La
Nouvelle Caserne des Douanes à Alger
La nouvelle Caserne des Douanes, élevée boulevard Laferrière,
est le bâtiment administratif le plus important qui ait été
construit à Alger au cours de ces dernières années.
L'ancienne caserne de la
rue de Constantine était devenue notoirement insuffisante.
Cette inélégante bâtisse, manquant d'air et de lumière,
dépourvue du plus élémentaire confort; logeait
18 agents célibataires et 85 ménages. Les célibataires
habitaient un dortoir mal aéré, humide, incommode, et
les ménages n'avaient à leur portée aucune des
commodités qu'un établissement bien compris doit offrir
à ses locataires.
Au point de vue du service comme sous le rapport de l'hygiène,
le local de la rue de Constantine était insuffisant. Faute de
place, de nombreux douaniers logeaient en ville, d'autres étaient
provisoirement installés au Campement, il en résultait,
pour la transmission des ordres, pour les rassemblements, des heurts
qu'il fallait à tout prix éviter.
En jetant son dévolu sur les terrains occupés par la nouvelle
caserne. l'Administration fit un coup de maître. Ces terrains
sont, en effet, situés dans l'un des quartiers les plus beaux
d'Alger. L'air et la lumière les inondent ; on y jouit, sur la
mer et sur la campagne, d'une vue merveilleuse.
En somme, c'est l'emplacement idéal pour y construire une caserne
de douanes, c'est-à-dire un établissement qui participe
à la fois de l'hôtellerie et du bâtiment militaire.
Il ne faut pas oublier que la plupart des douaniers sont mariés,
pères de famille, et qu'il serait inhumain, dans ces conditions,
de mesurer la place à des femmes dont la majeure partie de l'existence
se passe à l'intérieur, à des enfants qui doivent
pouvoir s'ébattre librement sans échapper à
la surveillance de la mère. Il suffît d'y réfléchir
quelques secondes pour mesurer les difficultés énormes
que doit vaincre un architecte chargé de dresser les plans d'un
édifice de cet ordre. Le gros écueil résidait dans
la solution problème des logements. Il était matériellement
impossible de placer à proximité les douaniers célibataires
et les ménages.
"Le douanier, comme il est dit dans Carmen, est fort galant, il
est même entreprenant." Afin d'éviter de fâcheuses
aventures, on dut donc établir deux catégories de logements
isolés les uns des autres et, par conséquent, prévoir
en double toutes les commodités. Une telle nécessité
ne pouvait que nuire à l'harmonie architecturale de la caserne.
Fort heureusement la conception du vaste édifice incombait à
un de nos meilleurs ingénieurs-constructeurs, M. Paul Régnier,
ancien élève de l'École Centrale et de l'École
des Beaux-Arts de Paris, gendre d'Elisée Reclus.
M. Régnier sut concilier les intérêts artistiques
et sociaux en désaccord et faire une uvre de grande allure
qui sort de l'habituelle banalité des bâtiments administratifs.
La nouvelle caserne peut abriter très commodément 115
ménages et 60 douaniers célibataires. Quatre officiers
peuvent y être logés, elle comprend également une
salle de conférence, une bibliothèque, une infirmerie,
une salle de visite et de consultation médicales, un établissement
de bains et douches.
En dehors de la direction et du jardin, elle occupe une surface bâtie
de 2 600 mètres autour d'une cour de 800 mètres. L'immeuble
couvre donc, au total, une surface de 3 400 mètres.
Afin de faire ressortir par un premier point de comparaison le progrès
réalisé en faveur des intéressants fonctionnaires
de l'Administration des Douanes, rappelons que la caserne de la rue
Saint-Augustin comprenait que 1 200 mètres de construction et
1000 mètres de cour. Enfin, l'immeuble du boulevard Laferrière,
comme l'ancienne caserne, est une construction de quatre étages
sur rez-de-chaussée.
Le programme de la nouvelle caserne n'est pas évidemment calqué
sur celui qui préside à l'aménagement des grands
hôtels de Londres et de Paris. Mais il s'inspire constamment du
souci de procurer plus de bien-être aux locataires et, tel qu'il
est, il marque une amélioration très sensible sur la disposition
des anciens locaux.
On a prévu six appartements destinés à être
occupés chacun par un ménage ayant plus de trois enfants.
Ces ménages disposent de quatre pièces. Vingt-cinq appartements
de trois pièces sont réservés aux ménages
de trois enfants. Enfin, quatre-vingt-trois appartements de deux pièces
pour ménages avant deux ou pas d'enfants. On a complètement
supprimé les logements n'ayant qu'une seule pièce établis
d'après le type des logements de la rue Saint-Augustin. Les célibataires
sont réunis dans des dortoirs ne recevant pas plus de 4 à
6 hommes. Ces dortoirs sont divisés en cellules ouvertes au moyen
de cloisons d'isolement. Les dormeurs y sont plus à leur aise
pour procéder à leurs soins de toilette et s'occuper de
leurs effets. Sans doute, ce n'est pas encore le système rêvé,
mais c'est une transition heureuse entre le dortoir des casernes et
la chambre individuelle, le rassemblement d'un petit nombre dans une
même pièce réduit au minimum les causes de désordre
et de tapage pouvant incommoder les dormeurs.
La disposition générale des bâtiments principaux,
des dépendances, des cours rappelle la disposition des plans
de la plus récente caserne des douanes de Marseille qui était
inaugurée à l'époque où celle du boulevard
Laferrière était en construction.
Comme idée générale, les logements sont distribués
autour de la vaste cour intérieure et donnent sur une galerie
qui sert de dégagement. Ce système a permis la suppression
des corridors difficiles à éclairer et à entretenir
dans un état de propreté suffisant. Seuls quelques logements
dans les pavillons d'angle sont desservis par des couloirs.
En procédant de la sorte il a encore été possible
d'assurer à chacun de ces logements une fenêtre au moins
ouvrant sur les espaces extérieurs particulièrement vastes
vers le Sud. La rue Jean-de-Macé mesure douze mètres :
la rue Saint-Augustin seize mettes, le boulevard Laferrière soixante-douze
mètres, la cour et le jardin extérieur de la caserne dix-neuf
mètres.
Les plus petits logements, ceux qui ont deux pièces, prennent
l'air à la fois sur la rue et sur la galerie. Ils sont disposés
de telle sorte que le soleil y pénètre par l'une ou par
l'autre face.
Les galeries qui courent le long des logements mesurent 2 m 50 de largeur,
ce qui est parfaitement suffisant pour constituer un sérieux
abri contre la pluie ou les ardeurs du soleil. Les enfants en bas-âge
peuvent y jouer sous la surveillance continuelle des parents.
Vers l'Est, deux larges brèches ont été pratiquées;
les cages d'escaliers, très spacieuses, assurent la ventilation
de la cour et de tous les dégagements, l.a disposition des galeries
est telle qu'au moment des fortes chaleurs leur ombre portée
combat le rayonnement des murs.
Depuis l'élaboration des plans provisoires des améliorations
ont été introduites dans le projet initial.
L'inconvénient que pouvaient présenter les appartements
de deux pièces était de faire servir au logement proprement
dit une cuisine. Afin d'épargner autant que possible au dormeur
les odeurs ménagères, on a cru bien faire en isolant le
fourneau, l'évier et le garde-manger au moyen d'une cloison.
Cette décision a amené la réduction de la pièce
s'ouvrant sur la cour ; toutefois, la surface totale des deux chambres
proprement dites reste de 29 mètres carrés. Faisons observer,
à ce propos, que la surface des deux pièces du même
logement, à la caserne de Marseille, n'est que de 20 mètres
et que la cloison d'isolement n'existe pas.
A Marseille, aussi, les célibataires occupent à quatre
une chambrée de cinq mètres sur six, ce qui donne 7 m
50 par homme.
A Alger, comme nous le disions plus haut, chaque lit est
séparé par des cloisons à mi-hauteur qui permettent
la circulation de l'air au-dessus de la tète du dormeur. Chaque
homme dispose d'un lavabo avec robinet d'arrivée et évacuation
des eaux sales, la surface du dortoir à cloisons est calculée
à raison de neuf mètres carrés par homme, soit
un mètre et demi par habitant de plus qu'à Marseille.
Six sous-officiers sont logés dans des chambres séparées
de 4 m 50 sur 4 m 50.
Les célibataires occupent un pavillon isolé. Dans ce pavillon,
et à l'étage inférieur, se trouve une salle de
café et un réfectoire de 100 mètres carrés
chacun, une salle à manger pour les sous-officiers et une cantine
aménagée pour restaurant. Le tout s'ouvre de plein-pied
sur le jardin planté d'arbres.
Contrairement à ce qui a été fait à Marseille,
il n'y a pas un cabinet d'aisance et une prise d'eau par logement. Le
prix beaucoup plus élevé de l'eau à Alger et le
souci d'assurer la surveillance étroite et l'entretien des appareils
sanitaires a fait préférer le groupement des W.C. et des
postes d'eau ordinaire et filtrée sur deux points opposés
de chaque étage. La distance à parcourir n'excède
pas 20 mètres pour le logement le plus éloigné
; la circulation se fait à l'abri des galeries et les ménagères
trouvent aux mêmes points, des gaines d'évacuation pour
les ordures qui évitent leur transport au rez-de-chaussée
à travers galeries et escaliers.
D'abord prévues, dans les sous-sols, les buanderies ont été
placées sur les terrasses. Le service de l'hydrothérapie
comprend quatre salles de bains avec six baignoires, dont deux d'enfants,
six cabines avec lavabo pour douches de propreté, une chaudière
et un thermosiphon pour la production en grand de l'eau chaude nécessaire.
Les progrès réels réalisés font une fois
de plus éclater la sollicitude dont M. Moucheront, le distingué
directeur des Douanes, entoure son personnel, la collaboration de ce
bienveillant fonctionnaire et de M. Paul Régnier a été
profitable aux modestes agents des Douanes qui ont été
pendant si longtemps parqués dans la caserne malsaine et insuffisante
de la
rue Saint-Augustin.