Médecine à Alger, en Algérie
Le trachome, cette vieille plaie endémique de l'Algérie
est désormais en voie de complète résorption
Alger-Revue du printemps 1961

 

mise sur site le 8-6-2006

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Grâce à un merveilleux effort médico-social , LE TRACHOME, cette vieille plaie endémique de l'Algérie
est désormais en voie de complète résorption


l'Institut d'Alger - Mustapha est pour le monde un modèle
d'organisation et d'enseignement

En Algérie plus de 3 millions d'individus sont touchés par le trachome,

1/3 de la population à des degrés divers, est atteinte par ce fléau social.

75 millions de journées de travail par an sont perdues pour la richesse économique du pays.

Il y a en Algérie plus de 40.000 amblyopes, incapables de travailler (dont 23.000 aveugles recensés). Le trachome exclut un tiers de la population de la fonction publique et de la majorité des grands services (C.F.A. en particulier).

Les contaminations lointaines sont à craindre. Elles sont d'autant plus graves qu'elles se produisent souvent sans bruit, d'une façon sournoise et maligne : les spécialistes métropolitains n'en sont pas encore suffisamment informés.I1 est d'ailleurs à craindre d'ici quelques années les trachoïnateux comptent en France par millions . N'oublions pas que le trachome est maladie la plus répandue dans le monde. 1/8 de la population du globe en est ateint (400 millions).

L'endémie trachomateuse ticulièrement forte en Asie, dans l'Europe centrale, en Amérique du Sud, en Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

L'Egypte que l'on a pu appeler "le pays des aveugles " est a 100 % dans certaines régions, de même d'ailleurs que les pays limitrophes.

La fréquence de la cécité est
Sur 10.000 en Egypte : 119,7
France et U.S.A : 8
Algérie : 118,8
URSS : 16
Le pourcentage des cas de trachome est de l'ordre de
au Maroc : 50 %
en Tunisie : 65%
En Algérie :
Villes : 25 à 30 %
Campagnes : 50 à 70 %
Oasis 90 à 95 %

Le trachome constitue le principal responsable de la cécité. Sur 10.000 aveugles examinés à la clinique ophtalmologique d'Alger 27 % l'étaient du fait du trachome. A ce chiffre important il faut ajouter les borgnes et les malades dont l'acuité visuelle est considérablement réduite.

Son caractère contagieux ne peut être négligé, car le trachome est une infection de la conjonctive due à un virus ; on l'appelle encore conjonctivite granuleuse. C'est une affection grave d'évolution habituellement chronique, s' é t a l a n t pendant des années.

L'affection touche non seulement la conjonctive, mais aussi la cornée. Le trachome est une affection sournoise, insidieuse, tout au plus le malade se plaint-il de picotements oculaires, de sensations de grains de sable sous les paupières. Aussi passe-t-il souvent inaperçu, surtout chez l'enfant.

De sa phase évolutive le trachome se surinfecte fréquemment sans que le malade qui se frotte les yeux s'en aperçoive. Exposé à contracter une conjonctivite aiguë le malade qui s'ignore, favorise par sa négligence les ulcères et c'est la perte définitive de la vue.

D'où vient le trachome ?
Personne n'est à l'abri du trachome.
Dans la famille, à l'école, à l'atelier, dans l'armée, les exemples cliniques de contagion sont fréquents.

L'enfant est le plus exposé : il peut trouver le trachome dans son berceau, au contact de sa nourrice malade, à la crèche.

De nombreux arguments historiques, cliniques, expérimentaux prouvent que la contagion est favorisée par la promiscuité et le manque d'hygiène.

Les agents de dissémination du trachome sont très variés : ce sont essentiellement les linges (serviette de toilette, mouchoirs), les accessoires de toilette (brosse à cils, bâton de kolh), les mouches qui butinent sur les yeux des malades. Les conjonctivites épidémiques saisonnières qui font couler les yeux favori-sent la dissémination du trachome. L'histoire du trachome montre que son foyer originel asiatique à la faveur des grands mouvements de population provoqués par les guerres, les immigrations (travailleurs polonais dans le Nord, etc...).

Peut-on guérir le trachome ?
Oui. Mais le traitement est long, car il s'agit d'une affection chronique qui évolue par poussées, avec des rechutes parfois très tardives. Il n'existe pas de traitement miraculeux. De nombreux médicaments ont été préconisés : actuellement les sulfamides et les antibiotiques sont préférés, en collyre, par la bouche ou par injection dans le cul-de-sac conjonctival.

Grâce à un traitement persévérant, on peut obtenir une guérison complète, sans complications, sans séquelles, mais une surveillance pro-longée est nécessaire pour affirmer la guérison.

Devant la menace que représente le principal des fléaux médico-sociaux : les maladies oculaires et leurs graves conséquences, les pouvoirs publics se sont alarmés.

On a créé des ligues contre le cancer. C'est très louable, mais face à la terrible menace de cécité généralisée provoquée par le trachome on n'envisage pas le problème dans toute sa gravité parce qu'il est courant, journalier, presque naturel en ce pays. Et pourtant : perdre la vue un jour ou l'autre par négligence, par ignorance même constitue pour soi comme pour autrui presque un crime.

Partant du principe acceptable qu'un trachomateux peut être guéri et rendu à la société, 1"Institut d'ophtalmologie tropicale " d'Alger créé par arrêté du 10 décembre 1946 et qui a pris le nom d" Institut du trachome et d'ophtalmologie tropicale ", devant l'ampleur et le développement des ravages causés par le trachome, s'est attaqué au mal avec des moyens puissants.

Seulement les résultats de la lutte anti-trachomateuse dépendent non seulement des efforts patients, tenaces, du médecin mais aussi de la compréhension et de la collabo-ration d'un public instruit.

En Algérie cette lutte peut être assurée de trois façons pratiques
1° Par des organisations fixes comme les hôpitaux. Actuellement on a des services d'ophtalmologie dans les hôpitaux répartis à Oran, Constantine, Sétif, Bougie, Tlemcen, Sidi-Bel-Abbès, Mascara, Mostaganem, Orléansville, Tizi-Ouzou, Batna, Bou-Saada.

Les services ophtalmologiques de l'hôpital de Mustapha d'Alger dirigés par le professeur Larmande, reçoivent des malades de toutes origines. Il est vrai qu'Alger possède une des cliniques les plus belles et les plus importantes du monde.

2° Par une lutte effectuée dans le bled avec des équipes mobiles itinérantes. Actuellement des camions bien équipés sillonnent les pays pour enseigner à la population les moyens de se défendre et de déceler les cas les plus graves, mais les moyens demeurent insuffisants.

 

-3° Par de la recherche scientifique en isolant le virus et en recherchant les vaccins et les sérums.
Depuis quelques années les pouvoirs publics se sont penchés sur ce grave problème et, actuellement à l'hôpital de Mustapha d'Alger fonctionnent trois services englobant une clinique ophtalmologique avec des salles de consultations, des salles de malades, des blocs opératoires, un laboratoire, un centre de recherches rattaché à la Faculté d'Alger, une clinique d'enseignement qui est la seule Faculté dans le monde à organiser un enseignement de la trachomatologie et capable à l'heure actuelle de délivrer un diplôme à des médecins.

Cette situation est connue dans le monde et l'organisation mondiale de la santé a demandé cette année à la Faculté d'Alger d'organiser un cours international de trachomatologie. Ce cours a été fait à des médecins étrangers notamment des turcs, des yougoslaves et des iraniens stagiaires.

La lutte s'avère efficace: le nombre des trachomes graves diminue. Ce qui donne l'impression que si un effort constant de 5 à 10 ans était soutenu, le trachome serait supprimé en Algérie. Ce serait une erradication du trachome.

Grâce à l'obligeance du professeur Larmande nous avons pu nous rendre compte de cet effort en visitant le Centre ophtalmologique d'Alger-Mustapha.

C'est un grand immeuble de trois étages qui couvre une surface considérable.

Indépendamment des salles de malades : hommes d'un côté, femmes de l'autre, pavillon des enfants à part, l'hôpital reçoit 40.000 consultations par an.

La salle de consultation qui est dotée de 7 box pour malades externes reçoit les patients déjà en soins chez les médecins du bled ou envoyés par eux pour avis et hospitalisation le cas échéant. Les malades d'Alger-centre y sont également ad-mis quand les dispensaires de la ville sont débordés. Selon la gravité de la maladie les patients sont hospitalisés d'urgence et tous sont inscrits au fichier qui dépasse actuellement 650.000.

Les salles d'opérations fonctionnent le mardi, le jeudi et le samedi.

A côté de la salle de consultation une salle de rééducation du strabisme reçoit les enfants qui en sont atteints. Auparavant ils p a s s e n t avec d'autres patients dans la salle de campimétrie où des appareils précis permettent d'étudier la vision binoculaire et les champs visuels.

 

Les malades hospitalisés sont traités dans des installations modernes dans des conditions de propreté, d'hygiène et de commodité dignes d'admiration.

Dans un pavillon, les femmes occupent quatre salles avec salle d'examen, cabinet de pansements, réfectoire, plusieurs dortoirs.

Les locaux réservés aux hommes sont dotés d'installations identiques.

Les enfants, et parmi eux des nourrissons font l'objet des soins les plus jaloux. Pour eux un problème de surveillance et de rééducation s'ajoute aux efforts habituels. Les infirmières et le personnel médical s'acquittent de leur tâche a v e c fierté. Bien mieux une salle de dé-tente permet aux malades de goûter aux plaisirs des jeux et de la radio.

Le bloc opératoire comprend 8 salles. Indépendamment de deux blocs opératoires importants et isolés, les 6 autres blocs munis d'appareils sanitaires adéquats permettent aussi aux médecins stagiaires de s'exercer sous l'oeil vigilant des maîtres.

Les opérations délicates comme les cataractes, les décollements de rétine ont lieu dans les deux premiers blocs où les médecins en voie de spécialisation suivent l'enseigne
ment en observant le déroulem de l'action à travers une verrière.

Les communications (demandes réponses) se pratiquent à l'aide de micros.

L'Institut du Trachome d ' Alger-Mustapha comprend un amphithéâtre où ont lieu les cours, les projections cinématographiques. Une bibliothèque nantie uniquement de livres sur les maladies des yeux comprend plusieurs centaines d'ouvrages spécialisés.

Mais le côté le plus curieux pour nous, a été la visite du laboratoire de recherches nanti d'un microscope électronique. Tout un étage est divisé en pièces consacrées aux examens bactériologiques, aux travaux d'anatomie pathologique, de virologie, au laboratoire de chimie.

Dans une première salle des prélèvements oculaires sont opérés sur les malades hospitalisés. Un examen trachomateux est effectué. Les frottis sont colorés et examinés au microscope soit en examùen direct soit après culture.


On a constaté que l'embryon vivant de l'oeuf fécondé peut être affecté de trachome. Au 9e jour on inocule le virus dans le jeune d'oeuf (sac vitellin). Après le développeraient du virus l'embryon meurt et du sac vitellin l'on récupère dans des éprouvettes le virus qui est conservé à très basse température dans le " deep-freezer ". U n e chambre chaude (37°) ou étuve permet également la multiplication de la culture. Une chambre froide (4 à 6°) conserve d'autres virus récoltés à partir d'une animalerie où singes, cobayes, souris et lapins sont élevés à cause de leurs yeux qui réagissent comme ceux des hommes en matière de trachome.

Le laboratoire de chimie permet la recherche des vaccins et sérums. Plusieurs appareils servent soit à lyophiliser (dessécher) soit à agrandir (microscope électronique grossissant de 20 à 75.000 fois) soit à expérimenter afin que le trachome recule progressivement et disparaisse pour toujours.