop souffert de la sécheresse
torride et les enfants en mouraient. Les vents de sable soufflaient deux
cents jours par an. À ce sujet, un épisode médico-légal
m'a permis de constater le décès en plein été
de deux autochtones employés des pétroliers. Sortis de leur
tente pour uriner, par fort vent de sable et sans visibilité, ils
avaient négligé de tenir la corde fixée à
leur abri, sécurisant fil d'Ariane. Ils furent retrouvés
le lendemain, cent mètres plus loin, la peau collée aux
os, momifiés.
Pendant cette période, on devait absorber 10 à 12 litres
d'eau par jour, eau magnésienne, difficilement buvable... même
avec de l'anisette et encore plus avec le café. Pour nos jeunes
enfants, il fallait faire venir des citernes d'El Goléa, filtrer
l'eau, la faire bouillir et la battre pour l'aérer. Sous le soleil
" enragé ", comme l'écrivait un numide romanisé,
le travail est exténuant, avec pour unique compensation, à
certaines heures et certains jours, des spectacles exaltants. Ainsi, l'envoûtante
couleur améthyste du plateau du Tademaït, dominant In Salah,
au coucher du soleil. Aussi, ce coin de palmeraie du Ksar El Arab qu'ensevelit
peu à peu la dune dévorante : on y voit encore, à
demi- enfouie, la maison de repos du père de Foucauld. Ou encore,
le puits artésien d'El Barka avec sa piscine d'eau glauque où
se reflètent les palmiers aux couleurs changeantes et ses peignes
de distribution à l'irrigation contrôlée.
Théodore Monod.
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Seul médecin pour les 20000 habitants
du Tidikelt oriental y compris les nomades et une dizaine de familles
de militaires, enseignants et postiers, j'ai rarement au cours de mes
tournées, pu m'asseoir sur une dune de sable et me dire, comme
Saint-Exupéry " On ne voit rien, on n'entend rien. Et cependant
quelque chose rayonne en silence ".
Théodore Monod, du haut de son chameau, un sourire sarcastique
aux lèvres, remarquait : " Je ne crois pas que la fréquentation
des déserts favorise la vie spirituelle. En tout cas, on a du temps.
On s'ennuie énormément à chameau. On ne peut pas
lire. On peut méditer, réfléchir à beaucoup
de choses, mais on pense surtout à des verres de citronnade et
à des portions de camembert ". Quel humour grinçant
pour un homme qui a consacré sa vie au désert après
avoir effectué, en 1929, son service militaire dans les compagnies
méharistes, à In Salah. Nous vivions dans des maisons en
pisé. Le frigidaire à pétrole était souvent
en panne; le groupe électrogène de l'annexe dispensait son
courant de 20 heures à 22 heures, nous permettant d'écouter
quelques classiques mais aussi Sidney Bechet et les Platters. L'été,
la chaleur excessive nous obligeait à dormir sur la terrasse. Dans
l'attente du sommeil, la dérive des étoiles nous fascinait.
Quelques vers du médecin général Edmond Reboul, scintillent
dans ces nuits sahariennes.
" Lorsque tombe le soir, une brume vermeille se dissipe au couchant.
Le ksar, le minaret découpent leurs créneaux et Vénus
apparaît. Dans l'ombre et la fraîcheur, le Sahara s'éveille.
Là-haut, à chaque instant, s'éclaire une merveille,
un gracile croissant - un arc, un fil discret - brille et la voûte
alors révèle son secret, le trésor d'une nuit à
nulle autre pareille. Tant d'éclats, de saphir, rubis et diamant
jonchent désordonnés, l'immense firmament que le ciel s'illumine,
étrange, énigmatique. Nul ne peut déchiffrerce cosmique
Talmud, mais qu'importe à celui qui vint pour voir, mythique, dans
la nuit du désert, monter la Croix du Sud ". Après
le rêve, le labeur reprenait chaque matin. Mais quel réconfort
que la reconnaissance des autochtones témoignant leur gratitude
envers les médecins par une complète
confiance et leur amitié. Après chaque visite à domicile,
il fallait boire les trois verres rituels de thé à la menthe,
les deux premiers appréciés, le dernier très fort.
Une anecdote à ce sujet: à la consultation, hommes et femmes
venaient souvent se plaindre d'une gêne épigastrique (la
kerchite) qu'ils attestaient par un mouvement de battement de l'index
devant leur estomac. Je n'en compris la cause que lorsque je fus moi-même
victime de palpitations identiques liées à l'excès
de théine. À partir de ce moment, il fut convenu que je
boirais seulement le premier verre de thé.
Conclusions
Que s'est-il passé après 1962?
Après une période de transition émaillée d'incidents,
un protocole d'accord entre l'Algérie et la France consacre en
1963 la Mission Médicale française au Sahara : elle assure
la continuité de l'action sanitaire, entreprise depuis 1900, avec
un effectif de 71 médecins militaires français. En 1976,
les relations entre la France et l'Algérie se dégradent
et le gouvernement français rapatrie définitivement tous
les membres du service de santé. La mission saharienne s'achève
dans l'amertume et l'ingratitude. Son médecin- chef conclut sur
une note moins sombre : " Le jeune médecin saharien fournira,
comme son confrère de la brousse, une image vivante à cette
pensée de notre grand ancien, le baron du Premier Empire Perc y:
le secret le plus sûr et le plus noble pour résister à
la tentation de haïr les hommes, c'est de se condamner généreusement
à leur être toujours utile ".
De retour au Sahara en voyage organisé en 1988, trente-trois ans
après notre séjour dans le Tidikelt, avec mon excellent
et vieil ami, le Dr Henri Duboureau, ancien médecin d'Aoulef -
notre complicité s'était soudée sur le reg entre
nos deux oasis - nous nous sommes arrêtés à In Salah.
Le téléphone arabe avait fonctionné... nous fûmes
invités avec nos épouses, à boire le thé dans
la famille de mon ancien infirmier-chef Si Chérif. Quelle émotion
de retrouver dans sa maison toute l'équipe ancienne d'infirmières
et infirmiers ! Quel coup au coeur quand il m'asséna avec fierté
: " Ton fils est médecin ! ". Troublé un
bref moment, regardant à la dérobée mon épouse
et mes amis, je me rappelais avoir accouché sa femme d'un garçon:
il était ainsi, selon la coutume devenu " mon fils
". Après des études primaires locales, secondaires
à El Goléa puis à la faculté d'Alger, il exerçait
à In Salah. Quel regret de n'avoir pu m'entretenir avec lui ! Il
visitait ce jour-là, les petites oasis voisines, comme je le faisais
après bien d'autres médecins, plus de trente ans auparavant.
La relève était assurée... Il faut insister avec
le Dr Edmond Sergent, sur l'oeuvre salvatrice accomplie en quelques lustres
par l'admirable corps des officiers des Affaires sahariennes - aux multiples
fonctions municipales - et par celui éminent des médecins
militaires. Cette oeuvre magnifique et exaltante constitue, pour la France,
un titre imprescriptible de gloire. Mais cette oeuvre fut dure.
À la longue liste des médecins morts d'épidémie,
il faut ajouter pour la période de 1918 à 1950, les noms
de cinq médecins victimes du typhus ou de fièvre récurrente.
Avant de terminer cette description, soulignons, à nouveau, qu'il
s'agit là d'une infime partie de l'oeuvre humanitaire accomplie
par les médecins militaires et en particulier ceux de la Coloniale,
à travers les cinq continents. Véritables premiers médecins
du monde et premiers médecins sans frontières, ils ont exercé
leur sacerdoce avec passion et dévouement, dans la plus grande
discrétion, depuis plus d'un siècle et dans des conditions
très difficiles, souvent au péril de leur vie. Cinq cents
sont morts victimes du devoir. Actuellement encore, les jeunes médecins
militaires sont engagés, dans le cadre des opérations extérieures,
en Europe Centrale et en Afrique, où ils poursuivent malgré
les guerres, l'action humanitaire du Service de Santé des Armées,
et tout récemment en Asie du Sud-Est, avec les équipes médico-militaires
et de protection civile. Le 21 juin 1962, dix jours avant que le drapeau
français ne soit définitivement amené sur tout le
territoire algérien, et à l'occasion de la remise de la
médaille Manson à Edmond Sergent, docteur de l'institut
Pasteur d'Alger, Sir Georges Mac Robert, président de la Britannic
of Tropical and Royal Society, devait déclarer: " Je tiens
à saisir cette opportunité pour rendre hommage à
la France quia joué un rôle primordial dans les progrès
de la médecine tropicale dans les pays chauds et plus particulièrement
en Afrique. Nous devons saluer les sacrifices accomplis par des générations
de Français en Algérie. Ils n'ont jamais cessé de
travailler à l'amélioration du sort de nomme et des animaux,
et l'institut Pasteur d'Alger a brillé comme un phare au-dessus
des ténèbres de l'Afrique ". J'y ajoute, c'était
implicite, l'action des médecins, infirmiers, pharmaciens, vétérinaires,
scientifiques, enseignants et des cultivateurs qui ont défriché
des terres insalubres.
o
" Nous devons saluer les sacrifices accomplis
par des générations de Français en Algérie.
Ils n'ont jamais cessé de travailler à l'amélioration
du sort de l'homme et des animaux, et l'institut Pasteur d'Alger
a brillé comme un phare au-dessus des ténèbres
de l'Afrique ".
Sir Georges Mac Robert
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