Ce qu'elle était avant l'indépendance
-----C'est le 16 avril 1906 que fut ouverte
aux artistes la "Villa Jonnart"
du nom du gouverneur général qui lui fixa son rôle
de "Villa Médicis Algérienne".
Les deux premiers titulaires de la bourse furent Paul Jouve et Léon
Cauvy (1907).
-----Mohamed Agha, le plus ancien propriétaire
connu de la maison, établit vers 1715 un acte officiel qui la situe
ainsi
Quartier El-Anasseur (Les sources) au-dessus de la fontaine du Hamma,
en dehors de la porte d'Azoun. Ali, fils de Mohamed Agha, vendit la propriété
en 1817 à Ali ben Mohamed, lecteur à la grande mosquée.
Puis elle passa de propriétaire en propriétaire : Osman,
syndic des jardiniers ; Hadj Mohamed Khodja, directeur des magasins du
port et, en 1795, à un membre de la famille Abd-elTif, qui la paya
deux mille dinars d'or et constitua la totalité de cette campagne
en habous à son profit d'abord, à celui de ses enfants ensuite.
-----Quand toute
la lignée sera éteinte, dit l'acte testamentaire, une moitié
appartiendra à la Mecque et à Médine ; l'autre moitié
aux lecteurs et aux crieurs du minaret de la Grande Mosquée.
-----En 1830, la villa fut transformée en hôpital militaire
et occupée par la Légion étrangère.Rendue
ensuite à la famille Abd-el-Tif, elle devint en 1846 propriété
des Domaines qui la transmirent plus tard à la compagnie fermière
du jardin d'Essai. Enfin, le Gouvernement général de l'Algérie
en devint le possesseur en 1905.
(Esquisses
anecdotiques et historiques de Vieil Alger, F.Arnaudies, Édit.
Barthélemy, Avignon)
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Ce qu'elle devenue après l'indépendance
Extrait de PNHA, n°86, janvier 1998
-----La rédaction
de votre magazine a souhaité faire paraître cet article d'une
journaliste algérienne relatant la triste description de la villa
Abd-El-Ti f parue dans EI-Moujahid. En Algérie, les hommes
meurent mais les pierres aussi...
La "Villa des Artistes" Spectacle désolant
-----Le ministère de la Culture
en Algérie a pour objectif (entre autres) de sauvegarder ce qui
fait indéniablement honneur à un peuple, c'est-à-dire
son passé, sa mémoire, ses racines. Le nôtre, a pendant
de nombreuses années, raté le coche. Celui-ci est on ne
peut plus important parce que devant prendre en charge notre histoire,
à laquelle il a pourtant ouvertement tourné le dos et carrément
claqué la porte au nez. -----Car l'on
pensait modernité à l'époque... Ainsi, ce qui fut,
pendant près d'un siècle "la maison des artistes"
est devenue une cité-dortoir, dans laquelle le ministère
de la Culture a casé quelques-uns de ses fonctionnaires. Crise
de logement oblige ! Cette solution, initialement provisoire, s'éternise.
-----Car, ces familles habitent depuis plus
de dix ans une villa classée monument historique ! Cette situation
scandaleuse empire de jour en jour vu l'état actuel des lieux :
percements d'ouvertures, installations de tuyauteries dans les murs extérieurs,
installations électriques dégradant les parois, aménagements
de salles de bain et cuisines, détruisant les murs extérieurs
etc...
-----Aucune précaution n'est prise
pour protéger la villa et sauvegarder son cachet. Les galeries,
les niches, les cages d'escaliers, les boiseries, les faïences, fruits
d'un artisanat minutieux disparaissent un peu plus tous les jours... Si
rien n'est fait rapidement, il ne restera plus rien d'un joyau architectural
et artistique de notre patrimoine culturel.
-----La "maison des artistes",
dénommée villa Abd-el-Tif a été classée
monument historique en 1922, classement confirmé par l'ordonnance
présidentielle 67.281 du 20 décembre 1967.
-----Après avoir été
pendant plus d'un demi-siècle une sorte de villa Médicis
(comme en Italie), la villa Abd-el-Tif devient à l'indépendance,
propriété de la sous-direction des Beaux-Arts qui dépendait
du ministère de la Culture et de l'Information.
-----Elle abritait des architectes et conservateurs
étrangers, installés en Algérie dans le cadre des
échanges culturels et des recherches archéologiques et architecturales.
-----Vers les années 80, ce qui était
ministère de la Culture et de l'Information devient secrétariat
d'Etat à la Culture, puis ministère de la Culture et du
Tourisme et enfin ministère de la Culture. En fait, il n'y a que
l'appellation qui a changé, les pratiques on ne peut plus scandaleuses
sont restées les mêmes. Car dans le souci de perpétuer
la tradition "sacro-sainte", ces différentes institutions
culturelles ont systématiquement "casé" quelques-uns
de ses fonctionnaires en "mal de logement" histoire de taire
leurs revendications, dans cette villa. La plupart d'entre eux veulent
bien quitter les lieux à condition d'être relogés
ailleurs. Mais le reste s'accroche et s'agrippe désespérément
aux murs vieillissants et décrépis de cette villa. -----Beaucoup
ont largement contribué à la dégradation des lieux,
qui actuellement, ont l'air de tout sauf d'une maison des artistes ! Car
ce sont précisément 13 familles qui y logent et qui se partagent
un espace d'une grande beauté.
-----A l'entrée de la villa Abd-et-Tif,
le chapiteau qui surplombait l'accès extérieur, gît
par terre, au milieu d'une végétation sauvage. Le portail,
(ou ce qu'il en reste, car une moitié a été arrachée
et l'autre adossée contre le mur qui entoure la maison), est désespérément
ouvert à tous les vents... Les voitures des locataires sont parquées
dans la cour intérieure de la villa. Notre regard est rapidement
choqué par une espèce de cabane, installée sur le
toit d'un des studios, en bâche bleue. Est-ce le début d'une
bidonvillisation ? L'un des symptômes est en tout cas présent...
Dépôt d'archives
!
-----Plus loin, les locataires d'une autre
partie de la maison, bénéficiant probablement d'un petit
espace, agrandissent, à coups de parpaings et de briques les lieux
qui leur ont été attribués. C'est ainsi que les fameuses
colonnes torses qui, jadis s'élevaient fièrement, sont "bouchées"
et entrent dans la construction d'un mur d'agrandissement ! Nous quittons
cette partie annexe de la villa, la mort dans l'âme, la rage au
cdeur pour nous diriger vers la villa en question.
-----Des ouvertures récentes ont été
pratiquées dans les murs, les défigurant complètement,
des installations électriques dégradent les parois, des
sacs de poubelles sont honteusement exposés à l'intérieur
des niches...
-----Mais la vue d'une des pièces
du rez-dechaussée va nous laisser pendant plus d'une demi-heure
pantelants. Une fois ouverte, une odeur nauséabonde de renfermé
et d'humidité se dégage de cette pièce qui fait environ
8 mètres sur 5. Elle abrite, et ce, depuis plusieurs années
des archives du ministère de la Culture, autrement dit, des documents
historiques, des dossiers administratifs, des dépliants de cartes
géographiques, des livres d'histoire, des guides des différents
musées de la capitale et des autres villes et en des centaines
d'exemplaires, le discours de feu Houari Boumédienne. Le tout est
amoncelé, pêle-mêle sur plusieurs mètres de
hauteur ! Un véritable cauchemar ! On est en droit de se demander,
comment le ministère de la Culture (ou l'a-culture) a pu travailler,
s'organiser pendant plusieurs années, sans archives, sans mémoires
en fait ? Ces documents jaunis par le temps et l'humidité sont
presque irrécupérables. Le spectacle qu'ils offrent est
des plus scandaleux. Que ce même ministère loge ses fonctionnaires
provisoirement dans une villa classée monument historique passe
encore (et difficilement car un monument historique ne peut faire l'objet
d'une maison de charité) mais qu'il jette ses archives, pour s'en
débarrasser dans une maison historique, dépasse tout entendement.
Où allons-nous comme ça? Au fil des années, les locataires
de la villa Abd-El-Tif ont complètement oublié qu'ils logeaient
dans un monument historique et se sont mis à le défigurer.
-----Le ministère de la Culture, n'a,
quant à lui, absolument rien fait pour redresser la situation,
il s'est mis lui aussi à participer à des actes de vandalisme
des plus scandaleux. Qui se dépêchera un jour de mettre un
frein à la dégradation de notre patrimoine.
H. Bouchaïb
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