LITTÉRATURE
ALGEROISE :
QUELQUES NOMS D'HIER
Aujourd'hui, mon intention est de tirer du silence, sinon
de l'oubli, certains noms que je porte dans mon coeur et que je me répète
dans le silence, avec une émotion profonde. Tous furent des chantres,
ô combien Convaincus et passionnés, du pays perdu et tant
aimé.
Vous souvient-il d'Albert Truphémus
? Inspecteur de l'Enseignement primaire, il fut un observateur lucide,
parfois incisif, un peintre savoureux, aussi, de la vie quotidienne et
familière. Son inoubliable "Hôtel du Sersou", ce
roman haut en couleur du Sud algérien, a longtemps défrayé
la chronique.
Vous souvient-il d'Ely Leblanc, qui
se pencha sur les "Choses et Gens du Hoggar", avec un enthousiasme
si communicatif ; de Marcel Mercier qui,
lui, s'intéressa à la "Civilisation urbaine au M'zab"
et leva quelques voiles de Gardafa la mystérieuse" ?
Edmond Gouvion-Saint-Cyr, lui aussi, s'attarda sur les pistes du "M'zab"
et fonda la revue "Erikala", ouvette à toutes les informations,
politiques, artistiques et littéraires.
Il y eut mon ami Ferdinand Duchêne,
le discret Ferdinand Duchêne, qui brossa de main de maître
une fresque magistralement colorée, sous le vocable éloquent
de "Barbaresques".
Et l'exquise Annette Godin qui, à
une grâce toute naturelle alliait une séduisante finesse
du geste et de l'esprit Sous sa plume : "La Face d'Allah" "Les
Bicots" (amours et aventures) "La Perle noire", "Sur
les pistes du Sahara", "La Harpe d'Or", "Abyssa, fille
de Noë", et la "Dernière Atlante". Vous souvient-il
? Quelle fidélité au sujet prétexte ! Quelle belle
leçon dans la continuité de l'inspiration !
Mais gardez-vous présent en mémoire le nom de Marcel
Florenchie ? Je le souhaite. Il fut un terrien, un colon d'Oranie.
Il fut aussi un écrivain de talent. Ses mémoires de colon,
il les consigna dans sa très perspicace "Terre Algérienne",
qu'édita' Soubiron vers 1931; premier volet d'un triptyque, complété
en 1933 par "Eux et nous", et deux ans plus tard par un album
sans fard "Vieilles Figures".
Robert Migot fut un homme de bonne
compagnie, d'une modestie peu commune. Il appartenait aux services de
direction des Chemins de Fer Algériens de l'Etat et collaborait
à la "Revue Algérienne" de Jean Pomier. Je retiens
de son oeuvre constructive et diverse le pilier central : son "Tombeau
de la Chrétienne", dont Jean Pomier fit grand éloge
et publia de larges extraits.
Vous souvient-il de Claude Maurice Robert,
le Saharien et le poète, d'une urbanité exquise et d'un
commerce enrichissant ? "Toi et moi", qui connut un succès
largement mérité, vint s'ajouter, environ 1936, à
une oeuvre rimée considérable, toute pleine de l'exotisme,
de la beauté de cette terre qu'il aima, lui aussi, et chanta sans
trève ni repos, à l'ombre des palmiers, dans le silence
lourd des sables.
D'autres encore, sur lesquels je reviendrai, car je ne les oublie pas.
Mais j'aimerais accorder ici la place qu'il mérite et dans l'estime
et dans le souvenir à celui qui fut mon maître et mon ami
: Ernest Mallebay, un mousquetaire du Calame. Fondateur et -directeur
des "Annales Africaines", où je fis mes premières
armes, Mallebay mena, durant près d'un demi-siècle, le bon,
l'utile combat. Politicien, économiste, journaliste de la grande
lignée, il connut le meilleur et le pire du beau, difficile et
accaparant métier. "Cinquante ans de journalisme", paru
il y a une trentaine d'années, fut son chant du cygne. Un extraordinaire
retour dans le passé, un vaste reportage, une quête inouïe
dans les réserves algéroises, à l'époque héroïque.
Un dur, Ernest Mallebay. Un bretteur, de surcroît, dont beaucoup
eurent à connaître dans les matins calmes du Jardin d'Essai.
Je terminerai cette remontée dans le temps, par une anecdote toute
personnelle et qui entre bien dans le cadre des humeurs belliqueuses de
Mallebay. Donc, candidat à un poste de début aux "Annales",
je me présentai un beau jour dans les bureaux de la rue de la Liberté,
en compagnie de Frac, humoriste, l'un
des fondateurs du "Salon du Rire". Et voilà la première
question qui me fut posée sans préalable : "Savez-vous
croiser le fer au moins ?"
J'avoue que cette nécessité, qui paraissait faire partie
intégrante du métier, coupa mes élans et refroidit
mes ambitions. Par chance, mon ami Frac me rassura : on ne se pourfendait
plus dans les matins calmes du Jardin d'essai
Fernand Arnaudiès
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