ALGER
LITTÉRATURE ALGEROISE :
QUELQUES NOMS D'HIER

par Fernand Arnaudiès
extraits du numéro 2, 15 mars 1978, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 12-9-2005

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LITTÉRATURE ALGEROISE :
QUELQUES NOMS D'HIER

Aujourd'hui, mon intention est de tirer du silence, sinon de l'oubli, certains noms que je porte dans mon coeur et que je me répète dans le silence, avec une émotion profonde. Tous furent des chantres, ô combien Convaincus et passionnés, du pays perdu et tant aimé.

Vous souvient-il d'Albert Truphémus ? Inspecteur de l'Enseignement primaire, il fut un observateur lucide, parfois incisif, un peintre savoureux, aussi, de la vie quotidienne et familière. Son inoubliable "Hôtel du Sersou", ce roman haut en couleur du Sud algérien, a longtemps défrayé la chronique.

Vous souvient-il d'Ely Leblanc, qui se pencha sur les "Choses et Gens du Hoggar", avec un enthousiasme si communicatif ; de Marcel Mercier qui, lui, s'intéressa à la "Civilisation urbaine au M'zab" et leva quelques voiles de Gardafa la mystérieuse" ?
Edmond Gouvion-Saint-Cyr, lui aussi, s'attarda sur les pistes du "M'zab" et fonda la revue "Erikala", ouvette à toutes les informations, politiques, artistiques et littéraires.

Il y eut mon ami Ferdinand Duchêne, le discret Ferdinand Duchêne, qui brossa de main de maître une fresque magistralement colorée, sous le vocable éloquent de "Barbaresques".

Et l'exquise Annette Godin qui, à une grâce toute naturelle alliait une séduisante finesse du geste et de l'esprit Sous sa plume : "La Face d'Allah" "Les Bicots" (amours et aventures) "La Perle noire", "Sur les pistes du Sahara", "La Harpe d'Or", "Abyssa, fille de Noë", et la "Dernière Atlante". Vous souvient-il ? Quelle fidélité au sujet prétexte ! Quelle belle leçon dans la continuité de l'inspiration !

Mais gardez-vous présent en mémoire le nom de Marcel Florenchie ? Je le souhaite. Il fut un terrien, un colon d'Oranie. Il fut aussi un écrivain de talent. Ses mémoires de colon, il les consigna dans sa très perspicace "Terre Algérienne", qu'édita' Soubiron vers 1931; premier volet d'un triptyque, complété en 1933 par "Eux et nous", et deux ans plus tard par un album sans fard "Vieilles Figures".

Robert Migot fut un homme de bonne compagnie, d'une modestie peu commune. Il appartenait aux services de direction des Chemins de Fer Algériens de l'Etat et collaborait à la "Revue Algérienne" de Jean Pomier. Je retiens de son oeuvre constructive et diverse le pilier central : son "Tombeau de la Chrétienne", dont Jean Pomier fit grand éloge et publia de larges extraits.

Vous souvient-il de Claude Maurice Robert, le Saharien et le poète, d'une urbanité exquise et d'un commerce enrichissant ? "Toi et moi", qui connut un succès largement mérité, vint s'ajouter, environ 1936, à une oeuvre rimée considérable, toute pleine de l'exotisme, de la beauté de cette terre qu'il aima, lui aussi, et chanta sans trève ni repos, à l'ombre des palmiers, dans le silence lourd des sables.

D'autres encore, sur lesquels je reviendrai, car je ne les oublie pas. Mais j'aimerais accorder ici la place qu'il mérite et dans l'estime et dans le souvenir à celui qui fut mon maître et mon ami : Ernest Mallebay, un mousquetaire du Calame. Fondateur et -directeur des "Annales Africaines", où je fis mes premières armes, Mallebay mena, durant près d'un demi-siècle, le bon, l'utile combat. Politicien, économiste, journaliste de la grande lignée, il connut le meilleur et le pire du beau, difficile et accaparant métier. "Cinquante ans de journalisme", paru il y a une trentaine d'années, fut son chant du cygne. Un extraordinaire retour dans le passé, un vaste reportage, une quête inouïe dans les réserves algéroises, à l'époque héroïque. Un dur, Ernest Mallebay. Un bretteur, de surcroît, dont beaucoup eurent à connaître dans les matins calmes du Jardin d'Essai.

Je terminerai cette remontée dans le temps, par une anecdote toute personnelle et qui entre bien dans le cadre des humeurs belliqueuses de Mallebay. Donc, candidat à un poste de début aux "Annales", je me présentai un beau jour dans les bureaux de la rue de la Liberté, en compagnie de Frac, humoriste, l'un des fondateurs du "Salon du Rire". Et voilà la première question qui me fut posée sans préalable : "Savez-vous croiser le fer au moins ?"

J'avoue que cette nécessité, qui paraissait faire partie intégrante du métier, coupa mes élans et refroidit mes ambitions. Par chance, mon ami Frac me rassura : on ne se pourfendait plus dans les matins calmes du Jardin d'essai

Fernand Arnaudiès