----------VILLAGE
dans la ville, il couvre plus de 8 ha de superficie et atteint presque
les 4 000 habitants : malades, 2 300 lits ; personnel attaché à
son service, 1 574 hommes ou femmes.
----------Cerné
par des murailles au-dessus desquelles émerge parfois la tête
feuillue d'un arbre, il se présente, vu des hauteurs qui le dominent,
comme un vaste polygone aux constructions symétriques principalement
disposées le long d'une double allée centrale. Entre les
branches de cette dernière, un large espace forme jardin. C'est
là qu'autour de massifs diversement ornés suivant les saisons,
abrités du soleil par les eucalyptus ou les troènes, bien
des malades viennent faire leur première promenade de convalescents.
----------Mais
l'hôpital de Mustapha n'est pas seulement un établissement
hospitalier, le plus vaste de l'Afrique du Nord, c'est encore, Alger étant
ville universitaire, un hôpital de Faculté disposant, comme
tel, de grands services d'enseignement. Ceux-ci, au nombre de quinze,
se répartissent de la manière suivante : clinique médicale,
clinique chirurgicale, maladies infectieuses, médecine infantile,
chirurgie infantile, thérapeutique médicale, thérapeutique
chirurgicale, obstétrique et gynécologie, phtisiologie,
urologie, ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, neuropsychiatrie, dermato-syphiligraphie,
hygiène et maladies des pays chauds.
----------Trois
cliniques annexes : ondonto-stomatologie, radiologie, chirurgie thoracique
les complètent. Enfin, les grands centres algériens anticancéreux,
de transfusion sanguine, de rhumatologie et crénothérapie
s'y trouvent aussi groupés.
Un domaine abandonné
et 20 000 planches
----------"AVEC
20 000 planches envoyées de Palma, on monta dans les jardins de
la villa Mustapha-Pacha, située à une demi-lieue de la ville,
des baraquements pour recevoir malades et blessés ",
lisons-nous sous la signature d'H. Klein, spécialiste des vieilles
chroniques d'El-Djezaïr.
----------Ces
jardins, " pour la plupart clos de haies vives composées de
figuiers de barbarie et d'aloès ", font partie d'un très
vaste domaine couvrant toute la colline ; l'actuel Palais d'Eté,
vers la crête, est son plus bel édifice. Il appartient alors
aux héritiers d'un dey ayant régné à la fin
du XVIII'' siècle et tout au début du XIX` : Mustapha-Pacha.
Des négociations en rendront bientôt l'Etat propriétaire,
mais le nom du Pacha restera attaché aux lieux.
----------Temporairement,
cependant, on désignera aussi la partie basse du domaine sous le
nom de " Camp des Chasseurs ", celui-ci, " très
bien tenu et fort beau ", étant " occupé par une
partie du 1er Chasseurs d'Afrique ". Ces militaires, auxquels un
régiment d'infanterie est venu se joindre, demeurent bientôt
maîtres du terrain dont leur affluence refoule la formation hospitalière.
Pour que cette dernière prenne définitivement possession
du domaine de Mustapha, il ne faudra pas moins de 24 années. Entre
les deux périodes se situent les pérégrinations de
l'Hôpital civil d'Alger qui, l'on s'en doute, fut militaire à
ses débuts.
----------Car
l'assistance médicale, avant 1830, était inconnue dans la
Régence. " Des espèces d'hospices
ou, plus exactement, des asiles, dit le baron Juchereau de
Saint-Denis, dans ses " Considérations sur la Régence
d'Alger " datant de 1831, étaient
annexés aux mosquées. On y recevait les infirmes, les vieillards,
les mendiants, les fous, ainsi que les soldats non mariés que leur
état trop grave ne permettait pas de laisser dans les casernes
auprès de leurs camarades".
----------Et
les docteurs Raynaud, Soulié, Picard dont l'ouvrage en deux tomes
" Hygiène et Pathologie nord-africaine " est une source
de documentation si riche, de préciser plus tard, dans la partie
historique de leur travail : " A Alger,
dans le quartier Bab-Azoun, à l'endroit où est la rue de
la Flèche actuelle, autrefois rue des Fous, se trouvait une sorte
d'asile où quelques aliénés étaient enfermés.
D'autre part, rue de l'Aigle, anciennement rue de l'Impuissance, un autre
asile abritait les Turcs impotents et les Janissaires invalides. Ces rares
asiles où les indigènes malheureux étalaient leur
misère montrent assez le néant de l'Assistance Publique
au temps de la domination turque.. L'assistance médicale de l'Etat
n'existait pas. "
----------S'inquiétant,
dès 1831, de l'hospitalisation des civils, l'autorité militaire
décide qu'une mosquée située en dehors de la porte
Bab-el-Oued servira d'infirmerie provisoire où seront " admis
et soignés aux frais de l'administration de la Guerre tous les
indigents qui auront besoin des secours de la médecine ".
--------------Mais
il ne peut s'agir là que d'une installation temporaire faite pour
parer au plus pressé. De pérégrinations en pérégrinations,
l'infirmerie-hôpital, après avoir fait le tour du quartier
Bab-Azoun, s'implante, en 1838, dans une ancienne caserne de Janissaires,
dite Kherratine (ou des Tanneurs, à cause des boutiques environnantes)
que lui cède le Service de l'In-tendance coiffant, alors, celui
de Santé. Complètement démolie avec les transformations
successives de la ville, son emplacement seul peut être situé
: au voisinage de l'ancienne mairie, entre la rue Bab-Azoun et le front
de mer.
----------Toujours
d'après " Hygiène et Pathologie ", le projet de
budget de cet hôpital, pour l'exercice 1848/49, indique une moyenne
de 307 malades en traitement, plus 180 dans trois annexes, dont une rurale,
à Dely-Ibrahim.
----------Mais
la clientèle devient rapidement trop nombreuse pour l'exiguïté
des locaux ; de plus, une ancienne caserne située au coeur de la
ville n'a rien des installations sanitaires et du calme requis pour un
hôpital. On cherche donc, pour transférer ce dernier, et
définitivement l'implanter, un endroit mieux approprié.
Et c'est alors, en 1852, que le " Camp des Chasseurs ", situé
sur la commune de Mustapha, distincte d'Alger dont la séparent
des terrains de culture et des boqueteaux, reparaît dans les textes
officiels.
Ce qu'on pouvait faire
pour 1 200 000 francs
en 1840
----------L
'OBJECTION majeure des adversaires du projet de création d'un hôpital
sur ce territoire d'une commune suburbaine était - l'on ne s'en
douterait pas aujourd'hui ! - son éloignement d'Alger. Transporter
les malades à 3 km du centre de la ville serait par trop incommode,
disaient-ils.
----------L'urgence
d'adopter une solution, la possibilité d'utiliser le " Camp
des Chasseurs " et le désir d'accomplir au plus tôt
les volontés posthumes d'un " riche colon, M. Fortin d'Ivry
qui, par testament du 19 septembre 1840, avait fait don à la ville
d'une somme de douze cent mille francs pour la construction d'un hôpital
civil à Mustapha " ( Hygiène et Pathologie nord-africaine.
) fit passer outre à leurs critiques.
----------Par
décision préfectorale, Kherratine, en 1854, était
définitivement abandonnée pour Mustapha et le août,
è neuf heures, au cours d'une bénédiction solennelle,
l'évêque d'Alger bénissait les nouvelles installations.
----------Bien
précaires, d'ailleurs, celles-ci, constituées par des baraquements
militaires auxquels on a fait toilette en les dotant d'aménagements
approximatifs, appellent, dès le premier jour, des remplaçantes.
Décidée, grâce au legs Fortin d'Ivry, la construction
de bâtiments neufs attendra cependant encore plus de vingt années.
Mais, entre temps, l'hôpital prend racine et, sous une impulsion
tant administrative que médicale, affirme sa double vocation.
----------Il
est piquant, aux approches du centenaire de l'Ecole devenue Faculté
de Médecine d'Alger, de noter que ce sont les médecins qui,
par leur initiative, hâtèrent la création de ces cours
d'enseignement réclamés par eux aux toutes premières
années de l'implantation française en Algérie. "
Dès janvier 1832, lisons-nous dans une thèse médicale
soutenue à Alger voici 4 ans (Dr Léonce Lamarque. ), l'intendant
militaire Bondurand organisait à l'hôpital du Dey des cours
réguliers professés bénévolement par les plus
habiles médecins et chirurgiens de l'armée d'Afrique...
". ----------Le
21 mai 1855, c'est à l'hôpital de Mustapha qu'à leur
tour les médecins civils ouvrent des cours aux étudiants.
Deux ans plus tard, enfin, l'Ecole de Médecine est créée.
Mais ce n'est que le 18 janvier 1859 que seront inaugurés à
Mustapha les cours officiels. Dans deux baraques, précisent les
auteurs d' "Hygiène et Pathologie", l'une étant
réservée aux malades hommes, l'autre aux femmes, et chacune
se divisant à son tour en deux selon qu'il s'agit de médecine
ou d'actes chirurgicaux.
----------Quelques
vestiges subsistent encore aujourd'hui de ces temps héroïques,
nous dit l'actuel directeur de l'hôpital. Par exemple le logement
communautaire des Soeurs, attachées à l'hôpital par
une convention datant de 1875. Tout le reste est postérieur à
1877, époque où commencèrent d'être édifiés
les 14 pavillons dont le plan, dressé par l'architecte Voinot,
avait eu l'approbation du préfet d'Alger. Située dans le
bâtiment directorial, une peinture murale reproduit fidèlement
l'image de ce Mustapha d'alors, tout flambant neuf... et campagnard. A
l'entour des murailles qui le limitent, ce ne sont qu'orangeraies, bosquets,
jardins.
Transformations pour
cause de croissance
accélérée
----------LES
deux premières cliniques créées le sont en 1883 :
maladies des enfants, et 1884 : obstétricale. La nomination du
premier directeur de l'établissement date de 1883.
----------Décidés
vers 1920, les agrandissements exigés par une
croissance démographique déjà fort considérable,
en même temps que par la nécessité
de suivre les progrès de l'équipement médicochirurgical
firent plus que doubler le nombre des pavillons. En 1930, le Dr Raynaud
indique le chiffre de 29. ----------Repris
une fois encore, toujours pour les mêmes raisons, mais bientôt
stoppés par la guerre, les agrandissements, poursuivis dès
1944, n'ont depuis lors pratiquement jamais cessé.
----------Quelques
chiffres comparatifs suffiront, d'ailleurs, à montrer la croissance
des services hospitaliers en un siècle a peine. En 1856-57, 7 642
malades furent hospitalisés à Mustapha et annexes. Dépenses
totales concernant cette même année : 313 036 fr. 10. Aux
relevés des dernières statistiques portant sur l'année
1953, le nombre des malades s'est élevé à 31435,
y compris l'annexe pour contagieux d'El-Kettar, et l'ensemble des dépenses
faites dépasse de fort loin les douze cent mille francs du magnifique
legs Fortin.
----------Nous
avons précédemment indiqué les chiffres concernant
les grands services d'enseignement et le personnel hospitalier. Ceux de
1837 font état de 2 médecins, 2 chirurgiens, 2 pharmaciens,
2 internes, 17 Soeurs, 49 infirmiers ou journaliers, 1 portier.
----------Ce
qui n'a guère changé depuis cent ans, par contre, c'est
l'organisation administrative plaçant l'hôpital sous la haute
autorité du Gouvernement Général, la tutelle du Préfet
et la responsabilité d'un Directeur assisté d'une Commission
consultative dont le maire d'Alger est le président de droit. Au
temps, d'ailleurs, où Mustapha était commune suburbaine,
c'est à son premier magistrat que revenait la fonction.
----------Tel
qu'il est aujourd'hui, l'hôpital a ses grands ensembles collectifs
: de lingerie avec matelasserie, buanderie, étuves ; d'alimentation
comprenant deux cuisines dont l'une, équipée pour 2 000
rationnaires, utilise la vapeur provenant de la centrale thermique de
l'établissement, tandis que l'autre, aménagée dans
le sous-sol d'une clinique infantile, prépare suivant les régimes,
des menus spéciaux et fonctionne à l'électricité
; de magasins pharmaceutiques, etc... Succédant à l'ancien
et peu pratique transport à bras des repas, pour desservir les
pavillons, circulent, dans les allées, des camions aux parois chauffantes
; enfin, dans l'artisanat qui lui est propre, Mustapha réunit,
pour suffire à ses réparations et son entretien, les corps
de métiers les plus divers. Claire et paisible avec ses murs si
soigneusement blanchis qu'on la dirait toujours neuve, une chapelle, havre
secret des âmes croyantes, accueille
les peines et les joies dont est faite la vie quotidienne d'un hôpital.
Quelques grands services
modernes
La Clinique Médicale Infantile
----------L
'ALIMENTATION, chez les tout petits, est toujours affaire importante.
Aussi, l'un des centres principaux de la clinique médicale infantile
est-il au sous-sol, dans
la biberonnerie.
----------Un
bac de trempage, une machine à laver les biberons, deux autoclaves
pour les stériliser, réduisent au minimum une manutention
que le nombre rendrait fort longue. Ne nous a-t-on pas indiqué
la moyenne journalière de 562 biberons ? Qui, bien entendu, se
répartissent sur un très large éventail de régimes
et de dosages. De sorte que la vaste pièce où, chaque matin,
travaillent infirmières et puéricultrices (l'école
de ces dernières est annexée à la clinique) voit
ses tables de manipulation se couvrir de flacons aux tétines de
caoutchouc par " familles " diversement colorées : blanc
s'il s'agit de lait, jaune d'or pour les jus d'oranges et de carottes,
ou bien, avec les bouillons de légumes, vert clair. Mixer et presse-fruits
ronronnent tout doucement ; avec une promptitude qui n'exclut pas la minutie,
les jeunes filles, sous l'oeil vigilant du chef de service, dosent les
rations.
----------Toute
proche, la cuisine, spécialisée dans la diététique,
et équipée électriquement, nous l'avons dit, prépare
chaque jour 350 repas. Des monte-plats, par leurs cheminées, portent
la nourriture jusqu'aux étages ; on vient aussi la chercher, par
des ouvertures pratiquées au ras du sol, de la clinique chirurgicale
(toujours infantile) attenante.
----------En
sous-sol encore, les laboratoires voisinent avec l'amphi-théâtre
de cours (commun aux deux cliniques, également). Celui de chimie,
particulièrement bien équipé pour la bactériologie,
fait une moyenne de 853 analyses par mois, celui de physique, pour le
même temps, " débite " quelque 620 clichés
radiographiques. Puis voici, dans un local qui lui est spécial,
un électro-encéphalographe dont nous avons le plaisir d'apprendre
qu'il est de fabrication française. Que l'on s'imagine, d'une part,
une sorte de casque pour indéfrisable ancienne version - celui
d'il y a 15 ou 20 ans, muni de bigoudis tenus par des fils - d'autre part,
un volumineux bloc armé d'une tige métallique jouant le
rôle de plume à stylo. Si l'on ajoute, au contact de la plume,
un large ruban de papier, l'image de l'appareil sera à peu près
exacte. Sans nous perdre dans la description de son fonctionnement, disons,
en langage non scientifique, qu'il sert au praticien interprétant
les zigzags tracés sur le papier à " voir " ce
qui se passe dans le cerveau de son malade.
----------Chaque
chambre d'opéré a son conditionnement d'air, ses appareils
à oxygène, carbogène, aérosol, Rhodoïd
iz la fenêtre, etc
----------Nous étant
attardée dans ce bien curieux sous-sol, nous passerons rapidement
au rez-de-chaussée (salles des entrées, de consultation,
etc...) pour demeurer un peu plus longtemps dans chaque étage,
parmi les petits malades auprès de qui toutes les infirmières
se sentent devenir mamans. De 1 à 4 ans, garçons et filles
sont ensemble, chacun dans son petit box ouvert sur la même allée.
De 4 à 14 ans, l'on se sépare, comme sont d'ailleurs séparés
de tous ces lots les moins d'un an. A noter que les nourrissons allaités
au sein ont droit à leur chambre particulière puisque la
mère, afin de ne pas déranger leur alimentation, entre à
l'hôpital avec eux.
----------Terminons
notre visite par un coup d'oeil sur le service des contagieux, rigoureusement
isolés. Pour tromper cette solitude, d'amusants " Mickey "
égayent les chambres des petits
malades ; détail plus important au point de vue médical,
ces chambres peuvent recevoir directement de l'oxygène qu envoie
par tuyauterie une centrale appartenant au pavillon.
231 lits, une moyenne mensuelle de 250 entrées quand la période
est normale résument en chiffres l'activité des six services
que nous avons vus.
La Clinique thérapeutique chirurgicale :
un petit hôpital dans le grand
----------SES
deux caractéristiques essentielles nous semblent être l'urgence
et la diversité. Depuis l'accident de la rue ou l'appendicite opérée
" à chaud ", pour donner des exemples frappants, jusqu'à
l'intervention chirurgicale soigneusement préparée, tout
ce qui n'est pas maladie, chez les adultes, vient à Bichat.
----------Aussi,
le service de garde, à l'entrée du pavillon qui porte ce
nom, fonctionne-t-il par relais, sans interruption, de jour et de nuit.
----------Ce qui
se fait à la clinique thérapeutique chirurgicale, les services
qui la composent, fourniraient, à eux seuls, la matière
d'un reportage aux paragraphes multiples. Bornons-nous, dans le cadre
de notre sujet, à saisir les images les plus typiques afin de donner
une idée aussi juste que possible du tout.
----------Voici,
en étage, les chambres vastes et bien aérées - pas
plus de 4 lits. Les prochaines, attenantes et qui feront plus que doubler
la place, profitant de l'expérience acquise, seront mieux encore
avec murs revêtus de carrelage blanc, plafond lumineux.
----------Y
séjournent seulement des blessés légers ou des opérés
déjà hors d'affaire. Aux hommes et aux femmes sortant de
la salle d'opération est réservé le 2" étage
entièrement climatisé, composé de chambres individuelles
dont chacune a son conditionneur d'air, ses appareils à oxygène,
carbogène, aérosol, son Rhodoïdà la fenêtre
pour que les visiteurs, dès qu'ils sont admis à voir l'opéré,
puissent aussi lui parler. Fabriqués à Alger, sur un modèle
américain, les lits offrent la double particularité de pouvoir
placer le malade dans n'importe quelle position, grâce à
un système de crémaillère et de manivelles, ainsi
que d'être, à volonté, fixes ou roulants. De sorte
qu'en quittant la table d'opération, le patient, couché
dans son lit une bonne fois pour toutes, n'a plus à bouger. Chez
les " crâniens " (un mot qui, dans une clinique chirurgicale,
se passe de commentaires) fonctionne un énorme réfrigérateur
à très basse température ; rangées sur des
casiers, des poches de caoutchouc, convenablement remplies d'un liquide
spécial, évitent les transports de glace pilée d'antan.
|
|
----------Mais une
porte ouverte ailleurs nous souffle au visage de l'air chaud. Nous pénétrons
dans l'organe essentiel du pavillon, son bloc opératoire qui, pour
être décrit, exigera le concours du photographe et notre
montée à l'étage supérieur.
----------Mustapha,
il est ici besoin de le rappeler, a la double vocation d'hospitalisation
et d'enseignement. Sont donc à considérer le patient et
les élèves de la Faculté de Médecine. Afin
que le chirurgien et ses assistants opérant le premier ne soient
pas gênés par les seconds, la salle d'opération se
coiffe d'une coupole dont la base est percée d'ouvertures spacieuses
et vitrées. Assis en rond au niveau de cette coupole, les étudiants
peuvent aisément suivre tous les gestes de leurs maîtres.
De telle sorte qu'à l'étage au-dessus des voûtes (le
bloc opératoire comprend deux "cellules " ) se trouve
une véritable salle de cours - avec chaire, d'ailleurs, pour un
commentateur dont le rôle est de décrire, phase par phase,
l'intervention chirurgicale.
----------Plongeons
du regard, par l'ouverture découpant l'une des parois latérales
de la vaste salle, dans le bloc orthopédique contigu. Y suivre
une réduction de fracture sera tout aussi facile. Mais, pour admirer
la perfection de son outillage, mieux vaut redescendre. Nous sera présenté,
alors, un équipement pouvant rivaliser avec celui de n'importe
quel hôpital de France ou de l'étranger, depuis la table
articulée jusqu'à l'ensemble radio-graphique permettant
au praticien, grâce à des lumières jaunes et à
un écran convenablement placé, de travailler comme s'il
avait sous les yeux l'os à nu.
----------De
classe internationale, aussi, peut-on dire, sont les salles d'opération.
Ces coupoles qui les abritent et dont, là-haut, bombait le dôme,
sont des voûtes Blin que nous dirons, quant à nous, formées
par des briques de verre dont chacune a sa lampe ou, plutôt, son
phare puissant. L'éclairage, à la commande, se fait par
zones afin que la lumière tombe comme il faut à l'en-droit
voulu. De même qu'en orthopédie, un écran radiographique
enregistre le travail du chirurgien au fur et à mesure qu'il se
déroule.
----------Placée
entre les salles d'opération et d'orthopédie, la cabine
d'un poste radio-chirurgical complète l'ensemble du bloc opératoire
dont nous aurons dit l'essentiel en ajoutant que le matériel stérilisé
y parvient directement par monte-charge.
----------Au
sous-sol se trouve ce que nous appellerons l'usine de Bichat. Entendez
par là ses énormes chaudières à mazout, une
puissante installation pour conditionnement d'air (c'est elle qui, à
volonté, souffle le froid et le chaud au deuxième étage)
un appareil à faire le vide et un autre à air comprimé
dont les tuyauteries aboutissent aux salles d'opération. Certaines
interventions chirurgicales, en effet, requièrent le concours de
l'aspirateur, d'autres, celui du trépan ou de la scie à
air comprimé.
----------A
l'opposé de cette zone usinière, c'est-à-dire en
surélévation, tout en haut, est le service de rééducation,
soit une salle vitrée prolongée par une terrasse, l'une
et l'autre munies des appareils de culture physique adéquats.
----------Pour
concourir à la même fin - celle de la remise des muscles
en bon état de fonctionnement - une piscine vient d'être
construite au rez-de-chaussée dont la mise en service n'est plus
qu'une question de jours.
----------Equipés
pour toutes sortes d'analyses, les laboratoires possèdent même
un photomètre à flamme, assez rare spécimen du genre
et précieux, en particulier, pour le dosage du potassium et du
sodium. Dans son local particulier, un encéphalographe suspend
son casque à bigoudis.
----------Nous
venons d'indiquer que les chambres allaient être plus que doublées.
C'est, qu'en effet, à Bichat, en mal de croissance, un nouveau
pavillon s'ajoute à l'ancien. Dans celui-ci, dont les aménagements
sont activement poursuivis, un stérilisateur à la vapeur
sous forte pression est déjà en place. De fabrication allemande
très nouvelle, sa caractéristique est de stériliser
en quelques minutes. Flambant neuf, aussi, est l'amphithéâtre
aux fauteuils verts avec son épidiascope, son cinéma parlant.
Des planches installées autour de la chaire professorale témoignent
que la dernière la dernière
leçon vient de porter sur la fameuse maladie bleue. Une intervention
chirurgicale réussie en métropole ne l'a-t-elle pas mise,
si l'on peut dire, à l'ordre du jour en Algérie ? Elle y
était cependant opérée avec succès à
Mustapha depuis longtemps.
----------Annexée
au service, mais sise assez loin, une clinique expérimentale a
ses chiens sur lesquels ne se pratique pas la vivisection (que les amis
des animaux se rassurent) mais des opérations-témoins faites
avec le maximum d'humanité. Enfin, une armoire frigorifique qui
tient de la chambre-forte est la " banque des os " où
les praticiens prélèvent les greffes utiles à leurs
opérés.
La Clinique d' Urologie
----------PORTANT
le nom de Jean-Dominique Sabadini, le pavillon d'urologie perpétue
ainsi la mémoire d'un médecin qui, de 1885 à 1911,
fut à Alger chirurgien des hôpitaux. Le service, lui, fut
fondé en 1941, par transformation d'un service de chirurgie générale
en service spécialisé et à la demande du titulaire
de ce service. Jusqu'à cette époque, l'urologie se trouvait
à l'hôpital Parnet (Hussein-Dey) et fonctionna pendant la
guerre, pour militaire et civils, avec plus de 200 lits. Créée
à la Faculté d'Alger en 1945, la chaire d'urologie est venue
s'installer à l'hôpital où le pavillon s'est ouvert
en mars 1953. Cette fondation toute récente explique le caractère
architectural très moderne du pavillon, ses vastes baies, son confort
et même, disons le mot, son élégance.
----------Six
étages dont deux sont affectés aux hospitalisés,
un aux opérés (capacité totale 120 lits) schématisent
en chiffres l'urologie. Les chambres, spacieuses, ont de un à 4
occupants. ----------Comme
à Bichat, elles sont dotées, deux par deux, d'un ensemble
hygiénique - cabinet à toilette et W.C. - donnant au malade
le maximum de bien-être avec l'impression du " chez soi ".
Au service des opérés est placée, à la tête
de chaque lit, une installation de réanimation post-opératoire
tirant ses ressources (oxygène, etc...) du pavillon, domaine autonome
équipé pour se suffire en tout. Aux laboratoires se font
non seulement les examens, mais aussi des recherches biologiques.
----------Décrire
le service de radiographie et le bloc opératoire aux deux salles
risquerait de fatiguer le lecteur pour cause de répétition.
Aussi, laisserons-nous parler l'image dont la précision montrera
tout à la fois ce qu'est l'ensemble et, dans sa perfection, chaque
détail. Notons, cependant, l'éclairage particulièrement
puissant, la coupole des salles étant munie d'un superscialytique,
soit, pour nous servir d'une comparaison familière, d'un gros phare
emboîté dans un énorme réflecteur qui circule
ou bascule à la commande, et de plusieurs phares de moindre importance
jouant à volonté dans les parois. Le chirurgien opère,
ici, au bistouri électrique et n'a besoin, pour recevoir de l'oxygène
ou faire le vide, que d'un simple mouvement du pied, un peu comme, en
voiture, selon qu'il voudrait embrayer ou accélérer, il
appuierait ici ou là. Attenante au bloc opératoire, une
lingerie dont les machines lavent et sèchent le linge jouxte la
salle de stérilisation. Avec le minimum de manipulations, dans
un
temps record, est ainsi bouclé le circuit pansement-souillé,
complète apepsie.
----------Consultations,
urgences, réanimations, tels sont, au pavillon Sabadini, les grands
secteurs. N'en terminons pas avant d'avoir mentionné tout spécialement
la salle des interventions endoscopiques faisant partie du bloc opératoire
et dont l'équipement forme un ensemble ultra-moderne.
Gynécologie et Obstétrique
----------NOUS
ne mentionnerons que pour mémoire - bien qu'ils aient leur intérêt
particulier - les laboratoires et l'amphithéâtre. ----------Chaque
service d'enseignement possède les siens.
----------Ici,
dans un pavillon ancien qu'ajouts et transformations ont rénové
de fond en comble, les caractéristiques les plus frappantes sont
la clarté, la lumière des chambres-dortoirs, assez intimes
avec leurs lits peu nombreux, mais habilement disposées en enfilade
afin que le personnel de garde ait toutes les malades sous sa surveillance.
----------Divers,
animé, ce service occupant un très vaste bâtiment
est, à lui seul, un vrai petit monde. Y viennent, en gynécologie,
celles à qui la nature semble refuser d'être mères
afin de guérir leur stérilité. Les y rejoignent,
pour être aiguillées vers d'autres services, les jeunes mamans
menant leurs nourrissons à la consultation. Commencées en
1926, nous dit-on, ces consultations qui, dès le début,
connurent un grand succès et en suscitèrent d'analogues
dans les dispensaires, arrivent à la jolie moyenne annuelle de
16 000. Au passage, parmi l'outillage médical, notre regard s'accroche
à un curieux petit appareil... dont la valeur, apprenons-nous,
ne se mesure pas au volume. C'est un microcolposcope que son pouvoir grossissant
- 120 à 130 fois - fait un incomparable détecteur du cancer
de l'utérus.
----------A
la maternité où quelque 200 petits Algérois, chaque
mois, viennent au monde, l'on pratique le moderne accouchement sans douleur.
Ce qui requiert, nous dit-on, la collaboration du praticien et de la future
mère, celle-ci devant apprendre (entr'autres choses ) à
respirer convenablement et ne pas se crisper le moment venu. Le succès
des leçons données sur ce sujet... neuf quoiqu'aussi vieux
que le monde, est très vif.
----------A
la clinique d'urologie. - Sous le superscialytique, la table d'opération.
Ici, c'est à travers les parois de verre que, du local contigu,
regardent les étudiants.
----------Mais
il est des circonstances où le meilleur vouloir et les méthodes
d'accouchement ordinaires ne suffisent pas. Il faut pratiquer une césarienne.
Aussi la clinique possède-t-elle deux magnifiques blocs opératoires
assez analogues à ceux que nous avons déjà décrits,
l'un équipé d'une voûte Blin, l'autre d'un superscialytique.
A l'entrée, dans la salle d'anesthésie, nous remarquons
en passant l'appareil à oxygène pour la réanimation
des nouveau-nés et demeurons quelque peu surpris, dans la salle
où les pansements sont préparés, par le volume de
l'énorme stérilisateur aux innombrables manettes.
----------Au
troisième étage du pavillon, la salle des prématurés,
avec ses couveuses, fait penser à quelque roman d'Aldous Huxley.
Imaginez des boîtes de verre dont les parois latérales sont
percées de quatre orifices, lesquels s'obturent de longs manchons
en nylon. C'est par ces manchons que pénètrent, bien aseptisées,
les délicates mains des sages-femmes (leur école est annexée
au pavillon) pour nettoyer, alimenter, une miniature de bébé
tout nu dans son lange. A l'intérieur de la boîte, l'atmosphère
est climatisée ; sous la boîte, un système de bascule
pèse l'enfant.
----------Petites
flammes de vie qu'il faut abriter pour qu'elles grandissent, ces trop
tôt venus semblent encore en-deçà de notre monde.
Quittons-les sur la pointe des pieds.
La Clinique Médicale
----------MODERNE
de lignes et d'aspect, son bâtiment central bordé de deux
ailes sent le neuf. Mais sans rien de spectaculaire.
----------Avec
le souci d'épargner sur le luxe, jamais sur l'outillage scientifique
et médical ou le confort des malades, les plans de ce service ont
été conçus pour réaliser le maximum, en demeurant
ménager des deniers publics. Il en résulte 80 lits répartis
par petit nombre - de 1 à 6 - dans des chambres bien aérées,
éclairées par de larges ouvertures, où l'hospitalisé
a ses aises, des laboratoires équipés pour la recherche
scientifique autant que pour l'analyse et (comme partout ailleurs) un
centre de radioscopie et radiographie, des salles de consultation, un
amphithéâtre de cours.
----------Polyvalente
- on y soigne aussi bien l'estomac, le foie que l'intestin, les reins
ou le coeur - la clinique médicale traite, surtout, les maladies
de la nutrition et lutte spécialement contre le diabète,
pour la raison que l'essentiel de sa clientèle l'oriente ainsi.
Il entre dans ce pavillon en moyenne au moins un comateux diabétique
par semaine, apprenons-nous. Ce qui nécessite une permanence spécialisée
de jour et de nuit. Disons, en passant, que les raisons de cette fréquence
peu soupçonnée paraissent être surtout l'alimentation
mal équilibrée de beaucoup de gens, leur négligence
à se soigner, à suivre un régime... et la cherté
de l'insuline, antidote du diabète, comme chacun sait. Ce que l'on
sait peut-être moins, c'est que la première étude
du diabète en Algérie est partie de la clinique médicale
de Mustapha.
----------Concomitant
à ce service, le laboratoire est chargé de " suivre
" chaque malade au point de vue dosage du sucre dans les urines et
le sang - parfois, pour les cas graves, de demi-heure en demi-heure -
mais ce n'est là qu'une partie de son champ d'action. Beaucoup
plus vaste, celui-ci correspond à tous les services de la clinique
: gastro-entérologie, cardiologie, rhumatologie, etc... L'on y
" fait " également de l'hématologie, ainsi qu'en
témoigne un électrophorèse, appareil construit pour
étudier les éléments chimiques du sang, de la chromatographie,
laquelle, apprenons-nous, est une forme moderne de l'analyse chimique
utilisant des moyens de dosages colorés métriques, et de
la cytologie, soit la recherche de cellules cancéreuses dans les
différentes sécrétions de l'organisme, méthode
principalement fondée, voici quelque dix ans, sur des travaux de
savants américains. Une animalerie, installée non loin des
locaux du laboratoire, enfin, met ses cobayes au service de la recherche
scientifique.
----------Soigner
les maladies de l'appareil digestif implique, évidemment, l'obligation
de surveiller la nourriture, chaque maladie - voire chaque malade - ayant
son régime particulier. Soins, observations, étude de l'évolution
du mal, régime, voilà bien ce qu'on va chercher à
la clinique médicale et qu'on y trouve dans une ambiance confortable,
presque sympathique, dirons-nous, ayant réservé pour la
fin ce service où le bistouri ne rentre pas
*
----------MALADES,
blessés, étudiants, s'ils constituent la grosse partie de
la population de Mustapha, ne la forment pas tout entière. Aussi,
dirons-nous un mot des " annexes " que sont les chambres des
infirmières (en petit nombre, encore., mais c'est une utile nouveauté
qui fait son chemin) de la garderie pour les enfants des employés,
oeuvre sociale également toute récente et, pour cela même,
installée dans du provisoire.
----------Mustapha,
pas plus que Paris, ne s'est édifié en un jour. Sans cela,
point n'eut été besoin d'en résumer l'historique
ni d'annoncer, pour l'avenir, avec la cession à l'administration
du parc à fourrage contigu, de nouveaux agrandissements.
Alberte SADOUILLET. Reportage photographique
d'André GARCIA.
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