mise sur site le 2106/2002 ....1er jour de l'été à 13 h 35
-Alger : Kouba, 8è arrondissement
Mon Kouba, notre village perdu !

14 Ko / 9 s
 
retour
 
 

Quand je me souviens du village,
Là haut, tout près du clocher
Qui lui servait de balisage,
Avec la Kouba, son aînée,
C'était là, lieu de lumière,
Les villas s'y accrochaient,
Fuyant la ville tracassière,
Et la route, un serpent d'acier,
Grimpait vers le café Jouvé...
Mon coeur est lourd, paralysé...
Je revois, comme un songe, le vieux lavoir qui chante,
La place, où, Margueritte pointait un doigt vengeur
Vers la route bruyante qui chassait sa torpeur,
Le tramway, tout jaune, qui traînait sur la pente,
Poussif et cahotant, s'arrêtait chez Jouvé.
Un monde bigarré s'échappait de ses flancs
Avec des bruits d'oiseaux, de rires éparpillés,
Et, sur le pas des portes, sortaient les commerçants,
S'interpellant, parlant du temps et de la pluie,
Des enfants, des malheurs et des joies du pays,
Un peu de politique et beaucoup de soi-même,
Et repartaient, riant ou gardant leurs problèmes.
Puis la route continuait, Vers le bois de pins parfumés,
Que les vaches de Farrudja Aprentaient à tous petits pas.
Là, s'arrêtait notre Kouba.
En revenant vers le village,
La route prenait un grand élan
Et s'en allait, d'un pas bien sage,
Vers le vieux Kouba somnolent.
Là, au coin, Madame Moulin
Frottait sa devanture sépia.
D'un café maure, au lointain,
Sortait un air de raïta.
Derrière la barrière d'épineux,
Les Saglio s'apostrophaient,
Mais leur fameux coq, agacé,
Chantait alors plus fort qu'eux.
Et l'école des garçons réveillait le quartier
Avec ses galopades, ses cris et ses sifflets,
Ce que n'appréciait pas le vieux docteur du coin
Qui se vengeait ensuite sur les chats des voisins.
Mais le coeur de mon village,
Etait la place de l'olivier,
Les oiseaux aimaient son ombrage,
Le vent était son familier.
A ses pieds, le sang des olives
Dessinait une mosaïque
Rouge, lumineuse, diabolique,
Que la poussière tenait captive.
De l'école, à côté, montaient des voix fluettes
Des chants, des récits, le bonheur en vedette,
Où mes petites filles, toutes races fondues,
Riaient au soleil d'or, à l'herbe, à un intrus.
La mairie nous berçait de va et vient des heures.
Dans la joie et l'amour et la sérénité.
Et plus tard, il y eut une école nouvelle,
Belle et fendant le vent ainsi qu'un bateau blanc,
Des maisons apparurent fières et rationnelles ;
Disparu à jamais le vieux tramway grinçant.
Les cloches d'autrefois, s'envolant vers le ciel,
Avaient le coeur cassé et tremblant à la fois,
Et l'heure de la mairie marquait, je me rappelle,
Un temps, que plus personne ne comprenait, ma foi.
Et nos chats disparurent et le coq et le chien,
D'autres les remplacèrent qui ne nous connaissaient...
C'était fini pour moi le temps de l'olivier,
L'arbre de la jeunesse et le temps des copains.
L'olivier millénaire à l'âme d'un enfant
Qu'il conserve, longtemps, sous l'écorce fendue,
Je ne reverrai plus ses rameaux frémissants
Qui parlaient d'autrefois, des souvenirs perdus.
Peut être garde?t?il, à l'ombre de ses bras,
Tant et tant de sennents, de secrets et d'espoir !
Qu'il conserve les miens, avec mon désespoir,
Et ma peine, si lourde, et qui n'en finit pas.
J'ai vu des villes immenses qui pointaient vers le ciel
Leurs doigts en témoigange du travail fraternel,
Et venant de partout, ensemble musical,
Le bruit assourdissant de leur coeur de métal ;
Des ports comme des villes, d'autres comme des contrées,
Des plages à l'infini, rubans de soie dorée
Où la mer de corail laissait, en s'en allant,
Des morceaux de bijoux colorés, scintillants ;
Des palais merveilleux, des maisons de Boudda,
Et des fleuves sacrés emportant, pas à pas,
Des lambeaux de la chair, arrachés aux bûchers ;
La musique des langues comme des mélopées !...
Mais...
Mais, le pays que je garde en mon coeur,
Où fleurit l'oranger à la senteur subtile,
Où le ciel est d'azur, le soleil de blondeur,
Où les petits enfants joueurs, gais et agiles
Brisaient, de la rue grise, le silence enchanté ;
La cloche de l'église s'en mêlait, elle aussi,
Et l'âne du "moutchou" souvent l'accompagnait,
Le coq des Saglio corsait la symphonie...
C'est le pays béni des revoirs passés,
Ces souvenirs gardés an coeur émerveillé...
Je ne reverrai plus ces images du soir,
Ces choses disparues, fantômes évanouis...
C'était un bien beau temps, une bien belle histoire...
Et c'était mon pays !

Marcelle CHAMAYOU,
institutrice à Kouba de 1928 à 1962