KABYLIE
LA KABYLIE ET SES VILLAGES
Afrique illustrée du 20-2-1920 - Transmis par Francis Rambert

LA KABYLIE ET SES VILLAGES

Dans le Tell oriental, de l'Isser à la coupure de la vallée de Bougie, se dresse le massif kabyle, région de terrains cristallins, de climat rude, de relief puissant, mais des plus intéressantes tant par ses caractéristiques géographiques, ses beautés naturelles qui attirent de nombreux touristes, que par les mœurs et le particularisme de très denses populations qui s'y pressent.

La Grande Kabylie est une des régions naturelles les mieux individualisées de l'Afrique du Nord. Elle s'étend du littoral au seuil de Bouïra, compact pâté de montagnes, où cîmes, chaînes et contreforts sont séparés par des vallées étroites et encaissées. Au Sud s'arrondit en demi-cercle ]e Djurdjura, le Mons Ferratus des Quinquégentiens, dressant à plus de 2,000 mètres ses farouches escarpements ; au centre, se découpent des noyaux de rocs dont les principaux sont ceux des Flissa, des Maâtka, des Zouaoua. Vu du Sud, le massif apparaît grandiose et sauvage avec ses pentes métalliques portées haut dans l'altitude, ses ravins découpés en sinuosités d'encre, ses pâturages, ses forêts sombres et le miroitant éclat de ses tapis de neige. Aperçu du Nord, le pays se départit de sa sévérité, sur les pentes alternent prairies et cultures, bois d'oliviers au feuillage d'argent, forêts de chênes ou de pins. Dans les vallées, où se précipitent les eaux écumeuses, croissent frênes et ormeaux enlacés de vignes.

*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1920. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
N.B : CTRL + molette souris = page plus ou moins grande
TEXTE COMPLET SOUS L'IMAGE.


mise sur site : nov.2021

850 Ko
retour
 


kabylie, ses villages

kabylie, ses villagesLA KABYLIE ET SES VILLAGES

Dans le Tell oriental, de l'Isser à la coupure de la vallée de Bougie, se dresse le massif kabyle, région de terrains cristallins, de climat rude, de relief puissant, mais des plus intéressantes tant par ses caractéristiques géographiques, ses beautés naturelles qui attirent de nombreux touristes, que par les mœurs et le particularisme de très denses populations qui s'y pressent.

La Grande Kabylie est une des régions naturelles les mieux individualisées de l'Afrique du Nord. Elle s'étend du littoral au seuil de Bouïra, compact pâté de montagnes, où cîmes, chaînes et contreforts sont séparés par des vallées étroites et encaissées. Au Sud s'arrondit en demi-cercle ]e Djurdjura, le Mons Ferratus des Quinquégentiens, dressant à plus de 2,000 mètres ses farouches escarpements ; au centre, se découpent des noyaux de rocs dont les principaux sont ceux des Flissa, des Maâtka, des Zouaoua. Vu du Sud, le massif apparaît grandiose et sauvage avec ses pentes métalliques portées haut dans l'altitude, ses ravins découpés en sinuosités d'encre, ses pâturages, ses forêts sombres et le miroitant éclat de ses tapis de neige. Aperçu du Nord, le pays se départit de sa sévérité, sur les pentes alternent prairies et cultures, bois d'oliviers au feuillage d'argent, forêts de chênes ou de pins. Dans les vallées, où se précipitent les eaux écumeuses, croissent frênes et ormeaux enlacés de vignes.

La nature parait hostile, la terre cultivable rare sur ces pentes raides défoncées par des pluies torrentielles et très abondantes. Pourtant la Kabylie est la région la mieux travaillée - exception faite des plaines côtières aménagées par la culture européenne - et la plus peuplée de l'Algérie.
La culture des céréales, à cause des difficultés du terrain, le cède aux cultures arbustives ; le caroubier, le chêne à glands, le frêne, qui trouve là le climat qui lui convient, y. prospèrent à merveille et fournissent à la nourriture du bétail ; l'olivier et le figuier, par plantations autant que par greffes, se sont intensément multipliés et l'huile et la figue constituent, avec un peu de grains, l'alimentation fondamentale des hommes.

Les habitants de ces hautes terres sont des cultivateurs émérites, sobres, vigoureux, excellant à l'art d'irriguer, d'entretenir jardins et vergers.

Ce sont des Berbères, résidus de la race africaine qui, pour échapper à la domination de Rome ou des Arabes, se cantonnèrent aux endroits les plus inaccessibles et faciles à défendre. Le Kabyle, malgré les diversités du type, est le descendant du Numide ; sa langue est parfaitement distincte des dialectes arabes et, en plus de cette particularité marquant par là son originalité, il a conservé sa législation, ses Kanouns, son droit coutumier différent de la loi civile importée par le conquérant arabe sous les espèces du Coran. .La polygamie est exceptionnelle, la condition de la femme, en apparence, et officiellement plus libérale que celle octroyée par la tradition islamique.

De tous temps, sans avoir pourtant su former un état avec sa législation, ses pouvoirs civils, militaires et judiciaires, les Kabyles ont résisté aux conquérants qui se succédèrent sur le sol africain. Carthage parait les avoir ignorés. Rome ne s'aventura point sur leur territoire, sinon exceptionnellement, et on n'y retrouve ni vestiges de villes, ni ruines de monuments ; Arabes et Turcs furent impuissants à les soumettre, et pour venir à bout de leur défense, nous-mêmes dûmes leur déléguer d'importantes armées, tenir campagne durant des années et livrer les combats les plus acharnés et les plus sanglants de toutes nos guerres coloniales.

Les Kabyles sont des républicains, des démocrates. Avant notre venue, chaque agglomération formait une cellule sociale indépendante, se régissant elle-même, appliquant le Gouvernement du peuple par le peuple. L'assemblée communale, djemâa, déléguait l'exécutif à un amine, chargé de tous les pouvoir, mais révocable à la volonté de l'assemblée.

Ces Conseils du peuple sont toujours pratiqués, mais n'exercent plus, du fait que les magistrats municipaux sont désignés par l'administration française, qu'une puissance relative.

Ils décidaient autrefois souverainement de la guerre et de la paix, de la fiscalité et de la justice. Ce qui empêchait ces cellules des thaddert ou villages, de s'organiser en empire et de posséder l'unité administrative et militaire qui aurait pu permettre à ces guerriers nombreux et décidés, alors que l'outillage ne les infériorisait pas trop, de repousser l'envahisseur et de reprendre les territoires dont celui-ci les avait dépossédés, c'est l'esprit même de cette race, cet amour de la guerre incessante, de la perpétuelle discorde pour le pouvoir, La Kabylie est le pays du çof, des factions, des partis. Dans chaque village, il a deux çofs, associations, cadres où se rangent les partisans. La guerre en découlait, de leurs compétitions avec les vendettas, les. assassinats, les pillages indispensables.
L'occupation française et la suppression des franchises survenue après la grande insurrection de 1871 ont mis fin aux hostilités ouvertes et aux destructions méthodiques, sans effacer cet esprit anarchique. La passion des querelles et des chicanes, qui empêcha toujours cette race d'atteindre à l'unité d'un peuple et d'acquérir le sentiment d'un intérêt supérieur national, revêt aujourd'hui des formes amenuisées. Entre les partis la lutte devient politique, le bulletin de vote tend à se substituer au fusil. L'assassinat, d'une pratique autrefois courante, devient d'un usage moins fréquent. Chaque mort d'homme constituait, à la charge du meurtrier et de sa famille, une dette de sang imprescriptible dont on se payait tôt ou tard.

La paix française a modifié ces mœurs ; de là, par l'économie des existences humaines jadis sacrifiées avec tant de libéralité, comme par les mesures de protection générales contre les épidémies, le relèvement du bien-être et la valorisation de la condition humaine, un accroissement formidable de la population. La commune mixte du Djurdjura a 245 habitants au kilomètre carré, aussi pressés que dans les pays les plus peuplés de l'Europe, la Belgique, la Saxe, les comtés anglais. La natalité est en accroissement continu Sur la mortalité, avec les agglomérations des versants inclinés sur la vallée de la Soummam, l'arrondissement de Tizi-Ouzou groupe un bloc de 650,000 âmes. A être peuplée partout comme l'est la Grande-Kabylie, l'Algérie compterait deux cents millions d'habitants. j

Aussi, malgré leur activité et leur industrie, les Kabyles ne peuvent entièrement subsister de leurs cultures. Ils s'expatrient, émigrent temporairement, s'en vont travailler comme faucheurs, moissonneurs, vendangeurs dans les exploitations agricoles de la Mitidja ou comme manœuvres dans les villes du littoral. Jadis, quelques-uns allaient en Europe pratiquer le métier de colporteurs ; depuis la guerre, c'est par masses compactes qu'ils franchissent la mer, attirés par les hauts salaires que payent les industries minières ou manufacturières françaises. Revers de la médaille, contre-partie de promesses souvent fallacieuses, avec les " douros " auxquels ils sont si sensibles, les Kabyles ramènent dans leurs montagnes des vices, des mœurs dissolues et des maladies inconnues jusqu'alors, telle la tuberculose, qui commence à faire d'inquiétants ravages et que favorisent, malgré l'air ozoné des altitudes, les promiscuités de l'habitat, le manque d'hygiène et la sobriété alimentaire.

Le Kabyle excelle autant au commerce, aux transactions, quelquefois aux fabrications industrielles qu'au travail de la terre. De son pays il a exclu la concurrence des Européens et même celle des Juifs. ; il est mercier, colporteur, épicier, marchand de grains, d'huile, de figues. Tous les métiers qui rapportent lui sont bons, il les pratique avec diligence et âpreté. Assez tiède musulman, les prescriptions du Coran interdisant le prêt à intérêt, ne l'arrêtent point ; il s'avère, chaque fois qu'il le peut, au mépris de la loi divine musulmane et des interdictions du Code français, usurier imperturbable. Les quelques Européens qu'on trouve dans la Haute-Kabylie sont des fonctionnaires, des colons fixés par la colonisation officielle sur les terres séquestrées après l'insurrection de 1871,. des industriels et des boutiquiers citadins. La pénétration française est insignifiante, elle est même en régression sérieuse ; non seulement le Kabyle conserve sa terre, mais encore il rachète aussi bien les propriétés rurales que les immeubles urbains. Notre rôle,. dans cette région, se bornera de plus en plus à administrer, lever l'impôt, assurer la justice, la voirie, l'hygiène, l'enseignement et surtout à imposer la paix.

Le pays est parcouru des routes les plus pittoresques de notre réseau. Juchés comme des aires à la cime de chaque crête, les villages très nombreux, amas de pierrailles agglutinées et couvertes de tuiles creuses, ne constituent pas la moindre originalité du paysage. Les rues sont étroites, tortueuses, grasses d'ordures et des eaux usées qui s'échappent des maisons par des trous ménagés un peu au-dessus du niveau du sol. Les fumiers s'entassent au petit bonheur, l'habitation ne comporte, le plus souvent, qu'une pièce, les gens se rangent d'un côté, les bêtes de l'autre, le plancher en contre-bas pour l'écoulement des déjections est de sol battu avec un trou central pour le foyer ; dans les coins se rangent les jarres à provisions, des coffres, les nattes et les tapis qui constituent la literie. La maison correspond à l'hôte, l'une sordide, l'autre crasseux, quoique souvent très aisé, quelquefois riche puisqu'on compte, en Kabylie quelques millionnaires. L'ensemble, pour qui n'est pas touriste éberlué seulement curieux de pittoresque et dédaigneux de réfléchir, amène une impression pénible et des idées moins optimistes que celles mises en cours par nos Jean-tant-mieux de gouvernement. Ces villages rebâtis à mesure que le temps où les hommes les détruisaient, voilà trois mille ans d'histoire connue qu'ils se hissent dans leur position inexpugnable. Guerres et massacres, défense, voilà ce que signifient ces forteresses naturelles. On peut l'admettre pour le passé, au temps de la lutte contre le nomade, pour la préservation des biens et la conservation de la vie. Mais, depuis un siècle d'occupation, depuis au moins cinquante ans de paix française absolue, que ces hommes, déraidissant leur attitude, n'aient point daigné modifier leur incommode habitat de vautours, n'y faut-il point voir, sinon le parti-pris, de moins l'incapacité d'évoluer dans le sens de la civilisation européenne, la volonté marquée de demeurer tels qu'ils furent toujours ? Nos volontés d'accommodement, notre espoir d'empire unifiant, dans l'intérêt commun, les races confédérées s'en irait alors rejoindre nos défuntes chimères d'assimilation. Sans en dire plus, qui serait peut-être superlatif, il faut remarquer que le progrès voulu par nous s'est assez peu précisé, que les sociétés restent en antagonisme intégral, que le prosélytisme chrétien s'est usé vainement et qu'en fait nous sommes plus impuissants que nos prédécesseurs à assouplir l'âme anarchique de l'Afrique, car si l'on a pu dire autrefois Berbères romanisés ou Berbères islamisés, l'association de mots : Berbères francisés n'a jamais été écrite ni même prononcée...