ALGER
vue par FROMENTIN
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Fromentin |
Le carrefour Sidi Mohamed Chérif, à Alger, surnommé " Carrefour Fromentin " parce que l'auteur d' " Une année dans le Sahel " allait souvent s'asseoir sur les bancs du café maure - à droite sur notre photo - où il rencontrait son ami le fumeur de hachisch. |
--------1830
!Alger, refuge d'audacieux corsaires, jusque-là inviolable, et que
n'avaient pu vaincre ni l'Armada de Charles Quint, ni les galères
de l'Amiral Duquesne, est à la fin réduite ! --------Son prestige d'invincibilité s'écroule et, aux yeux du voyageur d'Europe, égaré sur la mer, elle n'a plus cet aspect de bête fauve à la blanche crinière, accroupie au flanc de la colline, prête à bondir sur sa proie au moindre geste, malgré les vagues, malgré le vent. --------Apprivoisée, accueillante, elle semble, mollement étirée sur les pentes adoucies du Sahel, faire offrande, à ceux qui la visitent, de la magie de son nom africain, du charme irrésistible de sa blancheur, de son climat, de ses parfums. Sans compter son mirage d'Orient devenu accessible, qui lui attire en foule : voyageurs, peintres, écrivains, épris de romantisme pittoresque et venus là en quête de visions inédites, d'impressions neuves, de rêveries ou d'aventures ensoleillées. --------S'il ne fut pas le tout premier, Eugène Fromentin fut tout au moins l'un des principaux de ces voyageurs captivés et pensifs. --------Avec quelles intentions, quels dons, quels appétits, quels préjugés d'artiste est-il venu ici ? --------Né en 1820, à La Rochelle, Fromentin aurait sans doute subi avec plus de profondeur l'atteinte du mal du siècle, si des influences modératrices diverses ne s'étaient exercées sur lui. Sa famille, de moyenne bourgeoisie, lui transmit, comme héritage, non seulement une forte culture, mais aussi de grandes qualités de mesure, de perspicacité, de netteté d'esprit. --------Ses études achèvent de former le mécanisme de son intelligence claire et ordonnée, et lui permettent de prendre contact avec les écrivains antiques qu'il évoquera sans cesse, plus tard, dans ses voyages sous le ciel d'Afrique. --------A Paris, où il se destine au barreau, et où cependant, il fréquente davantage les musées, les ateliers de peinture et les cours de Michelet au Collège de France que les amphithéâtres de droit, il ne tarde pas à apparaître comme un jeune romantique plein de tendresse et de mélancolie, au visage pâle, fuyant la vie réelle pour son prosaïsme et l'action par manque d'énergie. --------C'est dans ces dispositions de l'âme, qu'il est amené à découvrir l'une des particularités de son es-prit. Amoureux, il groupe autour de l'émotion amoureuse toutes les autres émotions où sa passion s'exalte, s'associant à tous les traits de la nature, à tous les détails du ciel, de la mer, de la grève. Et plus tard,lorsque meurtri par la perte de Madeleine il jure d'écrire le roman de leur amour, il remet toutes vives ces impressions à la surface, et les ressuscite avec une intensité de rappel étonnante. -------C'est le poète, c'est le peintre du souvenir, qui décrit à distance, alors que le temps a décanté dans la mémoire les détails observés, les faits vécus. Il en résulte, dans l'oeuvre, une économie de ligne admirable, une sobriété, une concision dignes du 17e siècle. Peintre, il vit la lutte entre les romantiques et les néo-classiques. Ne prenant point parti, il apprécie les mérites des uns et des autres, admire, chez ceux-ci, la recherche du permanent et de l'immobile, la haine du laid et du difforme, cependant qu'il s'attache à imiter la puissance d'expression de ceux-là. Une mode, si l'on veut l'appeler ainsi, va concilier ces deux tendances. L'Orient, qui soulève l'engouement général et qui a déjà rendu célèbres Delacroix, Descamps et Marillat, possède cette immobilité, cette stabilité, cette couleur, ce degré d'expression qui le fascinent chez les romantiques. Sa décision est prise, sa voie est trouvée. Il lui faut aller à la recherche de cet Orient qu'il croit être en Algérie. Il y vient avec un de ses amis, Charles Labbé, une première fois en 1846, une seconde fois en 1848. Il arrive du reste avec certains préjugés et certaines théories. En effet, l'Algérie n'est pas seulement pour lui le pays de la couleur et de la lumière, c'est aussi un anachronisme vivant, une Bible en images. Il rappelle, dans le " Sahel ", l'intensité de son enthousiasme premier. - --------" Certains horizons de montagne, du côté de Miliana, vagues et bleus dans la brume ardente du soir, nous faisaient crier d'un même instinct : " 0 Palestine ! O Palestine ! " --------De la Bible, il passe à l'évocation de la Grèce et de son épopée, découvre sous les fiers haillons des enfants du désert les antiques compatriotes d'Ulysse, et pense revivre, devant tel tableau de la vie arabe, quelque scène émouvante de l'Iliade. Il se promène par-tout, crayonne des dessins, écrit des lettres, accumule des souvenirs. Ce n'est que quelques années plus tard, dans le silence et la molle clarté d'un cabinet parisien, qu'il rassemble et rédige ses souvenirs, sous forme de lettres qui paraissent dans une suite de deux volumes : " Un été dans le Sahara ", " Une année dans le Sahel ". --------C'est ce dernier ouvrage, daté de 1852, qu'il consacre à ses impressions algéroises. Il est venu s'installer pour longtemps dans la blanche cité, parce qu'il l'aime : --------" Ce pays me plaît, il me suffit et, pour le moment, je n'irai pas plus loin que Mustapha d'Alger c'est-à-dire à deux pas de la plage où le bateau m'a débarqué ". -------Il en découvre le charme en artiste, qui sait contempler de l'extérieur, et ne veut point s'assujettir aux choses, aux êtres qu'il rencontre et qu'il décrit. Condamnant la curiosité comme étrangère à l'art, sa position reste celle du peintre plutôt que celle du poète, insatisfait et toujours assoiffé de mystère et de délire. Les portes des demeures mauresques peuvent se refermer devant lui, sans qu'il s'afflige, comme plus tard Gide, de l'inutile et lancinant désir de voir ce qui se passe derrière. Maître de ses enthousiasmes, comme de ses passions, il n'attache d'importance qu'aux lignes, aux formes, aux couleurs. Devant la face ensanglantee de cette pauvre Haoua, qui l'appelait pourtant avec une tendresse toute musicale " Ya Habibi ", il a quelques mots d'étonnement douloureux vite résigné et qui frisent l'indifférence, mais il s'attache plus longuement à décrire la danse qui se pour-suit non loin, au milieu d'un cercle de curieux dont un feu, dans la nuit, colore les visages. Evidemment il est venu en Algérie non pour s'abandonner aux aventures et aux idylles avec les musulmanes, mais pour faire moisson de traits et de détails pittoresques. Il voit donc Alger, d'abord et avant tout du " dehors ", de l'extérieur. Le cadre, il l'aperçoit à son arrivée, de la mer. La ville s'y inscrit comme un triangle blanc : --------" Trois heures avant d'être au port, on voyait la terre. Le premier sommet qu'on aperçoit c'est le vieil Atlas ; puis se présente la tête un peu plus voisine de la Bouzaréah, puis Alger, un triangle blanchâtre, sur des plateaux verts ". --------Le bateau accoste et la description se précise. Des couleurs nouvelles s'ajoutent, des impressions olfactives complètent l'ensemble. Le parfum de la cité monte dans l'air salubre : --------" Il faisait chaud. Le vent ne soufflait plus ; la mer était d'un bleu sombre, le ciel net et très coloré, je ne sais quelle odeur de benjoin remplissait l'air. Nous entrions dans un climat nouveau, et je reconnaissais cette ville charmante à son odeur ". - ------Pour compléter le tableau, voici comme fond les alentours de l'ancienne cité, aujourd'hui envahis de maisons géantes et tout bruyants de la vie trépidante d'une capitale moderne. C'est le Hamma, les collines expirantes du Sahel, et, au loin, le massif un peu blanchâtre de Maison-Carrée. Mais écoutons l'auteur : --------" C'est un pays de bocage, fertile, humide, presque partout marécageux. On y voit des prairies, des vergers, des cultures, des fermes, des maisons de plaisance aux toits plats, aux murs blanchis, des ca" sernes transformées en métairies, d'anciens forts, le tout sillonné de routes, clairsemé de bouquets d'arbres et découpé par d'innombrables haies de cactus et de nopals, toutes pareilles à des broderies d'argent ".
--------Quelles
sont les qualités de ce peuple : |