-Algérie,
Alger : l'enseignement
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Cet article a été
écrit en hommage à André Blanc-Lapierre,
ancien président de l'Académie des sciences, récemment
disparu.
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Extrait de la revue
du Cercle algérianiste, n°99, septembre 2002 et n°100,
octobre 2002 avec l'autorisation de la direction de la revue "l'Algérianiste"
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-----------Dans
les quelques années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale,
l'Algérie a vécu un démarrage économique assez
vif. L'agriculture algérienne se relançait, bénéficiant
de la mécanisation des cultures et du renouveau des liaisons avec
une métropole affaiblie qui absorbait un fort volume d'exportation
de fruits et légumes, de vin, de blé dur, d'alfa, de liège
et de moutons. Un tissu industriel plus serré commençait
à se développer aussi rapidement, tandis que la population
augmentait. Les liaisons transsahariennes se multipliaient, faisant de
l'Algérie une tête de pont vers l'Afrique noire. Le projet -----------Francis
Perrin, alors haut commissaire à l'Énergie atomique, vint
à Alger en 1951, s'entretenir avec M. Salah Bouakouir, le directeur
général des Affaires économiques et de l'industrialisation,
des possibilités de construction, sur place, d'un réacteur
atomique de puissance. Il rencontra ainsi le professeur André Blanc-Lapierre,
récemment nommé à Alger dans la chaire de physique
théorique, avec lequel fut esquissé un schéma en
trois points, de structures universitaires nouvelles à mettre en
place pour accompagner cette implantation et stimuler l'intérêt
local pour la chose atomique en général: La mise en place de l'infrastructure universitaire -----------Pour assurer la formation des nombreux scientifiques de haut niveau que la rapide expansion technologique rendait indispensable en France, besoin que les seules grandes écoles d'ingénieurs ne pouvaient (et ne souhaitaient pas) satisfaire, la Direction de l'Enseignement supérieur réforma, en 1955, le cursus de la recherche universitaire en insérant avant le doctorat d'État classique, une période préalable de formation à la recherche de deux, trois ans. Ce troisième cycle est sanctionné par un doctorat de spécialité ou doctorat de troisième cycle, obtenu plus rapidement, donc, que le doctorat d'État, mais très adapté à la formation rapide de spécialistes qualifiés. -----------Le professeur
Blanc-Lapierre, avec l'appui de M. Francis Perrin et, bien entendu, celui
de l'Enseignement Supérieur, fit créer, par décrets
du 22 juillet 1955 et du 23 septembre 1955, à la faculté
des Sciences de l'université d'Alger, les enseignements du troisième
cycle permettant de délivrer les diplômes d'études
approfondies (D.E.A.) de physique nucléaire et de physique théorique
conduisant, après une année ou deux supplémentaires
de recherche spécialisée, aux doctorats de troisième
cycle de physique nucléaire ou de physique théorique. Le
professeur A. Sarrazin obtint, à cette époque, la chaire
de physique nucléaire nouvellement créée. Les premiers
D.E.A. commencèrent à être délivrés
en juin 1956 et les premières thèses de troisième
cycle furent soutenues en juin 1957. La construction de l'Institut d'Études Nucléaires -----------L'architecte
DPLG, sélectionné par concours le 10 décembre 1955,
M. Michel Luyckx, fut désigné comme maître d'oeuvre,
début 1956. Il s'assura de la collaboration de l'Omnium Technique
de l'Habitation (O.T.H.), dirigé à Alger par M. Marcel Teissier,
pour toutes les questions purement techniques. Avec ces spécialistes,
une équipe de scientifiques conduite par le professeur Sarrazin
travailla à la définition fine des besoins, services, hommes
et matériels pour élaborer des plans de constructions bien
adaptés. Une anecdote: pour que les automobilistes et passants,
empruntant l'avenue Maréchal de Bourmont qui descendait d'El-
Biar vers le lycée
Bugeaud, par la caserne d'Orléans et le musée
Franchet d'Espérey, ne soient pas gênés
par ce bâtiment surgi de la descente du boulevard Maréchal
de Lattre de Tassigny et qui aurait occulté une part important
du magnifique panorama de la baie d'Alger, l'architecte s'est longtemps
battu pour imposer une solution joignant l'utile à l'agréable,
et obtint satisfaction. C'est ainsi qu'une "
transparence " dans l'implantation des bâtiments
fut organisée, avec le surcoût que l'on peut imaginer. Les
prévisions, qui furent toutes menées à bien, comportaient
des superficies bâties de 1500 m2 pour les services d'enseignement,
3500 m2 pour les blocs accélérateurs et leurs annexes, et
3500 m2 pour les laboratoires axés sur des techniques étroitement
liées à la physique nucléaire (électronique,
physique des rayonnements, physique théorique et physique des solides...).
Il était prévu que ces bâtiments, spécifiques
à l'Institut, devraient s'intégrer par la suite dans l'ensemble
d'un gigantesque " campus "
universitaire situé sur toute la zone dite " des
Quatre Canons ",(note
du site: c'était un peu au-dessus de la rue Levacher où
j'habitais jusqu'en 1960) prévue pour héberger une
extension du domaine universitaire localisée à proximité
du centre ville, donc du coeur historique de l'université d'Alger. Pose de la première pierre
----------C'est le samedi 7 décembre 1957 que fut posée la première pierre de l'I.E.N. par Robert Lacoste, ministre de l'Algérie, en présence du général Ailleret, représentant le ministre de la Défense Nationale; de Francis Perrin, haut commissaire à l'Énergie atomique; de Pierre Chaussade, secrétaire général du gouvernement; de Serge Barret, inspecteur général de l'administration, préfet d'Alger; de Max Lafont de Sentenac, secrétaire général adjoint; de Salah Bouakouir, directeur général des Affaires économiques et de l'Industrialisation; de Claude Tixier, directeur général des Finances; de Jacques Saigot, directeur des travaux publics et des transports; de Jacques Gastebois, directeur central des P.T.T.; de Laurent Capdecomme, président du Conseil de l'université d'Alger; et des doyens des quatre facultés. La première tranche de bâtiments -----------Dans l'automne 1958, fut terminé le bloc réservé aux accélérateurs et aux laboratoires radioactifs, bâtiment se pliant à des impératifs très particuliers et se rapprochant davantage des caractéristiques d'une usine (ponts roulants, entrée pour camions, portes roulantes en béton...), que de celles d'un laboratoire universitaire conventionnel. Les obligations de sécurité ont conduit à des épaisseurs de béton atteignant par endroits jusqu'à 1,50 m. Un bunker de chimie nucléaire avec confinement et télémanipulation complétait l'ensemble. -----------Les accélérateurs furent installés pendant l'hiver 1958 et le printemps 1959, sous la responsabilité technique de M. Galiana, ingénieur E.S.E., qui eut la lourde charge de réceptionner et prendre en main ces appareillages très sophistiqués. En plus de ces accélérateurs et de leurs locaux spécifiques, des laboratoires de recherche plus classiques avaient aussi été achevés, de telle sorte que la totalité des personnels emménagea à l'I.E.N après son inauguration en juin 1959, excepté le groupe de recherche d'électronique des solides qui resta dans les locaux de la faculté des sciences, en ville, en attendant la livraison de la seconde tranche de bâtiments. Un incident sur le " Van de Graaf " -----------La tête
du " Van de Graaf ", portée à trois millions de
volts par rapport à la " cloche " de confinement en acier,
permet l'accélération des particules (protons ou deutons). La deuxième et dernière tranche -----------Les travaux
de construction et d'équipement continuèrent (toujours sous
financement français) et l'inauguration de la seconde tranche des
bâtiments de l'I.E.N. eut lieu un an après l'indépendance. Le personnel de l'I.E.N et ses travaux scientifiques -----------1.-L'équipe
de physique théorique, dirigée par
les professeurs A. Blanc-Lapierre, P. Dumontet et B. Picimbono. -----------6.-Le personnel technique, sans lequel rien n'était possible, était très jeune et se distinguait dans les différentes spécialités représentées: -----------* L'électronique; -----------7.-Le personnel administratif, enfin prenait en charge les problèmes de frappe, de duplication, de comptabilité, de bibliothèque, de magasin. Le créateur -----------Lorsque, plus de quarante ans après, on se retourne sur cette époque, il apparaît à l'évidence, que le professeur A. Blanc-Lapierre (1915-2001) avait su créer, très rapidement, avec l'I.E.N., une synergie de très grande dynamique. -----------Ses enseignements, à la pointe des connaissances mais toujours d'une clarté limpide, tant en mécanique statistique, en théorie de l'information, en physique des solides, qu'en physique nucléaire, en mécanique quantique et fonctions aléatoires aussi, avaient permis de former, à un excellent niveau, une génération d'élèves qui, à leur tour, perpétuèrent avec leurs propres élèves, cette tâche difficile mais exaltante, de découvrir et de transmettre de nouvelles connaissances. -----------Comme directeur de recherche, tous ceux qui ont eu la grande chance de préparer leur thèse sous sa direction, continuent d'admirer sa grande clairvoyance dans le choix de sujets à la pointe de l'actualité scientifique, son intérêt permanent pour le travail en cours, sa critique toujours constructive, son souci de publier les résultats des recherches dans les meilleures revues, tous points dont ses élèves n'ont pas manqué de s'inspirer lorsqu'ils furent devenus, à leur tour, des directeurs de recherche... -----------Comme gestionnaire, il n'en fut pas moins remarquable, ayant pu, en une dizaine d'années, constituer autour de lui une solide équipe de collaborateurs et trouver les appuis administratifs et financiers pour réaliser l'I.N qui fut l'élément moteur essentiel de la physique à la faculté des sciences d'Alger, jusqu'à l'indépendance et même durant quelques années après. -----------Ces remarquables qualités et cette brillante intelligence trouvèrent à s'employer à son retour en métropole, puisqu'il devint, par la suite, directeur du laboratoire du grand accélérateur linéaire d'Orsay, directeur de l'École supérieure d'électricité, académicien et même président de l'Académie des sciences. L 'après-indépendance, à Alger -----------Après les " vacances " de 1962, l'université d'Alger et l'Institut d'Études Nucléaires s'étaient vidés de la plupart de leurs personnels; seule une poignée d'irréductibles avait choisi (avec des motivations diverses) de ne pas apprécier les joies du " rapatriement ". L'I.E.N. était toujours debout, sous la protection théorique de la France, financé (largement) par la France et considéré un peu comme une " ex-territorialité " algérienne. Les trois accélérateurs n'avaient subi aucun dommage (quoi qu'en ait dit la presse locale), les liquéfacteurs d'azote et d'hélium fonctionnaient, les matériels, tout neufs, abondaient. Les Algériens n'avaient personne à proposer sur le moment pour faire marcher le centre (les rares scientifiques algériens étant encore en France), et ils avaient bien d'autres chats à fouetter (à prendre au figuré, bien sûr). L'université, par contre, était un bien symbolique de la " révolution " mais, là aussi, il était difficile pour les Algériens d'improviser quoi que ce soit, bien que de très nombreux jeunes étudiants (sortis d'on ne sait où) se soient inscrits dans les propédeutiques scientifiques des facultés d'Alger, en octobre 1962. Donc, un directeur fut nommé par les Algériens, en accord avec l'ambassade de France, directeur qui cumulait ces fonctions avec celles de doyen de la faculté des sciences; ce fut le double rôle du Pr Pierre Dumontet. Dans la vision politique gaulliste de l'époque (la coopération), l'existence d'un outil aussi prestigieux que l'I.E.N. pouvait être considérée (vue de Paris) comme un germe de croissance scientifique sérieux dans le contexte d'une Algérie conseillée et " cornaquée " par la France. Espérance naïve très vite déçue par l'arrivée massive mais transitoire de " conseillers " du bloc de l'Est, dans tous les domaines techniques. Le fonctionnement de l'Institut reposait, alors, sur quelques anciens : Y. Flamant, Ch. Meynadier, Y. Chanut, J.-L. Durand en physique nucléaire, J.-P. Fillard, J. Marruchi et F. Marco Gonzalès en physique du solide, J. Pouget avait toujours la charge de l'ordinateur, ainsi que le professeur B. Picimbono pour la physique théorique ; comme techniciens, M. Baudon, A. Ménard (électronique), J.-F. Césari (dessin) et au personnel administratif, M. et Mme Dapont, Mlle F. Guanter, M. Daumas. À cet effectif vinrent s'ajouter de nouveaux arrivants, coopérants métropolitains MM. Lambert, Frick, Basile, Baumevielle, Pacault, Mlle Finck, comme professeurs; Decorps, Delacôte, Martin-Bouyer, Mme Marsal comme chercheurs; J. Gaillard comme technicien. Tous ces noms sont cités de mémoire. Comme on l'a dit plus haut, la seconde tranche des bâtiments a pu être occupée dès septembre 1963; peu de chercheurs ont jamais été si largement et si luxueusement logés ! Le financement (français) de toute cette recherche est resté particulièrement important jusqu'à la fin des années soixante, en équipement comme en fonctionnement. L'organisme de financement était d'abord l'O.U.C.F.A., puis l'O.C.S. (Office de la coopération scientifique), dont le président, André Blanc-Lapierre (jusqu'en 1966), venait de temps en temps à Alger. -----------Très vite, dès octobre 1962, il était apparu que le seul endroit où des physiciens pouvaient espérer essayer de travailler était l'I.E.N., les matériels du laboratoire de physique des solides de la faculté furent donc immédiatement déménagés de la faculté à l'I.E.N. par J.-P. Fillard et J. Marucchi, avec un technicien algérien, M. Bendjebbas, qui s'y installèrent; ce mouvement de regroupement fut suivi, un an plus tard, par ce qui restait du laboratoire d'énergie solaire de la faculté (ex-Pr Perrot), c'est-à-dire S. Martinuzzi et J.-P. Fourny. Le groupe de physique du solide, dirigé par B. Pincimbono, a bénéficié, dès 1963, d'une importante collaboration scientifique avec le groupe des cristaux moléculaires (M. Schott) de l'École normale supérieure (Paris), tandis que la physique nucléaire collaborait avec M. Balini au C.E.A. Fin 1963 (seulement), les premiers physiciens algériens ont commencé à revenir de France, petit à petit, et ont souhaité être hébergés à l'LE.N.: Y. Mentalechetta, puis M. Rahmouni, Tazaïrt, etc..., et se sont ainsi installés à l'LE.N. -----------Les travaux menés à l'Institut pendant ces quelques années se sont traduits par des thèses d'État soutenues à Alger ou, le plus souvent, en France, au retour individuel des intéressés : J.-P. Fillard, S. Martinuzzi, G. Delacôte, J. Marucchi, Martin-Bouyer dans le domaine de la physique du solide; Flamant, Decorps, Ch. Meynadier en électronique nucléaire. Peu à peu, en effet, les personnels pieds-noirs et les coopérants ont regagné la France. Seul Y. Flamant est resté jusqu'au bout. En 1967, Ch. Meynadier était le dernier Pied-Noir à l'I.E.N. Le professeur P. Dumontet a laissé ses fonctions de doyen à M. Touri en 1964 et au professeur Basile en 1965 pour la direction de l'Institut. P. Dumontet et B. Picimbono sont rentrés en France en 1965. La fin de l'I.E.N. -----------Par la
suite, (vers 1980), les chercheurs restants de l'I.E.N. furent transférés
dans la nouvelle université d'Alger (l'U.S.T.H.B. de Bab ez Zouar),
implantée à Maison-Blanche vers 1974. L'histoire ne dit
pas si les accélérateurs de l'I.E.N. fonctionnent toujours,
mais la rumeur voudrait que les bâtiments servent maintenant à
abriter... un service du ministère de la Défense algérien.
Aujourd'hui aucune trace de cette aventure ne subsiste dans les archives
du C.E.A., bientôt les derniers acteurs auront disparu et la mémoire
même sera perdue dans les L'après-indépendance, en France -----------Nous
ne pourrions terminer cet article sans faire le tour de France des implantations
de cette pléiade de jeunes scientifiques issue de la vie éphémère
de l'I.E.N.Une grande majorité des personnels de physique nucléaire
et d'électronique rapide se sont regroupés à l'Institut
d'Études Nucléaires de Lyon, où ils retrouvérent
le professeur Sarrazin, pour continuer de travailler dans le domaine des
basses énergies; d'autres à Grenoble, avec le professeur
R. Barjon ont développé les technologies nucléaires.
Certains, comme Samueli, quittèrent l'université pour devenir
des industriels de renom dans le domaine de la sécurité
nucléaire; Francis Suzor créa l'I.N.S.A. (Institut national
des Jean-Pierre Fillard
Michel Savelli Annexe: - |