L'HOPITAL CIVIL D'ALGER
UN GRAND ÉTABLISSEMENT VOUÉ AU SOULAGEMENT DE LA SOUFFRANCE
PAR ALBERTE SADOUILLET
Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, printemps 1955.Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger

-VILLAGE dans la ville, il couvre plus de 8 ha de superficie et atteint presque les 4 000 habitants : malades, 2 300 lits ; personnel attaché à son service, 1 574 hommes ou femmes.


mise sur site le 8-9-2005

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----------VILLAGE dans la ville, il couvre plus de 8 ha de superficie et atteint presque les 4 000 habitants : malades, 2 300 lits ; personnel attaché à son service, 1 574 hommes ou femmes.
----------Cerné par des murailles au-dessus desquelles émerge parfois la tête feuillue d'un arbre, il se présente, vu des hauteurs qui le dominent, comme un vaste polygone aux constructions symétriques principalement disposées le long d'une double allée centrale. Entre les branches de cette dernière, un large espace forme jardin. C'est là qu'autour de massifs diversement ornés suivant les saisons, abrités du soleil par les eucalyptus ou les troènes, bien des malades viennent faire leur première promenade de convalescents.
----------Mais l'hôpital de Mustapha n'est pas seulement un établissement hospitalier, le plus vaste de l'Afrique du Nord, c'est encore, Alger étant ville universitaire, un hôpital de Faculté disposant, comme tel, de grands services d'enseignement. Ceux-ci, au nombre de quinze, se répartissent de la manière suivante : clinique médicale, clinique chirurgicale, maladies infectieuses, médecine infantile, chirurgie infantile, thérapeutique médicale, thérapeutique chirurgicale, obstétrique et gynécologie, phtisiologie, urologie, ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, neuropsychiatrie, dermato-syphiligraphie, hygiène et maladies des pays chauds.
----------Trois cliniques annexes : ondonto-stomatologie, radiologie, chirurgie thoracique les complètent. Enfin, les grands centres algériens anticancéreux, de transfusion sanguine, de rhumatologie et crénothérapie s'y trouvent aussi groupés.

Un domaine abandonné et 20 000 planches

----------"AVEC 20 000 planches envoyées de Palma, on monta dans les jardins de la villa Mustapha-Pacha, située à une demi-lieue de la ville, des baraquements pour recevoir malades et blessés ", lisons-nous sous la signature d'H. Klein, spécialiste des vieilles chroniques d'El-Djezaïr.
----------Ces jardins, " pour la plupart clos de haies vives composées de figuiers de barbarie et d'aloès ", font partie d'un très vaste domaine couvrant toute la colline ; l'actuel Palais d'Eté, vers la crête, est son plus bel édifice. Il appartient alors aux héritiers d'un dey ayant régné à la fin du XVIII'' siècle et tout au début du XIX` : Mustapha-Pacha. Des négociations en rendront bientôt l'Etat propriétaire, mais le nom du Pacha restera attaché aux lieux.
----------Temporairement, cependant, on désignera aussi la partie basse du domaine sous le nom de " Camp des Chasseurs ", celui-ci, " très bien tenu et fort beau ", étant " occupé par une partie du 1er Chasseurs d'Afrique ". Ces militaires, auxquels un régiment d'infanterie est venu se joindre, demeurent bientôt maîtres du terrain dont leur affluence refoule la formation hospitalière. Pour que cette dernière prenne définitivement possession du domaine de Mustapha, il ne faudra pas moins de 24 années. Entre les deux périodes se situent les pérégrinations de l'Hôpital civil d'Alger qui, l'on s'en doute, fut militaire à ses débuts.
----------Car l'assistance médicale, avant 1830, était inconnue dans la Régence. " Des espèces d'hospices ou, plus exactement, des asiles, dit le baron Juchereau de Saint-Denis, dans ses " Considérations sur la Régence d'Alger " datant de 1831, étaient annexés aux mosquées. On y recevait les infirmes, les vieillards, les mendiants, les fous, ainsi que les soldats non mariés que leur état trop grave ne permettait pas de laisser dans les casernes auprès de leurs camarades".
----------Et les docteurs Raynaud, Soulié, Picard dont l'ouvrage en deux tomes " Hygiène et Pathologie nord-africaine " est une source de documentation si riche, de préciser plus tard, dans la partie historique de leur travail : " A Alger, dans le quartier Bab-Azoun, à l'endroit où est la rue de la Flèche actuelle, autrefois rue des Fous, se trouvait une sorte d'asile où quelques aliénés étaient enfermés. D'autre part, rue de l'Aigle, anciennement rue de l'Impuissance, un autre asile abritait les Turcs impotents et les Janissaires invalides. Ces rares asiles où les indigènes malheureux étalaient leur misère montrent assez le néant de l'Assistance Publique au temps de la domination turque.. L'assistance médicale de l'Etat n'existait pas. "
----------S'inquiétant, dès 1831, de l'hospitalisation des civils, l'autorité militaire décide qu'une mosquée située en dehors de la porte Bab-el-Oued servira d'infirmerie provisoire où seront " admis et soignés aux frais de l'administration de la Guerre tous les indigents qui auront besoin des secours de la médecine ". --------------Mais il ne peut s'agir là que d'une installation temporaire faite pour parer au plus pressé. De pérégrinations en pérégrinations, l'infirmerie-hôpital, après avoir fait le tour du quartier Bab-Azoun, s'implante, en 1838, dans une ancienne caserne de Janissaires, dite Kherratine (ou des Tanneurs, à cause des boutiques environnantes) que lui cède le Service de l'In-tendance coiffant, alors, celui de Santé. Complètement démolie avec les transformations successives de la ville, son emplacement seul peut être situé : au voisinage de l'ancienne mairie, entre la rue Bab-Azoun et le front de mer.
----------Toujours d'après " Hygiène et Pathologie ", le projet de budget de cet hôpital, pour l'exercice 1848/49, indique une moyenne de 307 malades en traitement, plus 180 dans trois annexes, dont une rurale, à Dely-Ibrahim.
----------Mais la clientèle devient rapidement trop nombreuse pour l'exiguïté des locaux ; de plus, une ancienne caserne située au coeur de la ville n'a rien des installations sanitaires et du calme requis pour un hôpital. On cherche donc, pour transférer ce dernier, et définitivement l'implanter, un endroit mieux approprié. Et c'est alors, en 1852, que le " Camp des Chasseurs ", situé sur la commune de Mustapha, distincte d'Alger dont la séparent des terrains de culture et des boqueteaux, reparaît dans les textes officiels.

Ce qu'on pouvait faire pour 1 200 000 francs
en 1840

----------L 'OBJECTION majeure des adversaires du projet de création d'un hôpital sur ce territoire d'une commune suburbaine était - l'on ne s'en douterait pas aujourd'hui ! - son éloignement d'Alger. Transporter les malades à 3 km du centre de la ville serait par trop incommode, disaient-ils.
----------L'urgence d'adopter une solution, la possibilité d'utiliser le " Camp des Chasseurs " et le désir d'accomplir au plus tôt les volontés posthumes d'un " riche colon, M. Fortin d'Ivry qui, par testament du 19 septembre 1840, avait fait don à la ville d'une somme de douze cent mille francs pour la construction d'un hôpital civil à Mustapha " ( Hygiène et Pathologie nord-africaine. ) fit passer outre à leurs critiques.
----------Par décision préfectorale, Kherratine, en 1854, était définitivement abandonnée pour Mustapha et le août, è neuf heures, au cours d'une bénédiction solennelle, l'évêque d'Alger bénissait les nouvelles installations.
----------Bien précaires, d'ailleurs, celles-ci, constituées par des baraquements militaires auxquels on a fait toilette en les dotant d'aménagements approximatifs, appellent, dès le premier jour, des remplaçantes. Décidée, grâce au legs Fortin d'Ivry, la construction de bâtiments neufs attendra cependant encore plus de vingt années. Mais, entre temps, l'hôpital prend racine et, sous une impulsion tant administrative que médicale, affirme sa double vocation.
----------Il est piquant, aux approches du centenaire de l'Ecole devenue Faculté de Médecine d'Alger, de noter que ce sont les médecins qui, par leur initiative, hâtèrent la création de ces cours d'enseignement réclamés par eux aux toutes premières années de l'implantation française en Algérie. " Dès janvier 1832, lisons-nous dans une thèse médicale soutenue à Alger voici 4 ans (Dr Léonce Lamarque. ), l'intendant militaire Bondurand organisait à l'hôpital du Dey des cours réguliers professés bénévolement par les plus habiles médecins et chirurgiens de l'armée d'Afrique... ". ----------Le 21 mai 1855, c'est à l'hôpital de Mustapha qu'à leur tour les médecins civils ouvrent des cours aux étudiants. Deux ans plus tard, enfin, l'Ecole de Médecine est créée. Mais ce n'est que le 18 janvier 1859 que seront inaugurés à Mustapha les cours officiels. Dans deux baraques, précisent les auteurs d' "Hygiène et Pathologie", l'une étant réservée aux malades hommes, l'autre aux femmes, et chacune se divisant à son tour en deux selon qu'il s'agit de médecine ou d'actes chirurgicaux.
----------Quelques vestiges subsistent encore aujourd'hui de ces temps héroïques, nous dit l'actuel directeur de l'hôpital. Par exemple le logement communautaire des Soeurs, attachées à l'hôpital par une convention datant de 1875. Tout le reste est postérieur à 1877, époque où commencèrent d'être édifiés les 14 pavillons dont le plan, dressé par l'architecte Voinot, avait eu l'approbation du préfet d'Alger. Située dans le bâtiment directorial, une peinture murale reproduit fidèlement l'image de ce Mustapha d'alors, tout flambant neuf... et campagnard. A l'entour des murailles qui le limitent, ce ne sont qu'orangeraies, bosquets, jardins.

Transformations pour cause de croissance
accélérée

----------LES deux premières cliniques créées le sont en 1883 : maladies des enfants, et 1884 : obstétricale. La nomination du premier directeur de l'établissement date de 1883.
----------Décidés vers 1920, les agrandissements exigés par une
croissance démographique déjà fort considérable, en même
temps que par la nécessité de suivre les progrès de l'équipement médicochirurgical firent plus que doubler le nombre des pavillons. En 1930, le Dr Raynaud indique le chiffre de 29. ----------Repris une fois encore, toujours pour les mêmes raisons, mais bientôt stoppés par la guerre, les agrandissements, poursuivis dès 1944, n'ont depuis lors pratiquement jamais cessé.
----------Quelques chiffres comparatifs suffiront, d'ailleurs, à montrer la croissance des services hospitaliers en un siècle a peine. En 1856-57, 7 642 malades furent hospitalisés à Mustapha et annexes. Dépenses totales concernant cette même année : 313 036 fr. 10. Aux relevés des dernières statistiques portant sur l'année 1953, le nombre des malades s'est élevé à 31435, y compris l'annexe pour contagieux d'El-Kettar, et l'ensemble des dépenses faites dépasse de fort loin les douze cent mille francs du magnifique legs Fortin.
----------Nous avons précédemment indiqué les chiffres concernant les grands services d'enseignement et le personnel hospitalier. Ceux de 1837 font état de 2 médecins, 2 chirurgiens, 2 pharmaciens, 2 internes, 17 Soeurs, 49 infirmiers ou journaliers, 1 portier.
----------Ce qui n'a guère changé depuis cent ans, par contre, c'est l'organisation administrative plaçant l'hôpital sous la haute autorité du Gouvernement Général, la tutelle du Préfet et la responsabilité d'un Directeur assisté d'une Commission consultative dont le maire d'Alger est le président de droit. Au temps, d'ailleurs, où Mustapha était commune suburbaine, c'est à son premier magistrat que revenait la fonction.
----------Tel qu'il est aujourd'hui, l'hôpital a ses grands ensembles collectifs : de lingerie avec matelasserie, buanderie, étuves ; d'alimentation comprenant deux cuisines dont l'une, équipée pour 2 000 rationnaires, utilise la vapeur provenant de la centrale thermique de l'établissement, tandis que l'autre, aménagée dans le sous-sol d'une clinique infantile, prépare suivant les régimes, des menus spéciaux et fonctionne à l'électricité ; de magasins pharmaceutiques, etc... Succédant à l'ancien et peu pratique transport à bras des repas, pour desservir les pavillons, circulent, dans les allées, des camions aux parois chauffantes ; enfin, dans l'artisanat qui lui est propre, Mustapha réunit, pour suffire à ses réparations et son entretien, les corps de métiers les plus divers. Claire et paisible avec ses murs si soigneusement blanchis qu'on la dirait toujours neuve, une chapelle, havre secret des âmes croyantes, accueille les peines et les joies dont est faite la vie quotidienne d'un hôpital.

Quelques grands services modernes

La Clinique Médicale Infantile

----------L 'ALIMENTATION, chez les tout petits, est toujours affaire importante. Aussi, l'un des centres principaux de la clinique médicale infantile est-il au sous-sol, dans
la biberonnerie.
----------Un bac de trempage, une machine à laver les biberons, deux autoclaves pour les stériliser, réduisent au minimum une manutention que le nombre rendrait fort longue. Ne nous a-t-on pas indiqué la moyenne journalière de 562 biberons ? Qui, bien entendu, se répartissent sur un très large éventail de régimes et de dosages. De sorte que la vaste pièce où, chaque matin, travaillent infirmières et puéricultrices (l'école de ces dernières est annexée à la clinique) voit ses tables de manipulation se couvrir de flacons aux tétines de caoutchouc par " familles " diversement colorées : blanc s'il s'agit de lait, jaune d'or pour les jus d'oranges et de carottes, ou bien, avec les bouillons de légumes, vert clair. Mixer et presse-fruits ronronnent tout doucement ; avec une promptitude qui n'exclut pas la minutie, les jeunes filles, sous l'oeil vigilant du chef de service, dosent les rations.
----------Toute proche, la cuisine, spécialisée dans la diététique, et équipée électriquement, nous l'avons dit, prépare chaque jour 350 repas. Des monte-plats, par leurs cheminées, portent la nourriture jusqu'aux étages ; on vient aussi la chercher, par des ouvertures pratiquées au ras du sol, de la clinique chirurgicale (toujours infantile) attenante.
----------En sous-sol encore, les laboratoires voisinent avec l'amphi-théâtre de cours (commun aux deux cliniques, également). Celui de chimie, particulièrement bien équipé pour la bactériologie, fait une moyenne de 853 analyses par mois, celui de physique, pour le même temps, " débite " quelque 620 clichés radiographiques. Puis voici, dans un local qui lui est spécial, un électro-encéphalographe dont nous avons le plaisir d'apprendre qu'il est de fabrication française. Que l'on s'imagine, d'une part, une sorte de casque pour indéfrisable ancienne version - celui d'il y a 15 ou 20 ans, muni de bigoudis tenus par des fils - d'autre part, un volumineux bloc armé d'une tige métallique jouant le rôle de plume à stylo. Si l'on ajoute, au contact de la plume, un large ruban de papier, l'image de l'appareil sera à peu près exacte. Sans nous perdre dans la description de son fonctionnement, disons, en langage non scientifique, qu'il sert au praticien interprétant les zigzags tracés sur le papier à " voir " ce qui se passe dans le cerveau de son malade.
----------Chaque chambre d'opéré a son conditionnement d'air, ses appareils à oxygène, carbogène, aérosol, Rhodoïd iz la fenêtre, etc

----------Nous étant attardée dans ce bien curieux sous-sol, nous passerons rapidement au rez-de-chaussée (salles des entrées, de consultation, etc...) pour demeurer un peu plus longtemps dans chaque étage, parmi les petits malades auprès de qui toutes les infirmières se sentent devenir mamans. De 1 à 4 ans, garçons et filles sont ensemble, chacun dans son petit box ouvert sur la même allée. De 4 à 14 ans, l'on se sépare, comme sont d'ailleurs séparés de tous ces lots les moins d'un an. A noter que les nourrissons allaités au sein ont droit à leur chambre particulière puisque la mère, afin de ne pas déranger leur alimentation, entre à l'hôpital avec eux.
----------Terminons notre visite par un coup d'oeil sur le service des contagieux, rigoureusement isolés. Pour tromper cette solitude, d'amusants " Mickey " égayent les chambres des petits
malades ; détail plus important au point de vue médical, ces chambres peuvent recevoir directement de l'oxygène qu envoie par tuyauterie une centrale appartenant au pavillon.
231 lits, une moyenne mensuelle de 250 entrées quand la période est normale résument en chiffres l'activité des six services que nous avons vus.

La Clinique thérapeutique chirurgicale : un petit hôpital dans le grand
----------SES deux caractéristiques essentielles nous semblent être l'urgence et la diversité. Depuis l'accident de la rue ou l'appendicite opérée " à chaud ", pour donner des exemples frappants, jusqu'à l'intervention chirurgicale soigneusement préparée, tout ce qui n'est pas maladie, chez les adultes, vient à Bichat.

----------Aussi, le service de garde, à l'entrée du pavillon qui porte ce nom, fonctionne-t-il par relais, sans interruption, de jour et de nuit.

----------Ce qui se fait à la clinique thérapeutique chirurgicale, les services qui la composent, fourniraient, à eux seuls, la matière d'un reportage aux paragraphes multiples. Bornons-nous, dans le cadre de notre sujet, à saisir les images les plus typiques afin de donner une idée aussi juste que possible du tout.

----------Voici, en étage, les chambres vastes et bien aérées - pas plus de 4 lits. Les prochaines, attenantes et qui feront plus que doubler la place, profitant de l'expérience acquise, seront mieux encore avec murs revêtus de carrelage blanc, plafond lumineux.
----------Y séjournent seulement des blessés légers ou des opérés déjà hors d'affaire. Aux hommes et aux femmes sortant de la salle d'opération est réservé le 2" étage entièrement climatisé, composé de chambres individuelles dont chacune a son conditionneur d'air, ses appareils à oxygène, carbogène, aérosol, son Rhodoïdà la fenêtre pour que les visiteurs, dès qu'ils sont admis à voir l'opéré, puissent aussi lui parler. Fabriqués à Alger, sur un modèle américain, les lits offrent la double particularité de pouvoir placer le malade dans n'importe quelle position, grâce à un système de crémaillère et de manivelles, ainsi que d'être, à volonté, fixes ou roulants. De sorte qu'en quittant la table d'opération, le patient, couché dans son lit une bonne fois pour toutes, n'a plus à bouger. Chez les " crâniens " (un mot qui, dans une clinique chirurgicale, se passe de commentaires) fonctionne un énorme réfrigérateur à très basse température ; rangées sur des casiers, des poches de caoutchouc, convenablement remplies d'un liquide spécial, évitent les transports de glace pilée d'antan.

 

----------Mais une porte ouverte ailleurs nous souffle au visage de l'air chaud. Nous pénétrons dans l'organe essentiel du pavillon, son bloc opératoire qui, pour être décrit, exigera le concours du photographe et notre montée à l'étage supérieur.
----------Mustapha, il est ici besoin de le rappeler, a la double vocation d'hospitalisation et d'enseignement. Sont donc à considérer le patient et les élèves de la Faculté de Médecine. Afin que le chirurgien et ses assistants opérant le premier ne soient pas gênés par les seconds, la salle d'opération se coiffe d'une coupole dont la base est percée d'ouvertures spacieuses et vitrées. Assis en rond au niveau de cette coupole, les étudiants peuvent aisément suivre tous les gestes de leurs maîtres. De telle sorte qu'à l'étage au-dessus des voûtes (le bloc opératoire comprend deux "cellules " ) se trouve une véritable salle de cours - avec chaire, d'ailleurs, pour un commentateur dont le rôle est de décrire, phase par phase, l'intervention chirurgicale.
----------Plongeons du regard, par l'ouverture découpant l'une des parois latérales de la vaste salle, dans le bloc orthopédique contigu. Y suivre une réduction de fracture sera tout aussi facile. Mais, pour admirer la perfection de son outillage, mieux vaut redescendre. Nous sera présenté, alors, un équipement pouvant rivaliser avec celui de n'importe quel hôpital de France ou de l'étranger, depuis la table articulée jusqu'à l'ensemble radio-graphique permettant au praticien, grâce à des lumières jaunes et à un écran convenablement placé, de travailler comme s'il avait sous les yeux l'os à nu.
----------De classe internationale, aussi, peut-on dire, sont les salles d'opération. Ces coupoles qui les abritent et dont, là-haut, bombait le dôme, sont des voûtes Blin que nous dirons, quant à nous, formées par des briques de verre dont chacune a sa lampe ou, plutôt, son phare puissant. L'éclairage, à la commande, se fait par zones afin que la lumière tombe comme il faut à l'en-droit voulu. De même qu'en orthopédie, un écran radiographique enregistre le travail du chirurgien au fur et à mesure qu'il se déroule.
----------Placée entre les salles d'opération et d'orthopédie, la cabine d'un poste radio-chirurgical complète l'ensemble du bloc opératoire dont nous aurons dit l'essentiel en ajoutant que le matériel stérilisé y parvient directement par monte-charge.
----------Au sous-sol se trouve ce que nous appellerons l'usine de Bichat. Entendez par là ses énormes chaudières à mazout, une puissante installation pour conditionnement d'air (c'est elle qui, à volonté, souffle le froid et le chaud au deuxième étage) un appareil à faire le vide et un autre à air comprimé dont les tuyauteries aboutissent aux salles d'opération. Certaines interventions chirurgicales, en effet, requièrent le concours de l'aspirateur, d'autres, celui du trépan ou de la scie à air comprimé.
----------A l'opposé de cette zone usinière, c'est-à-dire en surélévation, tout en haut, est le service de rééducation, soit une salle vitrée prolongée par une terrasse, l'une et l'autre munies des appareils de culture physique adéquats.
----------Pour concourir à la même fin - celle de la remise des muscles en bon état de fonctionnement - une piscine vient d'être construite au rez-de-chaussée dont la mise en service n'est plus qu'une question de jours.
----------Equipés pour toutes sortes d'analyses, les laboratoires possèdent même un photomètre à flamme, assez rare spécimen du genre et précieux, en particulier, pour le dosage du potassium et du sodium. Dans son local particulier, un encéphalographe suspend son casque à bigoudis.
----------Nous venons d'indiquer que les chambres allaient être plus que doublées. C'est, qu'en effet, à Bichat, en mal de croissance, un nouveau pavillon s'ajoute à l'ancien. Dans celui-ci, dont les aménagements sont activement poursuivis, un stérilisateur à la vapeur sous forte pression est déjà en place. De fabrication allemande très nouvelle, sa caractéristique est de stériliser en quelques minutes. Flambant neuf, aussi, est l'amphithéâtre aux fauteuils verts avec son épidiascope, son cinéma parlant. Des planches installées autour de la chaire professorale témoignent que la dernière la dernière leçon vient de porter sur la fameuse maladie bleue. Une intervention chirurgicale réussie en métropole ne l'a-t-elle pas mise, si l'on peut dire, à l'ordre du jour en Algérie ? Elle y était cependant opérée avec succès à Mustapha depuis longtemps.
----------Annexée au service, mais sise assez loin, une clinique expérimentale a ses chiens sur lesquels ne se pratique pas la vivisection (que les amis des animaux se rassurent) mais des opérations-témoins faites avec le maximum d'humanité. Enfin, une armoire frigorifique qui tient de la chambre-forte est la " banque des os " où les praticiens prélèvent les greffes utiles à leurs opérés.

La Clinique d' Urologie
----------PORTANT le nom de Jean-Dominique Sabadini, le pavillon d'urologie perpétue ainsi la mémoire d'un médecin qui, de 1885 à 1911, fut à Alger chirurgien des hôpitaux. Le service, lui, fut fondé en 1941, par transformation d'un service de chirurgie générale en service spécialisé et à la demande du titulaire de ce service. Jusqu'à cette époque, l'urologie se trouvait à l'hôpital Parnet (Hussein-Dey) et fonctionna pendant la guerre, pour militaire et civils, avec plus de 200 lits. Créée à la Faculté d'Alger en 1945, la chaire d'urologie est venue s'installer à l'hôpital où le pavillon s'est ouvert en mars 1953. Cette fondation toute récente explique le caractère architectural très moderne du pavillon, ses vastes baies, son confort et même, disons le mot, son élégance.
----------Six étages dont deux sont affectés aux hospitalisés, un aux opérés (capacité totale 120 lits) schématisent en chiffres l'urologie. Les chambres, spacieuses, ont de un à 4 occupants. ----------Comme à Bichat, elles sont dotées, deux par deux, d'un ensemble hygiénique - cabinet à toilette et W.C. - donnant au malade le maximum de bien-être avec l'impression du " chez soi ". Au service des opérés est placée, à la tête de chaque lit, une installation de réanimation post-opératoire tirant ses ressources (oxygène, etc...) du pavillon, domaine autonome équipé pour se suffire en tout. Aux laboratoires se font non seulement les examens, mais aussi des recherches biologiques.
----------Décrire le service de radiographie et le bloc opératoire aux deux salles risquerait de fatiguer le lecteur pour cause de répétition. Aussi, laisserons-nous parler l'image dont la précision montrera tout à la fois ce qu'est l'ensemble et, dans sa perfection, chaque détail. Notons, cependant, l'éclairage particulièrement puissant, la coupole des salles étant munie d'un superscialytique, soit, pour nous servir d'une comparaison familière, d'un gros phare emboîté dans un énorme réflecteur qui circule ou bascule à la commande, et de plusieurs phares de moindre importance jouant à volonté dans les parois. Le chirurgien opère, ici, au bistouri électrique et n'a besoin, pour recevoir de l'oxygène ou faire le vide, que d'un simple mouvement du pied, un peu comme, en voiture, selon qu'il voudrait embrayer ou accélérer, il appuierait ici ou là. Attenante au bloc opératoire, une lingerie dont les machines lavent et sèchent le linge jouxte la salle de stérilisation. Avec le minimum de manipulations, dans un
temps record, est ainsi bouclé le circuit pansement-souillé, complète apepsie.
----------Consultations, urgences, réanimations, tels sont, au pavillon Sabadini, les grands secteurs. N'en terminons pas avant d'avoir mentionné tout spécialement la salle des interventions endoscopiques faisant partie du bloc opératoire et dont l'équipement forme un ensemble ultra-moderne.

Gynécologie et Obstétrique
----------NOUS ne mentionnerons que pour mémoire - bien qu'ils aient leur intérêt particulier - les laboratoires et l'amphithéâtre. ----------Chaque service d'enseignement possède les siens.
----------Ici, dans un pavillon ancien qu'ajouts et transformations ont rénové de fond en comble, les caractéristiques les plus frappantes sont la clarté, la lumière des chambres-dortoirs, assez intimes avec leurs lits peu nombreux, mais habilement disposées en enfilade afin que le personnel de garde ait toutes les malades sous sa surveillance.
----------Divers, animé, ce service occupant un très vaste bâtiment est, à lui seul, un vrai petit monde. Y viennent, en gynécologie, celles à qui la nature semble refuser d'être mères afin de guérir leur stérilité. Les y rejoignent, pour être aiguillées vers d'autres services, les jeunes mamans menant leurs nourrissons à la consultation. Commencées en 1926, nous dit-on, ces consultations qui, dès le début, connurent un grand succès et en suscitèrent d'analogues dans les dispensaires, arrivent à la jolie moyenne annuelle de 16 000. Au passage, parmi l'outillage médical, notre regard s'accroche à un curieux petit appareil... dont la valeur, apprenons-nous, ne se mesure pas au volume. C'est un microcolposcope que son pouvoir grossissant - 120 à 130 fois - fait un incomparable détecteur du cancer de l'utérus.
----------A la maternité où quelque 200 petits Algérois, chaque mois, viennent au monde, l'on pratique le moderne accouchement sans douleur. Ce qui requiert, nous dit-on, la collaboration du praticien et de la future mère, celle-ci devant apprendre (entr'autres choses ) à respirer convenablement et ne pas se crisper le moment venu. Le succès des leçons données sur ce sujet... neuf quoiqu'aussi vieux que le monde, est très vif.
----------A la clinique d'urologie. - Sous le superscialytique, la table d'opération. Ici, c'est à travers les parois de verre que, du local contigu, regardent les étudiants.

----------Mais il est des circonstances où le meilleur vouloir et les méthodes d'accouchement ordinaires ne suffisent pas. Il faut pratiquer une césarienne. Aussi la clinique possède-t-elle deux magnifiques blocs opératoires assez analogues à ceux que nous avons déjà décrits, l'un équipé d'une voûte Blin, l'autre d'un superscialytique. A l'entrée, dans la salle d'anesthésie, nous remarquons en passant l'appareil à oxygène pour la réanimation des nouveau-nés et demeurons quelque peu surpris, dans la salle où les pansements sont préparés, par le volume de l'énorme stérilisateur aux innombrables manettes.
----------Au troisième étage du pavillon, la salle des prématurés, avec ses couveuses, fait penser à quelque roman d'Aldous Huxley. Imaginez des boîtes de verre dont les parois latérales sont percées de quatre orifices, lesquels s'obturent de longs manchons en nylon. C'est par ces manchons que pénètrent, bien aseptisées, les délicates mains des sages-femmes (leur école est annexée au pavillon) pour nettoyer, alimenter, une miniature de bébé tout nu dans son lange. A l'intérieur de la boîte, l'atmosphère est climatisée ; sous la boîte, un système de bascule pèse l'enfant.
----------Petites flammes de vie qu'il faut abriter pour qu'elles grandissent, ces trop tôt venus semblent encore en-deçà de notre monde. Quittons-les sur la pointe des pieds.

La Clinique Médicale
----------MODERNE de lignes et d'aspect, son bâtiment central bordé de deux ailes sent le neuf. Mais sans rien de spectaculaire.
----------Avec le souci d'épargner sur le luxe, jamais sur l'outillage scientifique et médical ou le confort des malades, les plans de ce service ont été conçus pour réaliser le maximum, en demeurant ménager des deniers publics. Il en résulte 80 lits répartis par petit nombre - de 1 à 6 - dans des chambres bien aérées, éclairées par de larges ouvertures, où l'hospitalisé a ses aises, des laboratoires équipés pour la recherche scientifique autant que pour l'analyse et (comme partout ailleurs) un centre de radioscopie et radiographie, des salles de consultation, un amphithéâtre de cours.
----------Polyvalente - on y soigne aussi bien l'estomac, le foie que l'intestin, les reins ou le coeur - la clinique médicale traite, surtout, les maladies de la nutrition et lutte spécialement contre le diabète, pour la raison que l'essentiel de sa clientèle l'oriente ainsi. Il entre dans ce pavillon en moyenne au moins un comateux diabétique par semaine, apprenons-nous. Ce qui nécessite une permanence spécialisée de jour et de nuit. Disons, en passant, que les raisons de cette fréquence peu soupçonnée paraissent être surtout l'alimentation mal équilibrée de beaucoup de gens, leur négligence à se soigner, à suivre un régime... et la cherté de l'insuline, antidote du diabète, comme chacun sait. Ce que l'on sait peut-être moins, c'est que la première étude du diabète en Algérie est partie de la clinique médicale de Mustapha.
----------Concomitant à ce service, le laboratoire est chargé de " suivre " chaque malade au point de vue dosage du sucre dans les urines et le sang - parfois, pour les cas graves, de demi-heure en demi-heure - mais ce n'est là qu'une partie de son champ d'action. Beaucoup plus vaste, celui-ci correspond à tous les services de la clinique : gastro-entérologie, cardiologie, rhumatologie, etc... L'on y " fait " également de l'hématologie, ainsi qu'en témoigne un électrophorèse, appareil construit pour étudier les éléments chimiques du sang, de la chromatographie, laquelle, apprenons-nous, est une forme moderne de l'analyse chimique utilisant des moyens de dosages colorés métriques, et de la cytologie, soit la recherche de cellules cancéreuses dans les différentes sécrétions de l'organisme, méthode principalement fondée, voici quelque dix ans, sur des travaux de savants américains. Une animalerie, installée non loin des locaux du laboratoire, enfin, met ses cobayes au service de la recherche scientifique.
----------Soigner les maladies de l'appareil digestif implique, évidemment, l'obligation de surveiller la nourriture, chaque maladie - voire chaque malade - ayant son régime particulier. Soins, observations, étude de l'évolution du mal, régime, voilà bien ce qu'on va chercher à la clinique médicale et qu'on y trouve dans une ambiance confortable, presque sympathique, dirons-nous, ayant réservé pour la fin ce service où le bistouri ne rentre pas

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----------MALADES, blessés, étudiants, s'ils constituent la grosse partie de la population de Mustapha, ne la forment pas tout entière. Aussi, dirons-nous un mot des " annexes " que sont les chambres des infirmières (en petit nombre, encore., mais c'est une utile nouveauté qui fait son chemin) de la garderie pour les enfants des employés, oeuvre sociale également toute récente et, pour cela même, installée dans du provisoire.
----------Mustapha, pas plus que Paris, ne s'est édifié en un jour. Sans cela, point n'eut été besoin d'en résumer l'historique ni d'annoncer, pour l'avenir, avec la cession à l'administration du parc à fourrage contigu, de nouveaux agrandissements.

Alberte SADOUILLET. Reportage photographique d'André GARCIA.